Interlignes
Ce texte a été présenté le 14 juin au séminaire « Interpréter, lire, écrire : Littérature et Psychanalyse », organisé et animé par François Richard et Laurence Aubry au sein de la SPP .Comme son intitulé l’indique, il s’agit d’explorer les liens entre psychanalyse et littérature, tant du côté de la clinique et de la théorie que de celui de la création et de la critique. Fonctionnant depuis trois ans, c’est un séminaire ouvert au public qui fait intervenir des psychanalystes de différentes sociétés (SPP, APF, Quatrième Groupe, et des écrivains (Geneviève Brisac, Dominique Barberis, cette année).
Le texte suivant, « L’Océan mondial de monsieur Poutine », a été traduit en espagnol et publié dans le n° 66 revue Trasversales (revue fondée iniitalement en référence à E. Morin et C. Castoriadis, site internet http://www.transversales.net).
7 pages.
Ce texte rassemble les différentes interventions et les réponses de Marc Bonnet lors de la demi-journée de travail organisée autour de son livre le Samedi matin 3 décembre 2022, au Jardin Couvert, 12, rue Auguste Lacroix, Lyon 3ème.
59 pages pages.
Mon attention a été attirée récemment par la réaction de collègues sur le fait que le Site internet du Quatrième Groupe avait seulement publié des contributions à partir de la barbarie des attentats perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023. Lire le texte téléchargeable en pdf
1 pages.
Nous ne pouvons passer sous silence cette nouvelle attaque terroriste sanglante, [...]. Une nouvelle fois, une fois de plus, cela m’a rapprochée de l’échange de correspondance entre EINSTEIN et FREUD en juillet 1932, quelques années avant la guerre de 1939-45. Lire le texte téléchargeable en pdf
3 pages.
Le texte qui suit a été écrit dans les jours qui ont suivi l’attentat effroyable que la population israélienne a subi le 7 octobre. Il s’inscrit dans l’actualité de cet évènement et les bombardements de Gaza qui s'en sont suivis en riposte. En tant que psychanalystes, nous avons à faire savoir, combien la situation présente qui nous traverse tous, nous concerne au plus près aussi bien en tant que praticiens de la psychanalyse qu’en tant que citoyens, et plus simplement en tant qu’êtres humains. Lire la suite
Que l’Education Nationale envisage cette rentrée d’ajouter à l’instruction des « cours d’empathie » a fait doublement sourire : si tant est que celle-ci s’enseigne, la mesure révèle plutôt le problème impossible à affronter : lire la suite
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« Parler de notre dépassement actuel par les techniques est donc un faux problème : les techniques sont « dépassantes » et le point angoissant n’est probablement pas là » nous dit André Leroi-Gourhan, lire la suite...
Ce texte, élaboré au sein du comité du Site entre plusieurs de ses membres, met en discussion la pensée de deux philosophes intéressés par le thème des machines : Jean Vioulac et Anne Alombert.
Quelques-unes des questions que ça pose à la psychanalyse sont ensuite évoquées. Lire le texte téléchargeable en pdf
Distinguer méthode et technique, au temps des origines de la psychanalyse, ouvre des questionnements aujourd’hui. Texte téléchargeable en pdf
Premières lignes : Au moment de présenter une expérience d’écriture, très récente pour moi, celle d’un roman, mon premier roman, Ombres grecques, paru en 2022, j’ai été saisi par la conscience vive qu’à parler d’un geste aussi intime que peut l’être l’écriture de fiction, il allait falloir aborder aussi sincèrement que possible des questions qui ne toléreraient pas la protection dont bénéficie un exposé de nature générale ou théorique...
Prendre concience aujourd'hui de l'état d'esprit dans lequel était Freud au début de la Première Guerre mondiale a quelque chose de poignant. Sa description d'une perte civilisationnelle immédiate pour les européens d'alors nous reste très proche, à nous les européens d'aujourd'hui.
Lire l'article sur le site " Le web et l'inconscient " par le lien suivant https://www.inconscient.net/guerre.htm
Pour-quoi la culture ?
Taras Chevtchenko 1814 – 1861
Né à Moryntsi dans le sud de Kyiv, mort en exil à Saint-Petersbourg en 1861, T. Chevtchenko a combattu la dictature impériale. Ayant vécu dans la condition de serf pendant dix ans, racheté à son maître après que l’on avait remarqué son talent de peintre, s’étant engagé comme intellectuel contre l’absolutisme tsariste qui ruinait la culture de son pays, il fut emprisonné, interdit de peindre et d’écrire pendant dix ans et exilé à vie d’Ukraine. Il est mort l’année de l’abolition du servage et dans sa courte vie, n’a connu que neuf années de liberté ; son destin fut tragique. Les écoliers apprennent ses poèmes et c’est en quelque sorte le Victor Hugo des Ukrainiens. Il est célébré chaque année sur une colline qui surplombe la plaine du Dniepr où ses cendres ont été ramenées. L’Université principale de Kyiv porte son nom, les défenseurs de Maïdan arboraient son portrait en 2014 et ils scandaient ses vers devenus des slogans « Luttez, vous vaincrez ».
Aujourd’hui de nouveau… Mais, il est temps de laisser la parole au poète:
Cela m'est vraiment bien égal
De vivre en Ukraine ou ailleurs.
Qu'on m'oublie ou qu'on se souvienne
De moi dans ces neiges lointaines
Combien cela peut m'être égal !
J'ai dû grandir, esclave, à l'étranger
Et sans être pleuré des miens
Esclave en pleurant je mourrai
En emportant tout avec moi,
Ne laissant pas la moindre trace
En ce glorieux pays d'Ukraine
Le nôtre — et qui n'est plus à nous.
Le père en parlant à son fils
Ne dira pas : " Prions pour lui,
Fils, car c'est pour l'Ukraine
Qu'il fut torturé autrefois ".
Cela m'est égal si plus tard
Ce fils prie pour moi ou non,
Mais ce qui ne m'est pas égal
C'est de voir l'ennemi perfide
Assoupir l'Ukraine et la réveiller
Dépouillée, au milieu des flammes.
Oh ! Voilà ce qui ne m'est pas égal !
Taras Chentchentko,1847 - Traduit par Kaléna Uhryn
Article accessible sur le site Inconscient.net à l'adresse ci-après: https://www.inconscient.net/teleanalyse.htm
Lettres cliniques à soi-même : le journal de Sandor Ferenczi
à la mémoire de Wladimir Granoff
Le journal reconstitué de Ferenczi (d’août 1930 à fin décembre 1932) révèle un dispositif pour questionner, à partir des critiques de ses patients, sa conduite des cures et ses contre-résistances, une fois suspendu le dialogue avec son ex-analyste mais toujours « contrôleur », Freud. Son écriture polyglotte déjà symbolise ce qui deviendra concept : la langue des adultes et celle de l’enfant.
Clinical letters to oneself : S. Ferenczi’s diary
The complete text shows a setting for exploring counter-resistance when Ferenczi’s dialogue with his «supervisor» Freud is suspended. His polyglot writing symbolizes the future concept of adults’ language and child’s language.
Mots-clés : Technique analytique. Formation. Freud contrôleur. Contre-résistance. Terrorisme de la souffrance. Contre-analyse. Dialogisme. Mutualité. Correspondance Freud/Ferenczi.
Accès au texte complet au format pdf ... cliquez ici...
9 pages.
On se disait bien depuis quelques années que ça pouvait arriver, que ça arriverait dans le cortège des effets du réchauffement climatique, il y avait eu quelques alertes... Et puis ce fut là et c'est encore là.
Arrêt brutal de presque toute l'activité dans les espaces du "dehors", brusque proximité de la possibilité de la mort pour tout un chacun (enfin presque).
Immédiate mise en place d'autres façons de faire pour continuer à communiquer, toutes les séances de psychanalyse dans le monde se mettant à utiliser tous les moyens "à distance" (telephone, skype etc etc etc). Et cela, aussi bien de la part de ceux qui étaient pour, que de ceux qui étaient contre. Toute la discussion sur la psychanalyse à distance se trouvant comme "déplacée" sous les impacts croisés du danger, de la "réalité", des "lois et interdits" édictés par les gouvernements concernant la circulation des personnes. Toute une expérimentation dans l'improvisation à l'échelle du globe.
Il est maintenant acquis définitivement que la confidentialité ne peut être assurée dans l'exercice de la psychanalyse autrement qu'avec le cadre "divan-fauteuil, présence physique des deux partenaires dans le même espace". Déjà à ce niveau, on sait que certaines précautions devaient être prises dans les régimes peu démocratiques, ou avec des patients bizarres (genre "l'homme au magnétophone" , Les Temps modernes, avril 1969) mais c'étaient des précautions possibles à mettre en oeuvre à l'échelle personnelle. Ici il s'agit de l'ensemble des structures des outils de communication et de leurs niveaux d'imbrication (inconnus et surtout perpétuellement variables) à propos desquels nous sommes tous aveugles quand bien même nous aurions appris beaucoup. Nous devons et devrons subir sans avoir le moyen de la comprendre ni de la changer la puissance des algorithmes des GAFA et autres systèmes dominants futurs (ou choisir de quitter le cyber-espace)
Nous sommes donc devant un incontournable, enfin reconnu comme définitif par les instances qui y ont réfléchi depuis des années, l'IPA par exemple. Comment vont se produire les élaborations d'une telle situation générale ? vont-elles échapper au moins en partie aux différentes formes de déni déjà à l'oeuvre ? Quels mouvements psychiques vont se mobiliser dès lors qu'une pratique concernant l'inconscient va continuer à se passer sur l'Internet, etc etc. Champ de recherche immense ouvert pour longtemps et dont les effets en retour sont pour le moment imprévisibles.
Mais ce qui devient une vraie préoccupation, c'est la masse de "matériel " qui a ainsi circulé et qui circule dans le cyber-espace. On sait à quel point la construction de la moindre IA demande une extrêmement grande quantité de données afin qu'elle puisse peu à peu s'affiner, différencier, relier, je dirais même (en riant) "associer". Il est donc assez probable que tous les psychanalystes du monde sans qu'on leur demande quoi que ce soit aient posé - à leur insu- de bonnes bases pour créer le "psychanalyste virtuel" qui ne va pas manquer d'arriver.
De l’actuel à l’inactuel
Cette période particulière, liée à la pandémie mondiale du coronavirus, a porté durant deux mois le nom de confinement (1er confinement du 17 mars au 11 mai 2020). Cette obligation à rester chez soi, au mieux entre soi, au pire dans l’isolement, nous a conduit à nous accommoder de situations inédites sur le plan personnel, mais aussi professionnel comme celles d’arrêter ou de modifier nos pratiques de la psychanalyse. De ces temps singuliers, nous avons pu mesurer l’importance de l’Autre, des autres dans nos vies. Si Freud a pu écrire « Pourquoi la guerre » et un certain nombre de textes sur la « psychologie collective et l’analyse du Moi » c’est parce qu’il était travaillé par la conceptualisation de la pulsion de mort. Nathalie Zaltzman prolongera la métapsychologie freudienne avec la pulsion anarchiste, élaboration et perlaboration, issues conjointement de la pratique de l’analyse et d’une œuvre métapsychologique. Ces deux chercheurs se sont tenus éloignés de l’abréaction, phénomène qui sert d’exutoire à une situation actuelle dont nous ne sommes pas encore totalement sortis, avant que les effets d’après-coup aient pu être mesurés. Au travers des récits de nos patients dans la cure, c’est-à-dire de la clinique, cette épidémie montre comment les représentations de la mort, ainsi que de meurtre de l’autre et par l’autre, surgies de l’inconscient, ont été présentes et comment elles peuvent trouver une issue favorable. Ne faut-il pas rester prudent avant d’unir le sociologique et l’analytique ? Postulat risqué quoique souvent tenu comme un progrès, thématique issue d’une confusion entre réalité psychique et l’actuel du monde, ce dernier étant la réalité « hic et nunc » qui dans la cure fait résistance à la remémoration et à l’accès à l’impensé. Le débat Freud/Ferenczi est toujours présent et le traumatique souvent pensé comme extraterritorialité de la cause. L’institution analytique a sans doute pour fonction de tenir compte du réel pour que la psychanalyse perdure comme pratique, mais elle ne peut rien sur l’indomptable de l’inconscient et à la nécessaire solitude de l’analyste en séance, sauf à laisser aux analystes le soin d’analyser cet indomptable avec leurs patients dans le cadre de la cure. Lorsqu'elles pourront avoir lieu, nos prochaines journées scientifiques, au-delà des temps suspensifs, portent bien sur la parole en séance comme accès à l’inactuel. Cette nécessité d’un continuel retour à Freud et à quelques autres, nous la retrouverons dans les propos de nos intervenants en position de chercheurs, position que Freud ne renierait pas, puisqu’elle a été la sienne tout au long de sa vie. En ce qui concerne le programme scientifique 2020/2021, nous avons vu comme tous, les projets de 2020 chuter en grande partie les uns après les autres. Nous reportons et réorganisons chaque fois que cela est possible les activités engagées afin de soutenir un débat métapsychologique nécessaire autant que vivifiant pour nous-mêmes comme pour nos pratiques.
Avec le bureau,
Sylvie COGNET – Secrétaire scientifique
Éric JULLIAND – Président du IV Groupe
Avril 2020
Je me propose de développer l’idée selon laquelle nous sommes conduits en réaction aux attentats à nous situer entre Barbarie et Culture ce qui nous oblige de ce fait même à chacune de ces occasions à avoir recours à la notion d’Archaïque pour réajuster notre système de repérage identificatoire et identitaire...
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Pour introduire mon propos, je reprendrais quelques idées concernant l’histoire de notre discipline. Rappelons que Daniel Lagache, créateur en 1946 de la licence de psychologie considérait la psychologie clinique comme une discipline faisant la transition entre la psychologie expérimentale et la psychanalyse. N’oublions pas non plus que Juliette Favez-Boutonnier, qui contribua à la reconnaissance de la psychologie clinique comme discipline à part entière de la psychologie....
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9 pages.
Alain de MIJOLLA
Neuro-psychiatre, psychanalyste et auteur, Alain de Mijolla s’est éteint paisiblement à 85 ans, entouré des siens, le 24 Janvier 2019.
Né à Paris le 15 Mai 1933, il avait opté pour des études médicales brillamment réussies mais non sans la nostalgie de la littérature que la rencontre avec la psychanalyse allait lui permettre de retrouver. Son œuvre en porte la trace, en particulier avec ses travaux sur Rimbaud et la question des identifications intergénérationnelles que cet amoureux du cinéma allait théoriser comme « Visiteur du Moi ». Devenu très jeune, psychanalyste titulaire de la SPP Alain s’était attaché à transmettre la psychanalyse dans le cadre de L’institut de Formation, prenant part aux débats de son institution en marquant son indépendance et son ouverture d’esprit. Il participa au groupe « Confrontations » notamment.
En 1982, il fonda avec Jacques Caïn « Les Rencontres d’Aix en Provence » réunissant tous les étés dans ce lieu qu’il aimait et dans l’atmosphère du Festival de Musique, des psychanalystes et des auteurs sur des thèmes variés et ayant à cœur d’y inviter des collègues de diverses sociétés et, parmi ceux-ci, Piera Aulagnier. Ces Rencontres qui eurent dix ans de vie donnèrent lieu tous les ans à la publication d’un livre collectif publiés aux éditions « Les Belles Lettres ». Ces premières « Rencontres » furent aussi l’occasion de la nôtre et du partage de notre vie à la fois personnelle, familiale et professionnelle qui s’en suivit. La naissance de notre fils Philippe en 1984 allait renouveler l’intérêt de ce chercheur pour l’histoire familiale mais étendue cette fois ci à celle de la psychanalyse et plus particulièrement à celle Freud.
En 1985 fut donc fondée « L’Association Internationale d’Histoire de la psychanalyse » qui devait durer plus de 20 ans et, au début, publier annuellement ses travaux dans la « Revue Internationale d’Histoire de la psychanalyse » qui eut six numéros. Mais en 2000 un nouveau chantier s’ouvrait pour ce passionné de la chose exacte, ennemi des dogmatismes en tous genres : un « Dictionnaire international de la Psychanalyse » en collaboration avec Bernard Golse, Roger Perron et moi-même, dont il assura pour sa part la dimension historique ainsi qu’éditoriale aux Éditions Calmann-Lévy.
Se remettant en 2005 d’une grave maladie, Alain de Mijolla revint avec plusieurs livres dans la dernière partie de son œuvre sur ses thématiques principales : l’histoire de la vie et de la pensée de Freud et le concept d’identification. Il intervenait dans de nombreuses émissions-débats pour y défendre, avec l’humour et la combativité qui étaient siennes, la cause de la psychanalyse.
Il lui manquera et il nous manquera.
Sophie de Mijolla-Mellor
LUCRECE BORGIA : UNE MERE « KLEINIENNE »
(Comédie Française, 2018, mise en scène de Denis Podalydès)
Dans un texte jusqu’à présent inédit et récemment publié par John Steiner, Mélanie Klein, à la fin de sa vie, met en garde ses disciples contre une utilisation trop sombre de sa technique centrée sur l’interprétation du transfert négatif. S’il faut savoir découvrir la haine derrière l’amour, il faut aussi parfois, ajoute-t-elle, savoir distinguer l’amour derrière la haine. Comme le remarque Antoine Vitez, la tragédie de Lucrèce Borgia est celle de l’amour maternel venu trop tard.
Criminelle, adultère, incestueuse et incestée, Lucrèce veut s’arracher au mal qui est sa condition, se faire connaître et aimer de l’enfant qu’elle a eu. Élevé et tenu éloigné d’elle, Gennaro ignore sa filiation. L’amour d’une mère rachète toutes les fautes. Une goutte de lait de tendresse humaine peut teinter en blanc un océan de noirceur (Podalydès).
Dans la préface qu’il donne à son œuvre, Hugo, selon une thématique qui lui est chère, avance que le poète « fera toujours apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet, la prière des morts à travers les refrains de l’orgie, la cagoule à côté du masque. ». Kleinien avant la lettre, l’auteur d’Hernani n’hésite pas à nous dire qu’il donnera à Triboulet un cœur de père, et à Lucrèce la monstrueuse des entrailles de mère.
Pris dans un terrible quiproquo, Gennaro, l’enfant de la troupe, garde comme une cuirasse sous son habit les lettres qu’il reçoit tous les mois de sa mère qu’il n’a jamais vue. Une mère immaculée, lieu de toutes les idéalisations, dont il va penser qu’elle est victime des terribles machinations de l’horrible Lucrèce. Lorsqu’il comprend que celle-ci le poursuit de son amour, de Venise à Ferrare où elle règne désormais, il retire la lettre B de l’inscription qui trône sur le palais BORGIA, jetant la dérision sur Lucrèce, et signant son arrêt de mort. En vain la mère désespérée essaie de le gracier. Après avoir accepté son aide dans un premier temps sous la forme d’un contrepoison, il la refuse finalement. C’est que la mauvaise mère Lucrèce n’a pu (et pour cause) lui jurer qu’elle n’est pour rien dans les malheurs de sa (bonne) mère. Et pour cause, puisqu’elles sont une seule et même personne.
Passage tragique de l’objet partiel à l’objet global, avec le velléitaire Don Alphonso Duc d’Este et 4ème mari de Lucrèce, et le ténébreux confident Gubetta, se partageant la figure du mauvais père. « Gennaro, je suis ta mère », dit Lucrèce en expirant, tandis qu’expire aussi le fils.
L’on se souvient de la formule provocatrice que se permit un jour un Jean Laplanche : « Faut-il brûler Mélanie Klein ? » A quoi il répondit par un verdict de clémence en ajoutant qu’il fallait seulement la faire travailler. Au risque d’un anachronisme évident, je dirai simplement que c’est bien ce qu’il nous a fait ici, l’auteur des Contemplations : Faire travailler Mélanie Klein !
Francis Drossart
Paris, 25 novembre 2018
NEBENMENSCH, LE SILENCE, LA PAROLE ET LES MOUCHES
Hommage à Claude Lanzmann
En yiddish Mensch ne désigne pas l’humain dans le simple ordre générique, comme le fait le terme allemand. Le Mensch yiddish est à la fois exemple et porteur de l’humanité comprise comme ethos – le principe en toutes ses qualités.
On ne peut douter que Freud, en élaborant la figure et la fonction du Nebenmensch, n’ait eu à l’esprit la signification du terme yiddish. Le fait qu’il ne reprenne ni ne développe ce concept si précieux dans les écrits postérieurs à Esquisse d’une psychologie scientifique amène à interroger ce... sacrifice théorique – au point de se voir alors tenu d’en incarner lui-même, tant bien que mal, le devoir face à la violence et à l’adversité déchainées contre lui par ses détracteurs.
Je me rappelle, escaladant à six ans les étagères de la bibliothèque familiale pour attraper, parmi les livres inaccessibles, les trois recueils photographiques retraçant la libération des camps. Je contemplais, tétanisée et interdite, les images sans réponse qui brisaient mon humanité d’enfant. Je ne pouvais pas m’empêcher de revenir à ces livres – dès que l’absence de mes parents le permettait. Je n’en parlais pas. Je n’osais pas. Personne n’en parlait.
C’était juste là. Posé. Muet. Comme ça.
Dans ces livres il n’était pas question des Justes : c’était bien avant la sortie de Shoah. Ne restait que l’hébétude, désert de la pensée, trou noir de l’amour, perte de l’espoir en l’humanité.
Le tonnerre de Shoah éclata lors de la préparation du procès Barbie et au milieu de la “marée noire” déversée du négationnisme (Faurisson et allii).
Et seul Shoah permit, universellement et simultanément à la promulgation du réel, l’hommage aux Justes. Ainsi la réparation fut-elle double, et en cela même vraie : réintégration des victimes dans l’humanité historique et hommage aux Menschen risquant leurs vies pour les sauver des camps nazis. Ce visage restauré de l’humanité inscrit la délivrance dans la mémoire impitoyable et vitalement nécessaire aux générations enchaînées dans l’histoire. Ce visage double de l’humanité niée/restaurée est le nôtre, il est Mesnch, notre réalité profonde.
La fonction de Nebenmensch est cruciale dans l’analyse. Je la crois même au cœur de la fonction de l’analyste – jusque dans le silence de l’écoute qui permet peu à peu que l’analysant, à son tour, s’entende dans l’écoute de l’Autre... Mais elle est là, puissante et restauratrice, dans les paroles rares et surtout comme échappant à l’analyste : lorsqu’il parle simplement en humain.
Ce peut être une “petite parole de rien”, dite sur le seuil au moment de la fin. Mais l’effet de la parole Mensch restaure sur-le-champ l’humanité trahie. C’est étonnant. C’est “de surcroît”. Cela se fait. Comme ça. Cela ne se calcule pas. Cela opère à discrétion. Et l’intégrité restaurée responsabilise en libérant.
Mensch est le seul sauvetage possible contre la déshumanisation accomplie – lorsque la défiguration fait retour sur elle-même. Je garde en mémoire vive cette réponse d’une rescapée des camps à qui la question fut posée : « qu’étaient les Nazis pour vous ? ». Son visage se pétrifia et ses yeux se vidèrent. Elle murmura : « Les nazis ? C’était des mouches. »
Anne Vernet-Sévenier
Note de lecture - Lectures on Technique by Melanie Klein
Edited with Critical Review by John Steiner - Routledge, 2017
Elizabeth Spillius, qui fut longtemps responsable des archives Melanie Klein, avait signalé à John Steiner l’existence, dans les archives, de conférences données par Melanie Klein en 1936 aux étudiants de la Société de psychanalyse britannique, mais celles-ci n’avaient jamais été publiées. Désireux de les rendre accessibles à tous en les publiant, John Steiner les a patiemment commentées. Il leur a associé des transcriptions d’enregistrements de séminaires donnés par Melanie Klein vingt ans plus tard, en 1958, à de jeunes analystes de la Société de psychanalyse britannique. La technique kleinienne du jeu est bien connue, notamment grâce à la publication du cas de Richard(1), mais on connaît moins la technique de Melanie Klein avec les adultes. Nous la découvrons ici et les exemples cliniques qui illustrent son propos nous permettent de voir très précisément comment elle travaillait, et comment elle intervenait... (accès au texte complet)
La notion de contrat narcissique apparaît comme une notion-clé de la pensée de Piera Aulagnier. Cette notion s’avère pertinente pour penser les articulations entre la subjectivité individuelle telle qu’elle se révèle en lien avec le registre des groupes d’appartenance et le registre social dans son ensemble. Deux exemples cliniques l’un en prise sur les attentats de 2014, l’autre à partir de la problématique d’une analysante viennent étayer le propos.
Mots clés : Narcissisme, contrat narcissique (passation et rupture), symbolique, alliance inconsciente, attentats terroristes
Commentaires :
Faut-il en finir avec la notion de guérison en psychanalyse ? Conférence de M.T. MALTESE-MILCENT (Membre IV Groupe) 2017
Le fait de penser est une entreprise très dangereuse. Mais ne pas réfléchir est encore plus dangereux.
Hannah Arendt.
L’analyse ce n’est pas l’intra subjectif, c’est d’abord le relationnel.
N. Zaltzman en hommage à M. Enriquez - 29-3-98.
Certains d’entre vous ont, sans doute comme moi, entendu un journaliste de France Culture annoncer une émission sur « le charlatan viennois ». Ce poste de radio, dit culturel, duquel on attend réflexion et modération se met à participer à l’oeuvre de démolition de la psychanalyse qui est, vous le savez, attaquée de toute part. Tant par la vox populi que par les organicistes et autres philosophes. La psychanalyse se trouve aujourd’hui classée derrière les thérapies comportementales alors que les psychothérapies de tout ordre font florès. Il semblerait que l’on recense 400 nouvelles psychothérapies de par le monde et plus de 200 rien qu’en France : Aussi, vous proposer une discussion autour de la notion de guérison en psychanalyse peut paraître relever d’un esprit subversif.
Mais direz-vous, la psychanalyse n’a-t-elle pas été subversive dès l’origine en mettant fin au beau conte d’une vie infantile sans sexualité ? C’était il y a plus d’un siècle !
Mais, n’est-ce pas notre reconnaissance partagée d’un travail psychanalytique porteur de vie, et le sentiment « d’être » acquis par ce même travail qui permet à Christine ANGOT d’écrire fermement : « La psychanalyse m’a sauvé la vie, c’est clair et net. L’écriture ne sauve la vie de personne… » ?
L’IDÉE DE GUÉRISON
Aussi, travailler autour de « l’idée de guérison », du mot « guérir », nous a conduit non pas à chercher la pertinence, mais à nous poser plusieurs questions autour des propositions freudiennes et de la clinique d’aujourd’hui :
- Faut-il suivre Freud dans son assertion de 1937 quand il écrit : le but et la tâche de l’analyse sont accomplis dès lors qu’elle « rétablit pour les fonctions du moi des conditions psychologiques favorables ?
- Faut-il revenir à 1909 quand il affirme dans l’observation du Petit Hans : « La psychanalyse « n’est pas une recherche scientifique impartiale, mais un acte thérapeutique, elle ne cherche pas, par essence, à prouver, mais à modifier quelque chose ».
-Dans notre société où le sujet contemporain n’arrive plus à s’inscrire dans l’ordre symbolique des générations, peut-il, le psychanalyste, adhérer aux préceptes freudiens ?
-Peut-il rester un analyste « apathique » tel que le définit Laurence Kahn dans son dernier livre ?
Le terme « guérison » suscite tellement de craintes et d’espoir, que proposer une définition quand chacun de nous, membre d’une communauté humaine et sociale, peut en formuler une, paraît bien difficile. In fine, n’est-ce pas de l’ultime angoisse de castration, la crainte de la mort, dont chacun voudrait guérir ?
Pour l’heure, je vous proposerai à partir des visées thérapeutiques freudiennes une approche et non une définition de l’idée de guérison...(suite)
Commentaires :
Perte de vue, mais souvenir de points de vue.
Eduardo, tu es parti et depuis quelques années, nous nous étions perdus de vue… Le dernier souvenir d’une de tes interventions à l’avant-dernière de nos réinstituantes où tu proclamais qu’il ne saurait y avoir psychanalyse en dehors de 3 séances par semaine sur le divan. Je cite de mémoire. Je ne t’ai jamais demandé ce qui t’avait pris ce jour-là, mais crois-moi, je me suis posé fortement la question. Je me suis demandé une fois encore si le politique s’arrêtait à la porte du Quatrième Groupe. Je n’ai pas osé te poser cette question iconoclaste alors que tu étais le mieux placé parmi nous pour y répondre. Et cependant, je dois dire que tu as marqué mon parcours. Ce qui m’a toujours frappé chez toi, c’est ta capacité de théoriser, calmement en reprenant les choses logiquement non sans un certain rationalisme.
Dernièrement, fin février au fil de l’écriture d’un livre dont le titre présumé t’aurait fait éclater de rire, à un moment où je traitais des pulsions dans un chapitre encadré par des réflexions sur l’Apocalypse et par d’autres sur L’archaïque et la mort, j’ai repensé à deux collègues qui ont marqué mon parcours de psychanalyste, il s’agit de Denis Vasse et de toi, Eduardo Colombo.
Inquiétante étrangeté, vous deviez mourir le même jour, me semble-t-il, quelques semaines après. Tu vois Eduardo, je me suis rappelé nos discussions avec l’ami Ferran Patuel-Puig sur la notion de Pulsion. Nous avons découvert les bienfaits de la session inter-analytique post habilitation et nous avons confrontés sur ces notions si importantes de pulsion et de représentation sans oublier, ni le boire, ni le manger. Cela devait même nous conduire, sans Ferran qui nous a quittés le premier, à proposer l’organisation d’une Journée Scientifique durant laquelle nous nous sommes interrogés sur la notion d’économie en psychanalyse. Or tu vois cela m’est resté, car dans le texte de mon livre en cours, je suis revenu à la lecture de tes considérations anti-pulsionnelles et pro-représentationnelles.
J’ai repensé aussi à ton séminaire sur La représentation où nous avons été quelques-uns à découvrir tes analyses poussées sur les développements des sciences connexes à notre discipline et dans lequel tu nous as permis de rencontrer entre autres Cornélius Castoriadis et Vincent Descombes. Cela ne nous a pas empêché l’amitié et des rencontres découvertes tant œnologiques que montagnardes. A propos, je t’ai associé en passant à Denis Vasse, et Dieu sait si vous étiez différent à beaucoup de points de vue. Je cherchais chez lui à relire un de ses premiers textes intitulés Le temps du désir et qui parlait … de la Prière …
C’est dire qu’à travers tous ses points de vue, malgré eux ou à cause d’eux on ne s’était pas complètement perdus de vue ! C’est peut-être cela le pluri-référentiel ! Gardons l’idée du principe instituant dont tu nous parles si bien sur notre site internet à propos du fonctionnement idéal de notre Groupe. Allez, Allons avec ou sans Adieu !
