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Lettres cliniques à soi-même : le journal de Sandor Ferenczi
à la mémoire de Wladimir Granoff
Le journal reconstitué de Ferenczi (d’août 1930 à fin décembre 1932) révèle un dispositif pour questionner, à partir des critiques de ses patients, sa conduite des cures et ses contre-résistances, une fois suspendu le dialogue avec son ex-analyste mais toujours « contrôleur », Freud. Son écriture polyglotte déjà symbolise ce qui deviendra concept : la langue des adultes et celle de l’enfant.
Clinical letters to oneself : S. Ferenczi’s diary
The complete text shows a setting for exploring counter-resistance when Ferenczi’s dialogue with his «supervisor» Freud is suspended. His polyglot writing symbolizes the future concept of adults’ language and child’s language.
Mots-clés : Technique analytique. Formation. Freud contrôleur. Contre-résistance. Terrorisme de la souffrance. Contre-analyse. Dialogisme. Mutualité. Correspondance Freud/Ferenczi.
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9 pages.
On se disait bien depuis quelques années que ça pouvait arriver, que ça arriverait dans le cortège des effets du réchauffement climatique, il y avait eu quelques alertes... Et puis ce fut là et c'est encore là.
Arrêt brutal de presque toute l'activité dans les espaces du "dehors", brusque proximité de la possibilité de la mort pour tout un chacun (enfin presque).
Immédiate mise en place d'autres façons de faire pour continuer à communiquer, toutes les séances de psychanalyse dans le monde se mettant à utiliser tous les moyens "à distance" (telephone, skype etc etc etc). Et cela, aussi bien de la part de ceux qui étaient pour, que de ceux qui étaient contre. Toute la discussion sur la psychanalyse à distance se trouvant comme "déplacée" sous les impacts croisés du danger, de la "réalité", des "lois et interdits" édictés par les gouvernements concernant la circulation des personnes. Toute une expérimentation dans l'improvisation à l'échelle du globe.
Il est maintenant acquis définitivement que la confidentialité ne peut être assurée dans l'exercice de la psychanalyse autrement qu'avec le cadre "divan-fauteuil, présence physique des deux partenaires dans le même espace". Déjà à ce niveau, on sait que certaines précautions devaient être prises dans les régimes peu démocratiques, ou avec des patients bizarres (genre "l'homme au magnétophone" , Les Temps modernes, avril 1969) mais c'étaient des précautions possibles à mettre en oeuvre à l'échelle personnelle. Ici il s'agit de l'ensemble des structures des outils de communication et de leurs niveaux d'imbrication (inconnus et surtout perpétuellement variables) à propos desquels nous sommes tous aveugles quand bien même nous aurions appris beaucoup. Nous devons et devrons subir sans avoir le moyen de la comprendre ni de la changer la puissance des algorithmes des GAFA et autres systèmes dominants futurs (ou choisir de quitter le cyber-espace)
Nous sommes donc devant un incontournable, enfin reconnu comme définitif par les instances qui y ont réfléchi depuis des années, l'IPA par exemple. Comment vont se produire les élaborations d'une telle situation générale ? vont-elles échapper au moins en partie aux différentes formes de déni déjà à l'oeuvre ? Quels mouvements psychiques vont se mobiliser dès lors qu'une pratique concernant l'inconscient va continuer à se passer sur l'Internet, etc etc. Champ de recherche immense ouvert pour longtemps et dont les effets en retour sont pour le moment imprévisibles.
Mais ce qui devient une vraie préoccupation, c'est la masse de "matériel " qui a ainsi circulé et qui circule dans le cyber-espace. On sait à quel point la construction de la moindre IA demande une extrêmement grande quantité de données afin qu'elle puisse peu à peu s'affiner, différencier, relier, je dirais même (en riant) "associer". Il est donc assez probable que tous les psychanalystes du monde sans qu'on leur demande quoi que ce soit aient posé - à leur insu- de bonnes bases pour créer le "psychanalyste virtuel" qui ne va pas manquer d'arriver.
De l’actuel à l’inactuel
Cette période particulière, liée à la pandémie mondiale du coronavirus, a porté durant deux mois le nom de confinement (1er confinement du 17 mars au 11 mai 2020). Cette obligation à rester chez soi, au mieux entre soi, au pire dans l’isolement, nous a conduit à nous accommoder de situations inédites sur le plan personnel, mais aussi professionnel comme celles d’arrêter ou de modifier nos pratiques de la psychanalyse. De ces temps singuliers, nous avons pu mesurer l’importance de l’Autre, des autres dans nos vies. Si Freud a pu écrire « Pourquoi la guerre » et un certain nombre de textes sur la « psychologie collective et l’analyse du Moi » c’est parce qu’il était travaillé par la conceptualisation de la pulsion de mort. Nathalie Zaltzman prolongera la métapsychologie freudienne avec la pulsion anarchiste, élaboration et perlaboration, issues conjointement de la pratique de l’analyse et d’une œuvre métapsychologique. Ces deux chercheurs se sont tenus éloignés de l’abréaction, phénomène qui sert d’exutoire à une situation actuelle dont nous ne sommes pas encore totalement sortis, avant que les effets d’après-coup aient pu être mesurés. Au travers des récits de nos patients dans la cure, c’est-à-dire de la clinique, cette épidémie montre comment les représentations de la mort, ainsi que de meurtre de l’autre et par l’autre, surgies de l’inconscient, ont été présentes et comment elles peuvent trouver une issue favorable. Ne faut-il pas rester prudent avant d’unir le sociologique et l’analytique ? Postulat risqué quoique souvent tenu comme un progrès, thématique issue d’une confusion entre réalité psychique et l’actuel du monde, ce dernier étant la réalité « hic et nunc » qui dans la cure fait résistance à la remémoration et à l’accès à l’impensé. Le débat Freud/Ferenczi est toujours présent et le traumatique souvent pensé comme extraterritorialité de la cause. L’institution analytique a sans doute pour fonction de tenir compte du réel pour que la psychanalyse perdure comme pratique, mais elle ne peut rien sur l’indomptable de l’inconscient et à la nécessaire solitude de l’analyste en séance, sauf à laisser aux analystes le soin d’analyser cet indomptable avec leurs patients dans le cadre de la cure. Lorsqu'elles pourront avoir lieu, nos prochaines journées scientifiques, au-delà des temps suspensifs, portent bien sur la parole en séance comme accès à l’inactuel. Cette nécessité d’un continuel retour à Freud et à quelques autres, nous la retrouverons dans les propos de nos intervenants en position de chercheurs, position que Freud ne renierait pas, puisqu’elle a été la sienne tout au long de sa vie. En ce qui concerne le programme scientifique 2020/2021, nous avons vu comme tous, les projets de 2020 chuter en grande partie les uns après les autres. Nous reportons et réorganisons chaque fois que cela est possible les activités engagées afin de soutenir un débat métapsychologique nécessaire autant que vivifiant pour nous-mêmes comme pour nos pratiques.
Avec le bureau,
Sylvie COGNET – Secrétaire scientifique
Éric JULLIAND – Président du IV Groupe
Avril 2020
Je me propose de développer l’idée selon laquelle nous sommes conduits en réaction aux attentats à nous situer entre Barbarie et Culture ce qui nous oblige de ce fait même à chacune de ces occasions à avoir recours à la notion d’Archaïque pour réajuster notre système de repérage identificatoire et identitaire...
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9 pages.
Pour introduire mon propos, je reprendrais quelques idées concernant l’histoire de notre discipline. Rappelons que Daniel Lagache, créateur en 1946 de la licence de psychologie considérait la psychologie clinique comme une discipline faisant la transition entre la psychologie expérimentale et la psychanalyse. N’oublions pas non plus que Juliette Favez-Boutonnier, qui contribua à la reconnaissance de la psychologie clinique comme discipline à part entière de la psychologie....
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9 pages.
Alain de MIJOLLA
Neuro-psychiatre, psychanalyste et auteur, Alain de Mijolla s’est éteint paisiblement à 85 ans, entouré des siens, le 24 Janvier 2019.
Né à Paris le 15 Mai 1933, il avait opté pour des études médicales brillamment réussies mais non sans la nostalgie de la littérature que la rencontre avec la psychanalyse allait lui permettre de retrouver. Son œuvre en porte la trace, en particulier avec ses travaux sur Rimbaud et la question des identifications intergénérationnelles que cet amoureux du cinéma allait théoriser comme « Visiteur du Moi ». Devenu très jeune, psychanalyste titulaire de la SPP Alain s’était attaché à transmettre la psychanalyse dans le cadre de L’institut de Formation, prenant part aux débats de son institution en marquant son indépendance et son ouverture d’esprit. Il participa au groupe « Confrontations » notamment.
En 1982, il fonda avec Jacques Caïn « Les Rencontres d’Aix en Provence » réunissant tous les étés dans ce lieu qu’il aimait et dans l’atmosphère du Festival de Musique, des psychanalystes et des auteurs sur des thèmes variés et ayant à cœur d’y inviter des collègues de diverses sociétés et, parmi ceux-ci, Piera Aulagnier. Ces Rencontres qui eurent dix ans de vie donnèrent lieu tous les ans à la publication d’un livre collectif publiés aux éditions « Les Belles Lettres ». Ces premières « Rencontres » furent aussi l’occasion de la nôtre et du partage de notre vie à la fois personnelle, familiale et professionnelle qui s’en suivit. La naissance de notre fils Philippe en 1984 allait renouveler l’intérêt de ce chercheur pour l’histoire familiale mais étendue cette fois ci à celle de la psychanalyse et plus particulièrement à celle Freud.
En 1985 fut donc fondée « L’Association Internationale d’Histoire de la psychanalyse » qui devait durer plus de 20 ans et, au début, publier annuellement ses travaux dans la « Revue Internationale d’Histoire de la psychanalyse » qui eut six numéros. Mais en 2000 un nouveau chantier s’ouvrait pour ce passionné de la chose exacte, ennemi des dogmatismes en tous genres : un « Dictionnaire international de la Psychanalyse » en collaboration avec Bernard Golse, Roger Perron et moi-même, dont il assura pour sa part la dimension historique ainsi qu’éditoriale aux Éditions Calmann-Lévy.
Se remettant en 2005 d’une grave maladie, Alain de Mijolla revint avec plusieurs livres dans la dernière partie de son œuvre sur ses thématiques principales : l’histoire de la vie et de la pensée de Freud et le concept d’identification. Il intervenait dans de nombreuses émissions-débats pour y défendre, avec l’humour et la combativité qui étaient siennes, la cause de la psychanalyse.
Il lui manquera et il nous manquera.
Sophie de Mijolla-Mellor
LUCRECE BORGIA : UNE MERE « KLEINIENNE »
(Comédie Française, 2018, mise en scène de Denis Podalydès)
Dans un texte jusqu’à présent inédit et récemment publié par John Steiner, Mélanie Klein, à la fin de sa vie, met en garde ses disciples contre une utilisation trop sombre de sa technique centrée sur l’interprétation du transfert négatif. S’il faut savoir découvrir la haine derrière l’amour, il faut aussi parfois, ajoute-t-elle, savoir distinguer l’amour derrière la haine. Comme le remarque Antoine Vitez, la tragédie de Lucrèce Borgia est celle de l’amour maternel venu trop tard.
Criminelle, adultère, incestueuse et incestée, Lucrèce veut s’arracher au mal qui est sa condition, se faire connaître et aimer de l’enfant qu’elle a eu. Élevé et tenu éloigné d’elle, Gennaro ignore sa filiation. L’amour d’une mère rachète toutes les fautes. Une goutte de lait de tendresse humaine peut teinter en blanc un océan de noirceur (Podalydès).
Dans la préface qu’il donne à son œuvre, Hugo, selon une thématique qui lui est chère, avance que le poète « fera toujours apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet, la prière des morts à travers les refrains de l’orgie, la cagoule à côté du masque. ». Kleinien avant la lettre, l’auteur d’Hernani n’hésite pas à nous dire qu’il donnera à Triboulet un cœur de père, et à Lucrèce la monstrueuse des entrailles de mère.
Pris dans un terrible quiproquo, Gennaro, l’enfant de la troupe, garde comme une cuirasse sous son habit les lettres qu’il reçoit tous les mois de sa mère qu’il n’a jamais vue. Une mère immaculée, lieu de toutes les idéalisations, dont il va penser qu’elle est victime des terribles machinations de l’horrible Lucrèce. Lorsqu’il comprend que celle-ci le poursuit de son amour, de Venise à Ferrare où elle règne désormais, il retire la lettre B de l’inscription qui trône sur le palais BORGIA, jetant la dérision sur Lucrèce, et signant son arrêt de mort. En vain la mère désespérée essaie de le gracier. Après avoir accepté son aide dans un premier temps sous la forme d’un contrepoison, il la refuse finalement. C’est que la mauvaise mère Lucrèce n’a pu (et pour cause) lui jurer qu’elle n’est pour rien dans les malheurs de sa (bonne) mère. Et pour cause, puisqu’elles sont une seule et même personne.
Passage tragique de l’objet partiel à l’objet global, avec le velléitaire Don Alphonso Duc d’Este et 4ème mari de Lucrèce, et le ténébreux confident Gubetta, se partageant la figure du mauvais père. « Gennaro, je suis ta mère », dit Lucrèce en expirant, tandis qu’expire aussi le fils.
L’on se souvient de la formule provocatrice que se permit un jour un Jean Laplanche : « Faut-il brûler Mélanie Klein ? » A quoi il répondit par un verdict de clémence en ajoutant qu’il fallait seulement la faire travailler. Au risque d’un anachronisme évident, je dirai simplement que c’est bien ce qu’il nous a fait ici, l’auteur des Contemplations : Faire travailler Mélanie Klein !
Francis Drossart
Paris, 25 novembre 2018
NEBENMENSCH, LE SILENCE, LA PAROLE ET LES MOUCHES
Hommage à Claude Lanzmann
En yiddish Mensch ne désigne pas l’humain dans le simple ordre générique, comme le fait le terme allemand. Le Mensch yiddish est à la fois exemple et porteur de l’humanité comprise comme ethos – le principe en toutes ses qualités.
On ne peut douter que Freud, en élaborant la figure et la fonction du Nebenmensch, n’ait eu à l’esprit la signification du terme yiddish. Le fait qu’il ne reprenne ni ne développe ce concept si précieux dans les écrits postérieurs à Esquisse d’une psychologie scientifique amène à interroger ce... sacrifice théorique – au point de se voir alors tenu d’en incarner lui-même, tant bien que mal, le devoir face à la violence et à l’adversité déchainées contre lui par ses détracteurs.
Je me rappelle, escaladant à six ans les étagères de la bibliothèque familiale pour attraper, parmi les livres inaccessibles, les trois recueils photographiques retraçant la libération des camps. Je contemplais, tétanisée et interdite, les images sans réponse qui brisaient mon humanité d’enfant. Je ne pouvais pas m’empêcher de revenir à ces livres – dès que l’absence de mes parents le permettait. Je n’en parlais pas. Je n’osais pas. Personne n’en parlait.
C’était juste là. Posé. Muet. Comme ça.
Dans ces livres il n’était pas question des Justes : c’était bien avant la sortie de Shoah. Ne restait que l’hébétude, désert de la pensée, trou noir de l’amour, perte de l’espoir en l’humanité.
Le tonnerre de Shoah éclata lors de la préparation du procès Barbie et au milieu de la “marée noire” déversée du négationnisme (Faurisson et allii).
Et seul Shoah permit, universellement et simultanément à la promulgation du réel, l’hommage aux Justes. Ainsi la réparation fut-elle double, et en cela même vraie : réintégration des victimes dans l’humanité historique et hommage aux Menschen risquant leurs vies pour les sauver des camps nazis. Ce visage restauré de l’humanité inscrit la délivrance dans la mémoire impitoyable et vitalement nécessaire aux générations enchaînées dans l’histoire. Ce visage double de l’humanité niée/restaurée est le nôtre, il est Mesnch, notre réalité profonde.
La fonction de Nebenmensch est cruciale dans l’analyse. Je la crois même au cœur de la fonction de l’analyste – jusque dans le silence de l’écoute qui permet peu à peu que l’analysant, à son tour, s’entende dans l’écoute de l’Autre... Mais elle est là, puissante et restauratrice, dans les paroles rares et surtout comme échappant à l’analyste : lorsqu’il parle simplement en humain.
Ce peut être une “petite parole de rien”, dite sur le seuil au moment de la fin. Mais l’effet de la parole Mensch restaure sur-le-champ l’humanité trahie. C’est étonnant. C’est “de surcroît”. Cela se fait. Comme ça. Cela ne se calcule pas. Cela opère à discrétion. Et l’intégrité restaurée responsabilise en libérant.
Mensch est le seul sauvetage possible contre la déshumanisation accomplie – lorsque la défiguration fait retour sur elle-même. Je garde en mémoire vive cette réponse d’une rescapée des camps à qui la question fut posée : « qu’étaient les Nazis pour vous ? ». Son visage se pétrifia et ses yeux se vidèrent. Elle murmura : « Les nazis ? C’était des mouches. »
Anne Vernet-Sévenier
Note de lecture - Lectures on Technique by Melanie Klein
Edited with Critical Review by John Steiner - Routledge, 2017
Elizabeth Spillius, qui fut longtemps responsable des archives Melanie Klein, avait signalé à John Steiner l’existence, dans les archives, de conférences données par Melanie Klein en 1936 aux étudiants de la Société de psychanalyse britannique, mais celles-ci n’avaient jamais été publiées. Désireux de les rendre accessibles à tous en les publiant, John Steiner les a patiemment commentées. Il leur a associé des transcriptions d’enregistrements de séminaires donnés par Melanie Klein vingt ans plus tard, en 1958, à de jeunes analystes de la Société de psychanalyse britannique. La technique kleinienne du jeu est bien connue, notamment grâce à la publication du cas de Richard(1), mais on connaît moins la technique de Melanie Klein avec les adultes. Nous la découvrons ici et les exemples cliniques qui illustrent son propos nous permettent de voir très précisément comment elle travaillait, et comment elle intervenait... (accès au texte complet)
La notion de contrat narcissique apparaît comme une notion-clé de la pensée de Piera Aulagnier. Cette notion s’avère pertinente pour penser les articulations entre la subjectivité individuelle telle qu’elle se révèle en lien avec le registre des groupes d’appartenance et le registre social dans son ensemble. Deux exemples cliniques l’un en prise sur les attentats de 2014, l’autre à partir de la problématique d’une analysante viennent étayer le propos.
