Bibliographie
Pascal HERLEM
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Livres
Après la mort de sa sœur, atteinte d'une maladie restée longtemps indéchiffrable, le narrateur se sent délivré d'un poids immense. Une page est tournée. Jusqu'au jour où il décide de se rendre sur sa tombe et de s'arrêter à Limoges, leur ville natale, qu'il pense avoir rayée de sa vie de manière définitive...
Ses déambulations dans les rues, ses dégustations dans les restaurants, ses recherches sur l'histoire millénaire de Limoges et ses rencontres fortuites le bouleversent si profondément qu'il remet chaque jour au lendemain sa visite au cimetière. Une mue s'opère alors en lui, qui va rendre à Limoges sa signification perdue et permettre au deuil de s'accomplir.
Limoges se lit comme une balade intranquille, et non dépourvue de drôlerie, au pays de l'enfance, au milieu des gens, des lieux, des objets, et des discours qui nous fondent.
144 pages.
Toute son enfance, l'auteur de ce livre l'a vécue dans un silence pesant. Silence entretenu autour de l'existence d'une sœur « qu'en croyant bien faire on a lobotomisée ». Éloignée du foyer, internée dans divers établissements fermés dès son plus jeune âge, Françoise a pourtant toujours été absente et présente à la fois, comme en témoignait cette chambre gardée pour elle dans la maison et qu'elle n'occupait jamais. Grâce à des carnets tenus par sa mère, Pascal Herlem a reconstitué la vie de sa sœur : son éducation, son itinéraire chaotique à l'école, son placement en institutions religieuses, la lobotomie, décidée quelques temps après la naissance de l'auteur, les étranges légendes inventées par la famille pour résister au malheur, enfin ce timide retour à la vie, qui suit le décès de la mère.
Trouver les mots pour dire ce silence, tel est le projet de ce récit hors norme.
128 pages.
"Etant donné une oeuvre littéraire,réunissez-en tous les volumes,que vous aurez classés dans l'ordre chronologique du premier au dernier paru. Prenez ensuite un peu de repos, afin de réfléchir sans forcer. Au bout d'un moment, quelconque, une idée apparaît dans votre esprit, à la façon dont le soleil darde, car le soleil darde, son rayon dans la ténêbre nocturne, qu'il dissipe. Vous voyez donc clair. Vous avez une idée et vous avez pu la voir cette fois. Il vous suffit à présent de l'appliquer méthodiquement ou presque à l'oeuvre littéraire dont vous aurez réuni tous les volumes classés du premier au dernier par. Vous obtenez au bout du compte un essai, assez plaisant à lire sans doute."
96 pages.
240 pages.
Note de lecture de Mireille Fognini
Parue dans le n°202 du Coq Héron et dans le n°48 du Bulletin du IVe Groupe
Ce livre est le fruit de l’intimité d’une rencontre entre l’un des célèbres tenants de l’OuLiPo et de la ‘Pataphysique' (« science des solutions imaginaires »), l’écrivain Raymond Queneau, et l’un de ses lecteurs attentifs et passionnés, le psychanalyste Pascal Herlem.
Quel titre déjà ! Tout foisonnant lui-même de transports et de sens… pour nous propulser d’emblée dans une polysémie métaphorique et métonymique. Après une préface convaincue de Claude Debon, et l’introduction étayée de Christine Méry, l‘ouvrage rassemble en une dizaine de chapitres diverses explorations de Pascal Herlem (dont celle « des ellipses à foisons » parue dans « Le divan à plumes » n° 130-131 du Coq Héron), au creux de l’œuvre, la vie et la personnalité de Queneau. L’ouvrage se clôt en un bref épilogue sur l’évocation en parallèle, de l’asthme de Queneau et de son nouveau concept d’ « ontalgie », « maladie dont on connaît le nom mais (dont) on ne vous guérit tout de même pas ». Une maladie résume P. Herlem, qui dans sa forme « non pathologique, est inhérente à la condition humaine de base, intrinsèque à la profondeur de l’âme humaine où cohabitent tant bien que mal les représentations et les éprouvés liés au corps (ses maladies), à la croyance (ses idoles), aux systèmes de pensées (leurs idéologies), au désir (ses objets), etc. Enlevez l’ontalgie et tout s’écroule ! » En effet son amplification pathologique avec l’angoisse, « loin d’invalider l’homme, (…) établit au tréfonds de son être la source intarissable de sa quête de sens, le motif premier de son travail de mise-en-sens, aussi bien de lui-même que du monde, la nécessité de leur invention mutuelle. »
Une des approches intimes de Queneau (d’une valeur universelle) est ainsi mise en évidence.