Marc Bonnet
Ce 27 décembre 2017, Francis Drossart, Président du IV Groupe s’associe à l’hommage rédigé par Jacques Touzé lors du récent décès de James Gammill.
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Hommage à James Gammill
James Gammill, membre fondateur du GERPEN est décédé à Paris le 16 décembre 2017 ; Sa disparition prive le GERPEN (groupe d’études et de recherche psychanalytique sur le développement de l’enfant et du nourrisson) de sa présence attentive et bienveillante qui a accompagné la vie de notre groupe depuis sa création jusqu’à cette année 2017.
Américain, James a passé sa jeunesse aux USA. À 18 ans, lors de la seconde guerre mondiale il était navigateur dans l’armée de l’air américaine et a participé à la libération de Paris.
Après la guerre il est venu à Londres où il a fait une psychanalyse avec Paula Heimann et reçu l’enseignement direct de Mélanie Klein au cours de supervisions et de séminaires. Il fait alors la connaissance de Donald Meltzer, son compatriote, que Mélanie Klein l’avait chargé d’accueillir. Ils ont participé ensemble à des séminaires à l’Institut de Psychanalyse de Londres de 1954 à 1957, et noué à cette époque une solide amitié.
Retourné aux États-Unis en 1960 James Gammill devint maître-assistant de psychiatrie à l’Université de Nashville (Tennessee).
Il revient en France en 1966 où il devint membre de la SPP. Il développe alors un enseignement centré sur l’œuvre de Mélanie Klein qui restait très méconnue en France à cette époque. Divers psychanalystes d’enfant parmi lesquels Jean et Florence Bégoin, Geneviève Haag et Didier Houzel, découvrent avec son aide non seulement l’œuvre de Mélanie Klein, mais aussi les auteurs post-kleiniens tels que Wilfred Bion, Esther Bick, et Frances Tustin.
Au début des années 70 Geneviève Haag organise un séminaire autour de James Gammill. À cette même époque James Gammill va faciliter la rencontre de ce groupe de psychanalystes d’enfants avec Donald Meltzer. En 1973 D. Meltzer fit une communication dans un congrès international à Paris. James Gammill en profita pour lui présenter Geneviève Haag. C’est dans les jours suivants que fut envisagé d’organiser des séminaires à Paris avec D. Meltzer et Martha Harris.
Le tout premier séminaire eut lieu en 1974 chez les Bégoin et fit une très forte impression sur les psychanalystes présents : l’élan était donné et dans les années qui suivirent D. Meltzer revint trois fois par an… Anik Maufras du Châtellier assura seule la gestion de ces rencontres de 1974 à 1983. L’assistance devenant plus nombreuse a conduit en 1983 à créer une association régie par la loi de 1901 : le GERPEN.
James Gammill très présent à toutes ces étapes de la naissance et de la vie du Gerpen nous a accompagnés en participant aux week-ends de travail qui se tenaient à Paris. Mais dès cette époque James Gammill allait aussi un peu partout en province apporter son enseignement notamment à Toulouse, Caen et Aix en Provence… Infatigable, James facilitait les liens entre les psychanalystes de Paris et des provinces, de France et du Royaume-Uni…
Nous éprouvons une vive reconnaissance envers James pour tout ce qu’il nous a apporté pendant toutes ces années. Les témoignages entendus lors de l’émouvante cérémonie d’hommage qui s’est tenue vendredi 22 décembre au Père Lachaise ont montré l’ampleur de l’émotion que suscite sa disparition et la gratitude des uns et des autres, de ceux qui ont pris la parole et de ceux qui écoutaient, ainsi que des nombreux collègues qui n’avaient pas pu venir à cette cérémonie. Tous ont souligné cette profonde bienveillance qui caractérisait son écoute et la grande sollicitude qu’il manifestait dans l’écoute des enfants en souffrance et de leurs parents. Je ne peux que m’associer à cette gratitude tant James et le GERPEN ont été important dans mon évolution personnelle et ont transformé l’écoute de mes patients.
Jacques Touzé
Le Subjectal
Depuis quelques années ce concept est davantage utilisé, y compris à l’international et on me demande maintenant l’exposé dans lequel j’ai raconté sa naissance. C’était dans le début des années 70. Mai 68 et sa dynamique créatrice étaient encore tout proches. Les grandes réunions que nous y avions connues se poursuivaient à Paris autour de nos maîtres en psychanalyse, avec Lacan, Perrier, Serge Leclaire, Piera Aulagnier... C’était aussi le temps des premiers groupes de travail sur les psychoses ; et depuis peu une cure de psychotique aboutie pouvait y être évoquée sans que soit immédiatement rétorqué : erreur de diagnostic !... (suite.... accès au texte complet)
21 pages.
Mots clés : Subjectal
Compte-rendu de livre
Martin WINCKLER Les Brutes en blanc, Paris, Flammarion, 2016, 248 p
Par Michelle Moreau Ricaud
Bulletin de la Société Médicale Balint, Paris, Oct 2017
Contrairement à la boutade d’Oscar Wilde - « Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique : on se laisse tellement influencer » - ! j’ai lu la dernière publication de M. Winckler…
Auteur de plusieurs romans, d’essais, de chroniques et d’un Site : Winckler’s Webzine, un temps Rédacteur à la revue Prescrire, l’auteur s’est surtout fait (re) connaître pour l’excellent La Maladie de Sachs, POL 1998. Bruno Sachs, double de l’auteur, médecin, personnage déjà présent dans deux romans précédents, Trois médecins et La Vocation, nous est présenté par les proches en courts monologues alors que lui-même écrit sur ses patients.
Le film que Michel et Rosalinde Deville ont tourné en 1999, à partir de ce roman document, La Maladie de Sachs, montre de façon saisissante comment ce médecin doit avoir la tête à tout… jusqu‘à la perdre !
M.Winckler nous livre cette fois, avec ce tableau de « la maltraitance médicale en France », comme l’indique son sous-titre, un véritable brûlot contre les médecins (mais les psychanalystes sont loin d’être exemptés).
Rappelons, pour nos collègues de la Société Médicale Balint, que Martin Winckler est le pseudonyme de Marc Zaffran, ancien étudiant tourangeau, devenu médecin généraliste, ayant exercé en pratique libérale et à l’hôpital de Pithiviers de 1983 à 2008. En retraite précoce depuis cette date, il a émigré au Canada, où il participe à la recherche sur la formation du médecin à l’université de Mac Gill, à Montréal, et à Ottawa.
La violence du titre de ce livre est-elle justifiée ?
Ce titre, sur la première de couverture, est à peine atténuée par le sous- titre à l’intérieur du livre : La maltraitance médicale en France. Effet de bombe.
Disons tout d’abord qu’il faut bien reconnaître qu’il y a de plus en plus de plaintes de patients au moment où la santé est à l’ordre du jour avec la réforme de Marisol Touraine et la loi de santé. En dépit de la déontologie médicale, les faits de maltraitance de patients par certains médecins sont avérés. L’auteur, quant à lui, dénonce tout un tableau de brutalités exercées par les médecins : abus de pouvoir sur les patients, relations abusives avec parfois gestes déplacés ou même viols (p 126), insultes, menaces, refus de recevoir des patients qui sont au CMU, dépassements d’honoraires, moqueries, mépris, condescendance, négligences, etc.
Dès le lendemain de la publication et sans l’avoir lu (?), l’Ordre des médecins, dans une réponse immédiate étonnante - alors qu’il laisse trop souvent, et pendant des années, des pratiques dévergondées impunies - a taxé ce livre de caricature. Il précise que les patients, en très grande majorité, « font confiance à leurs médecins ».
Faut-il s’étonner que la profession médicale, ancrée mythologiquement dans le « sacré », avec Asclépios, Hygée et Panacée, soit tant décriée de nos jours ? Certes Molière ne l’avait pas épargnée, avec Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant, ni Jules Romains dans Knock ou le triomphe de la médecine. Mais cette fois, nous ne sommes plus dans la comédie...
« Pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ? » Cette question est celle du bandeau du livre. Si elle est pertinente, faut-il en chercher les raisons dans les études médicales ? Dans la troisième partie Winckler évoque « l’enseignement maltraitant », leslacunes de l’esprit critique, la caste médicale, les chapelles, les conflits d’intérêt, le pouvoir (politique compris), les collusions avec les laboratoires, les « inventeurs de maladie » (Jôrg Blech), le déni des émotions, etc.
Je me demandais si l’esprit carabin ne subsistait pas chez certains des médecins incriminés… Ne commencent-ils pas à se dé-former dans les bizutages que subissent les étudiants post concours de la première année, illégaux mais toujours d’actualité, qui inaugurent leur entrée dans les études médicales proprement dites ? Ces séquences d’humiliation sont-elles spécifiques à cette profession ? Elles n’aident certainement pas à développer une empathie envers les patients, lors des premières rencontres avec eux ; les identifications aux aînés maltraitants, ainsi que les mécanismes de défense contre la souffrance, les maladies, la mort, pourtant nécessaires à la pratique clinque pour « tenir bon », pourraient-elles induire indifférence, cynisme, voire arrogance ?
L’auteur nous confie comment, selon lui, pendant ses études, il a pu échapper aux « mauvais patrons » auxquels s’identifient les étudiants, reproduisant à leur tour l’attitude hautaine dès lors qu’ils deviennent eux-mêmes médecins. Il a rencontré, dit-il, de « bons patrons » qui l’ont influencé, et beaucoup de patientes (en gynécologie, lors de prescriptions de contraception). Celles-ci l’ont-elles « civilisé », empêché d’être un médecin brutal ? Les échanges avec des collègues étrangers et, dès 1985, en fréquentant un groupe Balint auraient fait le reste ? Voici ce qu’il en dit : « J’ai eu de la chance, des collègues médecins et psychologues ainsi que la pratique des groupes Balint m’ont aidé à comprendre ce qui, dans les traits de ma personnalité, me rendait sensible aux arguments des patients… et me poussait de mon côté à me méfier et à douter de ce que le patient disait. Pour me protéger. » (p.85). Il a pu ainsi apprendre à considérer le patient et à l’écouter. Il cite l’ouvrage de Michael Balint, psychanalyste hongrois émigré en janvier 1939 en Grande-Bretagne Le Médecin, le Malade, la Maladie, écrit en 1957, et traduit dès 1960 par Jean-Paul Valabrega (non cité ; la note est à corriger p 290) qui travaillait sur La relation thérapeutique au CNRS.
Avec la référence de ces deux psychanalystes intéressés par cette extension de la pensée freudienne à la médecine à des titres divers, nous sommes bien loin de ce médecin de fiction, l’insupportable Dr House de la série américaine télévisée, que vous connaissez tous, et citée par l’auteur. Pour Gregory House, médecin hospitalier de médecine interne, point n’est besoin, sauf exception, de voir le patient, suivi par les médecins et infirmières de son service : le dossier suffit. Véritable machine à diagnostiquer, il est savant, sûr, ne cherche à découvrir que l’énigme de la maladie ; ou plutôt c‘est la vérité diagnostique et non celle de l’être malade qu’il recherche. Pourquoi perdre du temps à rencontrer le patient ? Il le dit à son équipe : « Everybody lies », tout le monde ment. Le patient ment et le médecin aussi d’ailleurs.
Au long du livre d’autres pratiques médicales sont dénoncées : la prévention (parfois maltraitante en cancérologie, exemples à l’appui), la « supercherie » du cholestérol, les campagnes de dépistage du cancer de la prostate, le traitement de l’infertilité, la violence des annonces des maladies. Choix médicaux ou dérives connues pour le bien du malade, ne sont-elles pas des formes d’acharnements thérapeutiques ?
Notons que Marc Zafran s’était formé dans le groupe Balint que le Dr Pierre Bernarchon avait conduit pendant plusieurs années au Mans, (et à sa mort repris par Simone Cohen-Léon). Il a dû le quitter car il n’exerçait plus. Il avait également été notre invité à un congrès de la S.M.B, tenu à Pau. Winckler ferait-il alors la leçon à ses collègues (malgré la toute première phrase de son avertissement ?). L’auteur renvoie ses confrères au Code de déontologie, dont il rappelle les articles les plus importants, estimant que certains l’« enfreignent sans vergogne trahissant la confiance que leur accordent la plupart des patients, manquent à leurs obligations professionnelles et violent les lois de la République » (p.52)
En fin d’ouvrage, un chapitre intitulé « Que faire face à la maltraitance médicale ? » s’adresse aux patients. L’auteur leur donne une dizaine de conseils pédagogiques, pragmatiques, dans la visée comportementaliste, de choses à faire lors de la consultation, afin qu’ils puissent exercer leurs droits de patients jusqu’au dépôt de plainte, si nécessaire, non à l’Ordre des médecins, mais au pénal.
Une meilleure formation des médecins nous paraît être une des solutions. L’introduction des Sciences humaines en médecine fera-t-elle changer les choses ? On a vu en septembre 2016, à notre 42ème Congrès de la S.M.B., tenu à Bobigny, l’introduction, commencée là en 1968, grâce au Professeur Pierre Cornillot ouvrant les études médicales aux médecines alternatives, mais également aux groupes de paroles ou aux groupes Balint. Sa rencontre avec Edgar Faure alors ministre des universités avait favorisé cette ouverture, restée encore trop timide dans les autres UFR. Peut-on espérer que sciences humaines et groupes Balint pourront sensibiliser à la relation, au dialogue ? La formation - recherche, le « training cum research » de Balint, avec présentation de cas, devant des collègues et des psychanalystes pourraient compléter le savoir par un apprentissage d’un savoir-faire.
Revenons une fois encore sur le titre, évoquant, en négatif, la fameuse série Les Hommes en blanc de ce médecin du Sud-Ouest, le Dr André Soubiran. Nombre de futurs étudiants en médecine l’ont dévoré et ont été, peut-être, soutenus dans leur vocation par cette lecture. L’éditeur et l’auteur escomptent- ils un pareil succès pour le livre de Winckler ?
A ma demande à Flammarion au sujet d’une présentation du livre en présence de l’auteur, lors de son séjour à Paris ce mois d’octobre 2016, la réponse négative laisse beaucoup de questions sans réponse :
-n’y a-t-il pas, chez l’auteur, un culte un peu naïf des médecins anglo-saxons, canadiens et américains notamment ?
-ce livre a-t-il été écrit pour le grand public ? pour les patients ?
-les médecins français seront-ils curieux de lire le procès qu’il leur est fait, cette fois par l’un des leurs, afin de réfléchir à leur style de médecin et de l’améliorer ?
-n’y a-t-il pas, enfin, le risque de discréditer à l’avance tout médecin et de ruiner ainsi « l’attente croyante », confiante envers les médecins ?
-risque-t-il également de provoquer une recrudescence d‘agressivité et d’agressions verbales et physiques envers les soignants et médecins ?
-enfin, un autre danger ne serait-il pas de judiciariser, à l’américaine, les malentendus, différents et erreurs entre médecins et patients ?
Un regret : la formation dans les UFR de médecine (parfois embryonnaire) est passée sous silence et la formation médicale continue n’est nulle part envisagée ; point d’adresse non plus de la Société Médicale Balint, fondée en 1957 à Paris, par quelques jeunes médecins qui s’initiaient au groupe Balint.
Malgré ces quelques critiques et son ton, ce livre serait néanmoins à lire par tous les personnels soignant et pourrait alimenter un débat qui ne manquerait pas d’être fructueux. Faudrait-il alors, dire, avec Sade et …Winckler : « Français encore un effort si… » si vous voulez former de bons médecins !
Michelle Moreau Ricaud
Introduction à la journée du 5 décembre 2015 à Lyon sur le livre « Le don de l’ombre » de Ghyslain Lévy
C’est avec plaisir que nous recevons Ghyslain Lévy pour parler de son dernier livre, « Le don de l’ombre ». Est-il besoin de le présenter ? Ghyslain Lévy est psychanalyste, membre du Quatrième Groupe. Il a publié de nombreux livres dont “L’ivresse du pire” en 2010 pour lequel il était venu nous parler ici à Lyon. Il n’a de cesse de maintenir une articulation entre le coeur de l’expérience psychanalytique et la société dans laquelle nous vivons, accompagné par des auteurs de divers champs de la pensée.
Bruno Gelas nous fait également le plaisir de participer à cette demi-journée. Professeur de littérature française à l’université Lyon 2, il s’intéresse aux liens entre la littérature et la langue. Auteur de nombreux ouvrages, il est également cofondateur et animateur du « Séminaire Interlectures » qui depuis 7 ans ouvre un espace de travail entre la psychanalyse, la philosophie, la littérature et la poésie.
Jean-François Chiantaretto est psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’université Paris 13. Il est fondateur et animateur du groupe interuniversitaire de recherches « Littérature personnelle et psychanalyse » et auteur, entre autres de « Le témoin interne. Trouver en soi la force de résister » paru en 2005 et de « Trouver en soi la force de résister » paru en 2011.
Je les remercie vivement tous trois, dont nous pouvons constater qu’ils partagent des points d’ouverture à des espaces de la pensée dont il va être question à partir du Don de l’ombre. Il y a 3 semaines l’horreur des attentats terroristes nous laissait sans voix, comme il laisse sans voix tous ceux qui ont été ou en sont victimes de par le monde. J’aimerais juste en hommage à ceux qui, comme disait Ingeborg Bachmann « ne meurent pas mais sont assassinés » et à leurs proches, lire la lettre que René Char écrivait à Paul Celan, (l’ami de Bachmann), le 29 mars 1955 :
« Je ne sais pas partager avec un ami son mal-être, son chagrin ou cet innommable qui s’installe en nous comme une fumée affreuse, en le lui disant, oui, je ne sais pas lui montrer à l’aide de la parole trop peu précise et balsamique que je le comprends. Pourtant j’étais avec vous hier, je le sais aujourd’hui, sans mot, à la façon d’un nageur qui en accompagne un autre dans l’épaisseur des eaux affectueuses, nageant vers quoi, je ne sais, mais vers quelque chose qui nous est dû… »
Marie AGUERA
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Se laisser altérer.
C’est ce que m’a inspiré ton livre, Ghyslain : se laisser altérer…
J’ai fait le choix de mettre en avant l’aspect hautement psychanalytique qui le parcourt et le projet de transmission qu’il porte. Un plaidoyer pour ce qui, au fond, constitue notre désir d’analystes : « une écoute qui donne sa place à ce qu’une parole ne dit pas, ce fond catastrophique dont elle doit s’arracher» (p.223). Cette ombre au fond de chacun qui est ce lieu de l’énigme, des traces étrangères de l’histoire familiale, témoigne de ce « roc de l’humain » selon Nathalie Zaltzman que nul ne peut réduire, disséquer. L’irréductible de l’humain, au-dedans même de sa faiblesse.
Depuis que j’ai commencé cette réflexion à partir de ma lecture, les massacres terroristes du 13 novembre nous ont frappés de stupeur et de sidération. Tu interroges la perte d’épaisseur et d’ambigüité de notre vivre ensemble et voici que ce qui fonde notre société est violemment interrogé, bousculé. Dès lors apparaissent, face aux forces obscurantistes de la mort et de la désolation, mélangés avec nos réactions collectives phobiques et contraphobiques, une quête des valeurs humaines fondamentales parfois oubliées. « La France d’après » comme titre Le Monde du 23 novembre sera-t-elle capable d’une élaboration, d’un travail de culture ? Dans ce sens merci de nous permettre aujourd’hui encore de penser ensemble, d’essayer par la langue de nous arracher à ce fond catastrophique… (suite de la conférence au format PDF)
Quelques réflexions à propos du livre de Gérard Bazalgette « La Folie et la Psychanalyse », conférence du 17 juin 2017 réalisée dans le cadre des Etudes Cliniques Rennaises
Cher Gérard, c’est à un véritable essai psychanalytique que tu nous convies avec ton dernier ouvrage « la folie et la psychanalyse » et particulièrement celui-ci, ton livre « écrit par nécessité personnelle, nous confiais-tu à Paris » et certes, qui ne manque pas, dans sa singularité, sa densité et son originalité à faire marque d’une pensée véritablement personnelle et rigoureuse dans ses développements métapsychologiques, pensée que nous te connaissons par ailleurs depuis toujours, avec ici cependant, des avancées audacieuses concernant l’originaire selon Piera Aulagnier, quitte à infléchir certaines lignes de sa conception et d’induire chez nous, tes lecteurs, un florilège de questions auxquelles tu nous confrontes et sur lesquelles je reviendrai.
Mais encore bien davantage, la façon dont tu le fais : c’est à dire dans une écriture où l’on sent bien tout ce que tu as mis de toi-même comme analyste, comme analyste se souciant du développement de la psychanalyse, de son évolution et de tes efforts à mieux approcher les cas non névrotiques d’aujourd’hui (différents, bien sûr, de ceux du temps de Freud), nous invitant encore plus avant, avec cette puissante clinique que tu nous exposes, à une meilleure compréhension de ces patients dits limites tout comme de la culture de notre époque dans ses multiples expressions puisque tu n’hésites pas à user de la théorie de l’originaire à une lecture de l’art contemporain.
Et, il me tient à cœur de souligner que ce qui demeure, pour moi, l’étoffe centrale de ton livre, c’est bien cette singularité de la rencontre de la littérature d’une part, de l’art contemporain d’autre part, avec la psychanalyse... (accès conférence complète document en PDF)
Fara Da Se
L’on sait que Freud, reprenant la formule de Garibaldi sur l’Unité italienne, disait que la psychanalyse n’avait à compter que sur ses propres forces, sans chercher sa validation du côté des autres sciences, ni de la politique ou de la religion. Elle se construirait par elle-même : Fara da se
En ces semaines troublées qui ont pu faire redouter, dans notre pays, le triomphe des forces de la discrimination et de l’obscurantisme, la psychanalyse, en tant qu’héritière de la pensée des Lumières, (même si elle ne partage pas le paradigme rousseauiste d’un homme né naturellement bon), a pu à bon droit se considérer comme menacée dans notre pays. Elle le restera malgré l’issue heureusement républicaine des dernières élections présidentielles.
Menacée, elle l’était lorsque Freud lui donna existence sous l’Empire Austro-Hongrois, réactionnaire et antisémite. Elle le fut lorsque l’Anchlüss exila les psychanalystes viennois et que la recherche de la vérité qu’elle véhicule fut pourchassée dans la plus grande partie de l’Europe. Aujourd’hui à nouveau, elle l’est par cette offensive de l’insignifiance qui vise à dénier l’inconscient sous prétexte d’une lutte obsessionnelle contre les symptômes, lutte tout droit sortie de l’utopie cauchemardesque du Meilleur des Mondes.
Le Quatrième Groupe, quelle que soit son adhésion au principe freudien d’abstinence, ne pouvait être indifférent aux évènements politiques qui n’ont pas fini de nous préoccuper. Il est resté vigilant, dans le cadre du Groupe de Contact, à défendre inlassablement la psychanalyse contre les attaques qui visent non certains de ses effets, mais son existence même. A ce titre, il envisage de s’associer aux démarches que celui-ci va entreprendre dès maintenant auprès de certains ministères nouvellement nommés, et dont dépend le sort de la psychanalyse dans les institutions soignantes et universitaires. Et il reste fidèle à l’esprit de cette formule qui fut celle de Nathalie Zaltzman, auteure de La Guérison Psychanalytique :
« Ce n’est pas le Quatrième Groupe que nous avons à défendre, c’est la psychanalyse ! »
Francis Drossart
C’est une entreprise très périlleuse que d’ajouter des mots à ce récit personnel si maîtrisé dans son style et éminemment troublant par son thème. Car ce dont nous entretient Pascal Herlem, c’est du bouleversement familial et intime causé par la maladie tôt survenue chez la sœur aînée qui fera d’elle, au fur et à mesure qu’elle grandira, une personne bizarre, revêche et devenue tellement ingérable qu’à l’adolescence elle sera lobotomisée, puis reléguée hors des siens. Vouée à disparaître. De ce malheur sans nom, ou plutôt sans mots, car ce n’était un secret pour personne, le frère - dont la naissance a été cause de l’éloignement de la sœur - s’en est longtemps plus ou moins mal arrangé. Et de cet arrangement, intenable, il n’a plus voulu.
La sœur aurait pu aussi avoir pour titre La mère, car l’autre personnage du récit est cette femme, irréductible elle aussi, blessée dans son amour maternel injustement contrarié, que rien n’arrêtera pour porter remède à son narcissisme de longue date endommagé. Pascal Herlem excelle à en faire un portrait qu’on jugerait impitoyable si peu à peu, de retouche en retouche, il ne parvenait à en adoucir les ombres.
Il se révèle encore ici l’écrivain subtil dont nous avions déjà apprécié le précédent ouvrage [2], mais il est aussi, comme nous le savons, psychanalyste. Et le lecteur lui rend grâce de n’avoir pas sacrifié pour autant son écriture, son style et… son humour aux lourdeurs du savoir psy, mais d’avoir construit par un travail littéraire serré des hypothèses qui forment la trame d’un roman familial aux allures d’un thriller. Jusqu’à la chute – inattendue - on ne peut s’arracher à la lecture de ce récit, tant nous atteint ce cri retenu de douleur, de colère, de culpabilité. Un cri libérateur ? Un cri qui, en tout cas, porte témoignage de ce qu’il est vain d’imaginer pouvoir s’arranger avec le destin quand celui-ci sème le malheur dans nos vies.
Nathalène Isnard-Davezac
[1] Herlem P. La sœur, Coll. L’Arbalète, Gallimard, Paris, 2015.
[2] Herlem P. Les chiens d’Echenoz, Gallimard, Paris, 2010.
Lorient, le 18 février 2017
Un hommage au psychanalyste Salomon Resnik
La nouvelle du décès de Salomon Resnik, le 16 février dernier, m’a profondément peinée et ce, d’autant plus qu’elle vient s’inscrire dans la liste des disparitions récentes de nombreuses figures marquantes de la psychanalyse groupale ; ami(e)s et collègues auxquels je dois énormément, qui ont tous eu le bonheur de côtoyer Salomon Resnik et auxquels je rends présentement, également hommage : Jacqueline Falguière, Jean-Marie Enjalbert, Jean-Claude Rouchy, Jacques Schiavinatto, Ophélia Avron, André Missenard …
Psychiatre argentin et psychanalyste membre titulaire de L’Association psychanalytique Internationale, Salomon Resnik a grandi auprès d’Enrique Pichon-Rivière avant de poursuivre à Paris puis à Londres, une trajectoire vigoureusement personnelle qui l’a amené à s’enrichir de la pensée de nos plus grands penseurs et théoriciens de la psychanalyse : M. Klein, W. Bion, D. Winnicott, H. Rosenfeld et E.Bick …
A Paris, où il a exercé la psychanalyse, il fut membre de la Société Française de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe (SFPPG) et en fut également le président de 1990 à 1994.
J’ai eu l’immense privilège de côtoyer ce grand homme, d’être destinataire de sa bonté et de cette attention à l’autre qui le caractérisait. N’ayant jamais aimé suivre les sentiers battus, son activité s’exerçait aussi dans des champs en lisière de la psychanalyse. On voit ainsi se dessiner un parcours où les chemins vicinaux étaient pour lui beaucoup plus attrayants que les voies toutes tracées des sociétés de psychanalyse et, je crois que partout où il se trouvait, il incarnait cette étonnante vitalité intellectuelle et émotionnelle qui produisait des effets étrangement contagieux : car il était aussi homme à aimer le langage simple et direct, celui qui traduit au plus près ce que les hommes vivent et ressentent.
Salomon Resnik, certes, nous laisse une œuvre théorique magistrale qui aborde des champs très diversifiés de la psychanalyse groupale comme étrange chimie collective et inconsciente, de la psychose de l’adulte, de l’autisme infantile, de l’archaïque maternel, du narcissisme destructeur ainsi que ses essais sur l’art et bien d’autres encore … mais demeurait, avant tout, un clinicien dans l’âme qui s’attachait à saisir dans leur immédiateté et singularité les processus intra et interpsychiques.
En ce qui concerne son activité d’écriture, elle fut foisonnante par de nombreux articles dans des revues allant de la Revue de psychothérapie psychanalytique de Groupe (RPPG) jusqu’au journal de la psychanalyse de l’enfant en passant bien sûr par Le Coq-Héron et Connexions.
Lors du congrès de 2005 organisé par La SFPPG et la FAPAG, Salomon Resnik a abordé et séduit son auditoire par cette parole toute personnelle dont je me fais aujourd’hui, auprès de vous, porte-parole : « le monde invisible n’est pas constitué seulement de ce qui ne se laisse pas voir, mais aussi de tout ce qui n’est pas mis en relief dans le domaine du visible : quand la chose cachée à la lumière de la conscience acquiert une forme et se met en évidence, la réaction est celle de l’étonnement. En psychanalyse, quand on reçoit une observation interprétative de ce que l’on ne voit pas chez soi ou dans la vie quotidienne, la réaction est toujours : comment ne l’ai-je pas vu avant si c’était en face de moi ? Pourquoi cet aveuglement ? ». « Qui n’a pas vécu l’expérience de se promener au marché suivant le même itinéraire, durant des années, et d’être étonné un jour de trouver une plaque dans la rue Bonaparte à Paris : “ Ici habitait Édouard Manet, par exemple, comme ça a été mon cas “. Et de se demander : “Quand est-ce qu’on a mis cette plaque ici ? “. Et de s’entendre répondre : “Mais elle y est depuis toujours ! “. Comment ai-je pu ignorer un voisin si important ? Cette plaque avait toujours été là. En marchant avec ma femme dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, on a trouvé un jour une plaque disant : “ Ici a habité d’Artagnan “. Comment est-il possible que le héros gascon de mon adolescence soit si près de moi, ou en tout cas près de mon studio rue Bonaparte ? »
Salomon Resnik, ce même jour de septembre 2005, vous me glissiez à l’oreille à l’issue de votre conférence : “ Comme le fou qui regarde le doigt alors que le sage lui montre la lune “, notre société nous demande de regarder le doigt alors que derrière le doigt (les méthodes objectivantes), il y a une tout autre visibilité, la visibilité de l’inconscient.
Salomon, je vous rends hommage.
Catherine Even-Le Berre
A Chacun sa Vérité
La notion de vérité alternative qui fait florès actuellement a donné une nouvelle actualité au roman d’Orwell 1984, redevenu best-seller aux États-Unis. Le commentaire éclairant de Pierà Aulagnier sur cette œuvre mérite également lecture (1). Le 17 août 1914, on pouvait lire ces lignes dans le journal L’Intransigeant (2) : " Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs sans faire aucune déchirure ".
La psychanalyse est née le jour de la lettre écrite par Freud à W. Fliess, lettre dans laquelle il place la réalité externe au second plan derrière la réalité psychique. Faut-il en conclure, comme le prétendent les détracteurs de la pensée freudienne, que celle-ci utilise la formule pirandellienne au profit d’un grand n’importe quoi ? La réponse est non, évidemment. La répétition de l’acte manqué, par exemple, inscrit la psychanalyse dans le domaine de la preuve. Freud était (aussi) un grand lecteur d’Agatha Christie ! (3).