Mots clés : Narcissisme, contrat narcissique (passation et rupture), symbolique, alliance inconsciente, attentats terroristes
Commentaires :
Faut-il en finir avec la notion de guérison en psychanalyse ? Conférence de M.T. MALTESE-MILCENT (Membre IV Groupe) 2017
Le fait de penser est une entreprise très dangereuse. Mais ne pas réfléchir est encore plus dangereux.
Hannah Arendt.
L’analyse ce n’est pas l’intra subjectif, c’est d’abord le relationnel.
N. Zaltzman en hommage à M. Enriquez - 29-3-98.
Certains d’entre vous ont, sans doute comme moi, entendu un journaliste de France Culture annoncer une émission sur « le charlatan viennois ». Ce poste de radio, dit culturel, duquel on attend réflexion et modération se met à participer à l’oeuvre de démolition de la psychanalyse qui est, vous le savez, attaquée de toute part. Tant par la vox populi que par les organicistes et autres philosophes. La psychanalyse se trouve aujourd’hui classée derrière les thérapies comportementales alors que les psychothérapies de tout ordre font florès. Il semblerait que l’on recense 400 nouvelles psychothérapies de par le monde et plus de 200 rien qu’en France : Aussi, vous proposer une discussion autour de la notion de guérison en psychanalyse peut paraître relever d’un esprit subversif.
Mais direz-vous, la psychanalyse n’a-t-elle pas été subversive dès l’origine en mettant fin au beau conte d’une vie infantile sans sexualité ? C’était il y a plus d’un siècle !
Mais, n’est-ce pas notre reconnaissance partagée d’un travail psychanalytique porteur de vie, et le sentiment « d’être » acquis par ce même travail qui permet à Christine ANGOT d’écrire fermement : « La psychanalyse m’a sauvé la vie, c’est clair et net. L’écriture ne sauve la vie de personne… » ?
L’IDÉE DE GUÉRISON
Aussi, travailler autour de « l’idée de guérison », du mot « guérir », nous a conduit non pas à chercher la pertinence, mais à nous poser plusieurs questions autour des propositions freudiennes et de la clinique d’aujourd’hui :
- Faut-il suivre Freud dans son assertion de 1937 quand il écrit : le but et la tâche de l’analyse sont accomplis dès lors qu’elle « rétablit pour les fonctions du moi des conditions psychologiques favorables ?
- Faut-il revenir à 1909 quand il affirme dans l’observation du Petit Hans : « La psychanalyse « n’est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas, par essence, à prouver, mais à modifier quelque chose ».
-Dans notre société où le sujet contemporain n’arrive plus à s’inscrire dans l’ordre symbolique des générations, peut-il, le psychanalyste, adhérer aux préceptes freudiens ?
-Peut-il rester un analyste « apathique » tel que le définit Laurence Kahn dans son dernier livre ?
Le terme « guérison » suscite tellement de craintes et d’espoir, que proposer une définition quand chacun de nous, membre d’une communauté humaine et sociale, peut en formuler une, paraît bien difficile. In fine, n’est-ce pas de l’ultime angoisse de castration, la crainte de la mort, dont chacun voudrait guérir ?
Pour l’heure, je vous proposerai à partir des visées thérapeutiques freudiennes une approche et non une définition de l’idée de guérison...(suite)
Commentaires :
Perte de vue, mais souvenir de points de vue.
Eduardo, tu es parti et depuis quelques années, nous nous étions perdus de vue… Le dernier souvenir d’une de tes interventions à l’avant-dernière de nos réinstituantes où tu proclamais qu’il ne saurait y avoir psychanalyse en dehors de 3 séances par semaine sur le divan. Je cite de mémoire. Je ne t’ai jamais demandé ce qui t’avait pris ce jour-là, mais crois-moi, je me suis posé fortement la question. Je me suis demandé une fois encore si le politique s’arrêtait à la porte du Quatrième Groupe. Je n’ai pas osé te poser cette question iconoclaste alors que tu étais le mieux placé parmi nous pour y répondre. Et cependant, je dois dire que tu as marqué mon parcours. Ce qui m’a toujours frappé chez toi, c’est ta capacité de théoriser, calmement en reprenant les choses logiquement non sans un certain rationalisme.
Dernièrement, fin février au fil de l’écriture d’un livre dont le titre présumé t’aurait fait éclater de rire, à un moment où je traitais des pulsions dans un chapitre encadré par des réflexions sur l’Apocalypse et par d’autres sur L’archaïque et la mort, j’ai repensé à deux collègues qui ont marqué mon parcours de psychanalyste, il s’agit de Denis Vasse et de toi, Eduardo Colombo.
Inquiétante étrangeté, vous deviez mourir le même jour, me semble-t-il, quelques semaines après. Tu vois Eduardo, je me suis rappelé nos discussions avec l’ami Ferran Patuel-Puig sur la notion de Pulsion. Nous avons découvert les bienfaits de la session inter-analytique post habilitation et nous avons confrontés sur ces notions si importantes de pulsion et de représentation sans oublier, ni le boire, ni le manger. Cela devait même nous conduire, sans Ferran qui nous a quittés le premier, à proposer l’organisation d’une Journée Scientifique durant laquelle nous nous sommes interrogés sur la notion d’économie en psychanalyse. Or tu vois cela m’est resté, car dans le texte de mon livre en cours, je suis revenu à la lecture de tes considérations anti-pulsionnelles et pro-représentationnelles.
J’ai repensé aussi à ton séminaire sur La représentation où nous avons été quelques-uns à découvrir tes analyses poussées sur les développements des sciences connexes à notre discipline et dans lequel tu nous as permis de rencontrer entre autres Cornélius Castoriadis et Vincent Descombes. Cela ne nous a pas empêché l’amitié et des rencontres découvertes tant œnologiques que montagnardes. A propos, je t’ai associé en passant à Denis Vasse, et Dieu sait si vous étiez différent à beaucoup de points de vue. Je cherchais chez lui à relire un de ses premiers textes intitulés Le temps du désir et qui parlait … de la Prière …
C’est dire qu’à travers tous ses points de vue, malgré eux ou à cause d’eux on ne s’était pas complètement perdus de vue ! C’est peut-être cela le pluri-référentiel ! Gardons l’idée du principe instituant dont tu nous parles si bien sur notre site internet à propos du fonctionnement idéal de notre Groupe. Allez, Allons avec ou sans Adieu !
Marc Bonnet
Ce 27 décembre 2017, Francis Drossart, Président du IV Groupe s’associe à l’hommage rédigé par Jacques Touzé lors du récent décès de James Gammill.
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Hommage à James Gammill
James Gammill, membre fondateur du GERPEN est décédé à Paris le 16 décembre 2017 ; Sa disparition prive le GERPEN (groupe d’études et de recherche psychanalytique sur le développement de l’enfant et du nourrisson) de sa présence attentive et bienveillante qui a accompagné la vie de notre groupe depuis sa création jusqu’à cette année 2017.
Américain, James a passé sa jeunesse aux USA. À 18 ans, lors de la seconde guerre mondiale il était navigateur dans l’armée de l’air américaine et a participé à la libération de Paris.
Après la guerre il est venu à Londres où il a fait une psychanalyse avec Paula Heimann et reçu l’enseignement direct de Mélanie Klein au cours de supervisions et de séminaires. Il fait alors la connaissance de Donald Meltzer, son compatriote, que Mélanie Klein l’avait chargé d’accueillir. Ils ont participé ensemble à des séminaires à l’Institut de Psychanalyse de Londres de 1954 à 1957, et noué à cette époque une solide amitié.
Retourné aux États-Unis en 1960 James Gammill devint maître-assistant de psychiatrie à l’Université de Nashville (Tennessee).
Il revient en France en 1966 où il devint membre de la SPP. Il développe alors un enseignement centré sur l’œuvre de Mélanie Klein qui restait très méconnue en France à cette époque. Divers psychanalystes d’enfant parmi lesquels Jean et Florence Bégoin, Geneviève Haag et Didier Houzel, découvrent avec son aide non seulement l’œuvre de Mélanie Klein, mais aussi les auteurs post-kleiniens tels que Wilfred Bion, Esther Bick, et Frances Tustin.
Au début des années 70 Geneviève Haag organise un séminaire autour de James Gammill. À cette même époque James Gammill va faciliter la rencontre de ce groupe de psychanalystes d’enfants avec Donald Meltzer. En 1973 D. Meltzer fit une communication dans un congrès international à Paris. James Gammill en profita pour lui présenter Geneviève Haag. C’est dans les jours suivants que fut envisagé d’organiser des séminaires à Paris avec D. Meltzer et Martha Harris.
Le tout premier séminaire eut lieu en 1974 chez les Bégoin et fit une très forte impression sur les psychanalystes présents : l’élan était donné et dans les années qui suivirent D. Meltzer revint trois fois par an… Anik Maufras du Châtellier assura seule la gestion de ces rencontres de 1974 à 1983. L’assistance devenant plus nombreuse a conduit en 1983 à créer une association régie par la loi de 1901 : le GERPEN.
James Gammill très présent à toutes ces étapes de la naissance et de la vie du Gerpen nous a accompagnés en participant aux week-ends de travail qui se tenaient à Paris. Mais dès cette époque James Gammill allait aussi un peu partout en province apporter son enseignement notamment à Toulouse, Caen et Aix en Provence… Infatigable, James facilitait les liens entre les psychanalystes de Paris et des provinces, de France et du Royaume-Uni…
Nous éprouvons une vive reconnaissance envers James pour tout ce qu’il nous a apporté pendant toutes ces années. Les témoignages entendus lors de l’émouvante cérémonie d’hommage qui s’est tenue vendredi 22 décembre au Père Lachaise ont montré l’ampleur de l’émotion que suscite sa disparition et la gratitude des uns et des autres, de ceux qui ont pris la parole et de ceux qui écoutaient, ainsi que des nombreux collègues qui n’avaient pas pu venir à cette cérémonie. Tous ont souligné cette profonde bienveillance qui caractérisait son écoute et la grande sollicitude qu’il manifestait dans l’écoute des enfants en souffrance et de leurs parents. Je ne peux que m’associer à cette gratitude tant James et le GERPEN ont été important dans mon évolution personnelle et ont transformé l’écoute de mes patients.
Jacques Touzé
Le Subjectal
Depuis quelques années ce concept est davantage utilisé, y compris à l’international et on me demande maintenant l’exposé dans lequel j’ai raconté sa naissance. C’était dans le début des années 70. Mai 68 et sa dynamique créatrice étaient encore tout proches. Les grandes réunions que nous y avions connues se poursuivaient à Paris autour de nos maîtres en psychanalyse, avec Lacan, Perrier, Serge Leclaire, Piera Aulagnier... C’était aussi le temps des premiers groupes de travail sur les psychoses ; et depuis peu une cure de psychotique aboutie pouvait y être évoquée sans que soit immédiatement rétorqué : erreur de diagnostic !... (suite.... accès au texte complet)
21 pages.
Mots clés : Subjectal
Compte-rendu de livre
Martin WINCKLER Les Brutes en blanc, Paris, Flammarion, 2016, 248 p
Par Michelle Moreau Ricaud
Bulletin de la Société Médicale Balint, Paris, Oct 2017
Contrairement à la boutade d’Oscar Wilde - « Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique : on se laisse tellement influencer » - ! j’ai lu la dernière publication de M. Winckler…
Auteur de plusieurs romans, d’essais, de chroniques et d’un Site : Winckler’s Webzine, un temps Rédacteur à la revue Prescrire, l’auteur s’est surtout fait (re) connaître pour l’excellent La Maladie de Sachs, POL 1998. Bruno Sachs, double de l’auteur, médecin, personnage déjà présent dans deux romans précédents, Trois médecins et La Vocation, nous est présenté par les proches en courts monologues alors que lui-même écrit sur ses patients.
Le film que Michel et Rosalinde Deville ont tourné en 1999, à partir de ce roman document, La Maladie de Sachs, montre de façon saisissante comment ce médecin doit avoir la tête à tout… jusqu‘à la perdre !
M.Winckler nous livre cette fois, avec ce tableau de « la maltraitance médicale en France », comme l’indique son sous-titre, un véritable brûlot contre les médecins (mais les psychanalystes sont loin d’être exemptés).
Rappelons, pour nos collègues de la Société Médicale Balint, que Martin Winckler est le pseudonyme de Marc Zaffran, ancien étudiant tourangeau, devenu médecin généraliste, ayant exercé en pratique libérale et à l’hôpital de Pithiviers de 1983 à 2008. En retraite précoce depuis cette date, il a émigré au Canada, où il participe à la recherche sur la formation du médecin à l’université de Mac Gill, à Montréal, et à Ottawa.
La violence du titre de ce livre est-elle justifiée ?
Ce titre, sur la première de couverture, est à peine atténuée par le sous- titre à l’intérieur du livre : La maltraitance médicale en France. Effet de bombe.
Disons tout d’abord qu’il faut bien reconnaître qu’il y a de plus en plus de plaintes de patients au moment où la santé est à l’ordre du jour avec la réforme de Marisol Touraine et la loi de santé. En dépit de la déontologie médicale, les faits de maltraitance de patients par certains médecins sont avérés. L’auteur, quant à lui, dénonce tout un tableau de brutalités exercées par les médecins : abus de pouvoir sur les patients, relations abusives avec parfois gestes déplacés ou même viols (p 126), insultes, menaces, refus de recevoir des patients qui sont au CMU, dépassements d’honoraires, moqueries, mépris, condescendance, négligences, etc.
Dès le lendemain de la publication et sans l’avoir lu (?), l’Ordre des médecins, dans une réponse immédiate étonnante - alors qu’il laisse trop souvent, et pendant des années, des pratiques dévergondées impunies - a taxé ce livre de caricature. Il précise que les patients, en très grande majorité, « font confiance à leurs médecins ».
Faut-il s’étonner que la profession médicale, ancrée mythologiquement dans le « sacré », avec Asclépios, Hygée et Panacée, soit tant décriée de nos jours ? Certes Molière ne l’avait pas épargnée, avec Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant, ni Jules Romains dans Knock ou le triomphe de la médecine. Mais cette fois, nous ne sommes plus dans la comédie...
« Pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ? » Cette question est celle du bandeau du livre. Si elle est pertinente, faut-il en chercher les raisons dans les études médicales ? Dans la troisième partie Winckler évoque « l’enseignement maltraitant », leslacunes de l’esprit critique, la caste médicale, les chapelles, les conflits d’intérêt, le pouvoir (politique compris), les collusions avec les laboratoires, les « inventeurs de maladie » (Jôrg Blech), le déni des émotions, etc.
Je me demandais si l’esprit carabin ne subsistait pas chez certains des médecins incriminés… Ne commencent-ils pas à se dé-former dans les bizutages que subissent les étudiants post concours de la première année, illégaux mais toujours d’actualité, qui inaugurent leur entrée dans les études médicales proprement dites ? Ces séquences d’humiliation sont-elles spécifiques à cette profession ? Elles n’aident certainement pas à développer une empathie envers les patients, lors des premières rencontres avec eux ; les identifications aux aînés maltraitants, ainsi que les mécanismes de défense contre la souffrance, les maladies, la mort, pourtant nécessaires à la pratique clinque pour « tenir bon », pourraient-elles induire indifférence, cynisme, voire arrogance ?
L’auteur nous confie comment, selon lui, pendant ses études, il a pu échapper aux « mauvais patrons » auxquels s’identifient les étudiants, reproduisant à leur tour l’attitude hautaine dès lors qu’ils deviennent eux-mêmes médecins. Il a rencontré, dit-il, de « bons patrons » qui l’ont influencé, et beaucoup de patientes (en gynécologie, lors de prescriptions de contraception). Celles-ci l’ont-elles « civilisé », empêché d’être un médecin brutal ? Les échanges avec des collègues étrangers et, dès 1985, en fréquentant un groupe Balint auraient fait le reste ? Voici ce qu’il en dit : « J’ai eu de la chance, des collègues médecins et psychologues ainsi que la pratique des groupes Balint m’ont aidé à comprendre ce qui, dans les traits de ma personnalité, me rendait sensible aux arguments des patients… et me poussait de mon côté à me méfier et à douter de ce que le patient disait. Pour me protéger. » (p.85). Il a pu ainsi apprendre à considérer le patient et à l’écouter. Il cite l’ouvrage de Michael Balint, psychanalyste hongrois émigré en janvier 1939 en Grande-Bretagne Le Médecin, le Malade, la Maladie, écrit en 1957, et traduit dès 1960 par Jean-Paul Valabrega (non cité ; la note est à corriger p 290) qui travaillait sur La relation thérapeutique au CNRS.
Avec la référence de ces deux psychanalystes intéressés par cette extension de la pensée freudienne à la médecine à des titres divers, nous sommes bien loin de ce médecin de fiction, l’insupportable Dr House de la série américaine télévisée, que vous connaissez tous, et citée par l’auteur. Pour Gregory House, médecin hospitalier de médecine interne, point n’est besoin, sauf exception, de voir le patient, suivi par les médecins et infirmières de son service : le dossier suffit. Véritable machine à diagnostiquer, il est savant, sûr, ne cherche à découvrir que l’énigme de la maladie ; ou plutôt c‘est la vérité diagnostique et non celle de l’être malade qu’il recherche. Pourquoi perdre du temps à rencontrer le patient ? Il le dit à son équipe : « Everybody lies », tout le monde ment. Le patient ment et le médecin aussi d’ailleurs.
Au long du livre d’autres pratiques médicales sont dénoncées : la prévention (parfois maltraitante en cancérologie, exemples à l’appui), la « supercherie » du cholestérol, les campagnes de dépistage du cancer de la prostate, le traitement de l’infertilité, la violence des annonces des maladies. Choix médicaux ou dérives connues pour le bien du malade, ne sont-elles pas des formes d’acharnements thérapeutiques ?