Alors selon P. Herlem, moralité (oulipienne et pataphysicienne ?) de l’ouvrage : « il n’y a pas de dernier mot »… Mais avant cet épilogue, les textes développés par l’auteur autour des romans de Queneau et de son écriture, nous ont pourtant largement fait tourner, goûter, savourer la matière, les saveurs, les odeurs et efflorescences des mots en bouche. Des bouquets de mots et de sens « à foison ».
On y suit P. Herlem, dans sa lecture « contre-textuellle » de l’écriture de Queneau ayant pour lui-même intériorisé son expérience personnelle de psychanalyse en la pétrissant aux remous des intrications de ses souffrances, de son humour, de ses symptômes, de ses humeurs et de ses questions existentielles. Le chapitre des « passages secrets » nous en ouvre quelques scellés et j’en trouve l’intitulé tout à fait bien choisi lorsqu’on sait qu’en 1961, Raymond Queneau aurait défini les oulipiens comme « des rats qui ont à construire le labyrinthe dont ils se proposent de sortir. »
Bref, cet ouvrage, est l’illustration même des ouvertures de pensées offertes par les effets d’un « contre-texte » (notion superposable pour tout lecteur au « contre-transfert » dans une cure, concept inventé par Anne Clancier - elle-même exégète et amie de Queneau -). Pour le dire autrement cet essai sur Queneau ne relève pas d’une critique littéraire, ni d’un essai de psychanalyse appliquée, mais du parcours co-existentiel, d’un lecteur passionné de l’imaginaire créatif de cet écrivain, mais aussi fort attentionné à sa souffrance. Et ce lecteur psychanalyste, nous découvre sa passion de l’imaginaire et de l’œuvre de création. Mireille Fognini
Articles
La guerre entre l’Ukraine et la Russie montre combien la parole peut être manipulée et devenir une arme de guerre, ce qui n’est pas sans émouvoir profondément les psychanalystes, pour lesquels la parole requiert un respect quasi sacré : elle seule « nous tient ensemble » (Montaigne).
Recueillies dans l’immédiat après coup de chaque séance de travail, les notes conservées ont permis d’avoir un aperçu de la « clinique » d’un groupe Balint pendant une année. Apparaissent ainsi les sentiments et pensées liés aux transferts et contre-transferts, redondances et répétitions, sentiments positifs et négatifs, bref, un « matériel » à l’aune duquel la relation médecin-patient prend tout son sens. L’enjeu du travail en groupe et du groupe revient à maintenir la possibilité de l’exercice de la médecine dans des conditions qui lui sont contraires, à restaurer la confiance du médecin dans la singularité de sa pratique.
Les textes réunis dans le dossier de ce numéro sont issus des communications prononcées lors des deux dernières journées d'étude d'Annecy. Nous avons voulu faire de ces journées un lieu propice à l'échange, à la réflexion et à la rêverie, autour de la rencontre du psychanalyste et de l'écrivain – son écrivain. Ainsi souhaitions-nous faire entendre quelque chose du lieu où s'engage la subjectivité de chacun pour écouter, pour écrire, pour lire et pour penser l'autre ...
Les lieux de rencontres entre psychanalyse et littérature témoignent de l’exploration d’un « impossible » éprouvé au carrefour de la vie psychique inconsciente et de l’écriture littéraire maîtrisée. En de tels ressentis d’incomplétude, l’écriture littéraire et l’activité du psychanalyste révèlent « l’insaisissable altérité de l’autre, y compris de l’autre en soi ».
De sorte que, nous dit Pascal Herlem, initiateur de ces rendez-vous entre écrivains et psychanalystes, « si l’on désire s’écrire, on saura d’avance que ce travail sera inabouti, mais si l’on ne veut pas s’écrire, on saura de même que quelque chose de soi se fera inévitablement entendre. La vérité se refuse à s’écrire, tout comme elle s’impose à l’écriture qui la refuse ; elle passe entre les lignes dans la distraction, l’inadvertance, l’intervalle, l’interstice, le vide intermédiaire ». Ce numéro du Coq-Héron rend compte des interrogations développées à Annecy en mars 2013 et aussi visitées ici selon quelques autres perspectives.
Selon Freud, le traumatisme psychique est essentiellement d’ordre économique : un excès d’excitation envahit et déborde la psyché. Avec Ferenczi, le modèle économique est développé d’après la clinique des problématiques traumatiques liées à la séduction abusive. Le concept de « langage fondamental », introduit par Piera Aulagnier, permet de mettre en évidence l’impact identificatoire du traumatisme, et la clinique des effets pathogènes des expériences de séduction subie conduit à évoquer la notion de « contrefaçon du langage fondamental ». Outre la dimension économique, est impliquée la fonction identifiante de la parole, qui nomme les affects et ce faisant identifie les sentiments : le sens qui s’attache à l’éprouvé est atteint par le traumatisme lié à la séduction abusive.