Confrontés comme tout le monde à une nouvelle offensive de l’insignifiance (4) et de déni omnipotent (5) qu’ils observent dans les médias et ne connaissent que trop chez leurs analysants, les psychanalystes ont des choses à dire sur ce phénomène, et pourraient en faire un nouveau débat scientifique, d’ailleurs déjà amorcé. Comme l’indiquent Bion (6) et J. Steiner (7), le thème central du drame de Sophocle est le conflit entre Œdipe et Tirésias, c’est-à-dire la haine de la vérité, un Watergate en quelque sorte dans lequel Œdipe fait semblant de vouloir mener l’investigation.
Contrairement à ce qui est souvent dit ou écrit, le Quatrième Groupe ne s’est pas constitué en contradiction, voire en vérité alternative, vis-à-vis des modèles de formation ipéistes ou lacaniens mais à côté de ceux-ci, dans une démarche asymptotique de recherche de la vérité. Mais quelle vérité, sinon celle du désir de devenir-être analyste ? C'est-à-dire investigateur dans un monde tendant à devenir orwellien, en refusant ses contre-vérités.
Francis Drossart - Février 2017
1) Aulagnier P. (1984), Le pire des mondes, in L’Apprenti-Historien et le Maître Sorcier, du Discours Identifiant au Discours Délirant, Paris, PUF, coll. Le Fil Rouge
2) Cité par : L’Obs, 2 février 2017
3) Mijolla-Mellor (de) S. (2007), Un divan pour Agatha Christie, L’Esprit du Temps
4) Herlem P., L'offensive de l'insignifiance in Le Coq-Héron n° 192, 2008/1, Erès, 2008
5) Drossart F., (2014), Le déni omnipotent, Topique n°127, La pensée kleinienne
6) Bion W.R. (1967) Réflexion faite, trad.fr. Paris, PUF, 1983, Bibliothèque de Psychanalyse
7) Steiner J., Turning a blind eye, The cover-up for oedipus
L’histoire du mouvement psychanalytique français est jalonnée par des scissions :
Depuis la création, en 1926, de la SPP, le mouvement psychanalytique français a connu trois scissions en seize ans donnant naissance à quatre sociétés analytiques. 1953 : création de la Société française de psychanalyse, la SPF – 1963 : de L’Ecole freudienne de Paris, l’EFP, et de l’Association psychanalytique de France, l’APF – 1969 : du Quatrième Groupe, auxquelles s’ajoute, en 2004, celle de la Société de formation et de recherche psychanalytiques, la SFRP. Après la dissolution de l’EFP par Lacan, la création de nombreuses sociétés aussi dont je connais mal l’historique (références : Sylvie Sesé-Léger, Mémoire d’une passion. Un parcours Psychanalytique, Campagne Première, 2012, et, Document sur la dissolution de l’EFP in Les Lettres de la SPF, La Société de psychanalyse freudienne, n° 33, 2015). Tout mouvement de rupture amène donc à la constitution d’une autre unité analytique..... suite (lien actif)
6 pages.
Une psychanalyste, Colette Combe, par la porte du rêve se confronte au retournement de l’âme. Deux iconographes, Kaspars et Rutha Poikans se sont inspirés du XIIème siècle du fait de la fluidité limpide de la statuaire des églises romanes et de la simplicité des icônes orthodoxes. Une question fondamentale nous est posée par les auteurs : serions-nous intéressés par la période romane parce que nous pressentirions la renaissance du monde autrement ? Telle est l’hypothèse que Colette Combe va s’attacher à déployer au fil de son texte écrit dans la rencontre avec l’iconographie de Kaspars Poikans et les mosaïques de Rutha Poikans. Elle entrelace cette rencontre avec son écoute de psychanalyste du rêve (langage et images) de ses patients. Cet ensemble d’articulations est passionnant dans la mesure où l’esprit navigue de textes en images et d’images en langage ce qui conduit le lecteur à entendre une parole de vérité... (suite)
Texte intégral des éditoriaux publiés en page d'accueil du Site du Quatrième Groupe de février 2010 à janvier 2013
Lecture en ligne en cliquant sur ce lien
26 pages.
Préface du livre sur les Journées Scientifiques 2015 du IV Groupe - Actes 5 - Le meurtre et l'inceste - Éditions InPress - Paris - 2016
3 pages.
Ouverture par Brigitte DOLLÉ-MONGLOND, Présidente du IV Groupe (OPLF), des Journées Scientifiques du IV Groupe 2015 in Publication des Journées Scientifiques 2015 - Le meurtre et l'inceste Actes 5 - Éditions InPress - Paris - 2016
6 pages.
Eric JULLIAND et Jean-Louis SERVERIN, Secrétaires Scientifiques ont rédigé la Préface du livre sur les Journées Scientifiques 2015 du IV Groupe - Actes 5 - Le meurtre et l'inceste - Éditions InPress - Paris - 2016
3 pages.
Texte intégral des éditoriaux publiés en page d'accueil du Site du Quatrième Groupe de janvier 2013 à janvier 2016.
p 3 : Editorial mars 2013
p 5 : Editorial avril 2013
p 7 : Editorial mai-juin 2013
p 9 : Editorial juillet-août 2013
p 11 : Editorial septembre-octobre 2013
p 13 : Editorial novembre-décembre 2013
p 15 : Editorial janvier-février 2014
p 17 : Editorial mars-avril 2014
p 19 : Editorial mai-juin 2014
p 21 : Editorial juillet-août 2014
p 23 : Editorial septembre-octobre 2014
p 25 : Editorial novembre-décembre 2014
p 26 : Editorial du 08 janvier 2015
p 29 : Editorial janvier-février 2015
p 31 : Editorial mars-avril 2015
p 33 : Editorial mai-juin 2015
p 35 : Editorial juillet-août 2015
p 37 : Editorial septembre-octobre 2015
p 39 : Editorial novembre-décembre 2015
p 42 : Editorial janvier 2016
44 pages.
Un des premiers textes de Freud concerne l’attente croyante, une attente de la guérison qui devient attente de l’élection, puis attente de la communion. Celle-ci viendra forger le transfert dans la situation de cure, à la fois par la suspension de l’acte et par la force même de la croyance. Qu’en est-il aujourd’hui de notre rapport à une attente qui a quitté le registre de la croyance et de son préalable, un désir de sens et une demande d’interprétation ? En quittant son fond de croyance, l’attente n’a-t-elle pas perdu aujourd’hui ce qui la rendait attente anxieuse, attente confiante, condition, selon Freud, « d’un état psychique favorable » nécessaire pour débuter tout « traitement psychique » ?
N’est-ce pas désormais une adhésion immédiate qui vient se substituer à l’attente croyante ? Plus d’attente mais l’instantanéité d’un Sens (sacré ?) qui s’impose dans la confusion narcissique, l’emprise de l’actuel, l’échec de toute érotisation de l’absence, de la solitude, du secret ?
Mots clés : Croyance. Transfert. Élection. Attente. Guérison. Traitement psychique. Sacré .Miracle. Secret. Miroir.
Commentaires :
Publication prochaine de cet article dans la revue SIGILA
Ghyslain Lévy est psychiatre et psychanalyste, membre du Quatrième Groupe. Compétent en psychiatrie infanto-juvénile. Ancien interne des hôpitaux psychiatriques. Ancien directeur du Bureau d’aide psychologique de Paris (BAPU). Il a publié de nombreux articles et livres dont « Le don de l’ombre » en 2014 aux éditions Campagne Première, et « L’ivresse du pire » en 2010, aux éditions Campagne Première. Il a dirigé l’ouvrage collectif « L’esprit d’insoumission » en 2011, toujours aux éditions Campagne Première.
Jean-Pierre CHARTIER (1945-2015)
Mes remerciements à Klio BOURNOVA et Dana CASTRO pour votre invitation à participer à cette journée en hommage à Jean-Pierre.
Le dernier Bulletin du Quatrième groupe a publié la notice biographique où je retraçais son trajet, je voudrais compléter ici sa filiation analytique et influences diverses et évoquer deux ou trois de ses travaux.
Jean-Pierre était devenu psychanalyste, membre du Quatrième Groupe, après son analyse avec Robert LEFORT et une « analyse quatrième » avec Piera AULAGNIER. Je rappelle que LEFORT, pédopsychiatre, élève de LACAN, membre de l’École Freudienne jusqu’en 1981, avait fondé (avec sa femme Rosine et Maud MANNONI) l’École expérimentale de Bonneuil, dans le mouvement post 68, anti-médical, anti-psychiatrique, pro-psychanalytique et psychothérapie institutionnelle. Cette « école éclatée » prenait en soin des enfants autistes, des ados psychotiques, en les considérant comme des sujets. Quant à Piera, elle était l’un des trois fondateurs du Quatrième Groupe avec PERRIER et VALABREGA, après leur rupture avec LACAN en 1969.
D’abord « participant », puis « Analyste Membre du Quatrième Groupe » (il disait « titulaire ») fin des années 80, il y a dirigé pendant de nombreuses années un groupe de travail intitulé « Lecture de FREUD ; étude des concepts analytiques », qu’il menait sur un cycle d’une durée de deux ans. Les analystes qui ont travaillé dans son groupe pourront témoigner de ses qualités de formateur... (1)
Notre amitié remonte à l’arrivée de Jean-Pierre dans notre Organisation Psychanalytique de Langue Française (nom complet du IVème Groupe). Ce qui nous avait rapprochés – outre la psychanalyse et particulièrement l’École de Budapest : FERENCZI et BALINT - était le choix de nos premiers terrains cliniques. Jean-Pierre travaillait en psychiatrie, un temps avec le Dr Lucien BONNAFÉ (1912-2004) - un pilier du mouvement de psychothérapie institutionnelle né avec François TOSQUELLES, catalan réfugié (1912-1994) à Saint-Alban, au fin fond de la Lozère - et j’étais psychologue à La Chesnaie (près de Blois), l’une des trois cliniques de psychothérapie institutionnelle du Loir & Cher, dirigée par le Dr Claude JEANGIRARD.
Jean-Pierre avait rejoint l’éducation surveillée et s’était engagé dans la prise en charge de jeunes personnes très difficiles - adolescents délinquants et marginaux, ces “incasables”, que personne ni aucun établissement de soins ne voulait ou ne pouvait garder. Il a alors l’idée de créer pour eux un service de soins à domicile avec Laetitia VIOLET-CHARTIER, médecin psychiatre des hôpitaux, consultante à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et Analyste Membre du Quatrième groupe (2). Ils créent « la Sablière », dans le XIVème, aidant ainsi également la famille de ces ados intraitables, en rupture répétitive avec les institutions éducatives. Il rappelait, lors d’une table ronde d’un colloque avec des éducateurs : “Je suis le premier à avoir utilisé le mot « incasable » - mais il ne veut rien dire sur le plan sémiologique. Je l'avais utilisé pour désigner des jeunes dont personne ne voulait. Quand j'ai demandé la création d'un service de soins à domicile pour ces jeunes, on m'a dit que c'était réservé à des handicapés physiques et mentaux. J'ai dit : « montrez-moi où c'est écrit que ce n'est pas pour eux ? » ; on m'a répondu : « vous avez raison, ce n’est écrit nulle part »... et j'ai pu ouvrir le service. »
Il précisait [...] « Ces sujets sont dans le déni de la responsabilité de leurs actes, c'est profond, structural, chez eux, le déni de leur implication : c'est toujours « les autres ». Déni des conséquences de leurs actes : ils n'anticipent jamais – et ce n'est pas une question d'intelligence. [...] (Il citait la carrière de MESRINE) Ils n'ont pas de culpabilité liée à l'acte, mais ils sont capables de culpabilité relationnelle.
Il groupait ce déni de l’acte, le déni des conséquences avec le défi (les 3D) comme caractéristiques de ces marginaux violents qui nécessitaient une prise en charge différente de la méthode analytique. C’est un engagement personnel de l’analyste, en tant que personne, s’exposant lui-même, pratiquant une « réanimation psychique », voire de la « réinjection du psychique », afin de les sortir de leurs agirs divers. Certes l’absence de la mère, ainsi que l’absence des interdits fondamentaux (inceste, meurtre) qui rendent humain, se retrouvent souvent chez les patients dits « psychotiques » ; cependant ces ados ne sont pas fous. Ainsi, comme Fernand DELIGNY le conseillait dès la fin de la guerre 39-45, entre éducation et psychothérapie, Jean-Pierre cultivait cette Graine de crapule, prenant soin de ces enfants perdus, paumés.
Sa recherche l’a amenée tout logiquement de ces ados à leurs parents – « parents martyrs » - désorientés par la violence de leurs enfants…(3). Il avait créé des liens avec l’Ecole d’éducateurs de MONTRÉAL et une association entre Psycho-Prat et École de criminologie de l’Université de MONTRÉAL ; nous nous sommes rencontrés dans cette ville, l’année où il était venu avec Daniel WILDLOCHER pour donner des conférences (4).
Jean-Pierre, engagé dans plusieurs champs thérapeutiques, l’était également dans celui de l’écriture, comme en témoigne sa bibliographie, que l’on peut consulter sur le Site du Quatrième Groupe. Je retiendrai, écrit avant Les parents martyrs : Délinquants et psychanalyse (1986), L’adolescent incasable. Bourreau ou martyr (1991), Les ados difficiles (1994), Introduction à la pensée freudienne (1997), L’adolescent, le psychanalyste et l’institution (1998) - au titre très Balintien -, Guérir après Freud (2003), Introduction à la technique psychanalytique (2005), Les transgressions adolescentes (2010). Il a publié plusieurs d’articles dans Topique et a également participé au Dictionnaire International de Psychanalyse d’Alain de MIJOLLA.
Permettez-moi quelques souvenirs plus personnels.
- À l’une des assemblées générales du Quatrième Groupe, qui se tenait dans le luxueux Pré Catelan et où, cette année-là, nous n’étions que deux participants et hésitions à interrompre la réunion des membres qui se tenait juste avant et qui n’en finissait plus, c’est un Corragio Casimiro mutuel qui nous a fait entrer !
- Nous apprécions son côté joyeux, joueur, spontané, culoté même : pourtant j’eus quelques inquiétudes, lors de sa première conférence donnée dans notre groupe où il relatait la prise en charge d’un jeune loulou - avec dialogue rapporté - Jean-Pierre voulait le terroriser en conduisant sa voiture à un train d’enfer – observation qui différait tant de la psychothérapie analytique classique…
C’était un collègue généreux. Voici quelques exemples :
- Il prêtait volontiers les salles de l’EPP : nous avons ainsi tenu, chez vous, des réunions du Quatrième Groupe et de l’AIHP. !
- Alors que la traduction de l’ouvrage Jeunesse à l’abandon d’August AICHHORN - autre inspirateur pour Jean-Pierre – n’était toujours pas réédité, c’est auprès de Jean-Pierre que l’on pouvait obtenir une photocopie, en toute illégalité.
- Un temps proche du Journal des Psychologues, il m’avait interrogée sur mon ouvrage sur Balint et l’École de Budapest. Cela me rappelle un souvenir plus ancien, montrant son côté parfois – il faut le dire - un peu « tête en l’air » : Il m’avait invitée à la présentation de Cure d’ennui, qui devait être suivie d’une séance de dédicaces, à Lyon, dans une jolie petite librairie de la place Bellecour. Or les visiteurs entraient et ressortaient après un temps assez bref, sauf Jean-Jacques Ritz qui prenait des photos. Il se passait quelque chose. On a su bientôt que se tenait, juste à côté, une réunion politique (avec Raymond BARRE) ! Il n’y avait plus qu’à fermer boutique et aller dîner : une vraie soirée catastrophique pour mon livre, mais nous en avons ri des années après !
Dans la même vague, volontaire cette fois, il s’amuse à publier Freudaines, (5) - au titre jeu de mot - prenant le modèle de l’exhumation récente de travaux freudiens trouvés au fond d’une malle appartenant à BALINT. Le titre nous avertit que les 11 lettres retrouvées de FREUD sont de son invention. A la manière du fondateur, il écrit à quelques figures emblématiques du milieu psychanalytique, au camarade SILBERSTEIN, aux professeurs Th. MEYNERT et E. BLEULER, à Lou Andréa SALOMÉ à S. FERENCZI, à C. JUNG, à A. AICHHORN, au trio de Berlin : K. ABRAHAM, M. EITINGON, et E. SIMMEL, à R. LAFORGUE, à E. JONES et enfin à Marie BONAPARTE. Mêlant l’ancien temps et le nouveau, c’est un FREUD insolent faisant le point, avec ses correspondants, sur la situation préoccupante de la psychanalyse en 2005 (!) écorchant au passage les lacaniens et leurs jeux de mots, [sans toucher néanmoins au vestige « costume et nœud papillon » que Jean-Pierre affectionnait] ; les neuro-scientifiques purs et durs, censés seuls pratiquer « Lascience », (en un mot) et jusqu’aux politiques français présentant « un projet pour permettre aux médecins d’être reconnus ipso facto comme psychothérapeutes » [ceci une bonne dizaine d’années avant ce statut]. Des jeux de mots (dont certains empruntés à LACAN lui-même se moquant de son institution : « la colle freudienne», des blagues du type : quelle est la différence entre la DS (mythique) et le DSM ? « L’une a fait avancer l’automobile et l’autre a fait reculer la psychiatrie ». Il nous propose même une saynète que nous pourrions jouer dans certains colloques où l’on s’ennuie, et dont le script, beaucoup plus court que le fameux Scénario FREUD de SARTRE, aurait eu les faveurs de John HUSTON.
Certes un peu dangereux si l’on se souvient d’un faux lancé par un historien de la psychanalyse Peter GAY (avant qu’il ne devienne psychanalyste). Un chercheur américain avait pris au sérieux la nouvelle que - contrairement à l’opinion répandue, L’interprétation des rêves de FREUD avait fait l’objet d’une recension dans un journal médical d’Australie – et avait inclus cette donnée dans sa thèse ! Peter SWALES avait pris l’AIHP en haine parce que nous avions rapporté cela dans un article rappelant la nécessité de vérifier les sources.
Quand le malaise est grand dans le milieu analytique, on peut avoir la tentation de régresser à des jeux d’adolescents, et se moquer de soi et de ses collègues. C’est à quoi se livre Jean-Pierre dans ce petit livre, avec humour, cette « jouissance supérieure » (FREUD 1927) (6). Néanmoins Jean-Pierre ne se contente pas du fictif, qu’il entremêle à l’Histoire : il est bien documenté sur l’histoire des disciplines : psychiatrie, psychologie, psychanalyse. Une seule erreur … (étonnante d’ailleurs !)
Ce retour de FREUD ou ces Mémoires d’outre-tombe font appel au fantasme, à l’ambition de tout chercheur, rêvant de découvrir au fond d’un placard, ou dans les archives des Bibliothèques Nationales, un trésor : document ou manuscrit inédit. Parfois ce rêve se réalise. Sinon le chercheur y renonce difficilement et peut avoir la tentation de le construire. S’il n’a pas d’éthique, il peut se livrer à du plagiat, un faux en écriture, à un pillage de texte non édité, sans faire référence à l’auteur. Bref, autant de vilénies qui se sont déjà produites dans l’Histoire. Ou bien, il peut prendre le registre du jeu : le chercheur qui piétine peut trouver une issue, paradoxalement sublimatoire, du côté du gag, de l’humour. Ou encore un témoin peut essayer de désamorcer notre angoisse de chercheur en nous proposant cette même issue ludique.
Un souvenir personnel : il y a quelques 25 ans alors que je séchais sur ma thèse faute de trouver une théorisation terminée chez FREUD sur le traumatisme, Jean-Paul VALABREGA m’avait proposé d’écrire un faux Freud sur la question, boutade qui eut un effet immédiat de libération !
Cet exercice de style où le principe de plaisir court le long du texte est à lire : son humour a gouté celui de RABELAIS, d’ANZIEU (Contes à rebours), de MIJOLLA (Les mots de FREUD), etc., et même à Johnny, dont il reprend le titre d’une chanson - auteurs d’ailleurs remerciés - laissant imaginer le petit garçon insolent - le p’tit Quinquin - qui sommeille encore, comme nous le montre sa pique sur le maître de la linguistique, SAUSSURE, orthographié « SOT-SUR ».
L’humour, nous dit FREUD, n’est pas résignation mais rébellion.
Il y avait de cela chez Jean-Pierre.
Michelle MOREAU-RICAUD
1 – Gyslain LÉVY et Marc BONNET m’ont envoyé un mail, Jean-Jacques RITZ n’a pas pu venir non plus. Et plusieurs membres et participants ont annoncés leur venue.
2 - Participante dans les années soixante-dix, membre en 1981.
3 - Un autre livre en rend compte : Les parents martyrs, toujours d’actualité.
4 - Il a donné des conférences dans nombre d’autres pays.
5 - Freudaines, Paris, DUNOD, 2005 cf ma recension, Bulletin du IVème Groupe
6 - Seules erreurs (incompréhensibles de sa part, car déjà corrigées dans l’historiographie psychanalytique) : la phrase de Freud sur la Gestapo et la trouvaille de son douzième essai métapsychologique publié chez Gallimard par I. GRUBICH-SIMITIS. Ce n’est pas dans la maison de Freud que cet essai, envoyé à FERENCZI, se trouvait, mais dans une malle chez Michael BALINT, précieux archiviste et passeur de théories, qui nous a rendu (et continué) l’œuvre de FERENCZI.
André BOLZINGER
Ne pouvant être avec vous pour cette journée pendant laquelle vous aborderez ses travaux, je voudrais simplement partager avec vous mon amitié avec cet homme d’une grande culture. J’ai retrouvé André - d’abord rencontré à Grenoble – à Paris, dans feue l’Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse, fondée en 1985 par Alain de MILOLLA. En effet, André a commencé à s’intéresser à l’Histoire de notre discipline à la fin des années 80 ; rédacteur au Bulletin de Psychologie de La Sorbonne, il publie en 1985 Histoire et mémoire. À propos du Colloque du collège des psychanalystes- (collège fondé en 1980 et disparu) - mais ses travaux publiés se sont suivis de manière très dense dès les années 2000. Il en a présenté quelques-uns dans le séminaire d’Alain de MIJOLLA à l’E.H.E.S.S., travaux qui témoignaient toujours de ses qualités de psychanalyste historien, qu’il s’agisse de l’histoire tirée de la médecine militaire (étude de la nostalgie) ou de Freud et de la psychanalyse. Comme chercheur, André dépouillait toutes les sources, et ses citations de Freud étaient retraduites – en germaniste scrupuleux ; sa connaissance intime de la langue allemande lui permettait de corriger les erreurs de traduction, donc parfois les contre-sens qui circulent …
S’il était sévère envers certains ouvrages jugés « insuffisants », dont il étrillait l’auteur sans merci, il était également critique dans notre cercle. Et il s’avérait être un débatteur redoutable. J’ai encore le souvenir vif de l’avoir éprouvé lors d’une conférence sur le poitevin René MORICHAU–BEAUCHANT, dans les années 90 à l’E.H.E.S.S.. J’avais repris quelques maigres sources, puis enquêté auprès de ses deux enfants survivants, enfin scruté sa bibliothèque donnée/prêtée à Foucault, que Daniel DEFERT m’avait aimablement ouverte : tous mes apports avaient été passés au crible – aidé en cela par Alain de MIJOLLA, d’ailleurs ! – Cependant André pouvait aussi reconnaître que parfois ses critiques étaient infondées…
Il était un invité très apprécié du séminaire d’histoire de la psychanalyse que j’ai tenu au Quatrième Groupe, où il est venu présenter plusieurs fois ses travaux : Arcanes de la psychose ; Histoire de la nostalgie. Et nous échangions nos livres.
Dernièrement, je lui ai envoyé une courte communication (donnée à Vienne au colloque organisé par Céline Masson et le groupe « PANDORA » sur l’hystérie au XIX e siècle) - communication reprise à Paris lors du colloque de l’Association Psychanalyse et Médecine : Folies à la Salpêtrière. Charcot, Freud, Lacan : j’y ai tenu compte de ses remarques, insistant sur l’influence non seulement de l’hypnose, mais également de la neurologie sur le jeune stagiaire FREUD, lors de voyage d’études de six mois chez Charcot, et, bien sûr, j’ai cité André.
Il était un compagnon de travail efficace et amical.
Michelle MOREAU-RICAUD, Octobre 2015
Nicolas GOUGOULIS a souhaité s’associer à mes souvenirs :
J'ai connu André BOLZINGER dans le cadre du travail de l'AIHP. Il se passionnait pour l'histoire et même l'archéologie de l'histoire de la psychanalyse d'où son travail qui a contribué à mieux nous faire connaître les origines de la pensée de Freud et les premiers retentissements de ses travaux. Il contribuait ainsi à une idée de la recherche historique qui rend une dimension humaine à nos ancêtres "héroïques". Il m'avait fait l'amitié de me confier la présentation de ses livres lors de soirées de nos sociétés savantes et j'ai eu ainsi l'occasion de mieux la connaître. Son travail, son originalité et son éthique de recherche vont nous manquer.
Nicolas GOUGOULIS, novembre 2015
Dans le cadre des Etudes Cliniques Rennaises
27 juin 2015
Quelques réflexions autour du livre de Ghyslain Lévy
Le don de l'ombre, Paris, Editions CampagnePremière, 2015
La netteté avec laquelle certains souvenirs d’enfance surgissent dans la mémoire à certains moments de la vie, présente, nous dit Freud, une analogie – en tant que souvenirs-écrans chargés d’émois refoulés – analogie donc, avec les souvenirs d’enfance des peuples, tels qu’ils sont figurés dans les mythes et les légendes. De même que dans sa lettre du 3 janvier 1899, il écrira à Fliess :
« un petit fragment d’autoanalyse a fini par s’imposer et m’a confirmé que les fantaisies (fantasmes) sont les produits d’époques ultérieures qui se sont rétroprojectés depuis le présent d’alors jusque dans la première enfance ; et ce qui est apparu aussi, c’est la manière dont cela se passe : encore une fois une liaison de mots. »
Car c’est bien cette parole de Freud accompagnée d’un souvenir d’enfance personnel qui se sont pour moi, imposée, en rencontrant pour la première fois ton « Don de l’ombre », Ghyslain, puis en parcourant les premières pages de ton dernier ouvrage.
Je me suis revue petite fille de 6 ans, emmenée un soir par mon père qui « aimait les grands aventuriers » à une conférence de ma ville natale de Rennes (pas bien loin d’ici, d’ailleurs). Celui qu’il voulait me faire écouter, était alors un éminent historien qui venait relater les explorations au pôle Sud, les traversées périlleuses du Commandant Jean Charcot, à bord de son navire surnommé le « Pourquoi pas ? ».
Je revois sur la scène de l’époque un homme barbu que je jugeais très âgé mais aussi particulièrement captivant et qui nous montrait sur un écran des images du bateau de Jean Charcot ; un équipage joyeux, se frayant un chemin au milieu des glaces. Dynamisme, pétillance, humour ; ce conférencier émaillait son récit d’anecdotes dont l’une resta gravée dans ma mémoire.
Avant d’aborder avec ses hommes une île inconnue, et qui allait, par la suite, porter le nom de Jean Charcot, l’île Jean Charcot, ce dernier avait préparé une formule vibrante et significative pour en marquer la possession au nom de la France. Or, sautant de la chaloupe, son pied glissa et c’est par un « merde » retentissant qu’il salua son arrivée sur l’île.
La narration de cet acte manqué par mon conférencier de l’époque, associé au naufrage « du pourquoi pas » qui sombra en 1936 avec son commandant, me frappa profondément à cet âge.
Était-ce la trace de cette rencontre avec héroïsme et castration conjugués, l’audace et la mort associée, est-ce l’émoi œdipien d’avoir partagé avec mon père l’admiration pour une figure d’idéal du moi ? Est-ce tout ceci … bien sûr et encore bien d’autres ombres mouvantes en moi … qui détermina mon intérêt, une certaine vocation quand je rencontrai, bien plus tard, le nom de Jean Martin Charcot, le père du navigateur, lorsque jeune stagiaire « débarquant moi-même » à l’Hôpital Charcot dans le Morbihan dans une équipe de psychodramatistes dirigée par un commandant aussi barbu et dynamique que celui de mon enfance et dont je pus apprécier par la suite, l’audace, l’humour et l’ouverture d’esprit.
Mais également, quelle descendance, spirituelle et charnelle et il importe d’ajouter charnelle puisque comme le souligne René Péran, la langue est symboligène, seulement et seulement si l’on respecte ses ramifications, toutes ses ramifications avec le monde sensible et le corps. Donc, quelle descendance spirituelle et charnelle eut cet homme dont l’influence suscita la passion de Freud pour l’exploration de la « face cachée de l’iceberg dans la langue pulsionnelle du perdu » dans les profondeurs inconscientes de la psyché humaine, quand on sait qu’entre 1885 et 1888, Freud, à l’hôpital de la Salpêtrière, dans le service de Jean Martin Charcot, a effectué un séjour absolument déterminant pour la suite de son œuvre et donc pour la naissance de la psychanalyse. En effet, arrivé à Paris pour y étudier l’anatomopathologie, il y a trouvé, comme nous le savons, une toute autre chose avec : la révélation de l’hystérie et un mois après son arrivée à Paris, il écrivait à Martha Bernays, sa fiancée :
« Charcot qui est l’un des plus grands médecins et dont l’aura et la raison confine au génie, est tout simplement en train de démolir mes conceptions et mes desseins. Il m’arrive de sortir de ses cours comme si je sortais de Notre-Dame, tout plein de nouvelles idées sur la perfection. La graine produira-t-elle son fruit ? Je l’ignore mais ce que je sais, c’est qu’aucun autre homme n’a jamais eu autant d’influence sur moi ».
Je souhaitais par cette introduction, cette descente, ce retour vers l’enfance (mon enfance, l’enfance du jeune Sigismund à Freiberg avec – la prairie verte aux fleurs jaunes - le fantasme de défloration de pauline/Gisela/la mystérieuse Ichtyosaura (trois figures conjuguées) , l’enfance de Freud à la Salpêtrière, l’enfance de la psychanalyse), je souhaitais inviter à notre après-midi de travail ce jeu de l’ombre - Alors, qu’il vienne, ce jeu de l’ombre, bruisser sur fond œdipien ou davantage du côté des profondeurs archaïques, abyssales de l’âme humaine - Mais peu importe finalement car assurément toujours un peu les deux à la fois) …. Je souhaitais inviter, ce jeu de l’ombre, jeu de l’intime, jeu de l’invisible, de l’impalpable ou du à peine palpable, de l’opacité, de l’énigme, de l’insaisissable, et sans doute aussi convoquer le gouffre de notre subjectivité humaine avec sa pleine ambiguïté puisque ton écrit, Ghyslain, ne cesse de le porter, de le conjuguer dans l’opposition bien sûr « au règne de la clarté crue, au règne de la tyrannie d’une langue technique résolument convaincue à mesurer, quantifier, évaluer, massifier et pourquoi ne pas ajouter « dépecer » et qui façonne nos institutions, les cultures, les groupes en un seul et même langage (les sigles en sont un des modes d’expression paradigmatique) dont le sens n’est plus ambigu mais réduit à un signifié.