Notons que Marc Zafran s’était formé dans le groupe Balint que le Dr Pierre Bernarchon avait conduit pendant plusieurs années au Mans, (et à sa mort repris par Simone Cohen-Léon). Il a dû le quitter car il n’exerçait plus. Il avait également été notre invité à un congrès de la S.M.B, tenu à Pau. Winckler ferait-il alors la leçon à ses collègues (malgré la toute première phrase de son avertissement ?). L’auteur renvoie ses confrères au Code de déontologie, dont il rappelle les articles les plus importants, estimant que certains l’« enfreignent sans vergogne trahissant la confiance que leur accordent la plupart des patients, manquent à leurs obligations professionnelles et violent les lois de la République » (p.52)
En fin d’ouvrage, un chapitre intitulé « Que faire face à la maltraitance médicale ? » s’adresse aux patients. L’auteur leur donne une dizaine de conseils pédagogiques, pragmatiques, dans la visée comportementaliste, de choses à faire lors de la consultation, afin qu’ils puissent exercer leurs droits de patients jusqu’au dépôt de plainte, si nécessaire, non à l’Ordre des médecins, mais au pénal.
Une meilleure formation des médecins nous paraît être une des solutions. L’introduction des Sciences humaines en médecine fera-t-elle changer les choses ? On a vu en septembre 2016, à notre 42ème Congrès de la S.M.B., tenu à Bobigny, l’introduction, commencée là en 1968, grâce au Professeur Pierre Cornillot ouvrant les études médicales aux médecines alternatives, mais également aux groupes de paroles ou aux groupes Balint. Sa rencontre avec Edgar Faure alors ministre des universités avait favorisé cette ouverture, restée encore trop timide dans les autres UFR. Peut-on espérer que sciences humaines et groupes Balint pourront sensibiliser à la relation, au dialogue ? La formation - recherche, le « training cum research » de Balint, avec présentation de cas, devant des collègues et des psychanalystes pourraient compléter le savoir par un apprentissage d’un savoir-faire.
Revenons une fois encore sur le titre, évoquant, en négatif, la fameuse série Les Hommes en blanc de ce médecin du Sud-Ouest, le Dr André Soubiran. Nombre de futurs étudiants en médecine l’ont dévoré et ont été, peut-être, soutenus dans leur vocation par cette lecture. L’éditeur et l’auteur escomptent- ils un pareil succès pour le livre de Winckler ?
A ma demande à Flammarion au sujet d’une présentation du livre en présence de l’auteur, lors de son séjour à Paris ce mois d’octobre 2016, la réponse négative laisse beaucoup de questions sans réponse :
-n’y a-t-il pas, chez l’auteur, un culte un peu naïf des médecins anglo-saxons, canadiens et américains notamment ?
-ce livre a-t-il été écrit pour le grand public ? pour les patients ?
-les médecins français seront-ils curieux de lire le procès qu’il leur est fait, cette fois par l’un des leurs, afin de réfléchir à leur style de médecin et de l’améliorer ?
-n’y a-t-il pas, enfin, le risque de discréditer à l’avance tout médecin et de ruiner ainsi « l’attente croyante », confiante envers les médecins ?
-risque-t-il également de provoquer une recrudescence d‘agressivité et d’agressions verbales et physiques envers les soignants et médecins ?
-enfin, un autre danger ne serait-il pas de judiciariser, à l’américaine, les malentendus, différents et erreurs entre médecins et patients ?
Un regret : la formation dans les UFR de médecine (parfois embryonnaire) est passée sous silence et la formation médicale continue n’est nulle part envisagée ; point d’adresse non plus de la Société Médicale Balint, fondée en 1957 à Paris, par quelques jeunes médecins qui s’initiaient au groupe Balint.
Malgré ces quelques critiques et son ton, ce livre serait néanmoins à lire par tous les personnels soignant et pourrait alimenter un débat qui ne manquerait pas d’être fructueux. Faudrait-il alors, dire, avec Sade et …Winckler : « Français encore un effort si… » si vous voulez former de bons médecins !
Michelle Moreau Ricaud
Introduction à la journée du 5 décembre 2015 à Lyon sur le livre « Le don de l’ombre » de Ghyslain Lévy
C’est avec plaisir que nous recevons Ghyslain Lévy pour parler de son dernier livre, « Le don de l’ombre ». Est-il besoin de le présenter ? Ghyslain Lévy est psychanalyste, membre du Quatrième Groupe. Il a publié de nombreux livres dont “L’ivresse du pire” en 2010 pour lequel il était venu nous parler ici à Lyon. Il n’a de cesse de maintenir une articulation entre le coeur de l’expérience psychanalytique et la société dans laquelle nous vivons, accompagné par des auteurs de divers champs de la pensée.
Bruno Gelas nous fait également le plaisir de participer à cette demi-journée. Professeur de littérature française à l’université Lyon 2, il s’intéresse aux liens entre la littérature et la langue. Auteur de nombreux ouvrages, il est également cofondateur et animateur du « Séminaire Interlectures » qui depuis 7 ans ouvre un espace de travail entre la psychanalyse, la philosophie, la littérature et la poésie.
Jean-François Chiantaretto est psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’université Paris 13. Il est fondateur et animateur du groupe interuniversitaire de recherches « Littérature personnelle et psychanalyse » et auteur, entre autres de « Le témoin interne. Trouver en soi la force de résister » paru en 2005 et de « Trouver en soi la force de résister » paru en 2011.
Je les remercie vivement tous trois, dont nous pouvons constater qu’ils partagent des points d’ouverture à des espaces de la pensée dont il va être question à partir du Don de l’ombre. Il y a 3 semaines l’horreur des attentats terroristes nous laissait sans voix, comme il laisse sans voix tous ceux qui ont été ou en sont victimes de par le monde. J’aimerais juste en hommage à ceux qui, comme disait Ingeborg Bachmann « ne meurent pas mais sont assassinés » et à leurs proches, lire la lettre que René Char écrivait à Paul Celan, (l’ami de Bachmann), le 29 mars 1955 :
« Je ne sais pas partager avec un ami son mal-être, son chagrin ou cet innommable qui s’installe en nous comme une fumée affreuse, en le lui disant, oui, je ne sais pas lui montrer à l’aide de la parole trop peu précise et balsamique que je le comprends. Pourtant j’étais avec vous hier, je le sais aujourd’hui, sans mot, à la façon d’un nageur qui en accompagne un autre dans l’épaisseur des eaux affectueuses, nageant vers quoi, je ne sais, mais vers quelque chose qui nous est dû… »
Marie AGUERA
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Se laisser altérer.
C’est ce que m’a inspiré ton livre, Ghyslain : se laisser altérer…
J’ai fait le choix de mettre en avant l’aspect hautement psychanalytique qui le parcourt et le projet de transmission qu’il porte. Un plaidoyer pour ce qui, au fond, constitue notre désir d’analystes : « une écoute qui donne sa place à ce qu’une parole ne dit pas, ce fond catastrophique dont elle doit s’arracher» (p.223). Cette ombre au fond de chacun qui est ce lieu de l’énigme, des traces étrangères de l’histoire familiale, témoigne de ce « roc de l’humain » selon Nathalie Zaltzman que nul ne peut réduire, disséquer. L’irréductible de l’humain, au-dedans même de sa faiblesse.
Depuis que j’ai commencé cette réflexion à partir de ma lecture, les massacres terroristes du 13 novembre nous ont frappés de stupeur et de sidération. Tu interroges la perte d’épaisseur et d’ambigüité de notre vivre ensemble et voici que ce qui fonde notre société est violemment interrogé, bousculé. Dès lors apparaissent, face aux forces obscurantistes de la mort et de la désolation, mélangés avec nos réactions collectives phobiques et contraphobiques, une quête des valeurs humaines fondamentales parfois oubliées. « La France d’après » comme titre Le Monde du 23 novembre sera-t-elle capable d’une élaboration, d’un travail de culture ? Dans ce sens merci de nous permettre aujourd’hui encore de penser ensemble, d’essayer par la langue de nous arracher à ce fond catastrophique… (suite de la conférence au format PDF)
Quelques réflexions à propos du livre de Gérard Bazalgette « La Folie et la Psychanalyse », conférence du 17 juin 2017 réalisée dans le cadre des Etudes Cliniques Rennaises
Cher Gérard, c’est à un véritable essai psychanalytique que tu nous convies avec ton dernier ouvrage « la folie et la psychanalyse » et particulièrement celui-ci, ton livre « écrit par nécessité personnelle, nous confiais-tu à Paris » et certes, qui ne manque pas, dans sa singularité, sa densité et son originalité à faire marque d’une pensée véritablement personnelle et rigoureuse dans ses développements métapsychologiques, pensée que nous te connaissons par ailleurs depuis toujours, avec ici cependant, des avancées audacieuses concernant l’originaire selon Piera Aulagnier, quitte à infléchir certaines lignes de sa conception et d’induire chez nous, tes lecteurs, un florilège de questions auxquelles tu nous confrontes et sur lesquelles je reviendrai.
Mais encore bien davantage, la façon dont tu le fais : c’est à dire dans une écriture où l’on sent bien tout ce que tu as mis de toi-même comme analyste, comme analyste se souciant du développement de la psychanalyse, de son évolution et de tes efforts à mieux approcher les cas non névrotiques d’aujourd’hui (différents, bien sûr, de ceux du temps de Freud), nous invitant encore plus avant, avec cette puissante clinique que tu nous exposes, à une meilleure compréhension de ces patients dits limites tout comme de la culture de notre époque dans ses multiples expressions puisque tu n’hésites pas à user de la théorie de l’originaire à une lecture de l’art contemporain.
Et, il me tient à cœur de souligner que ce qui demeure, pour moi, l’étoffe centrale de ton livre, c’est bien cette singularité de la rencontre de la littérature d’une part, de l’art contemporain d’autre part, avec la psychanalyse... (accès conférence complète document en PDF)
Fara Da Se
L’on sait que Freud, reprenant la formule de Garibaldi sur l’Unité italienne, disait que la psychanalyse n’avait à compter que sur ses propres forces, sans chercher sa validation du côté des autres sciences, ni de la politique ou de la religion. Elle se construirait par elle-même : Fara da se
En ces semaines troublées qui ont pu faire redouter, dans notre pays, le triomphe des forces de la discrimination et de l’obscurantisme, la psychanalyse, en tant qu’héritière de la pensée des Lumières, (même si elle ne partage pas le paradigme rousseauiste d’un homme né naturellement bon), a pu à bon droit se considérer comme menacée dans notre pays. Elle le restera malgré l’issue heureusement républicaine des dernières élections présidentielles.
Menacée, elle l’était lorsque Freud lui donna existence sous l’Empire Austro-Hongrois, réactionnaire et antisémite. Elle le fut lorsque l’Anchlüss exila les psychanalystes viennois et que la recherche de la vérité qu’elle véhicule fut pourchassée dans la plus grande partie de l’Europe. Aujourd’hui à nouveau, elle l’est par cette offensive de l’insignifiance qui vise à dénier l’inconscient sous prétexte d’une lutte obsessionnelle contre les symptômes, lutte tout droit sortie de l’utopie cauchemardesque du Meilleur des Mondes.
Le Quatrième Groupe, quelle que soit son adhésion au principe freudien d’abstinence, ne pouvait être indifférent aux évènements politiques qui n’ont pas fini de nous préoccuper. Il est resté vigilant, dans le cadre du Groupe de Contact, à défendre inlassablement la psychanalyse contre les attaques qui visent non certains de ses effets, mais son existence même. A ce titre, il envisage de s’associer aux démarches que celui-ci va entreprendre dès maintenant auprès de certains ministères nouvellement nommés, et dont dépend le sort de la psychanalyse dans les institutions soignantes et universitaires. Et il reste fidèle à l’esprit de cette formule qui fut celle de Nathalie Zaltzman, auteure de La Guérison Psychanalytique :
« Ce n’est pas le Quatrième Groupe que nous avons à défendre, c’est la psychanalyse ! »
Francis Drossart
C’est une entreprise très périlleuse que d’ajouter des mots à ce récit personnel si maîtrisé dans son style et éminemment troublant par son thème. Car ce dont nous entretient Pascal Herlem, c’est du bouleversement familial et intime causé par la maladie tôt survenue chez la sœur aînée qui fera d’elle, au fur et à mesure qu’elle grandira, une personne bizarre, revêche et devenue tellement ingérable qu’à l’adolescence elle sera lobotomisée, puis reléguée hors des siens. Vouée à disparaître. De ce malheur sans nom, ou plutôt sans mots, car ce n’était un secret pour personne, le frère - dont la naissance a été cause de l’éloignement de la sœur - s’en est longtemps plus ou moins mal arrangé. Et de cet arrangement, intenable, il n’a plus voulu.
La sœur aurait pu aussi avoir pour titre La mère, car l’autre personnage du récit est cette femme, irréductible elle aussi, blessée dans son amour maternel injustement contrarié, que rien n’arrêtera pour porter remède à son narcissisme de longue date endommagé. Pascal Herlem excelle à en faire un portrait qu’on jugerait impitoyable si peu à peu, de retouche en retouche, il ne parvenait à en adoucir les ombres.
Il se révèle encore ici l’écrivain subtil dont nous avions déjà apprécié le précédent ouvrage [2], mais il est aussi, comme nous le savons, psychanalyste. Et le lecteur lui rend grâce de n’avoir pas sacrifié pour autant son écriture, son style et… son humour aux lourdeurs du savoir psy, mais d’avoir construit par un travail littéraire serré des hypothèses qui forment la trame d’un roman familial aux allures d’un thriller. Jusqu’à la chute – inattendue - on ne peut s’arracher à la lecture de ce récit, tant nous atteint ce cri retenu de douleur, de colère, de culpabilité. Un cri libérateur ? Un cri qui, en tout cas, porte témoignage de ce qu’il est vain d’imaginer pouvoir s’arranger avec le destin quand celui-ci sème le malheur dans nos vies.
Nathalène Isnard-Davezac
[1] Herlem P. La sœur, Coll. L’Arbalète, Gallimard, Paris, 2015.
[2] Herlem P. Les chiens d’Echenoz, Gallimard, Paris, 2010.
L’histoire du mouvement psychanalytique français est jalonnée par des scissions :
Depuis la création, en 1926, de la SPP, le mouvement psychanalytique français a connu trois scissions en seize ans donnant naissance à quatre sociétés analytiques. 1953 : création de la Société française de psychanalyse, la SPF – 1963 : de L’Ecole freudienne de Paris, l’EFP, et de l’Association psychanalytique de France, l’APF – 1969 : du Quatrième Groupe, auxquelles s’ajoute, en 2004, celle de la Société de formation et de recherche psychanalytiques, la SFRP. Après la dissolution de l’EFP par Lacan, la création de nombreuses sociétés aussi dont je connais mal l’historique (références : Sylvie Sesé-Léger, Mémoire d’une passion. Un parcours Psychanalytique, Campagne Première, 2012, et, Document sur la dissolution de l’EFP in Les Lettres de la SPF, La Société de psychanalyse freudienne, n° 33, 2015). Tout mouvement de rupture amène donc à la constitution d’une autre unité analytique..... suite (lien actif)
6 pages.
Une psychanalyste, Colette Combe, par la porte du rêve se confronte au retournement de l’âme. Deux iconographes, Kaspars et Rutha Poikans se sont inspirés du XIIème siècle du fait de la fluidité limpide de la statuaire des églises romanes et de la simplicité des icônes orthodoxes. Une question fondamentale nous est posée par les auteurs : serions-nous intéressés par la période romane parce que nous pressentirions la renaissance du monde autrement ? Telle est l’hypothèse que Colette Combe va s’attacher à déployer au fil de son texte écrit dans la rencontre avec l’iconographie de Kaspars Poikans et les mosaïques de Rutha Poikans. Elle entrelace cette rencontre avec son écoute de psychanalyste du rêve (langage et images) de ses patients. Cet ensemble d’articulations est passionnant dans la mesure où l’esprit navigue de textes en images et d’images en langage ce qui conduit le lecteur à entendre une parole de vérité... (suite)
Préface du livre sur les Journées Scientifiques 2015 du IV Groupe - Actes 5 - Le meurtre et l'inceste - Éditions InPress - Paris - 2016
3 pages.
Ouverture par Brigitte DOLLÉ-MONGLOND, Présidente du IV Groupe (OPLF), des Journées Scientifiques du IV Groupe 2015 in Publication des Journées Scientifiques 2015 - Le meurtre et l'inceste Actes 5 - Éditions InPress - Paris - 2016
6 pages.
Eric JULLIAND et Jean-Louis SERVERIN, Secrétaires Scientifiques ont rédigé la Préface du livre sur les Journées Scientifiques 2015 du IV Groupe - Actes 5 - Le meurtre et l'inceste - Éditions InPress - Paris - 2016
3 pages.
Un des premiers textes de Freud concerne l’attente croyante, une attente de la guérison qui devient attente de l’élection, puis attente de la communion. Celle-ci viendra forger le transfert dans la situation de cure, à la fois par la suspension de l’acte et par la force même de la croyance. Qu’en est-il aujourd’hui de notre rapport à une attente qui a quitté le registre de la croyance et de son préalable, un désir de sens et une demande d’interprétation ? En quittant son fond de croyance, l’attente n’a-t-elle pas perdu aujourd’hui ce qui la rendait attente anxieuse, attente confiante, condition, selon Freud, « d’un état psychique favorable » nécessaire pour débuter tout « traitement psychique » ?
N’est-ce pas désormais une adhésion immédiate qui vient se substituer à l’attente croyante ? Plus d’attente mais l’instantanéité d’un Sens (sacré ?) qui s’impose dans la confusion narcissique, l’emprise de l’actuel, l’échec de toute érotisation de l’absence, de la solitude, du secret ?
Mots clés : Croyance. Transfert. Élection. Attente. Guérison. Traitement psychique. Sacré .Miracle. Secret. Miroir.
Commentaires :
Publication prochaine de cet article dans la revue SIGILA
Ghyslain Lévy est psychiatre et psychanalyste, membre du Quatrième Groupe. Compétent en psychiatrie infanto-juvénile. Ancien interne des hôpitaux psychiatriques. Ancien directeur du Bureau d’aide psychologique de Paris (BAPU). Il a publié de nombreux articles et livres dont « Le don de l’ombre » en 2014 aux éditions Campagne Première, et « L’ivresse du pire » en 2010, aux éditions Campagne Première. Il a dirigé l’ouvrage collectif « L’esprit d’insoumission » en 2011, toujours aux éditions Campagne Première.
