Octobre-Décembre 2023 - Bienvenue sur le site du Quatrième Groupe
L’ÉDITORIAL
Les attentats terroristes du Hamas en Israël, le siège de la bande de Gaza qui s'en est suivi, l'attentat d'Arras quelques jours après sont des évènements effrayants qui nous sidèrent et nous laissent sans voix. Nous essaierons pourtant d'en dire quelque chose : la page "Actualité" ci-dessous en témoignera avec des textes personnels. Un premier texte, celui de notre présidente, Pierrette Laurent, les introduit. Mais nous avons fait le choix de maintenir l'éditorial de ce trimestre. Il se trouve être, du fait de son lien avec nos activités scientifiques actuelles, sur le thème de l'empathie, empathie sérieusement chahutée dans les circonstances géopolitiques actuelles.
Nous connaissons le modèle chirurgical revendiqué par Freud, qui, en soulignant la nécessaire froideur des sentiments de l’analyste, ne fait pas de place à l'empathie. Questionner l'empathie comme nous l'avons fait lors de la récente journée membres – participants, c'est affronter les paradoxes de cette notion discréditée. Pourtant cette notion, qu'on peut considérer comme floue voire fourre – tout, se trouve au carrefour entre neurosciences, psychanalyse et sciences sociales, mais aussi entre esthétique, éthologie et philosophie morale et politique : elle devrait donc favoriser les échanges et l'interdisciplinarité.
Mais, il semblerait, qu'y compris entre psychanalystes, elle suscite facilement une opposition entre des positions tranchées. Comment comprendre ce phénomène autour d’une notion dont un des sens possibles est précisément de comprendre le fonctionnement psychique de l’autre ? Ferenczi retenait deux acceptions de ce terme : le désir du patient d’être deviné, mais aussi la capacité de l’analyste à sentir ce que le patient allait pouvoir supporter.
L'argument de cette journée posait clairement la question : « ...si le mot fait malaise entre nous, ce serait parce qu'il révèle d'autres clivages, métapsychologiques cette fois-ci, comme si la métapsychologie, héritée de Freud se réduisait à un corpus à garder ou rejeter… [Il s’agirait] d'embarquer dans un au-delà des clivages afin de requestionner la scène inaugurale entre Freud et Ferenczi… pour arriver à penser ensemble « raison » et « sentir avec ». »
« Faut-il sauver le soldat empathie ? » fut une des questions du débat, qui nous mettait face à l’opposition tranchée déjà évoquée. D'autant que le constat fut fait qu'aucun des conférenciers n'utilisait cette notion pour théoriser sa clinique.
Pourtant, ils nous ont amenés à circuler et à mettre en tensions des concepts et éléments de la théorie psychanalytique qu'on peut situer dans l'aire de l'empathie : transfert et transmission de pensée, identification et traumatisme, contre-transfert. Tantôt son incompatibilité avec la psychanalyse a été soulignée du fait de la confusion qu'elle induirait, tantôt l'intérêt de l'envisager comme une notion qui nous permet, en lien précisément avec l'embarras dans lequel elle nous met, d'aborder des zones de la rencontre clinique difficiles à théoriser, celles de l'intuition et du tact par exemple.
Aimer et travailler est-il possible sans empathie ? A l’autre bout du travail analytique, du côté des fins plus que des moyens, elle interroge le destin de la destructivité de l’autre et sa possible ou impossible perlaboration. Resteraient toujours à questionner aussi, dans une perspective analytique, son sexe (y-t-a-il une empathie au masculin et au féminin ? ), ses pluriels (relève-t-elle uniquement du Moi ? ), et la clinique de sa présence/absence (ce que l’autisme ou la psychopathie, par exemple, nous font interroger).
Une notion dont l'intérêt pourrait donc être sa négativité dans le champ conceptuel ? Cause ou conséquence de la transdisciplinarité sur laquelle elle ouvre qu'on accueille ou refuse ?
Jean Peuch-Lestrade
Responsable du site
PARUTIONS RÉCENTES
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ACTUALITÉ
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Quel effroi devant l’attaque terroriste menée par le Hamas sur des bébés, des enfants, des adolescents, des femmes, des hommes, des vieillards. Certains ont été surpris dans leur liberté festive (une rave-party), d’autres dans leur vie amicale, familiale, d’autres encore dans leur lit. Comment trouver les mots pour dire la barbarie de ce massacre, pour dire cette volonté d’éliminer ceux qui dansent, grandissent ou vieillissent, ceux qui vivent. Ce n’est pas seulement Israël qui est attaqué, c’est la cause palestinienne elle-même, c’est l’humain en chacun de nous, sa vulnérabilité, son désir de vivre, sa vie. Pour tuer aussi froidement, rapidement, prendre des otages civils, torturer, il faut à la fois avoir perdu la reconnaissance de l’autre en tant qu’humain et sa propre « identification à l’espèce humaine » (Nathalie Zaltzman), avoir acquis une capacité d’indifférence radicale à la souffrance de l’autre, être aux prises avec une destructivité qui est aussi une auto-destructivité, une haine de la vie, une véritable culture de mort.
Nous, psychanalystes, qui travaillons avec les effets psychiques des situations traumatiques, avons à chercher les mots qui permettraient d’éviter la transformation de l’effroi en haine.