Nos structures de l’ensemble culturel rencontrent les crises et les faillites d’un social qui ne cesse de s’actualiser dans un présent immédiat au gré du repoussement de ses limites. Alors, peut-il y avoir des sociétés pathologiques ? Et quels seront leurs effets sur la psyché ? Cette question fut très présente dans les travaux de Piera Aulagnier.
Et puis, à notre époque, alors que la psychanalyse subit tellement d’attaques, étouffée dans nos institutions de soin et dans nombreux autres lieux de notre société où s’impose désormais le désir d’hégémonie de la psychologie cognitivo-comportementaliste, n’est-il pas essentiel voir urgent de montrer la fécondité de l’approche analytique et de la théorie analytique, qui reste bien souvent les seules aptes à «côtoyer » ce que tu nommes si justement « les situations cliniques de l’extrême ».
Alors,
Il y a bien certainement de nombreuses manières de connaître l’œuvre d’un auteur psychanalytique. Il est possible de lire ses livres, d’assister à ses conférences ou encore de s’inscrire avec lui, dans un travail de supervision (appelé analyse quatrième au quatrième groupe).
En fait, nous rencontrons tout de même assez généralement la plupart des auteurs par des voies finalement assez traditionnelles. Or, si cela nous permet un contact raisonnable, dirais-je, avec leur pensée, beaucoup trop de questions subsistent qui ne peuvent finalement être approchées que grâce à un dialogue direct et vivant en discutant avec lui de ses idées, de ses travaux, de sa clinique psychanalytique, voire de ses expériences de vie.
Et c’est en quelque sorte la prétention de notre après-midi.
Tous les analystes qui, à l’instar de Ghyslain Lévy, se soucient du développement de la psychanalyse, de son évolution et de ses efforts à mieux comprendre les cas non névrotiques d’aujourd’hui (différents, bien sûr, de ceux du temps de Freud) incitent à une meilleure compréhension de ses patients dits limites tout comme de la culture de notre époque dans ses multiples expressions. Mais, toi Ghyslain, tu nous convoques sans détour et nous confronte aux flux et reflux de nos tumultueux éprouvés par, la singularité de ton style et sa puissante originalité, entre cette contre-culture de la transparence, cette contre-culture du dévoilement que tu exaltes et ce terrible face à face avec une société contemporaine, la nôtre, effaceuse de nos traces individuelles et collectives, qui tend inéluctablement à abraser la puissance d’énigme de nos mots, voir à dérober « son étrangeté à la langue, une étrangeté qui habite le cœur même de la langue – une étrangeté, qui renvoie à la résonance du mot, de la phrase, » et tout ceci au profit d’une « langue communicante » avec ses multiples techniques qui se développent aujourd’hui autour de la question de la communication en brandissant les nouveaux mots sans aura, mots sans échos, mutilés car sans résonance, englués dans leur massivité muette et sclérosante de certitude et qui ont, sans nul doute, un peu oublié, comme le dit Walter Benjamin , " le bouche à oreilles " pour privilégier " l'outil de la technologie moderne", le net et son écrit virtuel, l’addiction par l’image, le bon usage protocolaire, le savoir-faire etc..
Juste encore pour écouter, Ghyslain, ce que tu dis si bien avec Walter Benjamin.
" C'est à l'absence de toute précession d'un désir ou d'un rêve collectif que correspond un tel aplatissement de la Culture réduite à fabriquer sans cesse autour d'elle une réalité qui s'appauvrit ....
L'appauvrissement de la réalité en expériences va de pair avec la perte de son aura, avec l'excessive visibilité qu'autorise la transparence de l'objet, et avec une langue elle-même aplatie, appauvrie, par laquelle le sujet communique, mais dans laquelle il ne se communique pas."
Je pense également à cette parole si profonde et tellement humaine d’une de tes patientes au cours d’une séance : « j’ai besoin d’un avenir qui me précède ».
Voilà, tu nous transportes en maniant poésie et incisivité au creux de cette nouvelle barbarie contemporaine qui règne en maître, je crois, en offrant au sujet dans une immédiateté dénudée de tout après-coup, dans l’écrin flamboyant d’une scandaleuse mais séduisante luminescence (émettre de la lumière sous l’effet d’une excitation), une répétition compulsive de notre toute puissance infantile sur écran de nos fantasmes originaires sollicités en continu dans les formes les plus régressées de leur expression : fantasme de séduction de l’enfant par l’adulte (l’éblouissement, l’excitation par l’image et la couleur, l’écran), fantasme de la scène primitive et la saisie sans reste par l’œil cru de la caméra, fantasme de retour au ventre maternelle et sa composante mélancolique paralysante ayant perdu toute force créatrice, fantasme de castration traquant et réduisant l’autre sujet , dans une volonté meurtrière d’emprise, « à une proie qui a perdu son ombre ». (Pour utiliser encore l’une de tes expressions, Ghyslain)
Une proie, donc sans ombre, à laquelle serait définitivement nié la "revenance" de la résonance permanente du perdu de l’infantile, du transgénérationnel et du kultur arbeit qui seuls témoignent et participent de l’humain partagé dans l’humain partageable avec une pensée, notre pensée à jamais vouée à convoquer l’absence.
"Ouvrir la langue à une autre langue à l’intérieur d’elle-même, creuser la langue, rendre toute la puissance de son étrangeté à la langue" (tes expressions, Ghyslain) et l’on a envie d’ajouter "raviver la présence du perdu sous toutes ses formes, dans toute sa force", c’est peut-être là, précisément que la psychanalyse, l’apport freudien, le dispositif analytique participe depuis son origine au travail de culture en ouvrant notre langue du quotidien à la langue de notre sexuel infantile inconscient puisque jusqu’au bout, l’œuvre Freudienne a fait référence et donné toute la place à la question de la trace.
Traversée dangereuse donc, périlleuse certes, l’expérience analytique (mais également toute expérience créatrice, me semble-t-il) témoignent également de ce Trans psychique qui est à l’œuvre du point de vue de ce que tu essaie de relever dans ton livre, de ce Trans psychique après que Freud ait pu dire en 1938, le 22 Aout 1938, un an avant sa mort, que « psyché est étendue, n’en sait rien» et dont voici le texte complet :
« Il se peut que la spatialité soit la projection de l’extension de l’appareil psychique. Vraisemblablement aucune autre dérivation. Au lieu des conditions a priori de l’appareil psychique selon Kant. La psyché est étendue, n’en sait rien. »
Psyché serait donc étendue dans tous les sens ; dans le sens de l’espace, dans le sens du temps et dans le sens également des autres espaces psychiques, et ne le saurait pas et c’est pour cette raison, que d’une certaine manière « ouvrir un espace transitionnel, ouvrir un livre et se livrer à l’expérience littéraire et de la langue poïétique, s’adonner à l’expérience d’écriture, s’ouvrir à une réalisation artistique, en être le réalisateur ou le contemplateur » c’est ouvrir un, des, espace(s) psychique(s) nouveaux, différents, un travail d’archéologue, pour reprendre une métaphore familière à Freud et si, Freud, n’a pas, à rigoureusement parler, découvert l’existence de l’inconscient (ainsi que le montre Yvon Brès dans son ouvrage L’inconscient, Ellipses, 2002), il en a toutefois le premier, formulé les lois de fonctionnement, les processus et les contenus. Il a bien, le premier, exhumé ces données sexuelles préhistoriques enfouies depuis toujours dans l’ombre de la psyché des hommes.
Et, ne crois-tu pas, Ghyslain, qu’il y a là quelque chose de puissamment extraordinaire dans la cure analytique que d’éprouver ces zones particulières où Freud n’hésite pas à dire qu’elles vont jusqu’aux mémoires collectives les plus profondes, les plus anciennes de l’humanité …. « La mémoire glacière de l’humanité », exprimera-t-il.
Alors maintenant, pour en venir à tes grands passeurs, que tu appelles également tes "grands cueilleurs de la langue" dont tu nous dis qu’ils ont d’une certaine manière fait œuvre de penser à la fois la question du désir d’exil et la question de la langue et qui viennent t’occuper dans ton écoute analytique en constituant «des ponts, des traverses, des encordées » pour venir accueillir la parole analysante et la redonner étrangère par le biais du dispositif analytique qui ne peut que, bien sûr, la « déranger, la mettre en flottement, la rendre à un ordre différent, la suspendre, la désorganiser, la désorienter, la creuser comme tu dis » pour lui permettre de ne plus être une triste parole communicante mais une parole dans laquelle le sujet est voué à se communiquer à l’infini, à se découvrir à l’infini.
Alors bien certainement et inévitablement, ceci vient poser la question du fonctionnement de notre écoute analytique en tant qu’elle constitue, elle aussi, un pont possible : « bricoler un pont au-dessus-de l’abîme pour passer, comme tu le dis « passer de nulle part à ailleurs, à quelque part, peut-être …» - Ceci vient poser la question de notre manière toute singulière d’être « passeur » à notre tour et de la façon dont chaque analyste pourrait en témoigner pour lui-même dans le cadre de la cure.
Comment soutenir l’autre dans son altérité face à cet abîme qu’il doit nécessairement franchir ? Comment soutenir l’autre dans son franchissement vers un ailleurs de lui-même ? C’est cette image, cette métaphore extraordinaire que tu nous proposes avec la nouvelle de Franz Kafka « le pont de bois » où l’homme, le visage tourné vers et affrontant l’abîme fait de son corps un pont tendu d’une rive à l’autre pour permettre à d’autres... de le franchir, en aveugle, pour aller de nulle part à ailleurs.
Mais encore :
Qu’est-ce qui fait que l’on s’engage dans un projet analytique, avec l’autre, dans une position certes asymétrique mais tout de même dans un co-engagement vers une co-construction? Qu’est-ce qui fait qu’avec ce patient-là, l’on accepte de s’exposer encore et encore et de soutenir ce face à face avec l’abîme de l’analysant mais également, une nouvelle fois recommencée, avec son propre abîme ?
Donc, tout un flot de questions que ton travail suscite et pour n’en mettre là que quelques-unes en lumière !
Je pense encore à cette expression de Nietzsche :
« Avez-vous du courage, du cœur …. Un courage d’ermite et d’aigle ? Celui qui voit l’abîme, mais avec des yeux d’aigle, celui qui saisit l’abîme avec des serres d’aigle : celui-là a du courage. »
Et je pense évidemment à Paul Celan (qui nous a beaucoup occupés dans notre Groupe de travail) et sur sa façon singulière d’écrire ses poèmes dans sa langue d’origine mais aussi dans celle qui est devenue la langue des assassins et de la faire bégayer, bégayer par la force de sa poétique pour la rendre à son chemin humain en la creusant, la démantelant , la disloquant de l’intérieur toujours plus avant emporté par une expiration sans fin qui ne trouve plus d’inspiration, pour tenter, certainement, de la rendre à la souplesse de son intime étrangeté et à cet énigmatique au cœur même de la langue. Paul Celan semble creuser dans l’emprise de cet enfermement linguistique de l’assassin, dans ce collage assassin, avec le trouble du rythme d’inspiration qu’il ordonne, telle une partition musicale sans pause ni silence, toujours plus profond, toujours plus en creux, en route vers un ailleurs de la langue, un dehors de la langue des assassins …. Telle une quête exténuée pour gagner une rive, poser le pied et enfin pouvoir inspirer … telle une quête à rebours, une sorte de traduction à rebours (car souvenons-nous, la psyché est fondamentalement traductrice ou métabolisante, nous le savons) et comme si dans ce mouvement de traduction à rebours s’infléchissait complètement la question du tiers, de la tiercéïté ….
Je pense également, peut-être ? Pour Paul Celan plongé dans cette problématique de survie, à l’urgence de retrouvailles du côté du langage fondamental (tel que l’a théorisé Piera Aulagnier), le plus loin possible du côté de l’intime perdu avec toute la richesse d’un poly sensoriel drainé par ce dialogue intime mère enfant qui seul viendrait permettre un décollement d’avec la langue des assassins pour accéder à un « au-delà » du trauma.
Pour Paul Celan, la littérature et l’écriture n’ont vraisemblablement pas suffi ; il n’est sans doute pas parvenu sur une autre rive ; vraisemblablement, n’y a-t-il pas eu de passeur pour Paul Celan, puisqu’il s’est jeté du pont … Peut-être a-t-il manqué d’un passeur psychanalyste ?
Peut-être ?
Et pour aller un petit peu plus avant, voilà comment nous nous sommes autorisés (toujours dans notre groupe de travail) à faire lien avec le passeur que tu as été, dans ta clinique, Ghyslain, pour Yasmine, ta jeune patiente.
Pour Yasmine, donc, dans son silence murée où se reproduisait dans la séance un enfermement sous un interdit de penser, sous l’ interdit de paroles d’un enfermement incestuel avec ce père de famille qui avait organisé un huit clos familial où nul n’avait le droit de communiquer à l’extérieur, ne peut-on pas penser qu’il puisse s’agir d’une expiration également silencieuse qui ne trouvait plus d’inspiration ?
Tu seras, dans un premier temps, également inondé dans son silence qui t’aspire, jusqu’au moment où tu vas rencontrer, par l’appel du Kultur arbeit, par la réminiscence d’un film qui insiste, en toi, l’analyste, un autre passeur qui vient alors t’inspirer, te redonner inspiration en triangulant, tiercéïsant et tu t’autoriseras, de façon un peu transgressive mais tu t’autorises à l’inspirer et, elle retrouve l’inspiration.
Alors, c’est encore ce statut en terme métapsychologique de l’ombre que j’aimerai mettre en dialogue, en croisement, avec l’oeuvre de Piera Aulagnier.
En effet, ne s’agit-il pas, avec cette notion d’ombre, aussi bien de quelque chose qui a à voir avec l’exil et son trauma personnel que de l’ombre parlée, l’ombre portée dont parle Piera Aulagnier ?
Ne s’agit-il pas du jeu d’une ombre composite qui travaillerait, imprégnerait inlassablement la langue, le langage, en sous œuvre, en lui imprimant toute sa souplesse, sa plasticité et donc sa fonction symboligène ?
D’autre part, ne peut-on pas s’autoriser à référer « ce jeu de l’ombre » aux effets du langage fondamental, c’est-à-dire à ces implantations très primitives et bien sûr refoulées dans la psyché humaine, à ce poly sensoriel du langage mère-enfant, toujours à l’oeuvre ?
C’est à dire, n’est-ce pas, ce langage fondamental qui parle en nous et sans discontinuer, depuis toujours, notre singularité d’être, se déployant à la fois sur l’axe de l’éprouvé mais également sur l’axe de la filiation ; ce langage secret, intime entre la mère et son bébé, c’est-à-dire au plus près de tous nos restes verbaux, de nos traces pluri sensorielles inscrites très primitivement, de nos mots pris dans le corps, leur musicalité, leur accent, leur densité qui parle le plus précoce, ces mots onomatopées, ces phonèmes vivants entre la chose et la parole pris dans l’émotion, le plaisir et la haine bien sûr … ne peut-on pas s’autoriser à y référer « ce jeu de l’ombre, ce don de l’ombre » ?
J’aimerais également faire un tout petit détour par Donald Meltzer et « son théâtre de la bouche » qu’il a développé comme théorie où - avec la kinesthésie de la langue, la sensorialité de tout le palais remise en œuvre à l’identique chaque fois qu’un phonème du langage privé, du langage fondamental mère-bébé se trouve prononcé- le sujet retrouverait une sorte de plaisir corporel, dans ce théâtre très particulier circonscrit à la cavité buccale, et qui diffuserait dans tout le corps.
Je pense bien sûr à Paul Celan mais à tous nos grands poètes puisque la poésie, ça se dit à haute voix … avec toute la vie et la vivacité, le rythme sensoriel de la cavité buccale.
Et puis un dernier détour,
Dans « mourir de penser », le dernier et neuvième tome du cycle « Le dernier Royaume », Pascal Quignard dissèque la pensée, ses plaisirs et ses dangers, interroge le langage, le temps, l’origine du monde. Il remonte aux sources même de la pensée (qu’est-ce que la pensée ? Pourquoi pense-t-on ?) en tentant d’en définir l’essence en opérant de nombreux détours et tâtonnements pour mieux cerner son objet, sa proie pourrait-on dire, car penser, loin d’être une activité contemplative, s’apparente, selon Pascal Quignard, à une chasse, une prédation pour rassasier « une faim intellectuelle sans cesse affamée » et nourrir notre curiosité. « Penser au risque de perdre l’estime des siens, au risque de quitter l’odeur humaine », au risque même d’en mourir comme Thomas d’Aquin mort devant son écritoire, Socrate poussé au suicide ou Héraclite Banni et persécuté.
Penser, c’est non seulement s’émanciper et prendre le risque de s’exclure de la communauté mais c’est aussi tutoyer l’abîme, tenter de retourner au savoir originaire ….
Il dira « la pensée est comme un retour de chez les morts » et Pascal Quignard s’aventure lui-même dans ces limbes matriciels en explorant l’origine des mots, leur étymologie grecque ou latine pour se frayer un chemin dans sa méditation en convoquant toutes ces figures mythologiques à la mesure dont tu as toi-même, Ghyslain, convoqué tous tes grands cueilleurs de la langue.
Je pensais également à l’œuvre (certes bien différente de Patrick Modiano ; avec, pour ne citer que quelques-uns de ses livres ; rue des boutiques obscures, pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, la petite bijoux, dans le café de la jeunesse perdue …etc.) où l’écriture pour lui, est moins le moyen de reprendre le pouvoir sur l’autre, ces autres qui ont peuplé sa vie tout en la déchirant par leur mystère, que de se faire enfin maître de sa vie, de cette enfance qu’il a dû subir sans rien y comprendre, soumis aux aléas des désirs des autres.
Mais comme on le sait, la blessure du manque, blessure de l’originaire, sorte de lancinant chant d’amour et de regrets, ne se suture jamais vraiment mais peut-être s’apaise grâce à l’écriture et au flot d’espoir qu’elle charrie ? Peut-être, seulement peut-être ? En effet, car toute l’œuvre de Modiano ressemble à un Kaléidoscope dont chaque roman changerait dans son mouvement la place des paillettes pour offrir une image presque semblable à la précédente mais pourtant complètement différente. Car là où se dessine un certain motif en surgit un nouveau, tapi dans la trame, dans l’ombre, comme s’il ne demandait qu’à apparaitre en palimpseste. Cette pensée qui se nourrit des traces de ce qui est perdu dans l’espoir d’un saisissable, cette pensée qui en définitive est à jamais vouée à convoquer l’absence par la polyphonie du sensoriel ; un sensoriel olfactif, visuel, auditif, kinesthésique qui se faufile dans l’écriture avec ses pseudopodes propulsés vers une matrice originaire, vers le langage fondamental avec le trait de la lettre entendue, vue, parlée, lue, cette lettre prise dans la chair même du corps …. L’espoir donc d’un saisissable qui assurerait un savoir sans énigme sur l’origine et ferait taire à jamais le désir …. Ne serait-ce pas là, la quête de Modiano ? Et la quête de bon nombre d’écrivain qui s’interrogent sur le pourquoi de l’écriture, qu’est-ce que c’est qu’écrire ? Pourquoi est-ce que j’écris comme ça ?
Alors, tu as , Ghyslain, dans ton ouvrage, également évoqué Jacques Trilling avec James Joyce ou l’écriture matricide précédé de jacques Dérida : avec la veilleuse ; sa préface) en soulevant la réflexion sur la dimension du matricide dans l’acte d’écriture, sur l’écriture matricide c’est-à-dire encore sur ce mouvement du meurtre de la matrice originaire, meurtre car volonté d’effacement de l’origine dans le fait d’écrire et donc effacement, haine de l’Etre, de l’ humain inscrit dans l’espace d’un symbolique tourné vers l’ouverture et la saisie illusoire et sans fin du jeu des objets entre eux.
Alors j’aimerai aussi t’interroger Ghyslain sur ta compréhension, ton sentiment à propos de ce double mouvement, mouvement composite chez l’écrivain qui est à la fois mouvement tourné vers l’ouvert, vers le kultur arbeit, mais tout autant mouvement mélancolique désymbolisant, compte à rebours guidé vers l’abîme par le jeu des traces flairées, œuvre de la pulsion de mort qui vient effacer toute la trajectoire identificatoire du sujet, donc de l’Etre.
Et pour conclure :
Je t'avais personnellement exprimé, Ghyslain, que ton « Don de l’ombre » était, dans une autre tonalité, certes, mais tout autant saisissant que ton "Ivresse du pire" et outre ma constante admiration pour la qualité d’une articulation littéraire, poétique et analytique de tes écrits, je dois dire que ton livre (comme tu le sais) m'a portée bien loin et bousculée sur le devant d'une scène qui m'habitait sans la connaître .. Au-delà des frontières connues de ma propre filiation, de ma propre histoire. Ainsi, je crois devoir à ton livre la délivrance d'un passeport que je ne possédais pas jusqu'alors pour cheminer, « pour creuser selon ton expression » plus loin solitaire dans de nouvelles étranges contrées (l’inquiétante étrangeté); pour creuser un intime encore plus intime, un étranger encore plus étranger et sans nulle doute plus étrange avec la part d’effroi auquel confronte cette présence du perdu en chacun mais résolument, pour celui auquel il est donné d’en soutenir le creusement, du côté de la création et de l’émergence du sens.
Et maintenant, je conclurai ma conclusion par quelques-unes de tes paroles picorée au gré de ma lecture que je trouve vraiment très expressives :
« Éclairer l’ombre du point obscur, rendre celle-ci présente comme présence d’un énigmatique à jamais insaisissable à partir de la concentration lumineuse de la pensée - Le don de l’ombre entre le trait de la pensée qui bondit et file en avant, et le retrait dans le mouvement qui échappe, se retire, s’enfouit, rebrousse. C’est là le jeu de la pensée curieuse, inquiète, le jeu du furet. A chaque passage, celui-ci abandonne des restes, des traces, des signes. Et c’est bien l’écoute analytique à l’œuvre dans la séance que de se concentrer, dans son attention égale en suspens, à la façon de Freud, retiré dans le noir, le silence et la solitude, afin d’en guetter les surgissements erratiques. Car sans ombre, plus de jeu possible - Ne devient-on pas psychanalyste à partir de ce désir nostalgique d’actualiser le perdu... » ?
Et enfin, puisque nous sommes tout de même en Bretagne (alors c’est peut-être la conclusion de la conclusion de la conclusion) ces paroles du poète, écrivain, journaliste, Xavier Grall : « Ne vivent haut que ceux qui rêvent dans l’ombre – L’art n’est qu’une respiration haletante dans l’ombre d’un insaisissable. - Je m’en reviendrais, avec ma musette pleine de larmes, de livres et de rêves. Et à mon tour je dévorerai l’inconnu dans une ineffable et éternelle étreinte. Je m’en viendrai avec la souvenance des paysages et des peuples. Chanteront les mers, danseront les galaxies, tressailliront les peules.
Et puis, je ne peux m’empêcher de vous inviter à re -parcourir le poème de Paul Valéry « le philosophe et la jeune Parque » qui passe pour le poème le plus obscur de la poésie française et dont voici quelques vers :
« Mais je ne suis en moi pas plus mystérieuse que le simple d’entre vous … (dit la jeune parques)
Mortels, vous êtes chair, souvenance, présage ;
Vous fûtes ; vous serez ; vos portez tel visage :
Vous êtes tout ; vous n’êtes rien,
Supports du monde et roseaux que l’air brise,
Vous VIVEZ ….. Qu’elle surprise !...
Un mystère est tout votre bien,
Et cet arcane en vous s’étonnerait du mien ?
Que seriez-vous, si vous n’étiez mystère ?
Etc…
Je te remercie Ghyslain, je vous remercie tous de m’avoir offert votre écoute attentive.
Catherine Even - Le Berre
Le sujet adulte handicapé mental et psychique : un enfant-pas-comme-les-autres.
De l’aspect déficitaire à l’en-trop de la pulsion, un destin particulier.
Quel incident, quelle catastrophe, quel inavouable secret serait à l’origine de cet enfant ? De quel infantile à l’œuvre le sujet témoigne-t-il dans sa chair ? De quel sexuel est-il la forme ? Un sexuel qui affolerait et fascinerait tout à la fois. Un sexuel venu du fond des âges, brutal, bestial.
Le fantasme d’une scène primitive folle se noue autour de cet enfant abîmé, révélant une sexualité monstrueuse à l’origine du sujet. Sexualité déviante entre parents, témoignage des fautes de générations antérieures. Ce fantasme serait comme la trace d’une contamination d’infantile à infantile. Empreinte d’une collision-collusion entre infantile parental et infantile de l’infans.
Il y aurait, dans cet enjeu, l’infantile parental, transgénérationnel. Celui du parent au passif oedipien marqué du sceau de la transgression, rencontrant une sexualité adulte interdite, après avoir tué son rival. Parent qui lorsqu’il était enfant, a commis la double faute – inceste et meurtre - et dont l’acte impie déchaîna la colère des dieux infernaux. Le handicap dans sa filiation est signe de châtiment. Il est signe d’une punition pour un crime ignoré comme il en fut pour Œdipe, fils de Laïos, enfant meurtri puis prince abusé qui paya pour la séduction homosexuelle et violente de son père sur le jeune Chrysippe.
Le questionnement sur les origines, « Qui suis-je ? », « D’où viennent les enfants ? », « Comment fait-on les enfants ? » revêt, dans ce contexte, une forme particulière. Il s’articule à un questionnement autour de l’origine du handicap et devient « Pourquoi suis-je handicapé ? », « Comment fait-on les enfants handicapés ? », « Pourquoi m’as-tu fait handicapé ? », « Pourquoi m’as-tu mis au monde ? ». Il confronte le parent à sa culpabilité.
La question du sens de son handicap, c’est la question de Léa qui ne cesse de s’interroger ? Léa, à l’allure d’une petite princesse de porcelaine sortit d’un conte de fées... maléfiques. Léa et son visage d’ange à la peau diaphane, encadré de cheveux roux, ses manières séductrices, sa fine silhouette.
Cependant, le sentiment d’une « inquiétante étrangeté » nous saisit à son contact. Est- ce à cause de ce corps, tout petit corps, vêtu à la façon d’une poupée ? De ces pensées qui lui viennent et se figent dans un dire qu’elle rumine sans fin ? De ses ricanements insensés ?
Qu’est-ce qui se voit, se lit dans ce corps et témoignerait d’un indicible qu’il faudrait transformer, araser ? Que cherche-t-elle dans sa volonté lancinante à être opérée ? Que voit-elle dans la vitre du bureau où je la reçois et où elle essaie en vain d’attraper son reflet ? Que me demande-t-elle quand elle me questionne sans relâche, comme un disque rayé, sur ce que je vois, lorsque se rapprochant de moi, elle offre son visage à mon regard ? Qu’est-ce qui de la transmission d’une tare pourrait être corrigé dans ses fantasmes de chirurgie ? Utilisant une crème dépilatoire jusqu’à la brûlure et la plaie, elle interroge... Et si son corps se couvrait de poils ? Si elle devenait un singe ? Si elle devenait ce qu’elle imagine qu’elle est, « une-pas-pareille, handicapée » ? « Je ne suis pas un monstre, quand même !? » me questionne-t-elle, à partir d’une assertion autrefois adressée par sa mère pour la rassurer – « Tu n’es pas un monstre, ma fille ! » -.
Derrière la folie de cette nuit sexuelle, un interdit de transmission frappe l’enfant, qui le fige dans une activité libidinale prégénitale et sans fin. Le fantasme de filiation se consume dans la Bête qui sommeille au creux de l’enfant-monstre.
Un tableau se dessine peu à peu qui ne laisse aucune place aux retouches. L’enfant tordu est vécu comme part corporelle et psychique de l’adulte, il est excroissance du corps maternel. Il représente le trop, l’excès d’une sexualité monstrueuse et perverse. Il est investi par la mère comme objet phallique à la façon du fascinus cher au monde romain (1), sexe érigé dans toute sa superbe qui n’est pas sans rappeler l’origine bestiale de l’homme. L’objet erectus représente la pulsion sexuelle dans sa démesure. Devant le fascinus, l’on est fasciné. La fascination n’est autre que la pétrification qui s’empare des hommes et des animaux devant l’angoisse insoutenable. La fascination, c’est l’éprouvé et la transformation du corps qui précèdent la mort. La fascination conduit à la sidération. Elle a partie liée avec le fétichisme. Souvenons- nous dans le texte freudien (2), de cette expérience à travers la présence de ce « brillant sur le nez » (3), cet éclat, lequel érigé en fétiche par le sujet, provoque précisément un regard « fasciné » sur le nez ? Freud ne dit-il pas là toute la force du désir de voir, voir et posséder ? Ce point de contact du regard préserve le sujet de l’horreur de la castration. Il survient en défense face à l’angoisse de la confrontation au manque de phallus chez la mère et à la différence des sexes. C’est le corps du sujet, désinvesti psychiquement par la mère, qui est surinvesti à la façon du fétiche. Corps-phallus.
Ce « corps-phallus », c’est un peu de l’histoire de Célia. Une jeune femme enfermée en elle, déambulant au milieu du parc désert, chaque jour à la même heure, après la pose déjeuner. Célia au visage dysmorphique, les yeux hagards derrière de grosses lunettes aux verres embués. Toujours curieusement vêtue avec ses « kikis » de couleur, plantés çà et là sur la tête, dans des habits-peaux trop ajustés, trop colorés, trop mal assortis. Célia déguisée mais enveloppée. C’est l’histoire de notre incompréhension dans la façon rude et sans appel dont nous l’avons perdue. Rendue au père et à la mère qui la réclamaient à présent à corps-et-à-cris, persuadés de la sauver d’une folie dont les professionnels du foyer d’hébergement et les médecins de l’HP étaient à l’origine. Célia ne pouvait plus rien en dire, empêchée qu’elle était. Elle fixait le miroir, à la fois fascinée et atterrée par l’énorme langue qui tombait de sa bouche sans plus pouvoir y retourner. Célia fut plongée à nouveau dans la galaxie-mère, elle retourna au corps à corps maternel. Nous étions, quant à nous, détenteurs d’un « savoir » dont nous ne savions à présent que faire. À la maison, le père opérait du côté des soins du corps, lui rasant le poil au menton, lui coupant le cheveu, la lavant, la baignant ; la mère la prenait avec elle la nuit pour calmer ses angoisses. Une plainte fut déposée auprès du Procureur de la République, une enquête diligentée mais Célia ne revint pas...