Jean-Pierre CHARTIER (1945-2015)
Mes remerciements à Klio BOURNOVA et Dana CASTRO pour votre invitation à participer à cette journée en hommage à Jean-Pierre.
Le dernier Bulletin du Quatrième groupe a publié la notice biographique où je retraçais son trajet, je voudrais compléter ici sa filiation analytique et influences diverses et évoquer deux ou trois de ses travaux.
Jean-Pierre était devenu psychanalyste, membre du Quatrième Groupe, après son analyse avec Robert LEFORT et une « analyse quatrième » avec Piera AULAGNIER. Je rappelle que LEFORT, pédopsychiatre, élève de LACAN, membre de l’École Freudienne jusqu’en 1981, avait fondé (avec sa femme Rosine et Maud MANNONI) l’École expérimentale de Bonneuil, dans le mouvement post 68, anti-médical, anti-psychiatrique, pro-psychanalytique et psychothérapie institutionnelle. Cette « école éclatée » prenait en soin des enfants autistes, des ados psychotiques, en les considérant comme des sujets. Quant à Piera, elle était l’un des trois fondateurs du Quatrième Groupe avec PERRIER et VALABREGA, après leur rupture avec LACAN en 1969.
D’abord « participant », puis « Analyste Membre du Quatrième Groupe » (il disait « titulaire ») fin des années 80, il y a dirigé pendant de nombreuses années un groupe de travail intitulé « Lecture de FREUD ; étude des concepts analytiques », qu’il menait sur un cycle d’une durée de deux ans. Les analystes qui ont travaillé dans son groupe pourront témoigner de ses qualités de formateur... (1)
Notre amitié remonte à l’arrivée de Jean-Pierre dans notre Organisation Psychanalytique de Langue Française (nom complet du IVème Groupe). Ce qui nous avait rapprochés – outre la psychanalyse et particulièrement l’École de Budapest : FERENCZI et BALINT - était le choix de nos premiers terrains cliniques. Jean-Pierre travaillait en psychiatrie, un temps avec le Dr Lucien BONNAFÉ (1912-2004) - un pilier du mouvement de psychothérapie institutionnelle né avec François TOSQUELLES, catalan réfugié (1912-1994) à Saint-Alban, au fin fond de la Lozère - et j’étais psychologue à La Chesnaie (près de Blois), l’une des trois cliniques de psychothérapie institutionnelle du Loir & Cher, dirigée par le Dr Claude JEANGIRARD.
Jean-Pierre avait rejoint l’éducation surveillée et s’était engagé dans la prise en charge de jeunes personnes très difficiles - adolescents délinquants et marginaux, ces “incasables”, que personne ni aucun établissement de soins ne voulait ou ne pouvait garder. Il a alors l’idée de créer pour eux un service de soins à domicile avec Laetitia VIOLET-CHARTIER, médecin psychiatre des hôpitaux, consultante à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et Analyste Membre du Quatrième groupe (2). Ils créent « la Sablière », dans le XIVème, aidant ainsi également la famille de ces ados intraitables, en rupture répétitive avec les institutions éducatives. Il rappelait, lors d’une table ronde d’un colloque avec des éducateurs : “Je suis le premier à avoir utilisé le mot « incasable » - mais il ne veut rien dire sur le plan sémiologique. Je l'avais utilisé pour désigner des jeunes dont personne ne voulait. Quand j'ai demandé la création d'un service de soins à domicile pour ces jeunes, on m'a dit que c'était réservé à des handicapés physiques et mentaux. J'ai dit : « montrez-moi où c'est écrit que ce n'est pas pour eux ? » ; on m'a répondu : « vous avez raison, ce n’est écrit nulle part »... et j'ai pu ouvrir le service. »
Il précisait [...] « Ces sujets sont dans le déni de la responsabilité de leurs actes, c'est profond, structural, chez eux, le déni de leur implication : c'est toujours « les autres ». Déni des conséquences de leurs actes : ils n'anticipent jamais – et ce n'est pas une question d'intelligence. [...] (Il citait la carrière de MESRINE) Ils n'ont pas de culpabilité liée à l'acte, mais ils sont capables de culpabilité relationnelle.
Il groupait ce déni de l’acte, le déni des conséquences avec le défi (les 3D) comme caractéristiques de ces marginaux violents qui nécessitaient une prise en charge différente de la méthode analytique. C’est un engagement personnel de l’analyste, en tant que personne, s’exposant lui-même, pratiquant une « réanimation psychique », voire de la « réinjection du psychique », afin de les sortir de leurs agirs divers. Certes l’absence de la mère, ainsi que l’absence des interdits fondamentaux (inceste, meurtre) qui rendent humain, se retrouvent souvent chez les patients dits « psychotiques » ; cependant ces ados ne sont pas fous. Ainsi, comme Fernand DELIGNY le conseillait dès la fin de la guerre 39-45, entre éducation et psychothérapie, Jean-Pierre cultivait cette Graine de crapule, prenant soin de ces enfants perdus, paumés.
Sa recherche l’a amenée tout logiquement de ces ados à leurs parents – « parents martyrs » - désorientés par la violence de leurs enfants…(3). Il avait créé des liens avec l’Ecole d’éducateurs de MONTRÉAL et une association entre Psycho-Prat et École de criminologie de l’Université de MONTRÉAL ; nous nous sommes rencontrés dans cette ville, l’année où il était venu avec Daniel WILDLOCHER pour donner des conférences (4).
Jean-Pierre, engagé dans plusieurs champs thérapeutiques, l’était également dans celui de l’écriture, comme en témoigne sa bibliographie, que l’on peut consulter sur le Site du Quatrième Groupe. Je retiendrai, écrit avant Les parents martyrs : Délinquants et psychanalyse (1986), L’adolescent incasable. Bourreau ou martyr (1991), Les ados difficiles (1994), Introduction à la pensée freudienne (1997), L’adolescent, le psychanalyste et l’institution (1998) - au titre très Balintien -, Guérir après Freud (2003), Introduction à la technique psychanalytique (2005), Les transgressions adolescentes (2010). Il a publié plusieurs d’articles dans Topique et a également participé au Dictionnaire International de Psychanalyse d’Alain de MIJOLLA.
Permettez-moi quelques souvenirs plus personnels.
- À l’une des assemblées générales du Quatrième Groupe, qui se tenait dans le luxueux Pré Catelan et où, cette année-là, nous n’étions que deux participants et hésitions à interrompre la réunion des membres qui se tenait juste avant et qui n’en finissait plus, c’est un Corragio Casimiro mutuel qui nous a fait entrer !
- Nous apprécions son côté joyeux, joueur, spontané, culoté même : pourtant j’eus quelques inquiétudes, lors de sa première conférence donnée dans notre groupe où il relatait la prise en charge d’un jeune loulou - avec dialogue rapporté - Jean-Pierre voulait le terroriser en conduisant sa voiture à un train d’enfer – observation qui différait tant de la psychothérapie analytique classique…
C’était un collègue généreux. Voici quelques exemples :
- Il prêtait volontiers les salles de l’EPP : nous avons ainsi tenu, chez vous, des réunions du Quatrième Groupe et de l’AIHP. !
- Alors que la traduction de l’ouvrage Jeunesse à l’abandon d’August AICHHORN - autre inspirateur pour Jean-Pierre – n’était toujours pas réédité, c’est auprès de Jean-Pierre que l’on pouvait obtenir une photocopie, en toute illégalité.
- Un temps proche du Journal des Psychologues, il m’avait interrogée sur mon ouvrage sur Balint et l’École de Budapest. Cela me rappelle un souvenir plus ancien, montrant son côté parfois – il faut le dire - un peu « tête en l’air » : Il m’avait invitée à la présentation de Cure d’ennui, qui devait être suivie d’une séance de dédicaces, à Lyon, dans une jolie petite librairie de la place Bellecour. Or les visiteurs entraient et ressortaient après un temps assez bref, sauf Jean-Jacques Ritz qui prenait des photos. Il se passait quelque chose. On a su bientôt que se tenait, juste à côté, une réunion politique (avec Raymond BARRE) ! Il n’y avait plus qu’à fermer boutique et aller dîner : une vraie soirée catastrophique pour mon livre, mais nous en avons ri des années après !
Dans la même vague, volontaire cette fois, il s’amuse à publier Freudaines, (5) - au titre jeu de mot - prenant le modèle de l’exhumation récente de travaux freudiens trouvés au fond d’une malle appartenant à BALINT. Le titre nous avertit que les 11 lettres retrouvées de FREUD sont de son invention. A la manière du fondateur, il écrit à quelques figures emblématiques du milieu psychanalytique, au camarade SILBERSTEIN, aux professeurs Th. MEYNERT et E. BLEULER, à Lou Andréa SALOMÉ à S. FERENCZI, à C. JUNG, à A. AICHHORN, au trio de Berlin : K. ABRAHAM, M. EITINGON, et E. SIMMEL, à R. LAFORGUE, à E. JONES et enfin à Marie BONAPARTE. Mêlant l’ancien temps et le nouveau, c’est un FREUD insolent faisant le point, avec ses correspondants, sur la situation préoccupante de la psychanalyse en 2005 (!) écorchant au passage les lacaniens et leurs jeux de mots, [sans toucher néanmoins au vestige « costume et nœud papillon » que Jean-Pierre affectionnait] ; les neuro-scientifiques purs et durs, censés seuls pratiquer « Lascience », (en un mot) et jusqu’aux politiques français présentant « un projet pour permettre aux médecins d’être reconnus ipso facto comme psychothérapeutes » [ceci une bonne dizaine d’années avant ce statut]. Des jeux de mots (dont certains empruntés à LACAN lui-même se moquant de son institution : « la colle freudienne», des blagues du type : quelle est la différence entre la DS (mythique) et le DSM ? « L’une a fait avancer l’automobile et l’autre a fait reculer la psychiatrie ». Il nous propose même une saynète que nous pourrions jouer dans certains colloques où l’on s’ennuie, et dont le script, beaucoup plus court que le fameux Scénario FREUD de SARTRE, aurait eu les faveurs de John HUSTON.
Certes un peu dangereux si l’on se souvient d’un faux lancé par un historien de la psychanalyse Peter GAY (avant qu’il ne devienne psychanalyste). Un chercheur américain avait pris au sérieux la nouvelle que - contrairement à l’opinion répandue, L’interprétation des rêves de FREUD avait fait l’objet d’une recension dans un journal médical d’Australie – et avait inclus cette donnée dans sa thèse ! Peter SWALES avait pris l’AIHP en haine parce que nous avions rapporté cela dans un article rappelant la nécessité de vérifier les sources.
Quand le malaise est grand dans le milieu analytique, on peut avoir la tentation de régresser à des jeux d’adolescents, et se moquer de soi et de ses collègues. C’est à quoi se livre Jean-Pierre dans ce petit livre, avec humour, cette « jouissance supérieure » (FREUD 1927) (6). Néanmoins Jean-Pierre ne se contente pas du fictif, qu’il entremêle à l’Histoire : il est bien documenté sur l’histoire des disciplines : psychiatrie, psychologie, psychanalyse. Une seule erreur … (étonnante d’ailleurs !)
Ce retour de FREUD ou ces Mémoires d’outre-tombe font appel au fantasme, à l’ambition de tout chercheur, rêvant de découvrir au fond d’un placard, ou dans les archives des Bibliothèques Nationales, un trésor : document ou manuscrit inédit. Parfois ce rêve se réalise. Sinon le chercheur y renonce difficilement et peut avoir la tentation de le construire. S’il n’a pas d’éthique, il peut se livrer à du plagiat, un faux en écriture, à un pillage de texte non édité, sans faire référence à l’auteur. Bref, autant de vilénies qui se sont déjà produites dans l’Histoire. Ou bien, il peut prendre le registre du jeu : le chercheur qui piétine peut trouver une issue, paradoxalement sublimatoire, du côté du gag, de l’humour. Ou encore un témoin peut essayer de désamorcer notre angoisse de chercheur en nous proposant cette même issue ludique.
Un souvenir personnel : il y a quelques 25 ans alors que je séchais sur ma thèse faute de trouver une théorisation terminée chez FREUD sur le traumatisme, Jean-Paul VALABREGA m’avait proposé d’écrire un faux Freud sur la question, boutade qui eut un effet immédiat de libération !
Cet exercice de style où le principe de plaisir court le long du texte est à lire : son humour a gouté celui de RABELAIS, d’ANZIEU (Contes à rebours), de MIJOLLA (Les mots de FREUD), etc., et même à Johnny, dont il reprend le titre d’une chanson - auteurs d’ailleurs remerciés - laissant imaginer le petit garçon insolent - le p’tit Quinquin - qui sommeille encore, comme nous le montre sa pique sur le maître de la linguistique, SAUSSURE, orthographié « SOT-SUR ».
L’humour, nous dit FREUD, n’est pas résignation mais rébellion.
Il y avait de cela chez Jean-Pierre.
Michelle MOREAU-RICAUD
1 – Gyslain LÉVY et Marc BONNET m’ont envoyé un mail, Jean-Jacques RITZ n’a pas pu venir non plus. Et plusieurs membres et participants ont annoncés leur venue.
2 - Participante dans les années soixante-dix, membre en 1981.
3 - Un autre livre en rend compte : Les parents martyrs, toujours d’actualité.
4 - Il a donné des conférences dans nombre d’autres pays.
5 - Freudaines, Paris, DUNOD, 2005 cf ma recension, Bulletin du IVème Groupe
6 - Seules erreurs (incompréhensibles de sa part, car déjà corrigées dans l’historiographie psychanalytique) : la phrase de Freud sur la Gestapo et la trouvaille de son douzième essai métapsychologique publié chez Gallimard par I. GRUBICH-SIMITIS. Ce n’est pas dans la maison de Freud que cet essai, envoyé à FERENCZI, se trouvait, mais dans une malle chez Michael BALINT, précieux archiviste et passeur de théories, qui nous a rendu (et continué) l’œuvre de FERENCZI.
André BOLZINGER
Ne pouvant être avec vous pour cette journée pendant laquelle vous aborderez ses travaux, je voudrais simplement partager avec vous mon amitié avec cet homme d’une grande culture. J’ai retrouvé André - d’abord rencontré à Grenoble – à Paris, dans feue l’Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse, fondée en 1985 par Alain de MILOLLA. En effet, André a commencé à s’intéresser à l’Histoire de notre discipline à la fin des années 80 ; rédacteur au Bulletin de Psychologie de La Sorbonne, il publie en 1985 Histoire et mémoire. À propos du Colloque du collège des psychanalystes- (collège fondé en 1980 et disparu) - mais ses travaux publiés se sont suivis de manière très dense dès les années 2000. Il en a présenté quelques-uns dans le séminaire d’Alain de MIJOLLA à l’E.H.E.S.S., travaux qui témoignaient toujours de ses qualités de psychanalyste historien, qu’il s’agisse de l’histoire tirée de la médecine militaire (étude de la nostalgie) ou de Freud et de la psychanalyse. Comme chercheur, André dépouillait toutes les sources, et ses citations de Freud étaient retraduites – en germaniste scrupuleux ; sa connaissance intime de la langue allemande lui permettait de corriger les erreurs de traduction, donc parfois les contre-sens qui circulent …
S’il était sévère envers certains ouvrages jugés « insuffisants », dont il étrillait l’auteur sans merci, il était également critique dans notre cercle. Et il s’avérait être un débatteur redoutable. J’ai encore le souvenir vif de l’avoir éprouvé lors d’une conférence sur le poitevin René MORICHAU–BEAUCHANT, dans les années 90 à l’E.H.E.S.S.. J’avais repris quelques maigres sources, puis enquêté auprès de ses deux enfants survivants, enfin scruté sa bibliothèque donnée/prêtée à Foucault, que Daniel DEFERT m’avait aimablement ouverte : tous mes apports avaient été passés au crible – aidé en cela par Alain de MIJOLLA, d’ailleurs ! – Cependant André pouvait aussi reconnaître que parfois ses critiques étaient infondées…
Il était un invité très apprécié du séminaire d’histoire de la psychanalyse que j’ai tenu au Quatrième Groupe, où il est venu présenter plusieurs fois ses travaux : Arcanes de la psychose ; Histoire de la nostalgie. Et nous échangions nos livres.
Dernièrement, je lui ai envoyé une courte communication (donnée à Vienne au colloque organisé par Céline Masson et le groupe « PANDORA » sur l’hystérie au XIX e siècle) - communication reprise à Paris lors du colloque de l’Association Psychanalyse et Médecine : Folies à la Salpêtrière. Charcot, Freud, Lacan : j’y ai tenu compte de ses remarques, insistant sur l’influence non seulement de l’hypnose, mais également de la neurologie sur le jeune stagiaire FREUD, lors de voyage d’études de six mois chez Charcot, et, bien sûr, j’ai cité André.
Il était un compagnon de travail efficace et amical.
Michelle MOREAU-RICAUD, Octobre 2015
Nicolas GOUGOULIS a souhaité s’associer à mes souvenirs :
J'ai connu André BOLZINGER dans le cadre du travail de l'AIHP. Il se passionnait pour l'histoire et même l'archéologie de l'histoire de la psychanalyse d'où son travail qui a contribué à mieux nous faire connaître les origines de la pensée de Freud et les premiers retentissements de ses travaux. Il contribuait ainsi à une idée de la recherche historique qui rend une dimension humaine à nos ancêtres "héroïques". Il m'avait fait l'amitié de me confier la présentation de ses livres lors de soirées de nos sociétés savantes et j'ai eu ainsi l'occasion de mieux la connaître. Son travail, son originalité et son éthique de recherche vont nous manquer.
Nicolas GOUGOULIS, novembre 2015
Le sujet adulte handicapé mental et psychique : un enfant-pas-comme-les-autres.
De l’aspect déficitaire à l’en-trop de la pulsion, un destin particulier.
Quel incident, quelle catastrophe, quel inavouable secret serait à l’origine de cet enfant ? De quel infantile à l’œuvre le sujet témoigne-t-il dans sa chair ? De quel sexuel est-il la forme ? Un sexuel qui affolerait et fascinerait tout à la fois. Un sexuel venu du fond des âges, brutal, bestial.