Le propos de ce texte est d’aborder le « travail » selon deux points de vue articulés entre eux, celui de l’étymologie du mot « travail » lui-même et celui de la transmission à l’infans, par la mère, de la nécessité du travail psychique. À la notion de commencement s’intègre celle de transmission pour amener à la conception du « commencement de la transmission ». La mémoire de la langue suggère que ce commencement se fait plutôt dans la peine, mais les théorisations de Piera Aulagnier introduisent les notions de rencontre de deux psychés, celle de la mère et celle de l’infans, pour un travail commun, de telle sorte que la solitude de l’infans ne peut se concevoir autrement que pensée et travaillée par l’autre.
En novembre 1996, Cornélius Castoriadis, philosophe et psychanalyste, a dit : « Ce qui caractérise le monde contemporain, ce sont bien sûr les crises, les contradictions, les oppositions, les fractures, etc. Mais ce qui me frappe surtout, c’est précisément l’insignifiance » ; puis : « Il y a un lien intrinsèque entre cette espèce de nullité de...
Cet article traite des rapports entre la création littéraire et les enjeux autobiographiques – en particulier chez Raymond Queneau. Ne note-t-il pas en effet dans son « Journal », en 1932 : « Début psychanalyse et début littérature » ? Il avait 29 ans.
Interlignes
Note de lecture d' Olivier Paccoud
Parue dans le n° 50 du Bulletin du IVe Groupe
Voici donc un analyste fréquentant de longue date une œuvre littéraire, l’œuvre de Jean Echenoz. Cet analyste, après avoir procédé à un long et patient filtrage de l’œuvre en question dans les tamis de son psychisme, en a finalement extrait un objet discret, récurrent et, pour tout dire, un peu incongru : le chien. Disons plutôt les chiens, - baptisés pour l’occasion « chiens d’Echenoz ». Il aura en effet fallu toute la sagacité du lecteur analyste Pascal Herlem pour dénicher les chiens de l’œuvre d’Echenoz et s’apercevoir (ce dont ne s’était semble-t-il pas aperçu Echenoz lui-même) qu’ils y pullulaient, à la façon d’un véritable chenil littéraire. Le livre de Pascal Herlem explore ce chenil littéraire, avec une double ambition : écrire la première « echenozographie canine » officielle d’une part ; prendre la mesure de l’efficacité littéraire, aussi insoupçonnée que surprenante, de ces bêtes, d’autre part. Sans doute pourrait-on dire, et tout aussi bien, que l’idée « chiens d’Echenoz » est née dans la tête du lecteur analyste (braconnier littéraire?) Pascal Herlem, et qu’elle lui est apparue comme une sorte d’objet, disons plutôt de truc, très efficace pour entrer dans l’œuvre et y flairer les trafics de sens. Quoi qu’il en soit, le chien qui circule, déambule sur l’arrière-scène littéraire echenozienne s’avère être un redoutable contrebandier de sens, de tous les sens, - même s’il est à peine visible, même s’il est en marge. De fait : non content d’avoir été fabriqué par l’homme pour endosser « le plus attirant du banni de la sexualité humaine », le chien « habite dans son anagramme », remarque Pascal Herlem, - qui y voit une preuve évidente de sa duplicité.
Entrons plus avant dans le livre.
Si Pascal Herlem brosse d’abord un rapide catalogue des chiens littéraires, ce n’est que pour mieux souligner la singularité absolue du chien echenozien. « Le chien d’Echenoz, nous dit l’auteur (et nous le croyons), quitte les odieux chenils des bêtes littéraires maltraitées pour occuper une place romanesque en tant qu’œuvre d’art » : ici, le chien joue du sens ; il n’est pas comme ailleurs « victime de la dénégation systématique de son humanité » ; Echenoz l’utilise au contraire comme une sorte « d’acte manqué » de celle-ci, « qu’on peut interpréter en tant que tel ». Le chien d’Echenoz est instable, mouvant, hors de toute fixation caricaturale, polysémique, éminemment transitionnel au sein de l’œuvre. Alors, cela étant dit, Pascal Herlem peut s’engager dans la traque méticuleuse, qui prend la forme d’une recension exhaustive, des chiens dans l’œuvre d’Echenoz : c’est avec assurance qu’il nous guide sur les traces du chien echenozien, en allant (tel est à peu près le mouvement du livre), du chien littéraire le plus discret, le plus occulte, au chien littéraire le plus massif, évident, traditionnel (et néanmoins, précisons, car ce n’est pas peu dire : echenozien).