Ainsi le handicapé fascinant est-il enfant-méduse. Il est l’enfant que l’on tue dans le fantasme mais il est l’enfant éternel de la réalité. Les vécus de sidération de la pensée, quand il paraît au monde, attestent du télescopage de la réalité avec le fantasme. L’enfant survit dans une temporalité interrompue qui écrase les fantasmes originaires désormais agencés autour d’un schème opérant comme unique organisateur, l’incestuel. Là où le fantasme parental est introduction de l’enfant dans le ventre maternel, dans l’utérus familial, comme pour se réparer et réparer le parent abîmé, l’incestuel règne en maître. Sans doute peut-on même soutenir cette inclusion de l’enfant dans l’objet séducteur maternel comme originaire et irréversible : donc pas de fantasme de retour à un ante qui n’a jamais existé. Porter cet enfant à l’intérieur de soi, l’incorporer, c’est le protéger d’un monde de terreur. C’est aussi se nourrir de lui dans une relation d’amour cannibale où chacun s’entredévore dans une emprise réciproque. Le fantasme parental d’avoir abîmé l’enfant produit une tyrannie infantile qui fait le lit de l’incestualité et ouvre à une inversion générationnelle. L’enfant devient « parent-enfant ». Mais la tyrannie infantile si elle témoigne de l’incestualité, est aussi œuvre de résistance, lutte éperdue contre la séduction narcissique maternelle. Chargé de préserver et magnifier le narcissisme maternel, le petit encensé deviendra l’in-sensé (4).
Aux origines de la vie de Viggo, de sombres pensées planaient autour de son berceau. N’y avait-il pas eu cette infection parasitaire pendant la grossesse de la mère qui refusa tout net une IVG ? Puis au 5ème mois, la chute au sortir d’un bus et celle dans l’escalier de la maison ? Puis le monitoring qui s’était arrêté de fonctionner et l’enfant sorti à grand-peine tout bleu de son ventre ? C’est ainsi qu’elle évoquait ce temps d’avant la naissance du fils puis leur rencontre. Elle avait désiré ce premier enfant mais elle disait aussi combien elle avait pensé le perdre, s’étonnant qu’il ait survécu et attribuant son handicap mental et ses troubles du comportement aux évènements indésirables qu’elle relatait. Et puis, niché au creux des pensées de Viggo, il y avait encore à ce jour, ce fantôme d’une sœur jumelle dont seul le garçon semblait avoir gardé le souvenir.
Le désir de faire disparaître cet autre si différent de soi trouve parfois sa parade dans l’attention extrême que prodigue l’objet premier dans l’après-coup de la rencontre. Viggo trouva sans doute une mère des premiers temps à la fois dévouée et débordée par la disponibilité sans limites que cet enfant souffrant exigeait d’elle. Un enfant – pas-comme-les-autres- violent, pleurant, tyrannique. Un enfant qui ne jouait pas. Un enfant sans langage, inséparé, collé au corps de la mère. Un enfant cependant qui n’avait de cesse – à toujours être là, dans son sillage - de vouloir la réparer dans sa déception de l’avoir eu, lui. Un enfant qui, lui aussi, demandait réparation.
Cette mère vint un jour me rencontrer dans l’institution qui avait accueilli son fils adulte, pour dire son exaspération, sa fatigue de leur lien. Et me parler de son amour et de sa haine pour ce fils cannibale. Le père venait de mourir soudainement, laissant l’une et l’autre désemparés. Elle lui avait dit comme pour le consoler : « Tu es à présent le pilier de la maison ». Il avait dit aux éducateurs, comme pour répondre à l’injonction maternelle : « Maintenant, c’est moi le chef, je remplace mon père auprès de ma mère ».
Que dire de la qualité du lien entre l’objet premier et l’enfant tors ? Le deuil originaire du lien primaire ne peut advenir. Sise dans une atemporalité infinie, la relation de séduction maternelle narcissique engage à un ordre libidinal a-pulsionnel, déconnecté du désir, donc du sexuel (5). L’organisateur de l’incestuel a tué le fantasme. Rien ne s’image, ne se représente, ne se fantasme. En témoigne la pensée blanche, vide du sujet comme de l’objet premier, pensée frappée d’un interdit qui porte sur une vérité. Sous le règne de l’ante-oeidipien, pas de fantasme qui puisse se déployer.
Parent et enfant, pris dans les rets de leurs infantiles confondus, ne peuvent entrer dans le temps de « l’ici et maintenant ». Ils sont à jamais prisonniers d’un présent éternel. Dans ce temps gelé, une symbiose secondaire s’est construite sous les traits d’une jouissance à deux.
La punition que représente en chair le handicap autoriserait-elle la transgression dans le registre du meurtre ou du sexuel ? L’enfant handicapé se confronte à la haine de l’objet parental et à la sienne propre à son égard (6). Il se confronte encore plus violemment qu’un autre à ces motions libidinales d’amour et de haine, à travers la séduction et le meurtre. Mais le déni de cette haine envers l’enfant, la négation des vœux de mort à son endroit, le refus de lui accorder le droit d’exprimer plaintes, accusations, l’érige en enfant éternel (7) à jamais « in-séparé ». Objet tyrannique, tyrannisé ou idéalisé et vécu comme objet grandiose, il révèle le traumatisme à travers ses effets : fantasmes de toute puissance chez l’enfant, ambivalence parentale portée par l’un de la fratrie, contre-investissement de la haine par le parent, inversion générationnelle caractérisant une position d’ « autorité dysfonctionnelle » (8) corolaire du fantasme d’avoir abîmé l’enfant, ...
L’un se vit coupable de la tare et dissimule son ressentiment sous une extrême sollicitude. L’autre se sent fautif du désastre narcissique qu’il inflige à l’entourage. Quelque chose s’entretient ... Et la culpabilité (9) se donne en partage pour le pire et le meilleur (10)…
Entre Marnie, adolescente obèse aux manières de caïd, et sa mère, femme froide et distante, c’est comme si rien n’était « à la bonne place ». Les regards, les corps disent autre chose que les mots qu’elles s’adressent. Marnie s’abîme dans des rencontres maltraitantes, échos d’une scène incestueuse qu’elle répète à l’envi. Ce qui s’est transmis du grand-père paternel et qui fut dénoncé par la mère, ne cesse de faire retour et vient se figurer dans le corps de la fille.
La mère, enfermée dans son ambivalence, s’évertue à défaire un cadre institutionnel jugé trop rigide, trop peu « autonomisant ». De sa fille, elle prétend qu’«elle est grande à présent, elle est adulte !! ». Comme pour prendre acte de cette condition nouvelle, elle lui propose des sommes d’argent considérables, lui paie des nuits d’hôtel avec des hommes, souscrit à toutes ses transgressions... Sa fille handicapée, « n’est-elle pas une adulte comme les autres ?! ». Le handicap peine à être reconnu. Mais les mots que la mère lance à l’enfant « monstrueuse » disent une autre réalité : « Tu me dégoûtes tant, tu vas me salir »... Ils racontent combien la transmission est passée par le corps de la mère.
Les femmes apparaissent à la fois collées mais rivales, - la fille ne vit-elle pas dans la peur que la mère ne séduise son homme du moment ? - solidaires mais ennemies ... proches mais si lointaines... Chacune croit venir en aide à l’autre mais toutes deux se répondent dans un même dégoût. " Grosse vache ! " hurle la mère devant l’image du monstre soudain (re)surgi. Devant ces scènes qui la glacent et devant bien d’autres encore, Marnie nous fait toujours la même réponse : « Si ça arrive, c’est que je le mérite ».
L’activité libidinale du sujet centrée sur des conduites masturbatoires et onaniques se développe dans l’investissement d’une zone érogène partielle, non spécifique. Lieu d’excitation, érotisé, l’enfant s’offre, en corps ouvert, jamais clos, constamment pénétré. Et se figure dans une impossible représentation unifiée. Tout juste peut-il se fondre en l’autre pour s’éprouver un peu en chair. S’il se sépare, c’est le risque de l’effondrement.
Aux temps adolescents, le traumatisme fait retour. Le sujet est confronté à son handicap sous une forme d’une extrême violence. L’attachement dans un lien adhésif qui l’unit à l’autre entrave le processus d’individuation et l’accès à une sexualité adulte intégrant la capacité à procréer. En lieu et place de la génitalité, les pulsions partielles règnent en maître. L’absence d’inscription dans la configuration œdipienne barre l’accès à la différence des sexes et des générations, ouvre la voie à une sexualité de type infantile, prégénitale, perverse. L’investissement corporel ne débouche pas sur une représentation du Moi intégrée. La masturbation apparaît comme tentative de se constituer une enveloppe pour échapper à des éprouvés de dissolution, de morcèlement. Sans orgasme, elle est pure activité infantile. Elle résonne en écho à un fantasme d’auto-engendrement et d’emprise absolus.
Quand le sujet rencontre le corps de l’autre, c’est comme objet à manipuler dans un lien d’emprise. L’autre comme un réceptacle qui absorbe le sujet, dans une envie impérieuse d’échapper au drame qu’il incarne. Ce sont les sensations au creux du corps qui l’empêchent de disparaître. C’est l’organe réveillé par l’excitation qui le maintient vivant. La sexualité en actes revêt les oripeaux des pulsions partielles à travers des sensations intra-corporelles. Peu d’exploration de l’autre différent de soi. Le sujet ne se suffit-il pas à lui-même ? Masturbation narcissique, masturbation de l’autre par soi non comme recherche du plaisir mais comme stratégie pour se garder, s’éprouver vivant, éviter le vidage et l’effondrement de l’être, du corps. Pas une relation d’altérité mais le surgissement, le maintien de la vie dans une relation spéculaire.
Eddy aime à montrer que sa vie est celle d’un jeune homme de son temps, du moins le pense-t-il. Il apprécie de s’entourer de jeunes de son âge. Il aime sortir et s’amuser. Il participe volontiers aux activités proposées. Pourtant, derrière ce grand gaillard aux allures de gros dur se cache un petit garçon énurétique, qui rote, pète, braille et n’en finit pas de solliciter l’adulte. Rien ne semble aller de soi dans sa rencontre avec l’autre. Et les histoires d’emprise autour des corps qu’il touche et tente d’explorer se répètent au fil de ses rencontres féminines ou masculines. Il transforme une scène, celle d’un état amoureux partagé à deux en une autre, publique, obscène et dérangeante. Lui, plongeant la main entre les jambes de son amie lors d’un voyage en métro, l’embrassant à pleine bouche, la tripotant de toutes parts. Pas de lieu de l’intime – il n’est pas construit - mais quelque chose qui se donne à voir et à entendre comme pour prouver combien on sait faire comme les autres, on est bien de ce monde- là... celui des hommes. Et les mots qu’il lance à la cantonade dans ces instants de débordement viennent décrire l’acte et participent de l’excitation qui l’envahit.
La zone érogène la mieux investie? La bouche. La bouche comme premier organe d’exploration du monde, la succion référée à la tétée, procurant apaisement et quiétude. Mais aussi la bouche comme lieu d’avidité, d’engloutissement, de dévoration. Enfin la bouche comme siège de la voix en tant qu’objet pulsionnel. L’objet voix comme ce qui tente de « porter la présence du sujet dans son dire » (11). Et de la bouche, les mots qui sortent comme des outils de découverte et d’appropriation du monde. Les mots ont aussi valeur incantatoire, ils sont formules magiques. Dans sa crudité (12), le langage articulé témoigne du traitement anal de la pulsion. Les mots-insultes, mots-invectives, «gros mots», disent quelque chose d’éprouvés bruts. Ils offrent une exploration du corps, une expérimentation de la relation à l’autre dans sa dimension érotique. Dotés d’une fonction « excitatoire », ils font éprouver ce que « ça » fait dans son corps de les prononcer. Ils rendent compte de questions fondamentales : « Qu’est-ce que la sexualité ? », « Qu’est-ce que je suis ? », « Garçon ? », « Fille ? », ... Ils disent la confusion des genres, la confusion des sexes. Dans leur fonction sociale, ils permettent de marquer un territoire, de définir une appartenance à un groupe. Il y a une jouissance collective à utiliser le langage dans sa dimension transgressive. Un langage, emprunté au registre du sexuel, comme tentative de maîtriser un monde hors de soi, une terre hostile. Comme tentative-illusion de quitter le monde infantile pour accéder à celui d’une sexualité adulte.
Mais parfois le langage n’y est pas. Et le corps vidé de mots, animé de comportements érotiques débridés, masturbatoires, exhibé dans l’institution comme dans le socius, nous révèle avec force une part de soi cryptée, rejetée : le corps pulsionnel en état de jouissance qui évoquerait nos origines instinctuelles, animales, nos origines d’avant l’avènement du langage. Ainsi, du verbiage au mutisme, les modalités expressives engagées attesteraient d’une difficulté fondamentale à habiter subjectivement le langage.
La vérité sur « la chose » en tant qu’ « avoir ou être cet enfant-là » est vécue comme intolérable. Elle révèle la transgression sous les fantasmes sexuels, incestueux, meurtriers à l’égard de l’enfant. À peine pensée, elle est déjà frappée d’un interdit de savoir. L’enfant, pris dans les rets de l’injonction, peine à investir le langage, sombre dans l’inhibition, s’enferme dans le mutisme. Lorsqu’il perçoit l’enjeu de vie ou de mort que ce savoir revêt pour l’autre, il n’a d’autre choix que de taire sa curiosité. Et le désir, confronté à l’objet séducteur, n’en finit pas de se tarir. L’enfant devient fétiche. C’est le statut du fétiche que d’être dépossédé de son désir. Et le parent, pour survivre à sa propre culpabilité, n’a d’autre voie que d’enterrer, chez l’enfant-chose, toute velléité de questionnement, toute tentative de problématiser le monde.
L’autre maternel peine à reconnaître la part de soi qu’incarne « le monstre » sorti de ses entrailles. Le reconnaître, n’est-ce pas devenir monstre soi-même, pareil à Médée ? Médée et ses enfants, qui jouent aux osselets, préfiguration de l’amas d’os qu’ils deviendront. Médée qui hésite encore devant l’acte contre-nature qui portera sa vengeance au plus haut : tuer ses deux fils. Le méfait accompli, la mère infanticide enfonce l’épée au creux de son sexe, asséché pour l’éternité qui reste à vivre ...
Mais le meurtre de l’enfant tors, ce n’est pas tant le fait de tuer cet enfant-là que d’effacer ce dont il témoigne, ce dont il est la preuve ... Le châtiment effacerait-il le crime ??Ce qui serait en jeu chez l’autre maternel serait peut-être moins l’horreur de l’acte que le surgissement d’une voluptas, d’une jouissance abominable et perverse, née de l’incapacité d’en finir avec le désir d’indifférenciation...
Pour la mère, le déni de l’origine bisexuée de l’enfant, la toute-puissance et l’illusion devenue comme réalité de l’in-séparation. Pour l’enfant, l’expérience d’un monde clos «dé-fantasmatisé », d’une Galaxie-mère où il est, tout entier, enclos dans cet autre maternel. N’entend-on pas chacun, perdu dans son illusion, murmurer : Ô toi ma mère ! - Ô toi mon enfant ! -, Unique objet de ma fascination ! ? C’est l’histoire d’une idolâtre et de son idole. Pas de sexuel, pas d’Autre mais, à travers la contemplation de soi, le triomphe du narcissisme absolu au service de la pulsion de mort.
Christine MATHONNAT - Mai 2015
(1) Pascal Quignard traite dans son texte Le Sexe et l’effroi (1994) de l’érotisme effrayé du monde romain. Jamais le terme de phallus n’est utilisé en latin. Les Romains préfèrent le terme de fascinus, là où les Grecs parlent de phallos.
(2) Freud, « Le fétichisme », in La vie sexuelle, (1927), Paris, 1969, PUF, p. 133-138.
(3) Ibid, p. 133. Brillant en allemand se dit Glans; Glance en anglais signifie Regard. Patient allemand élevé dans une nurserie anglaise, venu ensuite en Allemagne et oubliant sa langue maternelle. Le brillant a le sens du mot dans l’enfance ; il signifie regard.
(4) Cf. P-C Racamier.
(5) Il importe de distinguer séduction sexuelle (cf théorie freudienne : un adulte séduit un enfant) et séduction narcissique (incestualité « normale » cf 1ers soins maternels).
(6) Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, (1947), Paris, Payot, 1971, p. 72-83 :?« J’émets l’hypothèse que la mère hait le petit enfant avant que le petit enfant ne puisse haïr la mère et avant qu’il puisse savoir que sa mère le haït », in La haine dans le contre-transfert ».
(7) Simone Korff-Sausse, Figures du handicap, p. 48.
(8) André Carel, in Groupal, n° 10, pp 7-38.
(9) A. Ciccone, Fantasme de culpabilité et culture familiale, in Famille, culture et handicap, Toulouse, Erès, 2013, p. 64
(10) M. Klein, 1950, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1984.
(11) J-C. Maleval, L’autiste et sa voix, Seuil, 2009.
(12) « Le caca-boudin ».
PAR QUELS CHEMINS LA PETITE FILLE DEVIENT FEMME ET MÈRE À LA FOIS ?
Pour commencer une assertion de Samuel Beckett qui est dirais-je un défi lancé aux psychanalystes et particulièrement à mon équipe et moi-même dont le fil rouge depuis plusieurs années est l’écoute. Je vous la livre : Se taire et écouter, pas un être sur cent n’en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie. – Samuel Beckett
Il faut bien le dire, malgré l’expérience avérée, des points noirs persistent. Mais pas seulement. D’autres éléments sont à prendre en compte.
Suivre les chemins par lesquels la petite fille devient femme et souvent mère met au cœur du débat plusieurs couples d’opposés : le masculin et le féminin, la mère et l’infans, le sexuel et le maternel. C‘est dire si les rejetons des relations précoces mère enfant seront multiples et nombreux. Et que la fillette les trouvera au cours de sa construction de femme et de mère quand elle le devient.
Nous avons tenté de les débusquer.
Déjà, quand Freud soutient que la libido est de façon régulière masculine (-1905- Trois essais sur la théorie sexuelle – NRF, p.161) et demande de reconnaître qu’au stade phallique, « la petite fille est un petit homme » (1915- Nlles conférences- NRF, p.158) on est désorienté. Et même si on reconnaît avec lui, qu’au stade anal la petite fille ne témoigne pas moins d’agressivité que le petit garçon, il est observable que, très tôt, elle se distingue de lui. Mais selon sa théorie phallocentrique Freud développe l’idée que garçon et fille traversent de la même manière les premiers stades de la libido. Le clitoris bien que plus petit, sert à la fille d’équivalent du pénis et le vagin, qui la spécifie, n’est encore découvert ni par elle ni par le garçon.
Vous le savez, ces théories freudiennes sur la sexualité féminine ont donné naissance à deux courants opposés : celui qui croit au vagin et celui qui n’y croit pas.
Aujourd’hui d’éminents travaux tels ceux de Monique Cournut-Janin, Florence Guignard et de Jacqueline Schaeffer, pour ne citer que ceux-ci, ont permis des avancées considérables pour aborder la sexualité féminine autrement. D’une part, par la prise en considération de l’attachement préœdipien de la fille à la mère et d’autre part, par l’abord du masculin et du féminin comme des qualités psychiques et non biologiques.
Un premier fait aujourd’hui admis est que le féminin et le maternel constituent lors de la relation primordiale mère infans un bain d’affects dans lequel fille et garçon se trouvent immergés. Pour s’en séparer et se différencier tous les deux devront s’en détourner, mais ils ne rencontreront ni les mêmes obstacles ni les mêmes apories. C’est que la différence de sexe entre elle et son fils renvoie la mère à la loi du père et la rassure, tandis que la similarité avec celui de sa fille la met face à elle-même, en danger.
Si l’on admet que la femme est dans la mère et la mère dans la femme on acceptera que ce soit son féminin qu’elle transmet. Pour comprendre comment la fille devient femme et mère souvent, il nous faudra, donc, examiner les perturbations narcissiques et libidinales issues de leurs toutes premières relations.
On ne peut s’empêcher de penser à la culture qui marque de son sceau les schémas de pensée et la psychanalyse aussi bien. Force est de constater que la grande majorité des parents investit beaucoup mieux le garçon que la fille. Car le garçon vient confirmer leur narcissisme phallique ou, pour le moins, le conforter ; tandis que la fille sera celle qui réactive leur première blessure narcissique la perte de leur moi idéal : la toute puissance infantile. Elle les blessera d’autant plus, que mère et père ne se trouvent assurés ni de leur narcissisme ni de leur identité sexuelle.
Et, c’est depuis la nuit des temps que la littérature masculine clame la suprématie de l’homme sur la femme, tandis que la littérature féminine bruit des souffrances éprouvées par le fait, quand ce n’est pas la faute, d’être née fille. Sur nos divans, ce sont les blessures qui entravent le sentiment d’être et le goût de vivre que nous entendons s’exprimer.
En voici quelques unes:
« Il a suffi à mon frère de paraître pour être aimé »,
« Pour ma mère je suis transparente »,
« Sans pénis, je n’étais rien pour ma mère… Avec l’arrivée de mon frère, je n’ai plus existé!»
Or, la polysémie de la vie fantasmatique inconsciente des hommes et femmes donne à percevoir la quête du phallus idéalisé du père mais tandis que les hommes tentent de s‘extirper du giron maternel, les femmes n’ont de cesse d’être reconnues dans leur intégralité : au libre exercice de leurs aspirations personnelles et à la jouissance d’une sexualité pleine et entière.
LA TRANSMISSION DU NARCISSISME ET DU PULSIONNEL
L’investissement narcissique parental qui a donc partie liée avec le sentiment d’exister du petit d’homme me fait considérer que le premier de cet investissement est anténatal. Et qu’à ce moment il s’agit d’un narcissisme représentant de la libido du moi et pas encore de la libido d’objet.
Il me semble que la psychanalyse ne s’est pas intéressée à ce tout premier investissement anté natal qui préfigure celui de l’infans. Et si avec Freud nous concevons que l’organisation libidinale trouve ses racines dans le narcissisme primaire (« Pour introduire le narcissisme »), nous pensons que ces racines plongent dans la psyché maternelle anté et post natale. N’est-ce pas avec cette même psyché que la mère dispense soins et caresses à son bébé et qu’elle est sa première séductrice par le sens énigmatique qu’ils revêtent?
Dès lors ne peut-on considérer que par leur biais, sont transmis au bébé les fantasmes inconscients de la mère mais aussi ceux du père puisqu’il est présent dans la relation ?
On peut objecter qu’il est difficile de comprendre comment un contenu psychique inconscient passe d’une génération à une autre ? Comment des éprouvés et des conduites se reproduiraient à l’identique, sur plusieurs générations quand, secrets et désirs insatisfaits sont scellés, inavoués.
Haydée Faimberg avance que, dans le télescopage des générations, il y a une identification narcissique que l’on repère dans le transfert. Selon elle, un investissement narcissique massif empêche l’enfant de se distinguer et de se séparer. Il me semble que l’expression « narcissisme massif » laisse entendre un narcissisme de mort tel que A. Green l’a décrit. Ce serait alors un narcissisme clivé de la maturation pulsionnelle (B. Grundberger) qui fait obstacle à l’altérité, à la reconnaissance de l’autre semblable et différent à la fois. Autrement dit, un narcissisme expansionniste qui fait barrage aux capacités de différenciation et de séparation de l’infans et le maintient dans la fusion.
Dominique Guyomard qui a introduit la notion de « narcissisme du lien » invite à mieux comprendre ce qui se passe lors de cette première expérience sensorielle préverbale mère-infans. S’instaure, soutient-elle un narcissisme du lien porteur de la mémoire d’une jouissance oubliée. Celle-là même du bébé qu’elle a été et qui vient se réactiver par la mise au monde du sien. Un lien d’une séduction partagée qui doit être éphémère pour être structurant et donner naissance à l’objet. Ce qu’elle appelle « l’Effet Mère ». Un « Effet Mère » qui se répète de génération en génération.
Il s’agit là d’un plaisir réciproque éphémère et que la perte n’est pas celle de l’objet mais celle de la relation. J’ajouterai que ce lien peut avoir lieu sans plaisir partagé et que dans les deux cas ce narcissisme du lien préfigure le temps de l’homosexualité primaire. Lequel, ainsi que je l’avance plus loin, ouvre la voie à l’organisation narcissique et libidinale du sujet. Construction dans laquelle toutes les instances sont l’une à l’autre liées.
Aussi, un lien précoce mère-infans trop érotisé ou, à l’inverse clivé de libido aura des conséquences néfastes sur le féminin de la petite fille. Pour le dire vite, sur son identité sexuelle (et tout autant sur celle du garçon).
Je vous propose deux vignettes qui me paraissent significatives des deux cas de figure :
- Le cas d’un trop de séduction maternelle :
Est celui d’une jeune femme, troisième fille consécutive d’une fratrie de quatre dont le frère est arrivé après elle.
Elle vient me trouver aux alentours de ses 28 ans parce qu’elle est rejetée, abandonnée, pas aimée. Ni de son directeur de thèse, ni de son ami et moins encore de sa mère. Au moment de son engagement dans l’aventure analytique elle me « lance » d’entrée : « Je viens de rompre avec mon ami pour venir chez vous ».
Au moment où j’écris cela, me revient la menace faite à Don José par Carmen, dans l’Opéra de G. Bizet (Prosper Mérimée) : «mais, si je t’aime prends garde à toi ». La sienne, celle de partir, de me quitter, si je ne l’assurais de toute ma disponibilité ne tarda pas à venir.
Se sachant entendue, sans doute pour la première fois, séance après séance, elle parlait sans s’arrêter. Par là, elle me signifiait son besoin de reconquérir son intégrité narcissique et de se sentir exister. Dans son discours venait au jour une haine passionnelle pour sa mère. Haine passion qu’elle rejouait sur la scène de ses relations et qu’elle me faisait vivre dans le transfert. Chemin faisant le sentiment de ne pas être écoutée, d’être transparente, de ne pas exister aux yeux de sa mère a pu être relié à une séduction maternelle inadéquate. À une mère excitante et non contenante. Coupable, en la mettant au monde, d’avoir privé son père d’un garçon. Lui présentant ce père méprisable et violent. Une mère empêtrée dans la confusion des générations qui avait fait de sa fille la confidente de ses déboires sexuels. De fait, une mère plus femme que mère.
Le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, le déséquilibre entre les investissements narcissiques et les investissements libidinaux des deux imagos parentales venaient faire barrage à l’identification au masculin et au féminin de la petite fille qu’avait été cette jeune femme. Trop excitant, l’objet mère la maintenait dans une relation soumise à sa toute puissance. En rendait compte, la haine qu’elle lui vouait.
C’est au décours de ses associations et leur élaboration que la menace proférée au début de notre rencontre prit son sens.
- Du conflit entre le désir de se détourner du lien premier et celui de le retrouver.
- De son besoin impérieux d’être reconnue dans sa totalité de femme et de trouver un espace pour se rêver.
Dans le cas d’un lien NON ÉROTISÉ, voici ce qu’écrit Nathalie Rheims dans son livre « Laisser les cendres s’envoler » paru en 2012 (Ed, Léo Scheer, son mari):
- « J’ai perdu ma mère. Elle a disparu il y a plus de dix ans. Ma mère est morte, je le sais. Mais, lorsque j’y pense, je ne ressens aucun chagrin, pas la moindre émotion. Tout reste plat comme une mer gelée, pas un seul petit frémissement à la surface de l’eau. Quand je pense à elle, il ne se passe rien ».
« Le rien de cette relation est devenu chez moi aussi profond que l’absence de désir d’enfant. Impossible de m’imaginer donnant la vie. À sa façon, ma mère s’est enfuie avec la mienne, me laissant sans réponse face au froid qui s’installe à sa seule pensée »
FéMININ – MASCULIN ET FÉMININ - FÉMINITÉ : UNE NÉCESSAIRE DISTINCTION
Le couple masculin-féminin Freud le signifie au stade génital, au moment de la puberté quand il situe la différence des sexes. Autrement dit quand les premiers rapports sexuels peuvent se réaliser. S’il en est ainsi, faut-il comprendre l’accès au masculin et au féminin par les seules données biologiques ? Evidemment non. Mais, selon Freud, c’est en ce temps tardif que le féminin se distingue du masculin.
Or, si on admet que l’investissement narcissique sexué s’effectue, ainsi que je le soutiens, avant la naissance par les deux parents, qu’il est inégal pour la fille et le garçon, on pourra avancer dans l’idée que c’est avec ce premier investissement que le féminin et le masculin maternels entrent en une subtile dialectique avec le bébé dès leurs toutes premières relations. Et que c’est en étayage sur cette première matrice qu’il traversera tous les stades de son développement.
Le féminin qui nous importe ici serait donc un processus qui commence dès la première rencontre mère fille, relié de facto à l’investissement anté natal. Il est une construction psychique, invisible pourrait-on dire, qui se poursuit toute la vie. Ses caractéristiques prendront la forme de la féminité qui, elle, se donne à voir. Discrète et harmonieuse elle le parfait. Bruyante, grinçante à l’allure phallique, elle constitue une défense. Contre la castration, l’angoisse du féminin.
Quant à la libido que Freud soutient être masculine, n’est-elle pas le substrat de la pulsion sexuelle comme lui-même le dit et qu’il définit par une force, une poussée constante ? Le terme allemand Trieb signifie poussée. (1915, Pulsions et destin des pulsions). Poussée constante qui ne pouvant être totalement satisfaite réitère le désir qui spécifie l’humain.
Y aurait-il un substrat féminin et un substrat masculin de la pulsion ? Si c’est le cas peut-on les distinguer ?
Mais comme la sexualité humaine est une psychosexualité où le féminin et le masculin s’opposent ou s’intriquent, constituant la bisexualité psychique, l’analyste aura à interroger le féminin, et tout aussi bien le masculin, en termes d’investissements narcissiques et en termes d’identifications.
LE PLAISIR D’ÊTRE FEMME ET L’homosexualité primaire
L’abandon par Freud lui-même de l’identification primaire avec le père de la préhistoire pour celle avec les deux parents a permis des ouvertures nouvelles vers l’instauration de l’identité sexuelle de la fille et du garçon. La notion d’homosexualité primaire dont Freud ne parle qu’une fois dans toute son œuvre me paraît à ce titre essentielle. Car cette expérience, considérée par Evelyne Kenstemberg comme le deuxième temps et l’aboutissement de l’identification primaire et par Annette Fréjaville comme le moment fondateur de l’identité sexuelle marque un changement de nature dans la relation mère enfant.