Le fantasme d’une scène primitive folle se noue autour de cet enfant abîmé, révélant une sexualité monstrueuse à l’origine du sujet. Sexualité déviante entre parents, témoignage des fautes de générations antérieures. Ce fantasme serait comme la trace d’une contamination d’infantile à infantile. Empreinte d’une collision-collusion entre infantile parental et infantile de l’infans.
Il y aurait, dans cet enjeu, l’infantile parental, transgénérationnel. Celui du parent au passif oedipien marqué du sceau de la transgression, rencontrant une sexualité adulte interdite, après avoir tué son rival. Parent qui lorsqu’il était enfant, a commis la double faute – inceste et meurtre - et dont l’acte impie déchaîna la colère des dieux infernaux. Le handicap dans sa filiation est signe de châtiment. Il est signe d’une punition pour un crime ignoré comme il en fut pour Œdipe, fils de Laïos, enfant meurtri puis prince abusé qui paya pour la séduction homosexuelle et violente de son père sur le jeune Chrysippe.
Le questionnement sur les origines, « Qui suis-je ? », « D’où viennent les enfants ? », « Comment fait-on les enfants ? » revêt, dans ce contexte, une forme particulière. Il s’articule à un questionnement autour de l’origine du handicap et devient « Pourquoi suis-je handicapé ? », « Comment fait-on les enfants handicapés ? », « Pourquoi m’as-tu fait handicapé ? », « Pourquoi m’as-tu mis au monde ? ». Il confronte le parent à sa culpabilité.
La question du sens de son handicap, c’est la question de Léa qui ne cesse de s’interroger ? Léa, à l’allure d’une petite princesse de porcelaine sortit d’un conte de fées... maléfiques. Léa et son visage d’ange à la peau diaphane, encadré de cheveux roux, ses manières séductrices, sa fine silhouette.
Cependant, le sentiment d’une « inquiétante étrangeté » nous saisit à son contact. Est- ce à cause de ce corps, tout petit corps, vêtu à la façon d’une poupée ? De ces pensées qui lui viennent et se figent dans un dire qu’elle rumine sans fin ? De ses ricanements insensés ?
Qu’est-ce qui se voit, se lit dans ce corps et témoignerait d’un indicible qu’il faudrait transformer, araser ? Que cherche-t-elle dans sa volonté lancinante à être opérée ? Que voit-elle dans la vitre du bureau où je la reçois et où elle essaie en vain d’attraper son reflet ? Que me demande-t-elle quand elle me questionne sans relâche, comme un disque rayé, sur ce que je vois, lorsque se rapprochant de moi, elle offre son visage à mon regard ? Qu’est-ce qui de la transmission d’une tare pourrait être corrigé dans ses fantasmes de chirurgie ? Utilisant une crème dépilatoire jusqu’à la brûlure et la plaie, elle interroge... Et si son corps se couvrait de poils ? Si elle devenait un singe ? Si elle devenait ce qu’elle imagine qu’elle est, « une-pas-pareille, handicapée » ? « Je ne suis pas un monstre, quand même !? » me questionne-t-elle, à partir d’une assertion autrefois adressée par sa mère pour la rassurer – « Tu n’es pas un monstre, ma fille ! » -.
Derrière la folie de cette nuit sexuelle, un interdit de transmission frappe l’enfant, qui le fige dans une activité libidinale prégénitale et sans fin. Le fantasme de filiation se consume dans la Bête qui sommeille au creux de l’enfant-monstre.
Un tableau se dessine peu à peu qui ne laisse aucune place aux retouches. L’enfant tordu est vécu comme part corporelle et psychique de l’adulte, il est excroissance du corps maternel. Il représente le trop, l’excès d’une sexualité monstrueuse et perverse. Il est investi par la mère comme objet phallique à la façon du fascinus cher au monde romain (1), sexe érigé dans toute sa superbe qui n’est pas sans rappeler l’origine bestiale de l’homme. L’objet erectus représente la pulsion sexuelle dans sa démesure. Devant le fascinus, l’on est fasciné. La fascination n’est autre que la pétrification qui s’empare des hommes et des animaux devant l’angoisse insoutenable. La fascination, c’est l’éprouvé et la transformation du corps qui précèdent la mort. La fascination conduit à la sidération. Elle a partie liée avec le fétichisme. Souvenons- nous dans le texte freudien (2), de cette expérience à travers la présence de ce « brillant sur le nez » (3), cet éclat, lequel érigé en fétiche par le sujet, provoque précisément un regard « fasciné » sur le nez ? Freud ne dit-il pas là toute la force du désir de voir, voir et posséder ? Ce point de contact du regard préserve le sujet de l’horreur de la castration. Il survient en défense face à l’angoisse de la confrontation au manque de phallus chez la mère et à la différence des sexes. C’est le corps du sujet, désinvesti psychiquement par la mère, qui est surinvesti à la façon du fétiche. Corps-phallus.
Ce « corps-phallus », c’est un peu de l’histoire de Célia. Une jeune femme enfermée en elle, déambulant au milieu du parc désert, chaque jour à la même heure, après la pose déjeuner. Célia au visage dysmorphique, les yeux hagards derrière de grosses lunettes aux verres embués. Toujours curieusement vêtue avec ses « kikis » de couleur, plantés çà et là sur la tête, dans des habits-peaux trop ajustés, trop colorés, trop mal assortis. Célia déguisée mais enveloppée. C’est l’histoire de notre incompréhension dans la façon rude et sans appel dont nous l’avons perdue. Rendue au père et à la mère qui la réclamaient à présent à corps-et-à-cris, persuadés de la sauver d’une folie dont les professionnels du foyer d’hébergement et les médecins de l’HP étaient à l’origine. Célia ne pouvait plus rien en dire, empêchée qu’elle était. Elle fixait le miroir, à la fois fascinée et atterrée par l’énorme langue qui tombait de sa bouche sans plus pouvoir y retourner. Célia fut plongée à nouveau dans la galaxie-mère, elle retourna au corps à corps maternel. Nous étions, quant à nous, détenteurs d’un « savoir » dont nous ne savions à présent que faire. À la maison, le père opérait du côté des soins du corps, lui rasant le poil au menton, lui coupant le cheveu, la lavant, la baignant ; la mère la prenait avec elle la nuit pour calmer ses angoisses. Une plainte fut déposée auprès du Procureur de la République, une enquête diligentée mais Célia ne revint pas...
Ainsi le handicapé fascinant est-il enfant-méduse. Il est l’enfant que l’on tue dans le fantasme mais il est l’enfant éternel de la réalité. Les vécus de sidération de la pensée, quand il paraît au monde, attestent du télescopage de la réalité avec le fantasme. L’enfant survit dans une temporalité interrompue qui écrase les fantasmes originaires désormais agencés autour d’un schème opérant comme unique organisateur, l’incestuel. Là où le fantasme parental est introduction de l’enfant dans le ventre maternel, dans l’utérus familial, comme pour se réparer et réparer le parent abîmé, l’incestuel règne en maître. Sans doute peut-on même soutenir cette inclusion de l’enfant dans l’objet séducteur maternel comme originaire et irréversible : donc pas de fantasme de retour à un ante qui n’a jamais existé. Porter cet enfant à l’intérieur de soi, l’incorporer, c’est le protéger d’un monde de terreur. C’est aussi se nourrir de lui dans une relation d’amour cannibale où chacun s’entredévore dans une emprise réciproque. Le fantasme parental d’avoir abîmé l’enfant produit une tyrannie infantile qui fait le lit de l’incestualité et ouvre à une inversion générationnelle. L’enfant devient « parent-enfant ». Mais la tyrannie infantile si elle témoigne de l’incestualité, est aussi œuvre de résistance, lutte éperdue contre la séduction narcissique maternelle. Chargé de préserver et magnifier le narcissisme maternel, le petit encensé deviendra l’in-sensé (4).
Aux origines de la vie de Viggo, de sombres pensées planaient autour de son berceau. N’y avait-il pas eu cette infection parasitaire pendant la grossesse de la mère qui refusa tout net une IVG ? Puis au 5ème mois, la chute au sortir d’un bus et celle dans l’escalier de la maison ? Puis le monitoring qui s’était arrêté de fonctionner et l’enfant sorti à grand-peine tout bleu de son ventre ? C’est ainsi qu’elle évoquait ce temps d’avant la naissance du fils puis leur rencontre. Elle avait désiré ce premier enfant mais elle disait aussi combien elle avait pensé le perdre, s’étonnant qu’il ait survécu et attribuant son handicap mental et ses troubles du comportement aux évènements indésirables qu’elle relatait. Et puis, niché au creux des pensées de Viggo, il y avait encore à ce jour, ce fantôme d’une sœur jumelle dont seul le garçon semblait avoir gardé le souvenir.
Le désir de faire disparaître cet autre si différent de soi trouve parfois sa parade dans l’attention extrême que prodigue l’objet premier dans l’après-coup de la rencontre. Viggo trouva sans doute une mère des premiers temps à la fois dévouée et débordée par la disponibilité sans limites que cet enfant souffrant exigeait d’elle. Un enfant – pas-comme-les-autres- violent, pleurant, tyrannique. Un enfant qui ne jouait pas. Un enfant sans langage, inséparé, collé au corps de la mère. Un enfant cependant qui n’avait de cesse – à toujours être là, dans son sillage - de vouloir la réparer dans sa déception de l’avoir eu, lui. Un enfant qui, lui aussi, demandait réparation.
Cette mère vint un jour me rencontrer dans l’institution qui avait accueilli son fils adulte, pour dire son exaspération, sa fatigue de leur lien. Et me parler de son amour et de sa haine pour ce fils cannibale. Le père venait de mourir soudainement, laissant l’une et l’autre désemparés. Elle lui avait dit comme pour le consoler : « Tu es à présent le pilier de la maison ». Il avait dit aux éducateurs, comme pour répondre à l’injonction maternelle : « Maintenant, c’est moi le chef, je remplace mon père auprès de ma mère ».
Que dire de la qualité du lien entre l’objet premier et l’enfant tors ? Le deuil originaire du lien primaire ne peut advenir. Sise dans une atemporalité infinie, la relation de séduction maternelle narcissique engage à un ordre libidinal a-pulsionnel, déconnecté du désir, donc du sexuel (5). L’organisateur de l’incestuel a tué le fantasme. Rien ne s’image, ne se représente, ne se fantasme. En témoigne la pensée blanche, vide du sujet comme de l’objet premier, pensée frappée d’un interdit qui porte sur une vérité. Sous le règne de l’ante-oeidipien, pas de fantasme qui puisse se déployer.
Parent et enfant, pris dans les rets de leurs infantiles confondus, ne peuvent entrer dans le temps de « l’ici et maintenant ». Ils sont à jamais prisonniers d’un présent éternel. Dans ce temps gelé, une symbiose secondaire s’est construite sous les traits d’une jouissance à deux.
La punition que représente en chair le handicap autoriserait-elle la transgression dans le registre du meurtre ou du sexuel ? L’enfant handicapé se confronte à la haine de l’objet parental et à la sienne propre à son égard (6). Il se confronte encore plus violemment qu’un autre à ces motions libidinales d’amour et de haine, à travers la séduction et le meurtre. Mais le déni de cette haine envers l’enfant, la négation des vœux de mort à son endroit, le refus de lui accorder le droit d’exprimer plaintes, accusations, l’érige en enfant éternel (7) à jamais « in-séparé ». Objet tyrannique, tyrannisé ou idéalisé et vécu comme objet grandiose, il révèle le traumatisme à travers ses effets : fantasmes de toute puissance chez l’enfant, ambivalence parentale portée par l’un de la fratrie, contre-investissement de la haine par le parent, inversion générationnelle caractérisant une position d’ « autorité dysfonctionnelle » (8) corolaire du fantasme d’avoir abîmé l’enfant, ...
L’un se vit coupable de la tare et dissimule son ressentiment sous une extrême sollicitude. L’autre se sent fautif du désastre narcissique qu’il inflige à l’entourage. Quelque chose s’entretient ... Et la culpabilité (9) se donne en partage pour le pire et le meilleur (10)…
Entre Marnie, adolescente obèse aux manières de caïd, et sa mère, femme froide et distante, c’est comme si rien n’était « à la bonne place ». Les regards, les corps disent autre chose que les mots qu’elles s’adressent. Marnie s’abîme dans des rencontres maltraitantes, échos d’une scène incestueuse qu’elle répète à l’envi. Ce qui s’est transmis du grand-père paternel et qui fut dénoncé par la mère, ne cesse de faire retour et vient se figurer dans le corps de la fille.
La mère, enfermée dans son ambivalence, s’évertue à défaire un cadre institutionnel jugé trop rigide, trop peu « autonomisant ». De sa fille, elle prétend qu’«elle est grande à présent, elle est adulte !! ». Comme pour prendre acte de cette condition nouvelle, elle lui propose des sommes d’argent considérables, lui paie des nuits d’hôtel avec des hommes, souscrit à toutes ses transgressions... Sa fille handicapée, « n’est-elle pas une adulte comme les autres ?! ». Le handicap peine à être reconnu. Mais les mots que la mère lance à l’enfant « monstrueuse » disent une autre réalité : « Tu me dégoûtes tant, tu vas me salir »... Ils racontent combien la transmission est passée par le corps de la mère.
Les femmes apparaissent à la fois collées mais rivales, - la fille ne vit-elle pas dans la peur que la mère ne séduise son homme du moment ? - solidaires mais ennemies ... proches mais si lointaines... Chacune croit venir en aide à l’autre mais toutes deux se répondent dans un même dégoût. " Grosse vache ! " hurle la mère devant l’image du monstre soudain (re)surgi. Devant ces scènes qui la glacent et devant bien d’autres encore, Marnie nous fait toujours la même réponse : « Si ça arrive, c’est que je le mérite ».
L’activité libidinale du sujet centrée sur des conduites masturbatoires et onaniques se développe dans l’investissement d’une zone érogène partielle, non spécifique. Lieu d’excitation, érotisé, l’enfant s’offre, en corps ouvert, jamais clos, constamment pénétré. Et se figure dans une impossible représentation unifiée. Tout juste peut-il se fondre en l’autre pour s’éprouver un peu en chair. S’il se sépare, c’est le risque de l’effondrement.
Aux temps adolescents, le traumatisme fait retour. Le sujet est confronté à son handicap sous une forme d’une extrême violence. L’attachement dans un lien adhésif qui l’unit à l’autre entrave le processus d’individuation et l’accès à une sexualité adulte intégrant la capacité à procréer. En lieu et place de la génitalité, les pulsions partielles règnent en maître. L’absence d’inscription dans la configuration œdipienne barre l’accès à la différence des sexes et des générations, ouvre la voie à une sexualité de type infantile, prégénitale, perverse. L’investissement corporel ne débouche pas sur une représentation du Moi intégrée. La masturbation apparaît comme tentative de se constituer une enveloppe pour échapper à des éprouvés de dissolution, de morcèlement. Sans orgasme, elle est pure activité infantile. Elle résonne en écho à un fantasme d’auto-engendrement et d’emprise absolus.
Quand le sujet rencontre le corps de l’autre, c’est comme objet à manipuler dans un lien d’emprise. L’autre comme un réceptacle qui absorbe le sujet, dans une envie impérieuse d’échapper au drame qu’il incarne. Ce sont les sensations au creux du corps qui l’empêchent de disparaître. C’est l’organe réveillé par l’excitation qui le maintient vivant. La sexualité en actes revêt les oripeaux des pulsions partielles à travers des sensations intra-corporelles. Peu d’exploration de l’autre différent de soi. Le sujet ne se suffit-il pas à lui-même ? Masturbation narcissique, masturbation de l’autre par soi non comme recherche du plaisir mais comme stratégie pour se garder, s’éprouver vivant, éviter le vidage et l’effondrement de l’être, du corps. Pas une relation d’altérité mais le surgissement, le maintien de la vie dans une relation spéculaire.
Eddy aime à montrer que sa vie est celle d’un jeune homme de son temps, du moins le pense-t-il. Il apprécie de s’entourer de jeunes de son âge. Il aime sortir et s’amuser. Il participe volontiers aux activités proposées. Pourtant, derrière ce grand gaillard aux allures de gros dur se cache un petit garçon énurétique, qui rote, pète, braille et n’en finit pas de solliciter l’adulte. Rien ne semble aller de soi dans sa rencontre avec l’autre. Et les histoires d’emprise autour des corps qu’il touche et tente d’explorer se répètent au fil de ses rencontres féminines ou masculines. Il transforme une scène, celle d’un état amoureux partagé à deux en une autre, publique, obscène et dérangeante. Lui, plongeant la main entre les jambes de son amie lors d’un voyage en métro, l’embrassant à pleine bouche, la tripotant de toutes parts. Pas de lieu de l’intime – il n’est pas construit - mais quelque chose qui se donne à voir et à entendre comme pour prouver combien on sait faire comme les autres, on est bien de ce monde- là... celui des hommes. Et les mots qu’il lance à la cantonade dans ces instants de débordement viennent décrire l’acte et participent de l’excitation qui l’envahit.
La zone érogène la mieux investie? La bouche. La bouche comme premier organe d’exploration du monde, la succion référée à la tétée, procurant apaisement et quiétude. Mais aussi la bouche comme lieu d’avidité, d’engloutissement, de dévoration. Enfin la bouche comme siège de la voix en tant qu’objet pulsionnel. L’objet voix comme ce qui tente de « porter la présence du sujet dans son dire » (11). Et de la bouche, les mots qui sortent comme des outils de découverte et d’appropriation du monde. Les mots ont aussi valeur incantatoire, ils sont formules magiques. Dans sa crudité (12), le langage articulé témoigne du traitement anal de la pulsion. Les mots-insultes, mots-invectives, «gros mots», disent quelque chose d’éprouvés bruts. Ils offrent une exploration du corps, une expérimentation de la relation à l’autre dans sa dimension érotique. Dotés d’une fonction « excitatoire », ils font éprouver ce que « ça » fait dans son corps de les prononcer. Ils rendent compte de questions fondamentales : « Qu’est-ce que la sexualité ? », « Qu’est-ce que je suis ? », « Garçon ? », « Fille ? », ... Ils disent la confusion des genres, la confusion des sexes. Dans leur fonction sociale, ils permettent de marquer un territoire, de définir une appartenance à un groupe. Il y a une jouissance collective à utiliser le langage dans sa dimension transgressive. Un langage, emprunté au registre du sexuel, comme tentative de maîtriser un monde hors de soi, une terre hostile. Comme tentative-illusion de quitter le monde infantile pour accéder à celui d’une sexualité adulte.