Il est de fait un univers canin « subliminal » dans certaines pages d’Echenoz : absent ou tout juste évoqué (un trait), ce chien n’en contamine pas moins toute la scène dont il porte, représente, le sens latent. Corrélativement, et pour parler comme Deleuze, il est chez Echenoz des « devenirs chien » multiples, des « cynanthropies » (Herlem), des transmutations qui concernent soit des objets, soit des personnages, soit des rapports entre personnages, ou bien entre personnages et objets… Pascal Herlem nous fait partager, en les pointant, ces nombreuses combinaisons, ces délicieuses circulations du sens, mouvantes à souhait, subtiles, souvent cocasses, et qui toujours font mouche. Parce que la littérature echenozienne se soutient d’une sorte de permanent et parfois très léger hors champ, parce qu’elle est en permanence sur le fil d’une sorte de dérèglement (qu’accentue la maîtrise stylistique et narrative de l’auteur), de décrochage, de vacillement identitaire, Pascal Herlem s’attache à y repérer ce qui, à tel ou tel endroit, et parce que justement un chien s’y trouve, produit du glissement, du dérèglement. Mais il n’est pas question, ici, de remettre les chiens en laisse : Pascal Herlem se place au cœur du trafic symbolique canin, et puis, fort de sa culture analytique, littéraire, fort de ses capacités associatives et de son humour, il s’en donne à cœur joie, histoire de nous faire sentir en le déployant, en le décondensant, le formidable rendement de cette affaire. Il n’est donc manifestement pas question ici d’une critique littéraire « savante », qui, « d’en haut », dépècerait, en la réifiant, l’œuvre ; ni d’une critique psychanalytique qui prendrait l’auteur pour objet. Pascal Herlem nous propose une critique littéraire psychanalytique qui, mettant le contre-transfert (ou « contre-texte », selon le concept d’Anne Clancier) du lecteur au cœur de sa démarche, ouvre, déploie et joue du sens qu’elle rencontre, en se laissant traverser par lui. C’est une critique éminemment ouverte à ce qui, dans la littérature, est du côté de « solutions de langues » inédites. Il me semble au fond que Pascal Herlem n’est pas très loin ici de la pensée d’un Georges Steiner, pour qui une critique littéraire authentique produit une autre œuvre littéraire - qui lui réponde.
S’il fallait n’en retenir qu’un, nous inviterions le lecteur (sans le sou, trop paresseux ou surchargé de lectures en cours) à, au moins, s’attarder sur le cas du chien Dakota (et de son maître, Blondel). C’est notre préféré, c’est aussi celui sur lequel Pascal Herlem s’attarde longtemps. Disons-le sans détour : l’acharnement, la fougue investigatrice dont fait preuve l’auteur au sujet de Dakota ne va pas sans évoquer un texte majeur de notre littérature analytique. Sachez seulement, à titre d’indice, que l’enquête en passe par une interprétation/construction de la scène primitive, « hybridation de cauchemar », de Dakota ; qu’à partir de là, Pascal Herlem va nous faire saisir, avec maestria, en quoi les signifiants qui déterminent Dakota le condamnent à faire office de « station d’épuration psychique » de son maître, l’infaillible (et néanmoins imbuvable) Blondel ; qu’enfin il sera question d’une ultime variation d’identité de Dakota, en lien avec « une des plus grandes énigmes de l’univers romanesque d’Echenoz » : Titov, personnage ambigu dont on ne sait finalement s’il relève de la catégorie du « presque-chien », du « sur-le-point-de-l’être-chien », du « peut-être-chien »…
Le chien, on l’aura je l’espère entendu, agence à merveille la rencontre entre Pascal Herlem et Jean Echenoz, qui est une rencontre tout à la fois amicale, festive, féconde. Et cette rencontre nous donne à lire un livre tout à fait singulier, qui vaut le détour à plusieurs titres. D’abord, parce qu’on est là en prise avec un très captivant exercice de critique littéraire psychanalytique, exercice qui répond à la conception théorique que s’en est forgé l’auteur. Ensuite parce que c’est un livre plein d’humour, souvent jubilatoire, dans lequel Pascal Herlem nous fait pleinement partager son plaisir de lecteur analyste. Enfin il nous a semblé voir s’affirmer, dans cet ouvrage, « à l’ombre » d’Echenoz, un talent d’écrivain dont on espère qu’il trouvera à s’épanouir encore, pour notre plus grand plaisir de lecteur.