Après la fusion du contenu et du contenant, l’indistinction des affects de la vie fœtale, c’est dans les bras d’une mère suffisamment bonne que le bébé partagera une relation de plaisir réciproque. Durant ce temps de jouissance commune il pourra s’éprouver tantôt objet auto-érotique tantôt « partenaire amoureux » (E. Kenstemberg). Dans son rapport à l’autre identique prévaudra la part auto-érotique tandis qu’à l’autre semblable mais différent, ce sera l’investissement libidinal qui primera. C’est alors que dans son économie psychique un changement interviendra. L’alternance de l’identique et de l’altérité permettra l’accès à un début de travail du deuil de l’objet, l’inhibition de la pulsion quant au but établira la relation de tendresse, par la distinction du courant tendre et du courant hostile. Cette alternance dans l’économie psychique fera émerger l’éprouvé de tendresse.
Force est de constater qu’il est, le plus souvent, méconnu par les femmes qui se trouvent sur nos divans.
L’homosexualité primaire est donc envisagée comme un tournant dans la vie psychique et comme assise structurante des identifications secondaires et de l’organisation du moi. L’identification au même, donne la possibilité de se projeter sur le double narcissique garant de l’identité sexuée tandis que l’identification au différent permet d’accéder à la potentialité du masculin et du féminin.
La fille, pour s’identifier à la mère qui est l’objet d’amour du père, et au père qui aime la mère, devra être assurée d’un double investissement narcissique : de la reconnaissance sexuée et par la mère et par le père et que, tous deux, s’en réjouissent réciproquement.
Cette double identification donnera à sa sexualité une nouvelle assise et un sens différent :
- L’identification au corps féminin de la mère désiré par le père ne sera plus celle d’un corps châtré, mais celle d’un corps qui accueille et qui contient.
- L’identification phallique au père permettra, elle, de surmonter l’angoisse de castration.
Ainsi, la fille pourra continuer à s’identifier à sa mère qu’elle sait douée de grands pouvoirs : elle fait les bébés et c’est elle qui l’a portée. Il lui reste, cependant, à apprendre qu’elle l’a faite grâce à la séduction qu’elle a su exercer sur son père et, qu’elle y est parvenue par la réalité de sa castration. C’est alors, qu’elle pourra se réjouir d’être une femme comme sa mère et fière du double pouvoir de séduire un homme et, par sa castration même, porter des bébés.
Est-ce pour nous surprendre que Niki de Saint Phalle symbolise dans ses sculptures le couple parental par des formes clownesques ? Une petite tête dans un corps aux formes extravagantes pour la mère et un homme deux fois plus petit qu’elle pour le père, lui tenant la main ?
Vous le savez, Niki de Saint Phalle a été abandonnée très tôt par sa mère à ses grands-parents et abusée violée par son père, à l’âge de onze ans.
Quant au garçon, il pourra s’identifier à son père en tant qu’objet primaire au sens d’homosexualité primaire, objet de fascination détenteur d’un pouvoir narcissique phallique dans la mesure où la mère le lui reconnaît.
Est-ce un hasard si Léonard (de Vinci) qui, selon les auteurs, aurait fait de la prison pour homosexualité, nous présente dans son sublime « Sainte Anne » une famille sans père ?
Cette description quelque peu théorique permet de saisir la valeur structurante de cette expérience d’homosexualité primaire. Spécifiquement pour la fille dont la similarité de sexe met la mère en difficultés pour un comportement souple d’amante et de mère à la fois.
Si donc le féminin et le masculin sont les deux termes d’une différence en construction comme j’espère l’avoir démontré, le féminin se distingue du masculin par son double destin. De féminin érotique et de féminin maternel.
LE DOUBLE DESTIN DU FEMININ : FEMININ ÉROTIQUE ET FEMININ MATERNEL
Liliane Abensour soutient qu’une mère, cela n’existe pas. Elle préfère le terme d’objet à celui de mère car, dit-elle, l’objet étant au delà du maternel, il évite bien des difficultés. Si cette approche différentielle semble intéressante pour l’analyse du transfert et du contre transfert, il me semble que pour notre propos, nous ne pouvons faire l’impasse sur le lien du maternel avec le pulsionnel. Car, quand bien même le comportement maternel se traduit en tendresse étayée sur des qualités pare-excitantes et des capacités de rêverie, les fantasmes de la mère sur le corps sexué de son bébé auront partie liée avec son investissement libidinal et ses propres théories sexuelles. Est-il pensable, en effet, que toutes les transformations corporelles de la petite fille devenue femme et mère n‘ait pas d’incidences sur sa psycho sexualité et sur ce qu’elle transmet ?
Ce qui complexifie les mouvements identificatoires de la fille c’est l’identité de sexe avec sa mère, ainsi que je viens de le dire, et que ce sexe est le lieu d’un double impur.
« L’Origine du Monde » de Courbet est explicite : il est à la fois lieu d’origine (du monde) et lieu de jouissance. Un seul et même lieu pour jouir et engendrer voilà le scandale !
Nous avons là, la source de la l’angoisse de pénétration et du fantasme incestueux. Fantasme explicité par J. Schaeffer du fait « Que la mère puisse jouir avec son amant dans le même lieu où elle a joui avec son enfant, et que ce sexe soit semblable à celui de sa petite fille ». (De mère à fille : l’antagonisme entre maternel et féminin)
Fantasme qui, dans un retournement en son contraire a donné naissance, si j’ose dire, dans la religion chrétienne à une mère « Vierge conçue sans péché ». Qu’elle soit magnifiée et adorée par plus de 3 milliards d’hommes et de femmes de par le monde ne saurait étonner.
Si donc, l’organe sexuel féminin a la potentialité de jouir et de procréer tout à la fois, ne faudrait-il pas faire une distinction entre la femme et la mère, entre la mère et le comportement maternel?
Il me semble que c’est dans ce sens que M. Fain et Denise Braunschweig et à leur suite F. Guignard et J. Schaeffer insistent sur la nécessité dans le comportement maternel de refouler la pulsion sexuelle qu’ils appellent par le terme heuristique de « censure de l’amante » ou mieux encore de « bascule » : un mouvement d’oscillation et non de clivage.
Un comportement de mère basculant avec souplesse entre des mouvements sexuels d’amante et des mouvements de tendresse maternelle renvoie explicitement aux processus secondaires, à la liaison de la pulsion et à son intégration dans le narcissisme. C’est dire qu’être mère le jour et amante la nuit est une acquisition et non une donnée. Un processus par lequel la fille devenant femme accepte son féminin dans sa plénitude et se réjouit de sa fonction de mère. Une organisation psychique donc, suffisamment souple qui alterne entre la tendresse et l’érotique entre l’amante et la mère. Une mère à même d’avoir un comportement maternel sans le fantasme incestueux.
Aussi, si la transmission se passe de mère à fille comme je le pense c’est, équipée des fantasmes générationnels préœdipiens et œdipiens plus ou moins élaborés, que, l’économie psychique maternelle entrera en interaction avec celle de sa fille. Une mère, encore fixée à ses liens précoces maternels, au féminin non intégré à son narcissisme, toujours déçue de son manque phallique, fonctionnant en clivage de l’érotique et de la tendresse, qui pose sa fille en rivale, pourrait-elle, et comment, être une messagère de l’attente amoureuse ? Car la fille attend l’accomplissement de son féminin par son Prince charmant. (J. Schaeffer, « La Belle au Bois dormant »).
La fille en effet passe sa vie pourrait-on dire à attendre. Elle attend la poussée de ses seins, la venue de ses règles, la jouissance amoureuse… Elle attend de porter en elle des bébés et les mettre au monde.
Et si de nos jours les pères participent au « maternage » du bébé, ce qui lui permet d’établir un début de différentiation entre les deux parents, le lien à l’objet mère reste spécifique en ce qu’il est la continuité de l’investissement premier et que l’idéalisation narcissique le constitue. Lien à jamais perdu et sans cesse cherché. Je dis bien lien et pas objet.
Ce qui me paraît essentiel, dans la mise en œuvre d’un processus féminin projeté vers le futur et d’un maternel harmonieux, c’est la régulation de l’érotique et de la tendresse dans le comportement maternel.
Une mère suffisamment bonne est messagère de l’attente, dit J. Schaeffer. Elle le sera, selon moi, si elle est aussi, suffisamment séductrice.
S’il en existe, ce ne sont pas les filles de celle-ci qui se trouvent sur nos divans.
Ce qui apparaît chez celles qui nous occupent, ce sont les avatars consécutifs à la relation primordiale préverbale de chaque histoire :
- L’absence de tendresse est le manque le plus partagé entre la fille et le garçon : La tendresse ? Je ne sais pas ce que c’est, répondent-ils à mes propositions.
- Le besoin d’être reconnue dans sa totalité est le plus représentatif de la fille. Il est d’autant impérieux que la réalité du corps maternel sexué reste un savoir refoulé et par la mère et par la fille.
- Le silence maternel sur son corps sexué est la source d’un refoulement, de la dénégation du vagin et non sa méconnaissance comme Freud le dit.
Un autre rejeton de l’inconscient maternel transmis à sa fille est celui d’un féminin marqué par la soumission et UN SENTIMENT LATENT d’infériorité vis-à-vis des garçons. Ainsi,
- Sylvaine mère de deux filles comme sa mère, a choisi un deuxième mari représentant de son manque phallique idéalisé. Sa plainte réitérée est celle d’être méprisée, non considérée, pas aimée. Dans sa famille dit-elle, les femmes ne parlent pas, n’ont pas le droit à la parole. Et c’est lorsque l’analyse mit au jour une culpabilité liée à la place qu’elle occupe dans la triangulation œdipienne où la femme-mère est soumise à un père violent, qu’un travail de différenciation et de séparation avec l’objet mère a pu commencer.
* * *
Penser le féminin, l’appréhender dans son double destin érotique et maternel a été un travail interactif de toute l’équipe. Le mien passe par l’analyste femme que je suis. Par mes expériences et mes théories féminines. Et si Freud a construit son « monisme phallique » à l’aune de son inconscient, je considère que c’est la traversée psychique de l’histoire intime de soi-même et son élaboration continue qui conduit à savoir se taire, écouter et entendre pour interpréter.
Et même, si dans sa fonction d’analyste la femme reste femme elle n’est certes pas l’analogon d’une mère suffisamment bonne.
Recourir au tiers, au père séparateur est le garant de la dynamique du processus analytique. Le but étant, selon moi, de lier les antagonismes pulsionnels en plus d’aimer et de travailler.
La question reste celle-ci : Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Marie-Thérèse MALTESE-MILCENT
29 novembre 2014
Résumé :
Contrairement au garçon, la fille est marquée par le même sexe que sa mère. Cette identité de sexe et la nature narcissique de l’investissement maternel et paternel ont des conséquences psycho-sexuelles sur son devenir de femme et, de mère quand elle le devient. Elles suscitent des interrogations, ouvrent des chemins pour penser la transmission du féminin et le maternel autrement.
Plusieurs questions sont abordées dont deux essentielles :
- Y aurait-il un narcissisme du lien à différencier de celui de l’objet ?
- Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Bibliographie :
- S. Freud, 1915, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Paris.
-1931, La vie sexuelle, PUF, Paris.
-1933, La féminité, in Nouvelles Conférences, Gallimard, Paris.
- F. Guignard, Mère et fille, In Press, Paris.
- D. Guyomard, L’effet-Mère, PB de P, PUF, Paris. J. Laplanche, Vers la théorie de la séduction généralisée, PUF, Paris.
- J. Schaeffer, - De mère à fille : L’antagonisme entre maternel et féminin, in Press, Paris, 2002.
- La Belle au bois dormant, Comment le féminin vient aux filles ? in Le refus du féminin, PUF, Paris, 1997.
À L’ÉCOUTE DU MASOCHISME
C’est au cours d’un travail sur l’écoute que s’est imposée la nécessité d’interroger la théorie freudienne sur le concept de masochisme, autour de ce plaisir du déplaisir qui le constitue. De mettre en commun et d’élaborer notre écoute psychanalytique.
Apparaît un masochisme repérable comme fait clinique au-delà d’une organisation psychique singulière. Un masochisme constitué par des éléments symptomatiques caractérisant une subjectivité fragile, un mode d’être disqualifiant le Moi avec l’émergence d’une détresse souvent sans lien direct avec la réalité : passivité face à l’agression extérieure, auto reproches, sentiments de honte, conduites d’échec, crainte de l’inconnu, tentatives de maîtrise donnant à entendre d’énigmatiques tendances masochiques en contradiction avec le principe de plaisir. Autrement dit, des modes d’expression d’une forme de masochisme et non d’un masochisme unifié originaire, comme l’instaure Freud en 1924. (Le problème économique du masochisme in Névroses Psychoses et perversions, PUF).
La conception freudienne d’un masochisme unifié originaire interroge :
- Peut-on unifier ces différents modes d’expression du masochisme en le ramenant à Un masochisme essentiel ? Comment résoudre cette aporie, ce plaisir issu d’un déplaisir quand le principe de plaisir domine les processus psychiques ? Freud a bien tenté d’y donner une issue par le recours à la pulsion de mort en 1924 (évoqué plus haut). Elle n’a pas empêché, déjà en 1931, ce cri du cœur à S. Ferenczi : « voilà encore ce maudit problème du masochisme ! »
Elle appelle plusieurs questions :
- Si ce plaisir issu d’un processus qui devrait produire du déplaisir, paradoxal donc, et qu’en ceci il est pervers, n’ouvre-t-il pas la question d’une théorie du plaisir ?
- Si, comme la métapsychologie l’indique, le plaisir est consécutif à une baisse de la tension, comment résoudre « ces énigmatiques tendances masochiques du Moi » ?
- Si le déplaisir est lié aux inévitables tensions intrapsychiques comment se pose le problème économique ?
- Et si la douleur est plaisir, que devient la cure ?
Fut ainsi entrepris un grand voyage à travers les textes freudiens des post-freudiens jusqu’à nos contemporains. Mais pas seulement. Les écrivains qui nous en apprennent autant que les patients sur les déploiements de la psyché furent revisités. À commencer par Dostoïevski et « son » joueur, les cinéastes comme l’américain Darren Aronofsky qui met en scène dans son film THE WRESTLER en 2009 une star du catch des années 80, « LE BÉLIER », dont le narcissisme expansif le conduit à sa perte (mort). Et aussi « le rêve de la belle bouchère » choisit par Freud pour décrire chez le sujet hystérique, le désir d’un plaisir insatisfait. Nous y reviendrons.
ÉNIGME du Masochisme, paradoxe de ce plaisir du dÉplaisir, QU’avons-nous gardE de la thÉorie freudienne et de quelques autres ?
Disons le tout de suite, la position de Freud a oscillé entre la primauté d’un masochisme érogène et celle d’un sadisme retourné contre soi.
Selon Freud, le masochisme se trouve à l’œuvre dans un processus à trois faces : Érogène- Féminin- Moral.
- Érogène, comme source de l’excitation sexuelle liée au plaisir de la souffrance. (Il signifie être dévoré au stade oral. Être battu au stade sadique-anal. Être castré au stade phallique. Subir le coït, enfanter dans la douleur, et encore être violé).
- Féminin, comme « expression de l’être de la femme » justifiée selon Freud par les fantasmes repérés dans la clinique. C’est-à-dire castrée par les menstruations, le coït l’accouchement. Et chez l’homme figuré castré symboliquement par une mère fantasmée castratrice et terrifiante. Il est présent donc chez la femme et chez l’homme. (Passivité = féminin. Activité = masculin)
- Moral, comme norme d’un comportement de vie qui tend une joue pour recevoir une claque.
En 1905, le masochisme est défini par Freud, par la tendance du masochiste à endurer de son objet aimé toutes les humiliations et tourments sous une forme symbolique comme sous une forme réelle. (Trois essais sur la théorie sexuelle p. 69).
Il est alors primaire et érogène.
En 1919, c’est le sadisme qui a la primauté : « le masochisme, énonce-t-il, n’est pas une manifestation pulsionnelle primaire, mais il provient d’un retournement du sadisme contre la personne propre ». (In, « Un enfant est battu »)
Projeté sur l’objet haï le sadisme est retourné, par culpabilité, contre soi.
Le masochisme est secondaire et non plus primaire.
En 1920 Freud pense résoudre cette difficulté à trouver une source et une compréhension à ce paradoxal plaisir du déplaisir, par une pulsion de mort, force biologique irréductible à autre chose qu’à elle-même. Dès lors, le couplage Pulsion de vie/ Pulsion de mort donne au fondement du masochisme une force endogène et non sexuelle.
La pulsion de mort, tendance naturelle d’un retour à l’inanimé, à travailler contre soi voire à l’anéantissement de sa propre existence, résout l’énigme et le problème. Déliée et dirigée vers l’extérieur, elle devient pulsion de destruction et d’emprise; liée par la libido sexualisée elle devient sadique : au-dedans le masochisme, au-dehors le sadisme.
En 1920, le masochisme redevient Primaire.
À cette date, il semblerait que c’est la contrainte de répétition, hors du champ sexuel, qui oriente Freud vers une nouvelle théorie des pulsions et de leur destin par le couplage Pulsion de vie/Pulsion de mort, Éros/Thanatos. (Au-delà du principe de plaisir, 1920).
Sans doute faut-il aussi se souvenir qu’au début des années 20, Freud est confronté à des pertes à répétition : toutes ses économies se sont envolées à la suite de la première guerre mondiale, tous ses espoirs d’aide financière disparaissent avec la mort de son riche ami Anton Von Freund, sa fille Sophie -26 ans- meurt brutalement d’une pneumonie grippale. Tandis que, écrit-il à S.Ferenczi le 4 février (p.358), « Je me suis préparé pendant des années à la perte de mes fils, et maintenant c’est ma fille qui est morte… tout au fond de mon être, je décèle le sentiment d’une offense narcissique irréparable ». Perte, blessure narcissique irréparable… La castration ultime, la mort rôdent…
Mais, 4 ans plus tard, en 1924 avec l’étude du Problème économique du masochisme, considérée comme son ultime transmission, Freud reconnaît que l’« On est en droit de trouver énigmatique du point de vue économique l'existence de la tendance masochique dans la vie pulsionnelle des êtres humains. En effet, si le principe de plaisir domine les processus psychiques de telle façon que le but immédiat de ceux-ci soit d'éviter le déplaisir et d'obtenir le plaisir, le masochisme est inintelligible» (Le Pb. économique du masochisme, 1924, PUF, p.286 éd, 1978).
En effet, plaisir du déplaisir, voire de la souffrance, la pensée achoppe. La contradiction, avec l’organisation de la vie psychique dans laquelle le principe de plaisir « gardien de notre vie » domine, est patente. Des questions s’imposent :
- Que devient le but de la cure si dans la « Réaction thérapeutique négative », associée au masochisme moral aussi bien par Freud que par la pensée psychanalytique, la souffrance, objet et moteur du progrès de la cure devient plaisir?
- Qu’est-ce qui pousse cette patiente ce patient à répéter les mêmes comportements, à se trouver dans les mêmes situations, à « s’inventer », se créer des symptômes nouveaux et continuer à se plaindre ?
- Serait-ce pour tirer du plaisir de leur souffrance ou pour obtenir de leur mère-père analyste quelque chose qu’ils n’ont jamais reçu ?
Énigme pour Freud comme pour nous, le masochisme reste un obstacle et pour la théorie et pour la pratique.
Je viens de le dire, Freud lui-même reconnaît en 1924 que, du point de vue économique, le masochisme est inintelligible. On peut avancer, que dans une cure « interminable» la séparation est conflictuelle, qu’elle suscite l’angoisse de la perte, celle de la relation analytique et au-delà celle de castration. Mais qu’en est-il de cette recherche du plaisir dans le déplaisir inféré au masochiste ?
Dans la théorie freudienne, cette idée subversive ne provient-elle pas, du fait que la tension d’excitation bien que douloureuse contienne du plaisir ? Ce plaisir paradoxal, masochique de la douleur, ne devient-il pas dans la 2è topique dans la 2è théorie des pulsions, le modèle du plaisir ?
Avec la mise en scène d’« Un enfant est battu » Freud donne, en 1919, la primauté au sadisme. Dans cette scène réelle ou fantasmée un enfant, un garçon assiste à la vision de son père battre son frère qu’il jalouse et qu’il hait.
Voir son frère subir les coups du père provoque, par la liaison d’Éros, un plaisir sadique fondé sur la liaison et non sur la décharge. Mais être battu par le père, c’est aussi, être dans une position passive de fille et se trouver à la place de la mère, être donc aimé du père.
L’identification inconsciente au frère battu par le père, position masochiste, apaise la culpabilité de jalousie et de haine à l’égard du frère. Elle condense l’érotisme et le sadisme. Le masochisme comme retour du sadisme sur soi par culpabilité, satisfait Freud qui donne ici, la primauté au sadisme. Cependant, bien après 1914 et son Introduction du Narcissisme, il ne semble pas prendre en compte la blessure narcissique réactivée chez l’enfant par la position objectale rejouée par son père. Il bat son frère et pas lui, il aime donc son frère et pas lui. Le discours inconscient de l’enfant pourrait se formuler de la manière suivante : si mon père bat mon frère c’est qu’il le reconnaît et qu’il l’aime, tandis que moi, il ne me reconnaît pas, il ne m’aime pas. Je n’existe pas.
Se faire battre reviendrait à instaurer une relation même mauvaise plutôt que pas du tout, à trouver la nécessaire reconnaissance narcissique de l’objet pour se sentir exister :
- « Quand je souffre, j’existe », dit un patient.
- Une patiente se plaint d’être « transparente » aux yeux de sa mère qui, au lieu de l’écouter, ne parle que d’elle. La solution trouvée à cette non-reconnaissance narcissique, à cette blessure, a été de manière répétitive de quitter par avance ses objets d’amour. De sacrifier le versant tendre de la pulsion à l’autel du narcissisme. Autrement dit, de sacrifier sa libido d’objet à sa libido du Moi. Ici, mais ce n’est pas notre propos, le clivage libido d’objet, libido du Moi est la conséquence de l’échec de l’introjection d’un objet suffisamment bon. (Ferenczi 1909)
Dans LE fait clinique
La quête de la reconnaissance narcissique de l’objet - une constante aussi bien dans les organisations à versant névrotique qu’à versant psychotique- ouvre des chemins nouveaux de réflexion :
-Les plaintes réitérées sur le mode d’une souffrance psychique supposée infligée par l’autre, font-elles écho à un plaisir issu de la transformation du déplaisir (de la tension) en plaisir ? D’une transformation solipsiste du fonctionnement de la psyché qui n’inclut ni l’objet ni l’échange avec celui-ci ?
- La souffrance éprouvée, exprimée par l’indifférence, la négligence, la mésestime, la violence, la cruauté de l’objet d’amour ou encore social, ne résulte-t-elle pas du lien, des retrouvailles entre perception de l’objet (externe) et de sa représentation ?
- Les blessures dénoncées sur le mode d’un sentiment de honte, d’humiliation, de la dévalorisation de soi : projets qui ne se réalisent pas, échecs qui se répètent liés ou non à la réalité des faits, ne sont-elles pas l’écho de la recherche désespérée d’une relation qui n’a jamais eu lieu avec un objet introjectable ? Ne témoignent-elles pas de l’échec de la mise en œuvre de la relation primaire objectale ? N’évoquent-elles pas un narcissisme blessé, béant, mal ou pas établi ? Un narcissisme en négatif, sous-tendu par la quête incessante de sa restauration?
Au cours de ses premiers travaux (1ère Topique), Freud suppose que la décharge des tensions passe par la présence de l’objet et donc d’une « certaine liaison avec celui-ci, un lien entre perception et représentation ».
Ainsi fondée, cette conception implique un plaisir issu de la liaison et non de la décharge. Une différence serait alors à faire entre décharge comme plaisir et évacuation évitement de la tension comme principe de stase intrapsychique.
Or, l’objet, nous dit Freud, « naît dans la haine » tandis que C. Le Guen appelle cette période où se constitue l’objet, celle de l’Œdipe originaire (appelée par d’autre angoisse du 8è mois). Elle préfigure celle du complexe d’Œdipe à venir.
Dans cette dernière, confronté à l’apparition d’un inconnu un étranger -le père ou son substitut-, l’infans se trouve précipité d’une situation de toute puissance (le narcissisme primaire) à celle d’une situation de dépendance à l’objet : il n’est pas « tout » pour l’objet ; un autre que lui le retient et le satisfait. Un choc psychique, tel un tremblement de terre provoqué par l’épreuve de réalité, fait effraction alors dans sa psyché en devenir.
Avec Freud, nous savons qu’un choc psychique est nécessaire pour qu’un changement puisse avoir lieu dans le psychisme. Il sera progrédient, initiera une phase nouvelle du développement, tandis que les failles de l’objet, les défaillances de la relation primaire viendront l’entraver. Les avatars qui prennent la forme de la crainte du changement et la reviviscence de la première blessure narcissique, ouverte par l’expulsion de l’infans hors du monde utérin, ne nous laissent pas surprendre. Un Objet absent, défaillant, blessé narcissiquement ne permettra à son petit ni la constitution d’un bon objet interne ni l’octroi de la confirmation narcissique nécessaire à la différenciation et à la séparation Moi/Objet. Mal organisé le Moi n’aura de cesse de trouver des solutions pour colmater la blessure narcissique subie.
Les solutions masochiques seront alors une des modalités, pour limiter, éviter l’effondrement narcissique dussent-elles mettre le sujet en danger comme dans les perversions. Des tentatives de maîtrise de l’objet où s’engouffrent les situations d’échec voire d’humiliation seront de même mises en œuvre.
Toute perspective de changement, nouveau travail, nouveau cadre de vie, nouvelle relation affective ou sociale, ouvre la confrontation avec l’inconnu (la présence du tiers inconnu, de l’autre « l’étranger », auprès de l’objet). Elle réactive la situation d’effroi éprouvée lors de la constitution du Moi/non-Moi, de l’épreuve de réalité, réactualise la blessure narcissique de la scène de l’Œdipe originaire, perturbe la stase énergétique.
Un Moi peu ou mal structuré par les distorsions de la relation objectale précoce, ne pouvant différer l’excitation pulsionnelle par une liaison entre affects et représentation cherchera à l’abaisser, soit par un évitement des sources de la tension, soit par une modalité d’évacuation des charges. Un mode d’abréaction sera trouvé dans l’échec de la réalisation. Échec du projet, échec de la rencontre certes, mais l’effondrement est évité, le narcissisme sauvé.
Dans cette configuration, le plaisir ne résulte plus du déplaisir sans l’inclusion de l’objet, mais de la décharge de la tension provoquée par sa représentation dans l’inconnu. Le plaisir n’est pas lié au déplaisir de l’échec, mais à la sauvegarde du narcissisme. Le déplaisir est pour le Moi et le plaisir pour le Moi- Idéal. Notons que dans certaines organisations psychiques, le plaisir sera pour l’Idéal du moi. Déplaisir donc pour une instance, plaisir pour une autre.
Freud, d’ailleurs semble en convenir en 1920 dans « l’Au-delà du principe de plaisir » quand il dit : « … la majeure partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre, ne peut qu’apporter du déplaisir au moi (…) mais, il s’agit d’un déplaisir qui (…) ne contredit pas le principe de plaisir, déplaisir pour un système, mais en même temps satisfaction pour l’autre ».
Le désir insatisfait constitutif du rêve de la Belle Bouchère que rapporte Freud -nous sommes en 1899- pour démontrer que dans tout rêve se cache l’accomplissement d’un désir, met au jour d’une part, la liaison de la représentation de l’objet avec l’affect à l’œuvre dans le comportement d’échec et d’autre part, le sacrifice de la satisfaction d’une instance au profit d’une autre. Dans sa mise en scène onirique, la Belle Bouchère maintient son désir insatisfait - inviter son amie à dîner-, tandis qu'elle en satisfait un autre, la tenir éloignée de son mari. Elle sacrifie son Moi libidinal au profit de son Idéal de Moi, une instance au profit d’une autre. Ce faisant, ne fait-elle pas le choix de souffrir un peu aujourd’hui, pour moins souffrir demain ?
Et qu’en est-il de la relation transférentielle dont Freud ne parle pas? Pourtant, c’est dans la visée de mettre en échec sa théorie du rêve comme accomplissement d’un désir que la Belle Bouchère raconte son rêve à Freud: « Je vais vous raconter, lui dit-elle, un rêve qui est tout le contraire d’un désir réalisé ». La question est donc celle-ci : est-ce que le plaisir de la Belle Bouchère est issu de la transformation du non-plaisir en plaisir ou de la satisfaction narcissique de mettre Freud en échec ?
Le paradoxe de l’élaboration du concept de masochisme ne se trouve-t-il pas dans le fait qu’après avoir introduit en 1914, un « narcissisme qui ne serait pas une perversion…pouvant entrer dans un champ plus vaste et revendiquer sa place dans le développement sexuel régulier », Freud ne lui accorde pourtant pas une place fondatrice dans l’organisation du Moi ? Car, nous en conviendrons, c’est la qualité de l’investissement narcissique et pulsionnel parental qui permettra, ou non, au bébé d’exister comme sujet. En effet, si le bébé doit être objet de satisfaction pulsionnelle affective, il ne doit pas être réduit à un objet d’investissement d’emprise et moins encore de décharge incestueuse. La pratique nous permet de considérer qu’un transfert parental trop fusionnant ou à contrario sidérant (par son absence psychique) non seulement barre l’accès à la phase du complexe œdipien, mais encore propulse le développement psycho sexuel du bébé vers des organisations mortifères possibles.
PEUT-ON SORTIR DU PARDOXE MASOCHIQUE ?
Tenir compte de la nécessaire intégration pulsionnelle du narcissisme lors de la relation primaire objectale nous paraît essentiel. Comme chacun le sait, une psyché s’organise et se construit en interaction avec une autre. Tout comme « Un Bébé seul, ça n’existe pas » (D.W.Winnicott 1969), une psyché seule ça n’émerge pas ni n’existe.
La reconnaissance narcissique et son intégration pulsionnelle passe par un éprouvé d’être reconnu par les deux imagos identifiantes. Elle ouvre la voie aux processus de différenciation et de séparation qui, eux, donnent accès au développement du sentiment d’exister, au sentiment d’être semblable et différent à la fois. Autrement dit, l’identification (réussie) simultanée au père et à la mère permet l’élaboration de la représentation d’un objet introjectable. Un objet suffisamment bon (D.W. Winnicott) permettant la construction du moi.
Que nous faut-il donc écouter ?
Le psychanalyste d’aujourd’hui peut-il entendre ce que cache le discours masochique ?
Énoncer que derrière celui-ci se trouve à l’œuvre une silencieuse pulsion de mort, un besoin inconscient de punition, une culpabilité inconsciente qu’il va falloir débusquer, nous semble faire l’impasse sur la nécessité de l’épreuve de réalité que doit opérer le Moi pour se projeter vers l’avenir. Sur la discontinuité, les dysfonctionnements de la relation d’objet précoce qui entravent et empêchent de se détourner du narcissisme primaire et se projeter vers l’avenir. Ils sont (ces dysfonctionnements) source de toutes les tendances extrêmes propres à la destruction de l’autre et de soi. Celles, entre autres, si bien décrites par G. Lévy dans « L’ivresse du Pire » (Campagne Première, Paris, 2010) et celles, si bien mises en scène dans le film THE WRESTLER (2009) du cinéaste Darren Aronofsky, quand le « soi grandiose » lance un défi à la castration ultime, la mort.