Mais parfois le langage n’y est pas. Et le corps vidé de mots, animé de comportements érotiques débridés, masturbatoires, exhibé dans l’institution comme dans le socius, nous révèle avec force une part de soi cryptée, rejetée : le corps pulsionnel en état de jouissance qui évoquerait nos origines instinctuelles, animales, nos origines d’avant l’avènement du langage. Ainsi, du verbiage au mutisme, les modalités expressives engagées attesteraient d’une difficulté fondamentale à habiter subjectivement le langage.
La vérité sur « la chose » en tant qu’ « avoir ou être cet enfant-là » est vécue comme intolérable. Elle révèle la transgression sous les fantasmes sexuels, incestueux, meurtriers à l’égard de l’enfant. À peine pensée, elle est déjà frappée d’un interdit de savoir. L’enfant, pris dans les rets de l’injonction, peine à investir le langage, sombre dans l’inhibition, s’enferme dans le mutisme. Lorsqu’il perçoit l’enjeu de vie ou de mort que ce savoir revêt pour l’autre, il n’a d’autre choix que de taire sa curiosité. Et le désir, confronté à l’objet séducteur, n’en finit pas de se tarir. L’enfant devient fétiche. C’est le statut du fétiche que d’être dépossédé de son désir. Et le parent, pour survivre à sa propre culpabilité, n’a d’autre voie que d’enterrer, chez l’enfant-chose, toute velléité de questionnement, toute tentative de problématiser le monde.
L’autre maternel peine à reconnaître la part de soi qu’incarne « le monstre » sorti de ses entrailles. Le reconnaître, n’est-ce pas devenir monstre soi-même, pareil à Médée ? Médée et ses enfants, qui jouent aux osselets, préfiguration de l’amas d’os qu’ils deviendront. Médée qui hésite encore devant l’acte contre-nature qui portera sa vengeance au plus haut : tuer ses deux fils. Le méfait accompli, la mère infanticide enfonce l’épée au creux de son sexe, asséché pour l’éternité qui reste à vivre ...
Mais le meurtre de l’enfant tors, ce n’est pas tant le fait de tuer cet enfant-là que d’effacer ce dont il témoigne, ce dont il est la preuve ... Le châtiment effacerait-il le crime ??Ce qui serait en jeu chez l’autre maternel serait peut-être moins l’horreur de l’acte que le surgissement d’une voluptas, d’une jouissance abominable et perverse, née de l’incapacité d’en finir avec le désir d’indifférenciation...
Pour la mère, le déni de l’origine bisexuée de l’enfant, la toute-puissance et l’illusion devenue comme réalité de l’in-séparation. Pour l’enfant, l’expérience d’un monde clos «dé-fantasmatisé », d’une Galaxie-mère où il est, tout entier, enclos dans cet autre maternel. N’entend-on pas chacun, perdu dans son illusion, murmurer : Ô toi ma mère ! - Ô toi mon enfant ! -, Unique objet de ma fascination ! ? C’est l’histoire d’une idolâtre et de son idole. Pas de sexuel, pas d’Autre mais, à travers la contemplation de soi, le triomphe du narcissisme absolu au service de la pulsion de mort.
Christine MATHONNAT - Mai 2015
(1) Pascal Quignard traite dans son texte Le Sexe et l’effroi (1994) de l’érotisme effrayé du monde romain. Jamais le terme de phallus n’est utilisé en latin. Les Romains préfèrent le terme de fascinus, là où les Grecs parlent de phallos.
(2) Freud, « Le fétichisme », in La vie sexuelle, (1927), Paris, 1969, PUF, p. 133-138.
(3) Ibid, p. 133. Brillant en allemand se dit Glans; Glance en anglais signifie Regard. Patient allemand élevé dans une nurserie anglaise, venu ensuite en Allemagne et oubliant sa langue maternelle. Le brillant a le sens du mot dans l’enfance ; il signifie regard.
(4) Cf. P-C Racamier.
(5) Il importe de distinguer séduction sexuelle (cf théorie freudienne : un adulte séduit un enfant) et séduction narcissique (incestualité « normale » cf 1ers soins maternels).
(6) Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, (1947), Paris, Payot, 1971, p. 72-83 :?« J’émets l’hypothèse que la mère hait le petit enfant avant que le petit enfant ne puisse haïr la mère et avant qu’il puisse savoir que sa mère le haït », in La haine dans le contre-transfert ».
(7) Simone Korff-Sausse, Figures du handicap, p. 48.
(8) André Carel, in Groupal, n° 10, pp 7-38.
(9) A. Ciccone, Fantasme de culpabilité et culture familiale, in Famille, culture et handicap, Toulouse, Erès, 2013, p. 64
(10) M. Klein, 1950, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1984.
(11) J-C. Maleval, L’autiste et sa voix, Seuil, 2009.
(12) « Le caca-boudin ».
PAR QUELS CHEMINS LA PETITE FILLE DEVIENT FEMME ET MÈRE À LA FOIS ?
Pour commencer une assertion de Samuel Beckett qui est dirais-je un défi lancé aux psychanalystes et particulièrement à mon équipe et moi-même dont le fil rouge depuis plusieurs années est l’écoute. Je vous la livre : Se taire et écouter, pas un être sur cent n’en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie. – Samuel Beckett
Il faut bien le dire, malgré l’expérience avérée, des points noirs persistent. Mais pas seulement. D’autres éléments sont à prendre en compte.
Suivre les chemins par lesquels la petite fille devient femme et souvent mère met au cœur du débat plusieurs couples d’opposés : le masculin et le féminin, la mère et l’infans, le sexuel et le maternel. C‘est dire si les rejetons des relations précoces mère enfant seront multiples et nombreux. Et que la fillette les trouvera au cours de sa construction de femme et de mère quand elle le devient.
Nous avons tenté de les débusquer.
Déjà, quand Freud soutient que la libido est de façon régulière masculine (-1905- Trois essais sur la théorie sexuelle – NRF, p.161) et demande de reconnaître qu’au stade phallique, « la petite fille est un petit homme » (1915- Nlles conférences- NRF, p.158) on est désorienté. Et même si on reconnaît avec lui, qu’au stade anal la petite fille ne témoigne pas moins d’agressivité que le petit garçon, il est observable que, très tôt, elle se distingue de lui. Mais selon sa théorie phallocentrique Freud développe l’idée que garçon et fille traversent de la même manière les premiers stades de la libido. Le clitoris bien que plus petit, sert à la fille d’équivalent du pénis et le vagin, qui la spécifie, n’est encore découvert ni par elle ni par le garçon.
Vous le savez, ces théories freudiennes sur la sexualité féminine ont donné naissance à deux courants opposés : celui qui croit au vagin et celui qui n’y croit pas.
Aujourd’hui d’éminents travaux tels ceux de Monique Cournut-Janin, Florence Guignard et de Jacqueline Schaeffer, pour ne citer que ceux-ci, ont permis des avancées considérables pour aborder la sexualité féminine autrement. D’une part, par la prise en considération de l’attachement préœdipien de la fille à la mère et d’autre part, par l’abord du masculin et du féminin comme des qualités psychiques et non biologiques.
Un premier fait aujourd’hui admis est que le féminin et le maternel constituent lors de la relation primordiale mère infans un bain d’affects dans lequel fille et garçon se trouvent immergés. Pour s’en séparer et se différencier tous les deux devront s’en détourner, mais ils ne rencontreront ni les mêmes obstacles ni les mêmes apories. C’est que la différence de sexe entre elle et son fils renvoie la mère à la loi du père et la rassure, tandis que la similarité avec celui de sa fille la met face à elle-même, en danger.
Si l’on admet que la femme est dans la mère et la mère dans la femme on acceptera que ce soit son féminin qu’elle transmet. Pour comprendre comment la fille devient femme et mère souvent, il nous faudra, donc, examiner les perturbations narcissiques et libidinales issues de leurs toutes premières relations.
On ne peut s’empêcher de penser à la culture qui marque de son sceau les schémas de pensée et la psychanalyse aussi bien. Force est de constater que la grande majorité des parents investit beaucoup mieux le garçon que la fille. Car le garçon vient confirmer leur narcissisme phallique ou, pour le moins, le conforter ; tandis que la fille sera celle qui réactive leur première blessure narcissique la perte de leur moi idéal : la toute puissance infantile. Elle les blessera d’autant plus, que mère et père ne se trouvent assurés ni de leur narcissisme ni de leur identité sexuelle.
Et, c’est depuis la nuit des temps que la littérature masculine clame la suprématie de l’homme sur la femme, tandis que la littérature féminine bruit des souffrances éprouvées par le fait, quand ce n’est pas la faute, d’être née fille. Sur nos divans, ce sont les blessures qui entravent le sentiment d’être et le goût de vivre que nous entendons s’exprimer.
En voici quelques unes:
« Il a suffi à mon frère de paraître pour être aimé »,
« Pour ma mère je suis transparente »,
« Sans pénis, je n’étais rien pour ma mère… Avec l’arrivée de mon frère, je n’ai plus existé!»
Or, la polysémie de la vie fantasmatique inconsciente des hommes et femmes donne à percevoir la quête du phallus idéalisé du père mais tandis que les hommes tentent de s‘extirper du giron maternel, les femmes n’ont de cesse d’être reconnues dans leur intégralité : au libre exercice de leurs aspirations personnelles et à la jouissance d’une sexualité pleine et entière.
LA TRANSMISSION DU NARCISSISME ET DU PULSIONNEL
L’investissement narcissique parental qui a donc partie liée avec le sentiment d’exister du petit d’homme me fait considérer que le premier de cet investissement est anténatal. Et qu’à ce moment il s’agit d’un narcissisme représentant de la libido du moi et pas encore de la libido d’objet.
Il me semble que la psychanalyse ne s’est pas intéressée à ce tout premier investissement anté natal qui préfigure celui de l’infans. Et si avec Freud nous concevons que l’organisation libidinale trouve ses racines dans le narcissisme primaire (« Pour introduire le narcissisme »), nous pensons que ces racines plongent dans la psyché maternelle anté et post natale. N’est-ce pas avec cette même psyché que la mère dispense soins et caresses à son bébé et qu’elle est sa première séductrice par le sens énigmatique qu’ils revêtent?
Dès lors ne peut-on considérer que par leur biais, sont transmis au bébé les fantasmes inconscients de la mère mais aussi ceux du père puisqu’il est présent dans la relation ?
On peut objecter qu’il est difficile de comprendre comment un contenu psychique inconscient passe d’une génération à une autre ? Comment des éprouvés et des conduites se reproduiraient à l’identique, sur plusieurs générations quand, secrets et désirs insatisfaits sont scellés, inavoués.
Haydée Faimberg avance que, dans le télescopage des générations, il y a une identification narcissique que l’on repère dans le transfert. Selon elle, un investissement narcissique massif empêche l’enfant de se distinguer et de se séparer. Il me semble que l’expression « narcissisme massif » laisse entendre un narcissisme de mort tel que A. Green l’a décrit. Ce serait alors un narcissisme clivé de la maturation pulsionnelle (B. Grundberger) qui fait obstacle à l’altérité, à la reconnaissance de l’autre semblable et différent à la fois. Autrement dit, un narcissisme expansionniste qui fait barrage aux capacités de différenciation et de séparation de l’infans et le maintient dans la fusion.
Dominique Guyomard qui a introduit la notion de « narcissisme du lien » invite à mieux comprendre ce qui se passe lors de cette première expérience sensorielle préverbale mère-infans. S’instaure, soutient-elle un narcissisme du lien porteur de la mémoire d’une jouissance oubliée. Celle-là même du bébé qu’elle a été et qui vient se réactiver par la mise au monde du sien. Un lien d’une séduction partagée qui doit être éphémère pour être structurant et donner naissance à l’objet. Ce qu’elle appelle « l’Effet Mère ». Un « Effet Mère » qui se répète de génération en génération.
Il s’agit là d’un plaisir réciproque éphémère et que la perte n’est pas celle de l’objet mais celle de la relation. J’ajouterai que ce lien peut avoir lieu sans plaisir partagé et que dans les deux cas ce narcissisme du lien préfigure le temps de l’homosexualité primaire. Lequel, ainsi que je l’avance plus loin, ouvre la voie à l’organisation narcissique et libidinale du sujet. Construction dans laquelle toutes les instances sont l’une à l’autre liées.
Aussi, un lien précoce mère-infans trop érotisé ou, à l’inverse clivé de libido aura des conséquences néfastes sur le féminin de la petite fille. Pour le dire vite, sur son identité sexuelle (et tout autant sur celle du garçon).
Je vous propose deux vignettes qui me paraissent significatives des deux cas de figure :
- Le cas d’un trop de séduction maternelle :
Est celui d’une jeune femme, troisième fille consécutive d’une fratrie de quatre dont le frère est arrivé après elle.
Elle vient me trouver aux alentours de ses 28 ans parce qu’elle est rejetée, abandonnée, pas aimée. Ni de son directeur de thèse, ni de son ami et moins encore de sa mère. Au moment de son engagement dans l’aventure analytique elle me « lance » d’entrée : « Je viens de rompre avec mon ami pour venir chez vous ».
Au moment où j’écris cela, me revient la menace faite à Don José par Carmen, dans l’Opéra de G. Bizet (Prosper Mérimée) : «mais, si je t’aime prends garde à toi ». La sienne, celle de partir, de me quitter, si je ne l’assurais de toute ma disponibilité ne tarda pas à venir.
Se sachant entendue, sans doute pour la première fois, séance après séance, elle parlait sans s’arrêter. Par là, elle me signifiait son besoin de reconquérir son intégrité narcissique et de se sentir exister. Dans son discours venait au jour une haine passionnelle pour sa mère. Haine passion qu’elle rejouait sur la scène de ses relations et qu’elle me faisait vivre dans le transfert. Chemin faisant le sentiment de ne pas être écoutée, d’être transparente, de ne pas exister aux yeux de sa mère a pu être relié à une séduction maternelle inadéquate. À une mère excitante et non contenante. Coupable, en la mettant au monde, d’avoir privé son père d’un garçon. Lui présentant ce père méprisable et violent. Une mère empêtrée dans la confusion des générations qui avait fait de sa fille la confidente de ses déboires sexuels. De fait, une mère plus femme que mère.
Le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, le déséquilibre entre les investissements narcissiques et les investissements libidinaux des deux imagos parentales venaient faire barrage à l’identification au masculin et au féminin de la petite fille qu’avait été cette jeune femme. Trop excitant, l’objet mère la maintenait dans une relation soumise à sa toute puissance. En rendait compte, la haine qu’elle lui vouait.
C’est au décours de ses associations et leur élaboration que la menace proférée au début de notre rencontre prit son sens.
- Du conflit entre le désir de se détourner du lien premier et celui de le retrouver.
- De son besoin impérieux d’être reconnue dans sa totalité de femme et de trouver un espace pour se rêver.
Dans le cas d’un lien NON ÉROTISÉ, voici ce qu’écrit Nathalie Rheims dans son livre « Laisser les cendres s’envoler » paru en 2012 (Ed, Léo Scheer, son mari):
- « J’ai perdu ma mère. Elle a disparu il y a plus de dix ans. Ma mère est morte, je le sais. Mais, lorsque j’y pense, je ne ressens aucun chagrin, pas la moindre émotion. Tout reste plat comme une mer gelée, pas un seul petit frémissement à la surface de l’eau. Quand je pense à elle, il ne se passe rien ».
« Le rien de cette relation est devenu chez moi aussi profond que l’absence de désir d’enfant. Impossible de m’imaginer donnant la vie. À sa façon, ma mère s’est enfuie avec la mienne, me laissant sans réponse face au froid qui s’installe à sa seule pensée »
FéMININ – MASCULIN ET FÉMININ - FÉMINITÉ : UNE NÉCESSAIRE DISTINCTION
Le couple masculin-féminin Freud le signifie au stade génital, au moment de la puberté quand il situe la différence des sexes. Autrement dit quand les premiers rapports sexuels peuvent se réaliser. S’il en est ainsi, faut-il comprendre l’accès au masculin et au féminin par les seules données biologiques ? Evidemment non. Mais, selon Freud, c’est en ce temps tardif que le féminin se distingue du masculin.
Or, si on admet que l’investissement narcissique sexué s’effectue, ainsi que je le soutiens, avant la naissance par les deux parents, qu’il est inégal pour la fille et le garçon, on pourra avancer dans l’idée que c’est avec ce premier investissement que le féminin et le masculin maternels entrent en une subtile dialectique avec le bébé dès leurs toutes premières relations. Et que c’est en étayage sur cette première matrice qu’il traversera tous les stades de son développement.
Le féminin qui nous importe ici serait donc un processus qui commence dès la première rencontre mère fille, relié de facto à l’investissement anté natal. Il est une construction psychique, invisible pourrait-on dire, qui se poursuit toute la vie. Ses caractéristiques prendront la forme de la féminité qui, elle, se donne à voir. Discrète et harmonieuse elle le parfait. Bruyante, grinçante à l’allure phallique, elle constitue une défense. Contre la castration, l’angoisse du féminin.
Quant à la libido que Freud soutient être masculine, n’est-elle pas le substrat de la pulsion sexuelle comme lui-même le dit et qu’il définit par une force, une poussée constante ? Le terme allemand Trieb signifie poussée. (1915, Pulsions et destin des pulsions). Poussée constante qui ne pouvant être totalement satisfaite réitère le désir qui spécifie l’humain.
Y aurait-il un substrat féminin et un substrat masculin de la pulsion ? Si c’est le cas peut-on les distinguer ?
Mais comme la sexualité humaine est une psychosexualité où le féminin et le masculin s’opposent ou s’intriquent, constituant la bisexualité psychique, l’analyste aura à interroger le féminin, et tout aussi bien le masculin, en termes d’investissements narcissiques et en termes d’identifications.