Nous sommes, encore et à nouveau, devant la question irrésolue posée par Freud en 1929, dix ans après la première guerre mondiale et dix ans avant la deuxième : « La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement (S. Freud, 1929 , Le malaise dans la culture, O.C. XVII, PUF, 1994, p.333). »
Le 13/10/2023
Pierrette Laurent
Présidente du Quatrième Groupe
Traversées du mal : penser ou compatir - Ghyslain Lévy et Mustapha Meslem - Octobre 2023
Le texte qui suit a été écrit dans les jours qui ont suivi l’attentat effroyable que la population israélienne a subi le 7 octobre. Il s’inscrit dans l’actualité de cet évènement et les bombardements de Gaza qui s'en sont suivis en riposte. En tant que psychanalystes, nous avons à faire savoir, combien la situation présente qui nous traverse tous, nous concerne au plus près aussi bien en tant que praticiens de la psychanalyse qu’en tant que citoyens, et plus simplement en tant qu’êtres humains. Lire le texte téléchargeable en pdf
Comment demeurer pudique, réaliste et analyste face à l’horreur et l’effroi du règne du meurtre ? Catherine Even-Le Berre - Octobre 2023
Nous ne pouvons passer sous silence cette nouvelle attaque terroriste sanglante, [...]. Une nouvelle fois, une fois de plus, cela m’a rapprochée de l’échange de correspondance entre EINSTEIN et FREUD en juillet 1932, quelques années avant la guerre de 1939-45. Lire le texte téléchargeable en pdf
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L'empathie en questions
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Lost in translation - Brigitte Galtier - Octobre 2023
Que l’Education Nationale envisage cette rentrée d’ajouter à l’instruction des « cours d’empathie » a fait doublement sourire : si tant est que celle-ci s’enseigne, la mesure révèle plutôt le problème impossible à affronter : lire la suite
Psychanalyse et Technique
Machines à penser, penser les machines entre main et cerveau - Comité du Site - Juin 2023
Ce texte, élaboré à plusieurs au sein du comité du Site, met en discussion la pensée de deux philosophes intéressés par le thème des machines et du numérique : Jean Vioulac et Anne Alombert.
Quelques-unes des questions que ça pose à la psychanalyse sont ensuite évoquées. Lire le texte téléchargeable en pdf
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Technique ou méthode ? - Brigitte Galtier - Juin 2023
Distinguer méthode et technique, au temps des origines de la psychanalyse, ouvre des questionnements aujourd’hui. Lire le texte téléchargeable en pdf
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Lignes et traces dans la clinique de l’aide médicale à la procréation - Paul Boissenin - Septembre 2023
« Parler de notre dépassement actuel par les techniques est donc un faux problème : les techniques sont « dépassantes » et le point angoissant n’est probablement pas là » nous dit André Leroi-Ghouran, lire la suite...
Nouveaux liens
Du négatif à la vie - Novembre 2022
Invitée du Séminaire de Jean-François Chiantaretto sur "L’écriture du psychanalyste", l’intervention de Janine Altounian est à écouter sur son site.
Janine Altounian n’est pas psychanalyste.
Dans cette distinction qu’elle aime inscrire dans sa rencontre avec les psychanalystes, « je suis une analysante », elle nous convoque au lieu vivant de notre pratique, celui qui suppose que l’un ne va pas sans l’autre. L’analyste est aussi et restera toujours un analysant, et c’est dans cette dialectique mobile aux visages identificatoires multiples qu’il trouve et crée sa place, continuellement.
Janine Altounian « n’aime pas écrire » dit-elle et n’a « jamais eu envie d’écrire ». Et pourtant ! Son parcours articule la nécessité d’en passer par l’écriture comme lieu de rencontre possible entre ce qui de l’intime, d’une indicible transmission traumatique et le travail de culture peut trouver sa part visible, reconnaissable et partageable.
« Traduire pour hériter », pour aimer son héritage, avec et au-delà la marque traumatique de celui-ci. Il faut donc parfois en passer par cet exercice de traduction convoquant l’autre comme témoin pour éviter à l’expérience traumatique de poursuivre son travail d’attaque et d’isolation du sujet, d’une génération à une autre.
Pénélope fait et défait chaque nuit le linceul de son beau-père Laërte pour signifier son refus du meurtre de ce qui l’affilie à son époux. Il faut recommencer chaque nuit la tâche artisanale dans une lutte solitaire et répétée entre la destructivité et la vie qui résiste. Donner place, corps, à l’absent, et non au disparu qui n’a ni place, ni corps.
Cela n’est pas totalement un hasard si c’est le signifiant « lieu » qui insiste. Il y a dans la démarche de la germaniste et essayiste une présence toute singulière dans son acuité aux mots et leur polysémie par le passage à la langue étrangère. Comme si cette attention choisie lui permettait d’explorer d’autant mieux les zones psychiques délaissées ou incomprises faute d’entente autour d’une langue commune. Elle nous dit dans son intervention que « la non compréhension de l’analyste ne me gêne pas, cela m’aide à comprendre à quel endroit il ne comprend pas, à quel endroit le lien ne se fait pas. ».
De « L’effacement des lieux » (titre de son dernier ouvrage paru aux Presses Universitaires de France, 2019) à leur réhabilitation, le travail n’en est jamais fini. En se nommant destinataire du manuscrit de déportation de son père, Janine Altounian nous rappelle qu’«être à l’écoute» ne va pas de soi et relève, toujours, d’une décision singulière et de notre responsabilité.