Les plaintes réitérées, les conduites d’échec, voire les mises en danger vital, ne sont-elles pas l’écho d’un objet incorporé et non introjecté. D’un retour en son contraire du narcissisme de la toute puissance primaire. D’un désir, qui n’a de cesse d’y faire retour et qui donne lieu dans les organisations à versant psychotique à ce que Kohut appelle « le soi grandiose » ?
Le discours du masochiste ne dit-il pas à mots couverts une souffrance liée à un objet défaillant ? Ne laisse-t-il pas entendre le bruit d’une plaie narcissique toujours ouverte ? Une plaie qui n’a de cesse d’être réparée ?
Chacun le sait pour pouvoir se projeter vers l’avenir, le Moi devra réussir à abandonner sa toute puissance infantile primaire, lui tourner le dos au cours de la traversée de l’épreuve de réalité. Réussie et intégrée par le lien représentation et objet - externe-, outre la différenciation Moi/non-Moi, l’épreuve de réalité permet une décharge plus modérée nécessaire à l’investissement du Moi.
Une relation objectale intégrant la reconnaissance narcissique permettra au sujet en devenir de métaboliser le déplaisir issu des tensions intrapsychiques et de différer le plaisir. Tandis que l’échec de l’introjection d’un bon objet, l’incorporation d’une mère morte dans le sens d’A. Green, de parents humiliés, blessés narcissiques ; toute entrave liée à la confirmation narcissique du Moi laissera à l’œuvre les traces de la blessure, voire du traumatisme des temps anciens.
Dès lors, le recours du Moi à des solutions masochiques aura pour but, d’instaurer une relation objectale fut-elle mauvaise plutôt que rien. De lutter contre l’effondrement narcissique toujours menaçant. De supporter un moindre mal pour en éviter un plus grand. De perdre un peu, pour éviter de perdre le tout limitant dans le même mouvement l’angoisse de la perte et au-delà, celle de castration.
Nous avons là une conception du masochisme dont l’énigme, me semble-t-il, passerait par une révision de la place et de la fonction du narcissisme dans le système intrapsychique. Serait-elle résolue par l’instauration d’un narcissisme que j’appellerai « tempéré » ?
Jacques André qui a rédigé l’introduction de « l’Enigme du masochisme » dans la PBB Payot se demande si l’énigme du masochisme ne serait pas l’énigme du narcissisme?
Il va sans dire que non seulement le débat n’est pas clos, mais suscite encore questionnements et recherche.
M-T. MALTESE-MILCENT
Bibliographie :
Collectif : L’énigme du Masochisme, Petite B.B. de Psychanalyse, PUF.
Dostoïevski : Le joueur, GF-Flammarion.
S. Ferenczi : Psychanalyse.Œuvres TI -TIII et TIV. Payot.
S. Freud 1919 : On bat un enfant in Névrose, Psychose et Perversion PUF.
S. Freud 1914 : Pour introduire le Narcissisme, in La Vie sexuelle, PUF.
S. Freud 1924 : Le problème économique du masochisme in, Névrose, psychose, perversion, PUF.
S. Freud 1924 : Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, P.B.B. Payot.
A. Green : La mère morte, in Narcissisme de mort Narcissisme de vie. Les Ed de Minuit.
B. Grunberger : Esquisse d’une théorie dynamique du masochisme, in RFP. 1954, PUF.
T. Reïk : Le masochisme, Payot.
B. Rosenberg : Le masochisme mortifère, masochisme gardien de la vie, PUF.
D.W.Winnicott : De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot.
The Wrestler, film de Darren Aronofsky. 2009
Résumé :
L’écoute clinique donne à entendre différents modes d’expression du masochisme qui obligent à interroger la conception freudienne d’un masochisme originaire unifié, tel qu’il est formulé dans le Problème économique du masochisme (1924) considéré comme l’ultime transmission de Freud sur ce concept. Pour tenter de comprendre l’énigme de ce plaisir du déplaisir constitutif du masochisme, en contradiction avec le principe de plaisir à l’œuvre dans l’organisation psychique, les voies de réflexion ici proposées sont issues d’un travail collectif. L’essentielle nous a paru être celle de l’impasse que fait Freud sur la place fondatrice du narcissisme dans l’organisation psychique du sujet : l’énigme du masochisme serait-elle l’énigme du narcissisme ?
Commentaires :
C’est avec une extrême tristesse que nous avons appris le décès de notre collègue et ami, Jean-Pierre Chartier, d’une disponibilité constante pour la cause analytique et d’une attention sans faille pour le Quatrième Groupe. Jean-Pierre était toujours présent en dépit de ses multiples investissements, et cette fidélité pour notre institution est à la mesure de son engagement.
Ses travaux scientifiques sont bien connus et constituent des points de repères dans le champ théorico-clinique de l’adolescence et dans l’introduction à la pensée freudienne, contributions dans le champ de notre discipline qui marqueront des générations de cliniciens.
De nombreux témoignages nous sont parvenus, ils parlent aussi de l’Homme ... qui se singularisait tant par sa simplicité, son humour que par ce qu’il laissait entrevoir de sa fantaisie, de sa vivacité, et de ses paradoxes. Je souhaite souligner aussi la dimension humaniste de ce brillant praticien qui aimait parler simplement de concepts fondamentaux en psychanalyse en se faisant comprendre de tous.
Et je choisis de laisser la parole à une participante du Quatrième groupe qui fut accueillie, il y a de nombreuses années, par Jean-Pierre Chartier.
Brigitte Dollé- Monglond
Présidente du Quatrième Groupe
C’était « dans les années 1990, premier contact d'une littéraire avec le Quatrième Groupe: l'accueil de Ferran Patuel-Puig, puis d'un premier groupe de travail, Lecture de Freud - étude des concepts fondamentaux de la psychanalyse (le seul ouvert à l'époque aux non-praticiens). C'est Jean-Pierre Chartier qui l'anime, avec tant de bienveillance et de gaieté qu'il est impossible de ne pas s'y sentir parfaitement à l'aise, aussi chacun va s'engager dans le travail bien au-delà de ce qu'il avait imaginé.
Là, j'ai découvert le mode de formation du Quatrième Groupe, et pris le goût non seulement de lire mais d'étudier, à plusieurs voix, le texte et la pensée de Freud. Il fallait beaucoup de générosité et d'ouverture pour renouveler, tous les deux ans, cette proposition aux nouveaux arrivants, quand d'autres groupes de travail auraient sans doute bien plus apporté à un analyste chevronné. Et beaucoup de science, sans la moindre hauteur, pour inviter de simples analysants sur cet accès royal à la psychanalyse que sont les écrits de Freud sur sa méthode.
Au bout de deux ans, le cycle a pris fin (mais pas ma lecture ainsi impulsée), il m'a laissé l'impatience de revenir, clinicienne débutante, dans pareille société. Jean-Pierre Chartier, aussi peu oubliable qu'un beau souvenir d'école.
Brigitte Galtier.
Commentaires :
Hommage à Jean-Pierre Chartier
C’est en tant qu’ancien étudiant à l'Ecole de Psychologues Praticiens, puis participant au groupe de travail : « lecture de Freud », que je souhaiterais rendre hommage à Jean-Pierre Chartier.
Son engagement passionné pour la psychanalyse se retrouvait dans son souci de transmission de celle-ci. Son propos toujours clair, pédagogique, en offrait une vision critique, jamais dogmatique, mais toujours d’une grande richesse clinique ; et ouvrait souvent pour ses interlocuteurs comme ses lecteurs des perspectives extrêmement stimulantes.
Je retiendrais entre autre, l'idée passionnante, que le cadre analytique, le clinicien le porte en lui. Par ses qualités humaines : sa disponibilité, son enthousiasme, son ouverture d’esprit, son humour, il savait se rendre accessible et faire partager son plaisir d’échanger autour de la théorie freudienne. Ainsi que l'intérêt de lire et relire Freud tout au long de sa vie, et de son cheminement analytique.
De son approche si originale, nombre de ses étudiants garderont sans doute la trace.
Philippe Plawecki
Participant du Quatrième Groupe.
LE LABYRINTHE DU SILENCE ( Im Labyrinth des Schweigens)
Un film de Giulio Ricciarelli (2014)
« Malheur à qui porte la vérité à ceux qui la combattent à la force du déni ! »
La remarque de Paul-Claude Racamier, dans son ouvrage L’inceste et l’incestuel (1995) m’est venue à l’esprit à la sortie du cinéma où je venais de voir ce film. Mis à part mon profond désaccord avec les théories de l’auteur du Génie des Origines, je me suis tout de suite demandé s’il était pertinent de mettre sur le même plan les crimes incestueux et les crimes contre l’humanité. Mais alors que le Mémorial de la Shoah ouvre ses portes à une exposition sur le génocide arménien, le nouage indéfectible entre horreur et indécence m’est apparu donner raison à cette association hasardeuse. Soit.
« Il vous faudra un camion ! »
C’est l’exclamation de l’officier américain qui, en ce jour de 1958, dans cette ville de Berlin (qui se prétend dénazifiée et où les jeunes gens n’ont jamais entendu parler d’Auschwitz), autorise le jeune procureur Johann Radmann à sortir les fiches des anciens SS gardiens de ce camp. A la fin du film, le même officier tentera en vain de le dissuader d’aller chercher, dans ces mêmes archives, le nom de son père disparu quinze ans auparavant.
Hallucinante recherche de la « laide vérité » qui va d’abord obliger le jeune homme à en venir presque aux mains avec un rescapé juif du camp, qui refuse au début de lui confier une mallette contenant des archives dérobées lors de l’arrivée des Russes.
L’ami du procureur, qui le met en contact avec le rescapé, est un journaliste d’investigation de deux ans son aîné. Sa recherche ardente de la vérité sur la Shoah se révèlera à la fin du film sous-tendue par la terrible culpabilité d’y avoir participé.
Bien loin de l’aura maléfique du Dr Mengele, tapi dans une sorte de banalité du mal, un ancien gardien du camp a retrouvé, dans cette Allemagne qui a décidé de se consacrer à sa reconstruction et au football, son poste d’instituteur. Lorsqu’on viendra le chercher dans la cour de récréation de l’école, il est en train de donner une gifle à un élève maladroit en lui disant : « Comme ça tu feras la différence entre ta gauche et ta droite ! »
« Silence is the real crime » (le vrai crime, c’est le silence), affirmait Hanna Segal en 1987 à propos de la terreur nucléaire. La formule perversement inversée par les criminels contre l’humanité est celle, orwellienne, que reprend en la dénonçant Pierà Aulagnier : le « crime-pensée ». En ce printemps de 2015, cela nous dit évidemment quelque chose.
Perdu un moment dans son labyrinthe, le procureur va déchirer à la fois sa veste, et sa relation amoureuse avec une coututière. « Ce n’est pas réparable », lui dit celle-ci lorsqu’il lui amène la veste. La fin du film laisse planer un léger espoir. Mais la tenue d’un prisonnier du camp, telle que nous pouvons aujourd’hui la voir derrière une vitrine du Mémorial, elle, ne pourra jamais être réparée... Et le navire baudelairien pris « dans un piège de cristal » (comme la nuit du même nom), nous laisse, comme cette veste, une métaphore de l’irréparable.C’est la trace qui appelle à réparation, pas le fait obscur tapi dans ce que le négationnisme appelle les détails de l’histoire. Mais pour cela, cette trace, il faut bien, encore, la faire réapparaître.
Voilà pourquoi le film de Ricciarelli mérite, à mon avis, l’ attention des psychanalystes et de tous ceux à qui la psychanalyse n’est pas étrangère.
Francis Drossart
1 pages.
Bibliographie :
Freud A., Le moi et les mécanismes de défense, Paris, PUF, 1973 .
Devereux G., Essais d' ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1977 .
Plath S., La cloche de détresse, Paris, Denoël, 1972 .
Plath S., Journaux 1950-1962, Paris, Gallimard, 1999 .
Commentaires :
Danse au-dessus du vide : histoires d' adolescences
Pourquoi choisir de réfléchir et de parler sur l' adolescence ? L'adolescent n' est plus tout à fait un enfant, ni encore tout à fait un adulte, il incarne un état transitoire de transformation, de passage . Cette étape, à l' exemple de celles de la naissance et de la toute petite enfance, va se vivre dans la douleur et la violence pulsionnelles, et j' ai souvent été émue de percevoir ou d' imaginer, sous l' enveloppe du jeune homme ou de la jeune fille, le nourrisson impatient, affamé de liens, submergé par le désir de vivre, lancé dans l' aventure excitante mais combien angoissante de cette métamorphose .
Les parents que je rencontre au CMPP appréhendent souvent cette période des années à l' avance . Certains, devant l' opposition manifestée par leur enfant âgé de neuf- dix ans, posent de façon prématurée la question d' un effet de " la crise d' adolescence ", d' autres se rassurent de consulter dés la maternelle, évoquant comme un des effets bénéfiques à long terme, une atténuation de la future " crise " .
Cette période qui sera vécue par l' adolescent, est d' abord imaginée et redoutée par les parents à la manière d' un passager qui embarque pour une traversée dont il imagine par avance la terrible tempête qu' il devra inévitablement essuyer pour enfin arriver à bon port . Cette tempête, les parents l' ont probablement déjà vécue ou approchée lorsqu'ils étaient eux-mêmes adolescents, mais lors des consultations, les souvenirs qu' ils en ont, apparaissent souvent refoulés ou déniés, inaccessibles, au moins dans un premier temps . La description que fait Anna Freud de l' adolescent en 1949, nous paraît à la fois très actuelle et intemporelle : " L' adolescent est extrêmement égoïste, se considère comme le centre de l' univers, le seul objet digne d' intérêt, mais, en même temps, il se montre capable, à un degré auquel il n' atteindra jamais plus dans sa vie ultérieure, de se sacrifier , de faire don de lui-même . Il noue les relations amoureuses les plus ardentes pour les rompre aussi brusquement qu' il les avait commencées, s'adapte avec enthousiasme à la vie de la communauté et a cependant un besoin impérieux de solitude, oscille entre une obéissance aveugle à quelque chef qu' il a lui-même choisi et une révolte violente contre toute autorité quelle qu' elle soit . Intéressé, matérialiste, il est aussi tout plein d' un sublime idéalisme, pratique l' ascétisme, mais a soudain besoin des satisfactions pulsionnelles les plus primitives . A certains moments, il se montre brutal, sans égards pour son prochain, tout en manifestant lui-même une excessive susceptibilité . Son humeur oscille entre l' optimisme le plus souriant et la mélancolie la plus noire, entre une ardeur inlassable au travail et une morne paresse, un manque d' intérêt pour toute chose ." .
Un autre regard, exprimé sur un ton plus polémique et critique, celui de Georges Devereux en 1964 1, élargit l' angle de vue à la société et à ses valeurs, dans laquelle vit l' adolescent : " Dans une conférence prononcée à Tulsa, Oklahoma, devant la County Mental Hygiene Society, j' affirmais que l' adolescent est un idéaliste qui, si nous ne lui offrons rien de valable à conquérir ou à défendre, se bat pour se battre et lutte pour lutter .Nous nous proposons à présent de démontrer que les jeunes dévoyés des deux sexes sont destructeurs parce que nous ne leur offrons rien de plus créateur, rien de plus exaltant à défendre que le football, les H.L.M., les assurances sur la vie et cette pseudo-idéologie à l' eau de rose du " cadre " de quelque grande industrie, avide de prestige . Le dénuement absolu de l' adulte occidental en matière d' idéal – qui est foi véritable, engagement total – a fait du monde où nous vivons une terre inhospitalière, presque inhabitable pour l' adolescent qui , contrairement à l' adulte est un être intact, un être qui ne bedonne pas encore intellectuellement et ne souffre pas encore d' une dégénérescence graisseuse du cœur . Aussi réagit-il avec infiniment plus de violence que l' adulte à cette carence morale, éthique, profondément affective et intellectuelle, sans doute parce qu' il souffre plus du besoin de goûter aux joies et aux peines les plus nobles, à celles qui font de l' homme plus qu' un homme au sens strictement taxonomique du terme . Dans certains cas, la délinquance elle-même n' est qu' une manifestation de pouvoirs créateurs contrariés, inhibés dans leur maturation et leur épanouissement . " .
Ces textes nous évoquent nombre de personnages adolescents de la Culture et de l' Histoire, et mettent l' accent sur la demande intense, voire insatiable et débordante, qu' adresse l' adolescent au psychisme de l' autre, parent ou substitut parental .
Le psychanalyste a ses mots et ses concepts propres pour penser cette étape de la vie, et je vous invite à imaginer un adolescent en train de flotter dans les airs entouré de petits ballons sur lesquels sont inscrites des notions du corpus analytique, peut-être ressentons- nous alors comme lui, une impression de vertige devant le travail psychique à effectuer pour espérer retomber sur ses pieds !
Que pouvons-nous tenter de lire, de comprendre, d' interpréter, au travers de ces mouvements désordonnés et rapides!
Effraction psychique, rupture de la continuité psychique, séparation, narcissisme, construction de l' identité sexuée, subjectivité, bisexualité, angoisses archaïques de chute et d' écoulement, peur d' être vidé, transpercé, possédé, passivé, conflit oedipien, clivage, pulsions sexuelles, pulsion d' emprise, masochisme, symbolisation, procédé auto-calmant, voilà quelques unes des clés conceptuelles utiles pour approcher le sens du travail psychique, qui attend l' adolescent sur le chemin de la découverte de l' objet sexuel .
Nous nous réfèrerons pour illustrer la complexité de ce périlleux voyage, aux itinéraires d' une jeune fille de 19 ans et d' un jeune homme de 17 ans, de la littérature américaine des années 1960 et 1950 .
La cloche de détresse de Sylvia Plath
Il s' agit de l' unique roman de cette très grande poète, écrit en 1963, que l' on peut qualifier d' autobiographique, et dont la parution précède d' un mois le suicide de son auteur à l' âge de trente et un ans . Sylvia Plath est née en 1932 dans la banlieue de Boston, elle écrit ses premiers vers à l' âge de huit ans et la même année son père meurt brutalement, Sylvia et son petit frère ne verront pas leur père à l' hôpital et n' assisteront pas à son enterrement . De la fin de l' enfance aux derniers jours de sa vie, elle écrit, montrant sans relâche son amour et son besoin des mots pour exprimer les terribles tensions ressenties entre ses inhibitions, ses idéaux et la réalité. Elle ressent la peur que son monde interne ( son self ) disparaisse, laissant la place à la panique et au chaos, il y a aussi la hantise de la mère vivante, et le deuil interminable du père mort, devenus des fantômes dans l' écriture poétique, le vécu temporel trop violent impossible à maîtriser autrement que par le sentiment submergeant du vide, de l' inutile ou de la mort . Elle écrit ainsi dans son Journal :
" Le temps : vague colossale, la marée qui
déferle sur moi, me noyant, me noyant . "
ou encore :
" Je ne fais pas confiance à l' esprit . Il s' échappe comme
de la vapeur .
Dans les rêves, par le trou de la bouche ou de l' œil . Je
Ne peux l' arrêter . Un jour il ne reviendra pas . "
Sylvia Plath traduit par ses mots tout à la fois aveuglants, tranchants, glacés et profondément vivants, et son langage heurté et éclaté, le bilan désastreux d' un cataclysme psychique ancien, auquel elle ne se résout pas, et dont elle tente de maîtriser la charge affective insupportable . Cause déclenchante, également, de certains agirs adolescents, qui surprennent par leur soudaineté et leur violence .
En 1953, Sylvia Plath est hospitalisée en psychiatrie après une tentative de suicide, subit des électrochocs et accepte finalement des entretiens avec le docteur B., période qu' elle évoque dans La cloche de détresse. Elle publie des poèmes pendant ses années d' université, remporte des prix, mais doute d' elle-même, craint de rester un écrivain mineur, oscille entre des moments d' exaltation et d' angoisse, elle dévoile dans son Journal ses abîmes intérieurs :
" repli soudain du monde phénoménal, qui ne laisse rien derrière lui . Que des lambeaux " .
Sylvia Plath épouse en 1956 le poète anglais Ted Hugues, une fille et un garçon naissent en 1960 et 1962, elle poursuit son œuvre tout en ressentant douloureusement les charges matérielles de sa vie . Le couple se sépare, lorsqu' elle apprend que son mari a une relation avec une amie, poète également . Tous les matins, à l' aube, avant le lever de ses enfants, elle écrit un poème, quelquefois plusieurs . Elle loue à Londres une maison autrefois occupée par le poète Yeats, mais l' hiver 1963 est terriblement froid, la lumière et le chauffage sont régulièrement coupés, les canalisations gèlent, elle ne réussit pas à obtenir le téléphone . Malgré tout, elle continue d' écrire intensément, tout en s' occupant de ses enfants avec l' aide d' une jeune fille au pair . Elle avait pris rendez-vous avec un psychothérapeute et avait écrit à son ancien psychiatre, fait part à des amis de son épuisement, mais elle se suicide le 11 février 1963 .
La cloche de détresse retrace l' été passé à New York en 1953, par Sylvia-Esther, brillante lauréate d' un concours de poésie organisé par un magazine de mode, séjour qui se terminera par son hospitalisation en psychiatrie après une tentative de suicide . Esther a dix-neuf ans, et dés les premières pages, elle exprime un vide intérieur, vécu de mort de ses objets internes, envahissant, et le lecteur est immédiatement happé par l' inquiétante étrangeté ressentie par la jeune fille : " C' était un été étrange et étouffant . L' été où ils ont électrocuté les Rosenberg. Je ne savais pas ce que je venais faire à New York . Je deviens idiote quand il y a des exécutions . […] Je me rendais bien compte que cet été quelque chose ne collait pas en moi . Je ne pouvais penser qu' aux Rosenberg ou comme j' avais été idiote d' acheter tous ces vêtements inconfortables et chers qui pendaient comme des poissons morts dans mon placard, ou bien comme tous ces petits succès que j' avais accumulés joyeusement au collège et qui se réduisaient à néant devant les façades de verre ou de marbre scintillants de Madison Avenue . […] J' étais censée être on ne peut plus heureuse . […] Seulement je ne contrôlais rien du tout . Je ne me contrôlais même pas moi-même . Je ne faisais que cahoter comme un trolleybus engourdi, de mon hôtel au bureau, du bureau à des soirées, puis des soirées à l' hôtel et de nouveau à mon bureau . Je suppose que j' aurais dû être emballée comme les autres filles, mais je n' arrivais même pas à réagir . Je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l' œil d' une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé . "
Une sortie improvisée avec une amie et deux garçons rencontrés par hasard, met Esther en situation de spectatrice de la sexualité des autres, elle ne peut supporter le rapprochement sexuel avec un garçon tout en l' imaginant et en le désirant, elle ne peut assumer son désir et sa curiosité sexuelle et se présente alors sous une fausse identité . Elle n' est plus Esther Greenwood de Boston, mais Elly Higginbottom de Chicago, malgré cela, l' angoisse est trop forte, et Esther prend la fuite pour se réfugier dans son hôtel et dans le réconfort enveloppant d' un bain chaud : " Plus je restais dans l' eau claire et chaude, plus je me sentais pure, et quand finalement, je suis sortie et que je me suis enveloppée dans une énorme serviette de bain douce et blanche de l' hôtel, je me sentais aussi pure et douce qu' un nouveau-né . "
La rédactrice de mode, auprès de laquelle elle effectue le stage qui lui a été offert en tant que lauréate, est perçue de façon ambivalente par Esther, qui souhaite être appréciée par celle-ci, l' éblouir par sa créativité, mais qui en a aussi très peur . L' échange et la collaboration avec ce substitut maternel, désirés mais aussi redoutés, réactivent doutes et angoisse chez la jeune fille, qui se met finalement en échec . Elle cherche alors dans l' évocation du souvenir de sa relation avec un jeune homme présenté comme son fiancé, et dans des tentatives de rencontres sexuelles avec d' autres garçons dans la réalité, à se restaurer narcissiquement . Ces tentatives échouent, et Esther décide précipitamment de rentrer chez elle et de retrouver sa mère, mais juste avant son départ, elle exprime des angoisses de chute et de perte de son enveloppe corporelle qu' elle tente de maîtriser par un acte symbolique, et l' amorce d' un futur retournement de son agressivité contre elle-même, avec des mots d' une intense poésie tragique : "A l' heure vague entre les ténèbres et l' aube, le solarium de l' Amazone était désert. Silencieuse comme un voleur dans ma robe de chambre imprimée d' épis de blé, je glissais lentement vers le parapet . Il m' arrivait presque aux épaules, alors j' ai tiré une chaise longue du tas contre le mur et je suis montée sur cet escabeau précaire .
Un vent vif faisait voleter mes cheveux au-dessus de ma tête . A mes pieds la ville avait éteint ses lumières pendant son sommeil, les immeubles devenaient noirs, comme des funérailles .
C' était ma dernière nuit .
J' ai attrapé le paquet que j' avais emporté et j' ai tiré sur un pan clair. Un jupon élastique sans ceinture, il avait perdu sa souplesse avec l' âge, a glissé dans ma main . Je l' ai brandi comme un drapeau d' armistice, une fois, deux fois…
Le vent l' a emporté et je l' ai laissé s' envoler .
La tache blanche flottait dans la nuit, elle a commencé sa lente descente . Je me demandais sur quel toit, dans quelle rue, elle finirait sa course .
J' ai fouillé à nouveau dans le tas .
Le vent a fait un effort, mais l' ombre noire comme une chauve-souris s'est quand même échouée sur le jardin suspendu de l' immeuble d' en face .
Petit à petit j' ai donné ma garde-robe en pâture au vent, et voletant comme les cendres d' un bien-aimé, les chiffons tristes disparaissaient pour s' établir ici ou là, je ne saurais jamais précisément où, dans le cœur noir de New York . "
De retour chez elle, Esther projette d' écrire un roman autobiographique . La communication avec sa mère reste superficielle, sans prise en compte de son altérité et de sa subjectivité, et celle-ci lui conseille d' apprendre la sténo comme elle l' a fait elle-même, pour trouver un travail . En lisant un livre de Joyce, Esther a une perception hallucinatoire des lettres qu' elle transforme en petits diables, elle s' interroge sur son avenir et n' imagine que le vide, no future, selon la formule plus actuelle : " Je voyais les années de ma vie jalonner une route comme des poteaux télégraphiques, reliés les uns aux autres par des fils . J' en ai compté un, deux, trois…dix-neuf poteaux mais après…les fils dansaient dans le vide . Malgré tous mes efforts je ne voyais pas de poteaux après le dix-neuvième . "
Pendant plusieurs semaines, Esther ne mange plus, ne dort plus, elle garde ses vêtements, ne se lave plus, elle tente de donner un sens à sa souffrance en lisant des livres de psychologie pathologique . Elle consulte un psychiatre, encouragée par sa mère, mais refuse de retourner à la clinique après une séance d' électrochocs subis sans anesthésie préalable .
Son projet de suicide se concrétise au fil des jours, et avant de passer à l' acte Esther se rend sur la tombe de son père : " J' avais décidé que lorsqu' il ne me resterait plus d' argent à la banque je le ferais; et ce matin–là j' avais dépensé tout ce qui me restait en achetant cet imperméable .
J' ai enfin trouvé la tombe de mon père . […]
J' ai disposé au pied de la tombe la botte d' azalées que j' avais arrachées sur un arbuste à l' entrée du cimetière . Mes jambes ont cédé sous moi et je me suis retrouvée assise dans l' herbe détrempée . Je ne savais pas pourquoi mais je pleurais toutes les larmes de mon corps.
Je me suis souvenue que je n' avais pas pleuré lors de la mort de mon père .
Ma mère non plus n' avait pas pleuré . Elle s' était contentée de sourire en disant que la mort était une bonne chose pour lui, s' il avait survécu il serait infirme, invalide à vie et ça, jamais il ne l' aurait supporté, il aurait cent fois choisi la mort .
J' ai appuyé ma tête sur la douce surface de marbre et j' ai hurlé ma peine à la pluie froide et salée .
Je savais exactement comment m' y prendre . "
Ultime tentative pour Esther de retrouver un lien psychique et sensoriel avec un bon objet contenant identifié au père, et d' attaquer en elle le mauvais objet identifié à la mère .
Après avoir survécu à une ingestion massive de somnifères, Esther séjourne dans une clinique privée où elle est traitée par électrochocs, pratiqués cette fois sous anesthésie, et rencontre une psychiatre avec laquelle elle réussit à nouer un lien thérapeutique dans la confiance . Au cours de son séjour à la clinique, elle formulera ainsi son vécu d' étouffement psychique, évoquant l' enfermement dans une impossible différenciation d' avec l' objet primaire : " […] où que je me trouve – sur le pont d' un navire, dans un café à Paris ou à Bangkok - je serais toujours prisonnière de cette cloche de verre, je mijoterais toujours dans le même air vicié . […] L' air de la cloche me confinait comme de l' ouate, je ne pouvais même pas bouger . "
Les entretiens psychothérapiques permettront à Esther de s' interroger sur la différenciation sexuelle de ses objets intériorisés, et de poser au travers de la formulation de ses fantasmes la question de son identité sexuée . Elle tentera après une demande de contraception, la rencontre génitale avec un homme . L' année suivante elle reprendra ses études, et les poursuivra brillamment .
Sylvia Plath nous fait ressentir par la vérité poétique et sensorielle de ses mots, l' étendue de la souffrance que peut vivre un adolescent, fragilisé au préalable dans ses assises narcissiques et dans la qualité de ses objets internes, au moment de ce difficile travail de construction de son identité .
L' attrape-cœurs de Jerome David Salinger
Ce roman publié en 1951 par l' écrivain américain alors âgé de trente deux ans, nous fait vivre les trois jours d' errance et de solitude que passe à New York un jeune homme de dix-sept ans, Holden Caulfield, qui vient une nouvelle fois d' être renvoyé d' une école préparatoire en raison de son manque de travail, il échoue en effet dans toutes les matières, sauf en anglais . Holden nous apparaîtra comme un jeune homme très intelligent, passionné de littérature, qui tente, par ses agirs et ses représentations imaginaires débordantes, de figurer ses conflits intérieurs . Ecrit à la première personne, dans un style parlé, familier, souvent injurieux, le texte nous transmet au plus près de l' affect et de l' intime, les pensées, les souvenirs, les désirs et les angoisses d' un adolescent en train de perdre pied, pris dans la dynamique contradictoire et pour lui apparemment impossible à dépasser seul, de la perte déprimante de son statut d' enfant et de son envie d' accéder à une sexualité adulte .Nous découvrons en effet à la fin du roman, qu' Holden se trouve dans une structure de soin, il évoque la présence d' un psychanalyste et précise qu' il est tombé malade après son retour dans sa famille .