LE PLAISIR D’ÊTRE FEMME ET L’homosexualité primaire
L’abandon par Freud lui-même de l’identification primaire avec le père de la préhistoire pour celle avec les deux parents a permis des ouvertures nouvelles vers l’instauration de l’identité sexuelle de la fille et du garçon. La notion d’homosexualité primaire dont Freud ne parle qu’une fois dans toute son œuvre me paraît à ce titre essentielle. Car cette expérience, considérée par Evelyne Kenstemberg comme le deuxième temps et l’aboutissement de l’identification primaire et par Annette Fréjaville comme le moment fondateur de l’identité sexuelle marque un changement de nature dans la relation mère enfant.
Après la fusion du contenu et du contenant, l’indistinction des affects de la vie fœtale, c’est dans les bras d’une mère suffisamment bonne que le bébé partagera une relation de plaisir réciproque. Durant ce temps de jouissance commune il pourra s’éprouver tantôt objet auto-érotique tantôt « partenaire amoureux » (E. Kenstemberg). Dans son rapport à l’autre identique prévaudra la part auto-érotique tandis qu’à l’autre semblable mais différent, ce sera l’investissement libidinal qui primera. C’est alors que dans son économie psychique un changement interviendra. L’alternance de l’identique et de l’altérité permettra l’accès à un début de travail du deuil de l’objet, l’inhibition de la pulsion quant au but établira la relation de tendresse, par la distinction du courant tendre et du courant hostile. Cette alternance dans l’économie psychique fera émerger l’éprouvé de tendresse.
Force est de constater qu’il est, le plus souvent, méconnu par les femmes qui se trouvent sur nos divans.
L’homosexualité primaire est donc envisagée comme un tournant dans la vie psychique et comme assise structurante des identifications secondaires et de l’organisation du moi. L’identification au même, donne la possibilité de se projeter sur le double narcissique garant de l’identité sexuée tandis que l’identification au différent permet d’accéder à la potentialité du masculin et du féminin.
La fille, pour s’identifier à la mère qui est l’objet d’amour du père, et au père qui aime la mère, devra être assurée d’un double investissement narcissique : de la reconnaissance sexuée et par la mère et par le père et que, tous deux, s’en réjouissent réciproquement.
Cette double identification donnera à sa sexualité une nouvelle assise et un sens différent :
- L’identification au corps féminin de la mère désiré par le père ne sera plus celle d’un corps châtré, mais celle d’un corps qui accueille et qui contient.
- L’identification phallique au père permettra, elle, de surmonter l’angoisse de castration.
Ainsi, la fille pourra continuer à s’identifier à sa mère qu’elle sait douée de grands pouvoirs : elle fait les bébés et c’est elle qui l’a portée. Il lui reste, cependant, à apprendre qu’elle l’a faite grâce à la séduction qu’elle a su exercer sur son père et, qu’elle y est parvenue par la réalité de sa castration. C’est alors, qu’elle pourra se réjouir d’être une femme comme sa mère et fière du double pouvoir de séduire un homme et, par sa castration même, porter des bébés.
Est-ce pour nous surprendre que Niki de Saint Phalle symbolise dans ses sculptures le couple parental par des formes clownesques ? Une petite tête dans un corps aux formes extravagantes pour la mère et un homme deux fois plus petit qu’elle pour le père, lui tenant la main ?
Vous le savez, Niki de Saint Phalle a été abandonnée très tôt par sa mère à ses grands-parents et abusée violée par son père, à l’âge de onze ans.
Quant au garçon, il pourra s’identifier à son père en tant qu’objet primaire au sens d’homosexualité primaire, objet de fascination détenteur d’un pouvoir narcissique phallique dans la mesure où la mère le lui reconnaît.
Est-ce un hasard si Léonard (de Vinci) qui, selon les auteurs, aurait fait de la prison pour homosexualité, nous présente dans son sublime « Sainte Anne » une famille sans père ?
Cette description quelque peu théorique permet de saisir la valeur structurante de cette expérience d’homosexualité primaire. Spécifiquement pour la fille dont la similarité de sexe met la mère en difficultés pour un comportement souple d’amante et de mère à la fois.
Si donc le féminin et le masculin sont les deux termes d’une différence en construction comme j’espère l’avoir démontré, le féminin se distingue du masculin par son double destin. De féminin érotique et de féminin maternel.
LE DOUBLE DESTIN DU FEMININ : FEMININ ÉROTIQUE ET FEMININ MATERNEL
Liliane Abensour soutient qu’une mère, cela n’existe pas. Elle préfère le terme d’objet à celui de mère car, dit-elle, l’objet étant au delà du maternel, il évite bien des difficultés. Si cette approche différentielle semble intéressante pour l’analyse du transfert et du contre transfert, il me semble que pour notre propos, nous ne pouvons faire l’impasse sur le lien du maternel avec le pulsionnel. Car, quand bien même le comportement maternel se traduit en tendresse étayée sur des qualités pare-excitantes et des capacités de rêverie, les fantasmes de la mère sur le corps sexué de son bébé auront partie liée avec son investissement libidinal et ses propres théories sexuelles. Est-il pensable, en effet, que toutes les transformations corporelles de la petite fille devenue femme et mère n‘ait pas d’incidences sur sa psycho sexualité et sur ce qu’elle transmet ?
Ce qui complexifie les mouvements identificatoires de la fille c’est l’identité de sexe avec sa mère, ainsi que je viens de le dire, et que ce sexe est le lieu d’un double impur.
« L’Origine du Monde » de Courbet est explicite : il est à la fois lieu d’origine (du monde) et lieu de jouissance. Un seul et même lieu pour jouir et engendrer voilà le scandale !
Nous avons là, la source de la l’angoisse de pénétration et du fantasme incestueux. Fantasme explicité par J. Schaeffer du fait « Que la mère puisse jouir avec son amant dans le même lieu où elle a joui avec son enfant, et que ce sexe soit semblable à celui de sa petite fille ». (De mère à fille : l’antagonisme entre maternel et féminin)
Fantasme qui, dans un retournement en son contraire a donné naissance, si j’ose dire, dans la religion chrétienne à une mère « Vierge conçue sans péché ». Qu’elle soit magnifiée et adorée par plus de 3 milliards d’hommes et de femmes de par le monde ne saurait étonner.
Si donc, l’organe sexuel féminin a la potentialité de jouir et de procréer tout à la fois, ne faudrait-il pas faire une distinction entre la femme et la mère, entre la mère et le comportement maternel?
Il me semble que c’est dans ce sens que M. Fain et Denise Braunschweig et à leur suite F. Guignard et J. Schaeffer insistent sur la nécessité dans le comportement maternel de refouler la pulsion sexuelle qu’ils appellent par le terme heuristique de « censure de l’amante » ou mieux encore de « bascule » : un mouvement d’oscillation et non de clivage.
Un comportement de mère basculant avec souplesse entre des mouvements sexuels d’amante et des mouvements de tendresse maternelle renvoie explicitement aux processus secondaires, à la liaison de la pulsion et à son intégration dans le narcissisme. C’est dire qu’être mère le jour et amante la nuit est une acquisition et non une donnée. Un processus par lequel la fille devenant femme accepte son féminin dans sa plénitude et se réjouit de sa fonction de mère. Une organisation psychique donc, suffisamment souple qui alterne entre la tendresse et l’érotique entre l’amante et la mère. Une mère à même d’avoir un comportement maternel sans le fantasme incestueux.
Aussi, si la transmission se passe de mère à fille comme je le pense c’est, équipée des fantasmes générationnels préœdipiens et œdipiens plus ou moins élaborés, que, l’économie psychique maternelle entrera en interaction avec celle de sa fille. Une mère, encore fixée à ses liens précoces maternels, au féminin non intégré à son narcissisme, toujours déçue de son manque phallique, fonctionnant en clivage de l’érotique et de la tendresse, qui pose sa fille en rivale, pourrait-elle, et comment, être une messagère de l’attente amoureuse ? Car la fille attend l’accomplissement de son féminin par son Prince charmant. (J. Schaeffer, « La Belle au Bois dormant »).
La fille en effet passe sa vie pourrait-on dire à attendre. Elle attend la poussée de ses seins, la venue de ses règles, la jouissance amoureuse… Elle attend de porter en elle des bébés et les mettre au monde.
Et si de nos jours les pères participent au « maternage » du bébé, ce qui lui permet d’établir un début de différentiation entre les deux parents, le lien à l’objet mère reste spécifique en ce qu’il est la continuité de l’investissement premier et que l’idéalisation narcissique le constitue. Lien à jamais perdu et sans cesse cherché. Je dis bien lien et pas objet.
Ce qui me paraît essentiel, dans la mise en œuvre d’un processus féminin projeté vers le futur et d’un maternel harmonieux, c’est la régulation de l’érotique et de la tendresse dans le comportement maternel.
Une mère suffisamment bonne est messagère de l’attente, dit J. Schaeffer. Elle le sera, selon moi, si elle est aussi, suffisamment séductrice.
S’il en existe, ce ne sont pas les filles de celle-ci qui se trouvent sur nos divans.
Ce qui apparaît chez celles qui nous occupent, ce sont les avatars consécutifs à la relation primordiale préverbale de chaque histoire :
- L’absence de tendresse est le manque le plus partagé entre la fille et le garçon : La tendresse ? Je ne sais pas ce que c’est, répondent-ils à mes propositions.
- Le besoin d’être reconnue dans sa totalité est le plus représentatif de la fille. Il est d’autant impérieux que la réalité du corps maternel sexué reste un savoir refoulé et par la mère et par la fille.
- Le silence maternel sur son corps sexué est la source d’un refoulement, de la dénégation du vagin et non sa méconnaissance comme Freud le dit.
Un autre rejeton de l’inconscient maternel transmis à sa fille est celui d’un féminin marqué par la soumission et UN SENTIMENT LATENT d’infériorité vis-à-vis des garçons. Ainsi,
- Sylvaine mère de deux filles comme sa mère, a choisi un deuxième mari représentant de son manque phallique idéalisé. Sa plainte réitérée est celle d’être méprisée, non considérée, pas aimée. Dans sa famille dit-elle, les femmes ne parlent pas, n’ont pas le droit à la parole. Et c’est lorsque l’analyse mit au jour une culpabilité liée à la place qu’elle occupe dans la triangulation œdipienne où la femme-mère est soumise à un père violent, qu’un travail de différenciation et de séparation avec l’objet mère a pu commencer.
* * *
Penser le féminin, l’appréhender dans son double destin érotique et maternel a été un travail interactif de toute l’équipe. Le mien passe par l’analyste femme que je suis. Par mes expériences et mes théories féminines. Et si Freud a construit son « monisme phallique » à l’aune de son inconscient, je considère que c’est la traversée psychique de l’histoire intime de soi-même et son élaboration continue qui conduit à savoir se taire, écouter et entendre pour interpréter.
Et même, si dans sa fonction d’analyste la femme reste femme elle n’est certes pas l’analogon d’une mère suffisamment bonne.
Recourir au tiers, au père séparateur est le garant de la dynamique du processus analytique. Le but étant, selon moi, de lier les antagonismes pulsionnels en plus d’aimer et de travailler.
La question reste celle-ci : Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Marie-Thérèse MALTESE-MILCENT
29 novembre 2014
Résumé :
Contrairement au garçon, la fille est marquée par le même sexe que sa mère. Cette identité de sexe et la nature narcissique de l’investissement maternel et paternel ont des conséquences psycho-sexuelles sur son devenir de femme et, de mère quand elle le devient. Elles suscitent des interrogations, ouvrent des chemins pour penser la transmission du féminin et le maternel autrement.
Plusieurs questions sont abordées dont deux essentielles :
- Y aurait-il un narcissisme du lien à différencier de celui de l’objet ?
- Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Bibliographie :
- S. Freud, 1915, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Paris.
-1931, La vie sexuelle, PUF, Paris.
-1933, La féminité, in Nouvelles Conférences, Gallimard, Paris.
- F. Guignard, Mère et fille, In Press, Paris.
- D. Guyomard, L’effet-Mère, PB de P, PUF, Paris. J. Laplanche, Vers la théorie de la séduction généralisée, PUF, Paris.
- J. Schaeffer, - De mère à fille : L’antagonisme entre maternel et féminin, in Press, Paris, 2002.
- La Belle au bois dormant, Comment le féminin vient aux filles ? in Le refus du féminin, PUF, Paris, 1997.
À L’ÉCOUTE DU MASOCHISME
C’est au cours d’un travail sur l’écoute que s’est imposée la nécessité d’interroger la théorie freudienne sur le concept de masochisme, autour de ce plaisir du déplaisir qui le constitue. De mettre en commun et d’élaborer notre écoute psychanalytique.
Apparaît un masochisme repérable comme fait clinique au-delà d’une organisation psychique singulière. Un masochisme constitué par des éléments symptomatiques caractérisant une subjectivité fragile, un mode d’être disqualifiant le Moi avec l’émergence d’une détresse souvent sans lien direct avec la réalité : passivité face à l’agression extérieure, auto reproches, sentiments de honte, conduites d’échec, crainte de l’inconnu, tentatives de maîtrise donnant à entendre d’énigmatiques tendances masochiques en contradiction avec le principe de plaisir. Autrement dit, des modes d’expression d’une forme de masochisme et non d’un masochisme unifié originaire, comme l’instaure Freud en 1924. (Le problème économique du masochisme in Névroses Psychoses et perversions, PUF).
La conception freudienne d’un masochisme unifié originaire interroge :
- Peut-on unifier ces différents modes d’expression du masochisme en le ramenant à Un masochisme essentiel ? Comment résoudre cette aporie, ce plaisir issu d’un déplaisir quand le principe de plaisir domine les processus psychiques ? Freud a bien tenté d’y donner une issue par le recours à la pulsion de mort en 1924 (évoqué plus haut). Elle n’a pas empêché, déjà en 1931, ce cri du cœur à S. Ferenczi : « voilà encore ce maudit problème du masochisme ! »
Elle appelle plusieurs questions :
- Si ce plaisir issu d’un processus qui devrait produire du déplaisir, paradoxal donc, et qu’en ceci il est pervers, n’ouvre-t-il pas la question d’une théorie du plaisir ?
- Si, comme la métapsychologie l’indique, le plaisir est consécutif à une baisse de la tension, comment résoudre « ces énigmatiques tendances masochiques du Moi » ?
- Si le déplaisir est lié aux inévitables tensions intrapsychiques comment se pose le problème économique ?
- Et si la douleur est plaisir, que devient la cure ?
Fut ainsi entrepris un grand voyage à travers les textes freudiens des post-freudiens jusqu’à nos contemporains. Mais pas seulement. Les écrivains qui nous en apprennent autant que les patients sur les déploiements de la psyché furent revisités. À commencer par Dostoïevski et « son » joueur, les cinéastes comme l’américain Darren Aronofsky qui met en scène dans son film THE WRESTLER en 2009 une star du catch des années 80, « LE BÉLIER », dont le narcissisme expansif le conduit à sa perte (mort). Et aussi « le rêve de la belle bouchère » choisit par Freud pour décrire chez le sujet hystérique, le désir d’un plaisir insatisfait. Nous y reviendrons.
ÉNIGME du Masochisme, paradoxe de ce plaisir du dÉplaisir, QU’avons-nous gardE de la thÉorie freudienne et de quelques autres ?
Disons le tout de suite, la position de Freud a oscillé entre la primauté d’un masochisme érogène et celle d’un sadisme retourné contre soi.
Selon Freud, le masochisme se trouve à l’œuvre dans un processus à trois faces : Érogène- Féminin- Moral.
- Érogène, comme source de l’excitation sexuelle liée au plaisir de la souffrance. (Il signifie être dévoré au stade oral. Être battu au stade sadique-anal. Être castré au stade phallique. Subir le coït, enfanter dans la douleur, et encore être violé).
- Féminin, comme « expression de l’être de la femme » justifiée selon Freud par les fantasmes repérés dans la clinique. C’est-à-dire castrée par les menstruations, le coït l’accouchement. Et chez l’homme figuré castré symboliquement par une mère fantasmée castratrice et terrifiante. Il est présent donc chez la femme et chez l’homme. (Passivité = féminin. Activité = masculin)
- Moral, comme norme d’un comportement de vie qui tend une joue pour recevoir une claque.
En 1905, le masochisme est défini par Freud, par la tendance du masochiste à endurer de son objet aimé toutes les humiliations et tourments sous une forme symbolique comme sous une forme réelle. (Trois essais sur la théorie sexuelle p. 69).
Il est alors primaire et érogène.
En 1919, c’est le sadisme qui a la primauté : « le masochisme, énonce-t-il, n’est pas une manifestation pulsionnelle primaire, mais il provient d’un retournement du sadisme contre la personne propre ». (In, « Un enfant est battu »)
Projeté sur l’objet haï le sadisme est retourné, par culpabilité, contre soi.
Le masochisme est secondaire et non plus primaire.
En 1920 Freud pense résoudre cette difficulté à trouver une source et une compréhension à ce paradoxal plaisir du déplaisir, par une pulsion de mort, force biologique irréductible à autre chose qu’à elle-même. Dès lors, le couplage Pulsion de vie/ Pulsion de mort donne au fondement du masochisme une force endogène et non sexuelle.
La pulsion de mort, tendance naturelle d’un retour à l’inanimé, à travailler contre soi voire à l’anéantissement de sa propre existence, résout l’énigme et le problème. Déliée et dirigée vers l’extérieur, elle devient pulsion de destruction et d’emprise; liée par la libido sexualisée elle devient sadique : au-dedans le masochisme, au-dehors le sadisme.
En 1920, le masochisme redevient Primaire.
À cette date, il semblerait que c’est la contrainte de répétition, hors du champ sexuel, qui oriente Freud vers une nouvelle théorie des pulsions et de leur destin par le couplage Pulsion de vie/Pulsion de mort, Éros/Thanatos. (Au-delà du principe de plaisir, 1920).
Sans doute faut-il aussi se souvenir qu’au début des années 20, Freud est confronté à des pertes à répétition : toutes ses économies se sont envolées à la suite de la première guerre mondiale, tous ses espoirs d’aide financière disparaissent avec la mort de son riche ami Anton Von Freund, sa fille Sophie -26 ans- meurt brutalement d’une pneumonie grippale. Tandis que, écrit-il à S.Ferenczi le 4 février (p.358), « Je me suis préparé pendant des années à la perte de mes fils, et maintenant c’est ma fille qui est morte… tout au fond de mon être, je décèle le sentiment d’une offense narcissique irréparable ». Perte, blessure narcissique irréparable… La castration ultime, la mort rôdent…
Mais, 4 ans plus tard, en 1924 avec l’étude du Problème économique du masochisme, considérée comme son ultime transmission, Freud reconnaît que l’« On est en droit de trouver énigmatique du point de vue économique l'existence de la tendance masochique dans la vie pulsionnelle des êtres humains. En effet, si le principe de plaisir domine les processus psychiques de telle façon que le but immédiat de ceux-ci soit d'éviter le déplaisir et d'obtenir le plaisir, le masochisme est inintelligible» (Le Pb. économique du masochisme, 1924, PUF, p.286 éd, 1978).
En effet, plaisir du déplaisir, voire de la souffrance, la pensée achoppe. La contradiction, avec l’organisation de la vie psychique dans laquelle le principe de plaisir « gardien de notre vie » domine, est patente. Des questions s’imposent :
- Que devient le but de la cure si dans la « Réaction thérapeutique négative », associée au masochisme moral aussi bien par Freud que par la pensée psychanalytique, la souffrance, objet et moteur du progrès de la cure devient plaisir?
- Qu’est-ce qui pousse cette patiente ce patient à répéter les mêmes comportements, à se trouver dans les mêmes situations, à « s’inventer », se créer des symptômes nouveaux et continuer à se plaindre ?
- Serait-ce pour tirer du plaisir de leur souffrance ou pour obtenir de leur mère-père analyste quelque chose qu’ils n’ont jamais reçu ?
Énigme pour Freud comme pour nous, le masochisme reste un obstacle et pour la théorie et pour la pratique.
Je viens de le dire, Freud lui-même reconnaît en 1924 que, du point de vue économique, le masochisme est inintelligible. On peut avancer, que dans une cure « interminable» la séparation est conflictuelle, qu’elle suscite l’angoisse de la perte, celle de la relation analytique et au-delà celle de castration. Mais qu’en est-il de cette recherche du plaisir dans le déplaisir inféré au masochiste ?
Dans la théorie freudienne, cette idée subversive ne provient-elle pas, du fait que la tension d’excitation bien que douloureuse contienne du plaisir ? Ce plaisir paradoxal, masochique de la douleur, ne devient-il pas dans la 2è topique dans la 2è théorie des pulsions, le modèle du plaisir ?
Avec la mise en scène d’« Un enfant est battu » Freud donne, en 1919, la primauté au sadisme. Dans cette scène réelle ou fantasmée un enfant, un garçon assiste à la vision de son père battre son frère qu’il jalouse et qu’il hait.
Voir son frère subir les coups du père provoque, par la liaison d’Éros, un plaisir sadique fondé sur la liaison et non sur la décharge. Mais être battu par le père, c’est aussi, être dans une position passive de fille et se trouver à la place de la mère, être donc aimé du père.
L’identification inconsciente au frère battu par le père, position masochiste, apaise la culpabilité de jalousie et de haine à l’égard du frère. Elle condense l’érotisme et le sadisme. Le masochisme comme retour du sadisme sur soi par culpabilité, satisfait Freud qui donne ici, la primauté au sadisme. Cependant, bien après 1914 et son Introduction du Narcissisme, il ne semble pas prendre en compte la blessure narcissique réactivée chez l’enfant par la position objectale rejouée par son père. Il bat son frère et pas lui, il aime donc son frère et pas lui. Le discours inconscient de l’enfant pourrait se formuler de la manière suivante : si mon père bat mon frère c’est qu’il le reconnaît et qu’il l’aime, tandis que moi, il ne me reconnaît pas, il ne m’aime pas. Je n’existe pas.
Se faire battre reviendrait à instaurer une relation même mauvaise plutôt que pas du tout, à trouver la nécessaire reconnaissance narcissique de l’objet pour se sentir exister :
- « Quand je souffre, j’existe », dit un patient.
- Une patiente se plaint d’être « transparente » aux yeux de sa mère qui, au lieu de l’écouter, ne parle que d’elle. La solution trouvée à cette non-reconnaissance narcissique, à cette blessure, a été de manière répétitive de quitter par avance ses objets d’amour. De sacrifier le versant tendre de la pulsion à l’autel du narcissisme. Autrement dit, de sacrifier sa libido d’objet à sa libido du Moi. Ici, mais ce n’est pas notre propos, le clivage libido d’objet, libido du Moi est la conséquence de l’échec de l’introjection d’un objet suffisamment bon. (Ferenczi 1909)
Dans LE fait clinique
La quête de la reconnaissance narcissique de l’objet - une constante aussi bien dans les organisations à versant névrotique qu’à versant psychotique- ouvre des chemins nouveaux de réflexion :
-Les plaintes réitérées sur le mode d’une souffrance psychique supposée infligée par l’autre, font-elles écho à un plaisir issu de la transformation du déplaisir (de la tension) en plaisir ? D’une transformation solipsiste du fonctionnement de la psyché qui n’inclut ni l’objet ni l’échange avec celui-ci ?
- La souffrance éprouvée, exprimée par l’indifférence, la négligence, la mésestime, la violence, la cruauté de l’objet d’amour ou encore social, ne résulte-t-elle pas du lien, des retrouvailles entre perception de l’objet (externe) et de sa représentation ?
- Les blessures dénoncées sur le mode d’un sentiment de honte, d’humiliation, de la dévalorisation de soi : projets qui ne se réalisent pas, échecs qui se répètent liés ou non à la réalité des faits, ne sont-elles pas l’écho de la recherche désespérée d’une relation qui n’a jamais eu lieu avec un objet introjectable ? Ne témoignent-elles pas de l’échec de la mise en œuvre de la relation primaire objectale ? N’évoquent-elles pas un narcissisme blessé, béant, mal ou pas établi ? Un narcissisme en négatif, sous-tendu par la quête incessante de sa restauration?
Au cours de ses premiers travaux (1ère Topique), Freud suppose que la décharge des tensions passe par la présence de l’objet et donc d’une « certaine liaison avec celui-ci, un lien entre perception et représentation ».
Ainsi fondée, cette conception implique un plaisir issu de la liaison et non de la décharge. Une différence serait alors à faire entre décharge comme plaisir et évacuation évitement de la tension comme principe de stase intrapsychique.
Or, l’objet, nous dit Freud, « naît dans la haine » tandis que C. Le Guen appelle cette période où se constitue l’objet, celle de l’Œdipe originaire (appelée par d’autre angoisse du 8è mois). Elle préfigure celle du complexe d’Œdipe à venir.
Dans cette dernière, confronté à l’apparition d’un inconnu un étranger -le père ou son substitut-, l’infans se trouve précipité d’une situation de toute puissance (le narcissisme primaire) à celle d’une situation de dépendance à l’objet : il n’est pas « tout » pour l’objet ; un autre que lui le retient et le satisfait. Un choc psychique, tel un tremblement de terre provoqué par l’épreuve de réalité, fait effraction alors dans sa psyché en devenir.
Avec Freud, nous savons qu’un choc psychique est nécessaire pour qu’un changement puisse avoir lieu dans le psychisme. Il sera progrédient, initiera une phase nouvelle du développement, tandis que les failles de l’objet, les défaillances de la relation primaire viendront l’entraver. Les avatars qui prennent la forme de la crainte du changement et la reviviscence de la première blessure narcissique, ouverte par l’expulsion de l’infans hors du monde utérin, ne nous laissent pas surprendre. Un Objet absent, défaillant, blessé narcissiquement ne permettra à son petit ni la constitution d’un bon objet interne ni l’octroi de la confirmation narcissique nécessaire à la différenciation et à la séparation Moi/Objet. Mal organisé le Moi n’aura de cesse de trouver des solutions pour colmater la blessure narcissique subie.
Les solutions masochiques seront alors une des modalités, pour limiter, éviter l’effondrement narcissique dussent-elles mettre le sujet en danger comme dans les perversions. Des tentatives de maîtrise de l’objet où s’engouffrent les situations d’échec voire d’humiliation seront de même mises en œuvre.
Toute perspective de changement, nouveau travail, nouveau cadre de vie, nouvelle relation affective ou sociale, ouvre la confrontation avec l’inconnu (la présence du tiers inconnu, de l’autre « l’étranger », auprès de l’objet). Elle réactive la situation d’effroi éprouvée lors de la constitution du Moi/non-Moi, de l’épreuve de réalité, réactualise la blessure narcissique de la scène de l’Œdipe originaire, perturbe la stase énergétique.
Un Moi peu ou mal structuré par les distorsions de la relation objectale précoce, ne pouvant différer l’excitation pulsionnelle par une liaison entre affects et représentation cherchera à l’abaisser, soit par un évitement des sources de la tension, soit par une modalité d’évacuation des charges. Un mode d’abréaction sera trouvé dans l’échec de la réalisation. Échec du projet, échec de la rencontre certes, mais l’effondrement est évité, le narcissisme sauvé.
Dans cette configuration, le plaisir ne résulte plus du déplaisir sans l’inclusion de l’objet, mais de la décharge de la tension provoquée par sa représentation dans l’inconnu. Le plaisir n’est pas lié au déplaisir de l’échec, mais à la sauvegarde du narcissisme. Le déplaisir est pour le Moi et le plaisir pour le Moi- Idéal. Notons que dans certaines organisations psychiques, le plaisir sera pour l’Idéal du moi. Déplaisir donc pour une instance, plaisir pour une autre.
Freud, d’ailleurs semble en convenir en 1920 dans « l’Au-delà du principe de plaisir » quand il dit : « … la majeure partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre, ne peut qu’apporter du déplaisir au moi (…) mais, il s’agit d’un déplaisir qui (…) ne contredit pas le principe de plaisir, déplaisir pour un système, mais en même temps satisfaction pour l’autre ».
Le désir insatisfait constitutif du rêve de la Belle Bouchère que rapporte Freud -nous sommes en 1899- pour démontrer que dans tout rêve se cache l’accomplissement d’un désir, met au jour d’une part, la liaison de la représentation de l’objet avec l’affect à l’œuvre dans le comportement d’échec et d’autre part, le sacrifice de la satisfaction d’une instance au profit d’une autre. Dans sa mise en scène onirique, la Belle Bouchère maintient son désir insatisfait - inviter son amie à dîner-, tandis qu'elle en satisfait un autre, la tenir éloignée de son mari. Elle sacrifie son Moi libidinal au profit de son Idéal de Moi, une instance au profit d’une autre. Ce faisant, ne fait-elle pas le choix de souffrir un peu aujourd’hui, pour moins souffrir demain ?
Et qu’en est-il de la relation transférentielle dont Freud ne parle pas? Pourtant, c’est dans la visée de mettre en échec sa théorie du rêve comme accomplissement d’un désir que la Belle Bouchère raconte son rêve à Freud: « Je vais vous raconter, lui dit-elle, un rêve qui est tout le contraire d’un désir réalisé ». La question est donc celle-ci : est-ce que le plaisir de la Belle Bouchère est issu de la transformation du non-plaisir en plaisir ou de la satisfaction narcissique de mettre Freud en échec ?
Le paradoxe de l’élaboration du concept de masochisme ne se trouve-t-il pas dans le fait qu’après avoir introduit en 1914, un « narcissisme qui ne serait pas une perversion…pouvant entrer dans un champ plus vaste et revendiquer sa place dans le développement sexuel régulier », Freud ne lui accorde pourtant pas une place fondatrice dans l’organisation du Moi ? Car, nous en conviendrons, c’est la qualité de l’investissement narcissique et pulsionnel parental qui permettra, ou non, au bébé d’exister comme sujet. En effet, si le bébé doit être objet de satisfaction pulsionnelle affective, il ne doit pas être réduit à un objet d’investissement d’emprise et moins encore de décharge incestueuse. La pratique nous permet de considérer qu’un transfert parental trop fusionnant ou à contrario sidérant (par son absence psychique) non seulement barre l’accès à la phase du complexe œdipien, mais encore propulse le développement psycho sexuel du bébé vers des organisations mortifères possibles.
PEUT-ON SORTIR DU PARDOXE MASOCHIQUE ?
Tenir compte de la nécessaire intégration pulsionnelle du narcissisme lors de la relation primaire objectale nous paraît essentiel. Comme chacun le sait, une psyché s’organise et se construit en interaction avec une autre. Tout comme « Un Bébé seul, ça n’existe pas » (D.W.Winnicott 1969), une psyché seule ça n’émerge pas ni n’existe.
La reconnaissance narcissique et son intégration pulsionnelle passe par un éprouvé d’être reconnu par les deux imagos identifiantes. Elle ouvre la voie aux processus de différenciation et de séparation qui, eux, donnent accès au développement du sentiment d’exister, au sentiment d’être semblable et différent à la fois. Autrement dit, l’identification (réussie) simultanée au père et à la mère permet l’élaboration de la représentation d’un objet introjectable. Un objet suffisamment bon (D.W. Winnicott) permettant la construction du moi.
Que nous faut-il donc écouter ?
Le psychanalyste d’aujourd’hui peut-il entendre ce que cache le discours masochique ?
Énoncer que derrière celui-ci se trouve à l’œuvre une silencieuse pulsion de mort, un besoin inconscient de punition, une culpabilité inconsciente qu’il va falloir débusquer, nous semble faire l’impasse sur la nécessité de l’épreuve de réalité que doit opérer le Moi pour se projeter vers l’avenir. Sur la discontinuité, les dysfonctionnements de la relation d’objet précoce qui entravent et empêchent de se détourner du narcissisme primaire et se projeter vers l’avenir. Ils sont (ces dysfonctionnements) source de toutes les tendances extrêmes propres à la destruction de l’autre et de soi. Celles, entre autres, si bien décrites par G. Lévy dans « L’ivresse du Pire » (Campagne Première, Paris, 2010) et celles, si bien mises en scène dans le film THE WRESTLER (2009) du cinéaste Darren Aronofsky, quand le « soi grandiose » lance un défi à la castration ultime, la mort.
Les plaintes réitérées, les conduites d’échec, voire les mises en danger vital, ne sont-elles pas l’écho d’un objet incorporé et non introjecté. D’un retour en son contraire du narcissisme de la toute puissance primaire. D’un désir, qui n’a de cesse d’y faire retour et qui donne lieu dans les organisations à versant psychotique à ce que Kohut appelle « le soi grandiose » ?
Le discours du masochiste ne dit-il pas à mots couverts une souffrance liée à un objet défaillant ? Ne laisse-t-il pas entendre le bruit d’une plaie narcissique toujours ouverte ? Une plaie qui n’a de cesse d’être réparée ?
Chacun le sait pour pouvoir se projeter vers l’avenir, le Moi devra réussir à abandonner sa toute puissance infantile primaire, lui tourner le dos au cours de la traversée de l’épreuve de réalité. Réussie et intégrée par le lien représentation et objet - externe-, outre la différenciation Moi/non-Moi, l’épreuve de réalité permet une décharge plus modérée nécessaire à l’investissement du Moi.
Une relation objectale intégrant la reconnaissance narcissique permettra au sujet en devenir de métaboliser le déplaisir issu des tensions intrapsychiques et de différer le plaisir. Tandis que l’échec de l’introjection d’un bon objet, l’incorporation d’une mère morte dans le sens d’A. Green, de parents humiliés, blessés narcissiques ; toute entrave liée à la confirmation narcissique du Moi laissera à l’œuvre les traces de la blessure, voire du traumatisme des temps anciens.
Dès lors, le recours du Moi à des solutions masochiques aura pour but, d’instaurer une relation objectale fut-elle mauvaise plutôt que rien. De lutter contre l’effondrement narcissique toujours menaçant. De supporter un moindre mal pour en éviter un plus grand. De perdre un peu, pour éviter de perdre le tout limitant dans le même mouvement l’angoisse de la perte et au-delà, celle de castration.
Nous avons là une conception du masochisme dont l’énigme, me semble-t-il, passerait par une révision de la place et de la fonction du narcissisme dans le système intrapsychique. Serait-elle résolue par l’instauration d’un narcissisme que j’appellerai « tempéré » ?
Jacques André qui a rédigé l’introduction de « l’Enigme du masochisme » dans la PBB Payot se demande si l’énigme du masochisme ne serait pas l’énigme du narcissisme?
Il va sans dire que non seulement le débat n’est pas clos, mais suscite encore questionnements et recherche.
M-T. MALTESE-MILCENT
Bibliographie :
Collectif : L’énigme du Masochisme, Petite B.B. de Psychanalyse, PUF.
Dostoïevski : Le joueur, GF-Flammarion.
S. Ferenczi : Psychanalyse.Œuvres TI -TIII et TIV. Payot.
S. Freud 1919 : On bat un enfant in Névrose, Psychose et Perversion PUF.
S. Freud 1914 : Pour introduire le Narcissisme, in La Vie sexuelle, PUF.
S. Freud 1924 : Le problème économique du masochisme in, Névrose, psychose, perversion, PUF.
S. Freud 1924 : Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, P.B.B. Payot.
A. Green : La mère morte, in Narcissisme de mort Narcissisme de vie. Les Ed de Minuit.
B. Grunberger : Esquisse d’une théorie dynamique du masochisme, in RFP. 1954, PUF.
T. Reïk : Le masochisme, Payot.
B. Rosenberg : Le masochisme mortifère, masochisme gardien de la vie, PUF.
D.W.Winnicott : De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot.
The Wrestler, film de Darren Aronofsky. 2009
Résumé :
L’écoute clinique donne à entendre différents modes d’expression du masochisme qui obligent à interroger la conception freudienne d’un masochisme originaire unifié, tel qu’il est formulé dans le Problème économique du masochisme (1924) considéré comme l’ultime transmission de Freud sur ce concept. Pour tenter de comprendre l’énigme de ce plaisir du déplaisir constitutif du masochisme, en contradiction avec le principe de plaisir à l’œuvre dans l’organisation psychique, les voies de réflexion ici proposées sont issues d’un travail collectif. L’essentielle nous a paru être celle de l’impasse que fait Freud sur la place fondatrice du narcissisme dans l’organisation psychique du sujet : l’énigme du masochisme serait-elle l’énigme du narcissisme ?