Ce roman devenu un classique, après avoir d' abord été interdit et mis sur La Banned Books List, est maintenant étudié dans les écoles aux Etats-Unis et au Canada . L' attrape-cœurs a rendu son auteur célèbre, et bien que celui-ci ne l' ait jamais confirmé, il est inspiré d' éléments autobiographiques . Il est également significatif qu' après cette publication, Salinger se soit replié sur le plan social, et que tout en continuant à écrire, il ait publié de moins en moins .
Au début du roman Holden va faire ses adieux à l' un de ses professeurs, légèrement souffrant et alité, et dont il va attentivement scruter le corps, à la recherche de signes révélant la maladie et la décrépitude, puis nous livre les pensées qui lui viennent pendant cette rencontre, à propos de son âge : " J' ai hoché la tête . J'ai la manie de hocher la tête . J' ai dit "ouah " . Parce que, aussi, je dis "ouah " . En partie parce que souvent j' agis comme si j' étais plus jeune que mon âge, j' avais seize ans à l' époque et maintenant j' en ai dix-sept et quelquefois j' agis comme si j' en avais dans les treize . Et le plus marrant c' est que je mesure un mètre quatre-vingt-six […] Et pourtant j' agis quelquefois comme si j' avais dans les douze ans ; tout le monde le dit, spécialement mon père . C' est un peu vrai . Mais pas vrai cent pour cent . "
Une question s' impose souvent à lui, dans les moments d' intense solitude, lorsqu' il se perçoit à une distance infranchissable des autres, dans une communication évoquant un faux-self :
" J' habite New York, et je pensais au lac de Central Park, en bas vers Central Park South . Je me demandais si l' eau serait gelée quand je rentrerais à la maison, et si elle l' était, où seraient allés les canards . Je me demandais où vont les canards quand l' eau prend en glace, qu' il n' y a plus que de la glace . Je me demandais si un type vient pas avec un camion pour les emporter dans un zoo . Ou ils s' envolent on ne sait où . "
Holden ressent de façon projective quelque chose qui est en train de se geler en lui-même et dans ses relations aux autres, des aspects internes figés préexistants, qui s' intensifient de façon défensive, face au bouillonnement et à l' emballement pulsionnels, caractéristiques de cette phase de son développement .
Tout comme le faisait Esther, Holden, dans l' incertitude de son identité et dans la fragilité de sa position subjective, au gré de ses interlocuteurs, change de nom, de prénom, d' âge, d' adresse, il s' invente des maladies, des projets, d' autres vies . Holden est envahi par ses préoccupations concernant le rapprochement sexuel avec les filles, qu' il désire, et en même temps, qui le terrifie. Il réussit à exprimer ses difficultés dans un échange avec un copain plus âgé qui a l' expérience de plusieurs relations sexuelles et dont le père est psychanalyste : "
" J' ai dit " Peut-être que j' irai en Chine . Ma vie sexuelle est branquignole .
- Rien d' étonnant . Ton esprit manque de maturité ."
" J' ai dit " C' est bien vrai, je le sais . Tu veux que je te dise mon problème ? Je peux pas arriver à être intéressé sexuellement – je veux dire vraiment intéressé - par une fille qui ne me plait pas tout à fait . Je veux dire qu' il faut qu' elle me plaise totalement . Sinon mon foutu désir d' elle, il fout le camp ."
Nous percevons la difficulté que rencontre Holden, à lier les courants tendre et sensuel, dans la constitution de son objet sexuel .
Plus tard, pendant son errance, Holden voudra tenter une relation sexuelle avec une prostituée, puis, mis dans la situation, la refusera, préférant plutôt parler avec elle . Il ressent une baisse de son excitation sexuelle qui se transforme en affect dépressif, et sa culpabilité le fera ensuite rechercher une punition . Après avoir remarqué et jalousé la virilité qui émane du corps du proxénète, il provoquera celui-ci et se fera violemment frapper. Ensuite, pour tenter d' apaiser ses souffrances physique et psychique, il s' alcoolise, imagine un scénario dans lequel il troue le ventre du proxénète de six balles de révolver ( " Six balles en plein dans son gros bide poilu . " ), puis prend un bain, et envisage avant de s' endormir la possibilité de se suicider .
" Puis je suis retourné me coucher . J' ai mis pas mal de temps à m' endormir . J' étais même pas fatigué . Mais finalement, le sommeil est venu . Ce qui m' aurait plutôt tenté c' était de me suicider . En sautant par la fenêtre . Je l' aurais probablement fait si j' avais été sûr que quelqu'un prendrait la peine de me recouvrir aussitôt que j' aurais touché terre . "
Holden exprime l' attente déçue d' une enveloppe contenante, face à ce trop-plein émotionnel, qui lui fait manifestement défaut dans ce moment de séparation d' avec son milieu scolaire et d' éloignement de sa famille, moment vécu comme s' il était abandonné pendant une chute . Cette représentation de sa mort, met en scène à la fois l' expression d' une auto-destructivité et d' un appel à l' objet . Il erre seul, souhaitant des rencontres qui se terminent mal, en proie à des sensations contradictoires, il a trop chaud malgré le froid extérieur, ou trop froid, il a faim, mais n' a plus envie de ce qu' il s' est acheté à manger ou à boire, ressent l' angoisse de perdre pied dans une réalité extérieure qui ne semble plus se différencier de sa réalité psychique, intérieur et extérieur se mélangeant : " J' ai marché, j' ai marché dans la Cinquième Avenue, sans cravate ni rien . Et puis tout d' un coup il m' est arrivé quelque chose de vachement effrayant . Chaque fois que j' arrivais à une rue transversale et que je descendais de la saleté de trottoir, j' avais l' impression que j' atteindrais jamais l' autre côté de la rue . Je sentais que j' allais m' enfoncer dans le sol, m' enfoncer encore et encore et personne me reverrait jamais . Ouah, ce que j' avais les foies . Vous imaginez . Je me suis mis à transpirer comme un dingue, j' ai trempé mon tricot de corps et ma chemise . Ensuite j' ai fait quelque chose d' autre . Chaque fois que j' arrivais à une nouvelle rue, je me mettais à parler à mon frère Allie . Je lui disais " Allie, me laisse pas disparaître . Allie me laisse pas . S' il te plaît, Allie " . Et quand j' avais atteint le trottoir opposé sans disparaître je lui disais merci à Allie."
Descendre du trottoir devient une épreuve quasi insurmontable, l' équivalent d' une chute engloutissante . Salinger réussit à nous faire ressentir le petit enfant perdu, aux prises avec des vécus archaïques traumatiques, à la recherche d' une relation et de paroles contenantes, qui revit chez cet adolescent dans la détresse .
Allie est l' un des frères de Holden, de deux ans plus jeune, mort d' une leucémie trois ans plus tôt . Holden est toujours dans le deuil inconsolable de ce frère, qu' il décrit comme un garçon très intelligent, très joyeux, dans la réussite, comme un double positif de lui-même . Il se sentait enveloppé et porté par le regard aimant et encourageant de ce frère perdu, qu' il appelle encore aujourd'hui quand il est submergé par l' angoisse, et il n' y a d' ailleurs aucune trace de jalousie dans le portrait idéalisé que fait Holden de ce petit frère, né quand il avait environ deux ans .
Le portrait qu' il brosse de son frère aîné, uniquement désigné par les initiales D.B., dont il ne précise pas l'âge exact, n' est pas idéalisé, mais c' est à peine si une petite pointe de jalousie s' y exprime . Holden admire la réussite matérielle de ce frère, qui se montre en compagnie d' une très jolie petite amie et qui vit de sa plume à Hollywood . Holden décrit un frère aîné qui essaie de comprendre ses difficultés psychologiques, il lui rend souvent visite pendant son hospitalisation, et il a prévu de le ramener dans la famille à sa sortie . Mais Holden regrette que son frère n' écrive plus de nouvelles ou de romans, seulement des scénarios pour le cinéma, c' est la seule parole critique qu' il se permettra .
Les parents sont décrits avec une distance impressionnante, comme s' ils faisaient partie du décor familial, mais sans lien émotionnel avec leur second garçon . Le père, conseiller juridique, pris par son travail, serait peiné et déçu de l' échec scolaire de celui-ci, et la mère est encore très déprimée par la mort de son troisième garçon . Holden exprime sous forme de scène jouée devant un copain, un jour de fatigue et d' ennui, ses attentes infantiles envers celle-ci :
" Puis j' ai commencé à faire un peu l' idiot .Quelquefois je fais vraiment l' idiot, juste pour pas trop m' emmerder . Ce que j' ai fait, ben j' ai ramené en avant la visière de ma casquette, puis je l' ai tirée sur mes yeux . Comme ça je voyais plus rien . Et j' ai dit d' une voix toute enrouée " Je crois que je suis aveugle " . Et puis " Mère bien-aimée, tout devient tellement sombre . […] Mère bien-aimée, donnez-moi la main . Pourquoi vous me donnez pas la main ? " […] Je me suis mis à tâtonner devant moi, comme un type qui est aveugle, mais sans me lever ni rien . J' arrêtais pas de répéter, Mère bien-aimée pourquoi vous me donnez pas la main . Bien sûr c' était pour faire l' idiot . Le genre de truc que j' aime . En plus je voyais bien que le gars Ackley enrageait . "
Ce passage à la fois littéraire, humoristique, et en profonde résonance avec les angoisses d' abandon et de castration de cet adolescent, nous montre la tentative faite par celui-ci de les figurer et les maîtriser par cette mise en scène ludique .
Il est aussi significatif qu' Holden exprime sa jalousie et son agressivité en dehors de son cercle familial, il se met en conflit avec des pairs ou des garçons plus âgés qu' il provoque, mais l' expression de ces affects est souvent davantage l' objet de rêveries que d' actes, et cette difficulté à diriger vers l' extérieur son agressivité se retrouve dans son désintérêt pour le sport.
Mais le seul membre de sa famille avec lequel Holden semble vivre une relation réellement authentique, de véritable attachement et de confiance réciproques, est sa petite sœur de dix ans . Phoebé est une petite fille très intelligente et vivante, qui s' intéresse au cinéma et à la littérature, elle aime et admire ce grand frère dont elle ressent la souffrance et qu' à l' occasion elle recadre dans la réalité, lorsqu' elle le sent trop envahi par son imaginaire . Avec Phoebé, Holden oscille entre un statut de grand frère protecteur, et un statut de petit enfant perdu et triste à la recherche d' une écoute contenante . Il se sent aimé par cette petite sœur avec laquelle il a des discussions sur ses sentiments et ses projets, devant laquelle il se laisse aller à la tristesse et dont il accepte la contradiction .
Holden s' identifie à des figures souffrantes ou mortes, ou qui incarnent la réparation toute-puissante des angoisses archaïques, figures idéalisées, qui témoignent d' une importante fixation narcissique .
Les thèmes exprimés dans ce dialogue entre Holden et sa sœur, reflètent, malgré les années écoulées, les préoccupations de l' adolescence contemporaine, même si actuellement les mots sont souvent remplacés par des agirs ou des addictions, nous laissant en entretien face à un silence et à un vide associatif :
" […] – Tu aimes jamais rien de ce qui se passe "
Qu' elle dise çà, j' en ai eu le cafard encore plus .
" Mais si . Mais si . Dis pas çà . Pourquoi tu dis çà, bon Dieu ?
- Parce que c' est vrai . T' aimes aucune école . T' aimes pas un million de choses . T' aimes rien .
- Mais si . C' est là où tu te trompes .
[…] Elle a dit " Parce que c' est vrai . Nomme une seule chose " .
L' ennui c' est que je pouvais pas me concentrer vraiment . Par moments c' est dur de se concentrer .
[…] J' ai dit " J' aime Allie et j' aime faire ce qu' on fait en ce moment . Etre assis là avec toi à bavarder et réfléchir à des trucs et …
- […] Trouve encore une chose . Ben ce que tu voudrais être plus tard . Par exemple, ingénieur . Ou conseiller juridique .
- Je pourrais pas être ingénieur . Je suis pas assez fort en sciences .
- Alors conseiller juridique - comme Papa .
- Les juristes sont des gens bien, je suppose, mais çà me tente pas . Je veux dire ce serait des gens très bien s' ils s' occupaient tout le temps de sauver la vie de pauvres types innocents et qu' ils aiment çà, mais c' est pas ce qu' on fait quand on est juriste . Tout ce qu' on fait c' est ramasser du flouze et jouer au golf et au bridge et acheter des bagnoles et boire des martini et être un personnage . D' ailleurs, même s' ils s' occupaient tout le temps de sauver la vie des types innocents et tout, comment on pourrait savoir qu' ils le font parce qu' ils veulent vraiment le faire ou parce que ce qu' ils veulent vraiment faire c' est être un avocat super, que tout le monde félicite en lui tapant dans le dos au tribunal quand le jugement est rendu …"
Holden soulève les questions du vrai et du faux-self, de la place de la créativité dans la vie professionnelle et de son sens existentiel, objets de débats ou de crises inter-générationnels qui ont pris des formes et une importance variables selon les époques et les lieux .
Puis il se met à penser à un poème de Robert Burns, et fait deux lapsus sur son titre, évoquant " Si un cœur attrape un cœur qui vient à travers les seigles ", alors qu' il s'agit de " Si un corps rencontre un corps qui vient à travers les seigles ", lapsus dont le sens apparaîtra dans la rêverie qu' Holden confiera ensuite à sa petite sœur :
" Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout . Des milliers de petits mômes et personne avec eux je veux dire pas de grandes personnes – rien que moi . Et moi je suis planté au bord d' une saleté de falaise . Ce que j' ai à faire c' est attraper les mômes s' ils s' approchent trop près du bord . Je veux dire s' ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et je les attrape . C' est ce que je ferais toute la journée . Je serais juste l' attrape-cœurs et tout . D' accord, c' est dingue, mais c' est vraiment ce que je voudrais être . "
L' intensité psychique de ce passage qui a donné son titre au roman, nous met directement en communication avec les angoisses de chute et de morcellement qui assaillent cet adolescent, que cette rêverie poétique tente de figurer . Rêverie immédiatement suivie d' un acte qui permettrait à Holden de poursuivre l' expression et la compréhension de ce qui surgit alors en lui, mais aidé par un adulte, qui jouerait envers lui le rôle de l' attrape-cœur, et dont il ressent alors le besoin incoercible : il décide en pleine nuit de rendre visite à un ancien professeur de lettres, qu' il estime être le meilleur qu'il ait jamais eu . Celui-ci le reçoit aussitôt, l' accueille, et sa femme lui installe un lit, où il pourra passer la nuit quand ils auront fini de parler . Le professeur entame avec Holden un échange que l' on pourrait qualifier de philosophico-psychologique et qui se transforme en monologue, la fatigue submergeant petit à petit l' adolescent . Plus tard Holden manifeste de nouveau un agir, quittant précipitamment l' appartement de son professeur, après avoir perçu celui-ci assis à côté de son lit dans l' obscurité, en train de lui toucher la tête . Le lendemain, Holden mettra en doute l' interprétation perverse qu' il avait d' abord faite du geste de son professeur, et y verra un geste affectueux, apaisant, voire paternel .
Le roman se termine sur le retour d' Holden à son ancienne école primaire . Il veut dire au revoir à sa sœur avant de partir vers une destination lointaine et imaginaire . Nous comprenons qu' Holden est finalement rentré chez lui, puis a été hospitalisé, et qu' il a maintenant la perspective de reprendre ses études à la prochaine rentrée.
Allers-retours entre l' imaginaire et la réalité, le passé et le présent, l' isolement et le risque relationnel, le psychique et le corporel, la poussée pulsionnelle et les défenses, dynamique nécessaire à la mise en forme d' une identité psychique . Nous avons ressenti ces mouvements, angoissants par leur chaos et leur force, par leurs liens aux périodes les plus archaïques de la vie, au travers du récit littéraire de ces deux adolescences et nous les vivons également, me semble-t-il, au travers de nos thérapies aux évolutions les plus favorables .
Je terminerai de façon paradoxale, par une incursion dans la réalité, en rêvant que les établissements scolaires qui reçoivent des adolescents ne se contentent pas seulement d' être scolaires, mais puissent être également des lieux de rencontres et d' expressions culturelles, sous les formes les plus variées, favorisant ainsi la symbolisation et la psychisation dont l' adolescent a un besoin vital pour la construction de son être .
Monique Ponceblanc-Neuvéglise
Avec le temps :
La réflexion présente s’est organisée au fil du temps.
J’ai découvert en 2012, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne (69), la pièce de théâtre Qu’est-ce que le temps ? Cette pièce mise en scène par Denis Guenoun, reprend la traduction des Confessions de Saint Augustin, en termes d’Aveux par Frédéric Boyer[1]. Cette pièce était magistralement jouée par un acteur, Stanislas Rouquette, seul de bout en bout de la pièce.
Peu de temps après ce spectacle, mon collègue et ami Éric Van der Stegen me proposait d’intervenir dans le nouvel espace de paroles constitué alors par Les Fontainiers. Il s’agit d’un groupe de réflexion à thèmes divers, à partir d’un film ou d’une pièce de théâtre, vu ensemble par les 20 inscrits à un cycle qui se déploie sur 3 séances. Le groupe des Fontainiers fait partie intégrante des activités du Quatrième Groupe à Lyon. La première session du groupe s’organisait ainsi autour de la problématique : Le Temps. Il s’agissait d’abord de voir ou de revoir avec les membres du groupe d’inscrits au cycle sur le temps, la pièce de théâtre : Qu’est-ce que le temps ? Cette pièce depuis la première de 2012, avait été entre temps jouée de nombreuses fois dans toute la France et lors de cette séance de mars 2013, elle était suivie d’un débat avec le metteur en scène et l’acteur. Je la revisitais avec grand plaisir. Dans ce texte, qui constitue le Chapitre XI de ses aveux ou de ses confessions, Augustin débat de cette problématique du temps, essentielle et fondamentale pour tous les humains et en particulier pour les psychanalystes[2]. Je décidais pour mon intervention dans le cycle de m’intéresser à une notion introduite par Augustin dans son texte consacré au temps à la notion de distension de l’âme qui me paraissait énigmatique. Pour tenter d’éclairer la notion, je me proposais de la mettre en interaction avec une phrase tout aussi énigmatique aussi, de Freud, cette fois : La psyché est étendue et n’en sait rien.
A la même époque, j’étais confronté à la remémoration d’une phrase de Léo Ferré avec laquelle je ne me sentais plus en phase et que j’avais réentendue à cette période, lors d’un récital donné par une amie chanteuse : Natasha Bezriche.
Le texte de ma réflexion devait me revenir ainsi que le débat qui suivit où il avait été question de spiritualité et de problématique de mort, lors de la confrontation récente à la mort d’un collègue et ami, Jacques Schiavinato, psychanalyste grenoblois (SPP). Notre amitié perdurait depuis le temps passé mais toujours présent de notre adolescence. Cet ensemble m’a incité à vous le proposer à la lecture dans l’espérance d’un nouvel échange plus large.
La distension de l’âme :
Revenons tout d’abord à cette notion de distension de l’âme en la resituant dans le contexte du Chapitre XI : Le sujet humain a la capacité de retenir le passé (grâce à la mémoire) et d’en restituer des bribes dans le champ de la parole ; il a aussi la capacité d’envisager le futur (grâce à l'«attente »). La temporalité humaine se situe donc en tension entre la mémoire du passé (ravivée dans le souvenir) et l’attente de l’avenir (dans la promesse et l’espérance). Augustin parle ainsi de « distension de l'âme » parce qu'elle est tout à la fois « attention » (dans le temps présent), « attente » » (d'un temps à venir) et « mémoire », ou « rétention » (du temps passé). Ainsi la distension de l’âme résume la position paradoxale d’Augustin, pour lequel il n'existerait, fondamentalement, qu'un seul temps celui du présent qui se conjugue pourtant en 3 : « C’est clair et net. Ni le futur ni le passé ne sont. Il serait plus approprié de parler des trois temps, présent du passé, présent du présent, présent du futur. Les trois existent dans l’âme et nulle part ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire. Le présent du présent, c’est l’observation. Le présent du futur, c’est l’attente. Si on m‘autorise cette façon de parler, alors oui, je vois trois temps, je reconnais l’existence de trois temps. » Aveux, XI, 26, P.323
Retenons que Les trois existent dans l’âme et nulle part ailleurs. Si, ces trois temps du présent n’existent que dans l’âme, cela ne reviendrait-il pas à dire qu’ils relèvent d’un temps subjectif plutôt que d’un temps objectif.
Ajoutons que toute une dimension du Livre XI des Aveux consiste en une réflexion orientée sur la condition temporelle psychique, animique (dirait la nouvelle traduction française des Œuvres Complètes de Freud) et donc subjective de l’existence humaine. Ajoutons aussi que le livre XI consiste en une précision du propos sur la mémoire traitée dans le Livre X.
Alors que tous les autres êtres vivants vivent dans l'immédiateté du temps objectif, l'homme, lui, garde trace(s) de ce qui s’est passé pour lui. Son existence est orientée selon le sens (entendu comme direction tout comme signification) donné au fil du temps. De plus, en tant que psychanalystes, nous nous baladons bel et bien dans le processus de la cure, entre les traces de ces trois dimensions du temps :
- celui du passé dont l’oubli et le refoulement structure, pour partie, l’inconscient ;
- celui de son actualisation possible sous forme de remémoration par le biais de l’association libre ouvrant au retour du refoulé dans le présent du transfert ;
- et enfin, l’attente du futur comprise dans la réalisation différée du projet identificatoire qui est lui-même un compromis toujours renouvelé entre identification narcissique et identification symbolique émergeants du temps des origines.
En tant que psychanalystes, nous sommes aussi conduits à prendre en compte les limites de la temporalité humaine entre l’archaïque qui émerge de l’informe prénatal et la conséquence psychique de la mort physique qui constitue la butée ultime de la vie corporelle[3].
Je pense que la conception psychanalytique permet de distinguer un conflit des instances à propos du temps : un inconscient qui ignore la dimension du temps, de la castration comme celle de la mort dit Freud ; en effet, dans l’inconscient, la dimension du temps comme celle de la mort serait impensable, alors que dans le conscient, la dimension temporelle s’inscrit dans la problématique des origines et de celle concernant la mort et son au-delà éventuel. Nous pourrions aussi dans les termes de la 2ème topique freudienne, repérer le conflit entre un ça inconscient et un moi en partie conscient mais aussi au cœur même du surmoi entre un moi-idéal imaginaire et un idéal du moi symbolique qui seraient d’ailleurs l’un et l’autre atemporels, le premier d’ordre narcissique alors que le second serait d’ordre symbolique. Retenons simplement qu’au niveau des instances psychiques, la dimension du temps est éminemment objet de conflit psychique. Du point de vue économique, ce conflit se joue entre les pulsions de vie qui tendent à établir de nouvelles liaisons temporo-spatiales génératrices de plaisir/déplaisir et des pulsions de mort qui dans le sens du principe d’inertie, tendent à nier toute temporalité.
L’étendue de Psyché :
Revenons à la formule freudienne sur l’étendue de psyché : Cette formulation est extraite d'une citation de Freud datée du 22 août 1938 et publiée après sa mort dont voici le texte complet : Il se peut que la spatialité soit la projection de l’extension de l’appareil psychique. Vraisemblablement aucune autre dérivation. Au lieu des conditions à priori de l’appareil psychique selon Kant. La psyché est étendue, n'en sait rien.[4]
Psyché est étendue et n’en sait rien est une formule qui, du point de vue du conflit psychique, est intéressante dans la mesure où cette étendue est présentée comme éminemment inconsciente. Mais : quid de cette étendue de psyché que j’ai peut-être trop vite tendance à assimiler à une étendue dans le registre du temps alors qu’il pourrait s’agir, aussi de l’étendue spatiale métaphorisant un corps de femme allongée. Nous pouvons nous référer ici au roman d’Apulée, Les métamorphoses[5] qui traite du mythe grec de Psyché, de son abandon sur un rocher et de sa rencontre avec Eros, de la jalousie de ses sœurs et de sa réanimation par Eros, de son accès à la divinisation et de la naissance de leur fille Volupté[6]. Bien que la phrase de Freud, contienne explicitement une référence à Kant, Jean-Luc Nancy[7] l'interprète à partir de Descartes. Elle est pour lui la pensée la plus fascinante, et peut-être la plus décisive de Freud qui, selon lui, n'a pu lui venir que parce qu'il pensait contre le sujet cartésien. Irréductible à une pure pensée, Psychè est étendue. Elle est l'union fragile d'une pensée et d'un corps - cette union impossible que Descartes a tenté de dépasser en introduisant le concept de Cogito dans ses Méditations.[8]
L’articulation interactive que nous pousse à opérer la rencontre de la distension de l’âme avec l’étendue de psyché tendrait à nous faire reconnaître l’importance du registre temporo-spatial dans la constitution du sujet psychique émergeant de l’archaïque à travers le jeu de l’image préalable ou coexistant à l’acquisition et l’appropriation du langage.[9] L’importance de l’image est essentielle à repérer tant dans le parcours du temps que dans le registre de l’espace. Nous pouvons dire que le temps vécu, comme l’espace vécu, sont constellés d’images qui s’articulent aux éléments propres au langage. Pensons alors aux concepts freudiens de représentations de choses et de représentations de mots ainsi qu’à la conception de Piera Aulagnier préférant le différentiel des images de choses et des images de mots, sans oublier la différenciation lacanienne entre réel, imaginaire et symbolique.
Variations :
Venons-en maintenant à un autre axe de questionnement concernant l’assimilation d’âme et de psyché et l’apport de la problématique augustinienne de l’âme à la compréhension psychanalytique de la psyché.
Je dirai volontiers que c’est la psyché qui donne sens au temps du fait de son étendue du passé à l’avenir comprenant le présent sans pour autant, négliger le vécu des ravages du temps s’exprimant tant au niveau corporel qu’au niveau psychique. L’être du temps de l’humain est contingent et se conjugue aussi en rapport dialogique avec le non-être. Il me semble que jusqu’à ce point arrivé, la considération de l’âme selon Augustin peut tout à fait s’identifier à cette conception de la constitution et du fonctionnement de la psyché.
Cependant, pour tenter d’aller plus loin, jetons un œil sur le Dictionnaire culturel de la Langue française, le Grand Robert, pour nous repérer étymologiquement et nous lisons :
Âme, non féminin (anima, Xème Siècle, Aneme XIème Siècle, puis anme, 1080, dénasalisé en ame en 1181) issu du latin, anima. Le latin distinguait animus, principe mâle traduisant le grec thumos et s’opposant à corpus et le principe femelle anima traduisant le grec psukhê. Animus concurrencé par spiritus a reculé devant anima. Ces mots évoquent le souffle et sont apparentés au grec anémos.
Dans une perspective religieuse ou spiritualiste, poursuit le grand Robert, la notion d’âme renvoie à la sensibilité de la pensée chez l’homme opposée au corps.
D’autres repérages de cet article du dictionnaire, montrent l’assimilation d’âme avec psyché mais aussi avec l’esprit. Ils comprennent l’âme comme traduction d’un principe de la vie tant végétative que sensitive en termes d’esprit, de force, de souffle et de vie. D’aucun de ses derniers repérages pose in fine, la question de l’immortalité de l’âme.
Revenant à Augustin, nous pouvons remarquer qu’il ne se limite pas à une solution spéculative concernant l’être du temps et sa mesure individuelle. Il va articuler sa réflexion concernant la temporalité à l’expression spirituelle qui s’y déploie et il la déplie dans toute son étendue.
Si la distension de l’âme l’attire vers des choses qui s’écoulent dans le temps, sa tension l’attire vers Dieu. Ceci n’est pas une évidence pour tous ni pour chacun d’entre nous dans tous les moments de notre vie humaine. Essayons de développer ce point de vue en nous appuyant sur la pensée augustinienne comprise dans son ouvrage La cité de Dieu[10] qui distingue :
- La cité terrestre obéissant aux lois temporelles fondées sur l’amour de soi allant jusqu’au mépris de Dieu ;
- La cité céleste, en exil sur la terre mais qui indique sa présence sur terre par la médiation du Christ, en tant que Dieu fait homme.
Augustin postule que tout humain est attiré par le bien qui correspond à un élan spontané vers Dieu qui se trouve entravé par la fascination de l’homme pour certains biens temporels. Il fait référence à l’amour : Aimer au cours de l’existence humaine dans la cité temporelle s’exprime dans les termes différents d’aimer son plaisir, de s’aimer soi-même, voire même d’aimer son prochain comme soi-même. Le péché originel a bel et bien consisté en un péché d’orgueil narcissique de penser pouvoir s’emparer de la connaissance du bien et du mal en goûtant le fruit de son arbre au point de se trouver honteux de découvrir la nudité humaine[11].
Cependant, Dieu est présent dans la cité terrestre du fait du passage temporel du Christ, du fait de sa mort et de sa résurrection[12]. Ainsi le Christ serait le seul capable de rendre à l’existence humaine consistance et solidité et c’est bien le sens du verset 39 du Livre XI qui annonce la fin de la réflexion sur le temps : et qui s’ouvre comme un hymne à l’Amour : Ton amour est meilleur que la vie. Ma vie à moi n’est que tension.
Le retour en fin du texte XI s’établit en reprise de l’éternité de Dieu qui s’est fait temporel pour que l’homme devienne à son tour éternel. Rappelons-nous le propos de départ de la prière d’Augustin au verset 13 du Livre XI : « Tes années ne vont ni ne viennent, les nôtres vont et viennent pour que toutes passent ».
Nous voyons que la démarche d’Augustin consiste à établir une dialogie entre les contraires apparents que constituent, le temps de l’humain et l’éternité de Dieu. Cette démarche s’appuie ou s’articule sur son autoanalyse (appelé confessions ou aveux) faite en direction de Dieu qu’il implique en tant qu’Autre.[13] Le discours qui s’ensuit porte sur ces déficiences vécues en terme d’échecs, d’erreurs voire de fautes. Il éprouve ce faisant, ses manques à être, tout en mettant à jour son désir d’unité d’être, son désir de vérité et sa tension vers le bien. Le chemin de conversion comme le cheminement de la cure est progressif et processuel ; il n’est pas linéaire ni uniquement chronologique mais implique la temporalité (l’épaisseur du temps), la mémoire, la levée du refoulement suscitée par la régression temporelle[14], le transfert sur l’Autre, et l’idéalisation sublimatoire du futur. Les passages entre dehors et dedans, dedans et dehors, entre le sociétal et l’intériorité du sujet traversent la psyché qui ne saurait avoir en elle-même son centre de gravité.
Situées entre soi et Dieu, l’âme comme la psyché entre égo et altérité, peut être distendue, éparpillée entre des investissements pulsionnels qui sont conflictuels. Au même titre que l’âme, la psyché peut aussi être tendue vers les objets d’idéalisation ou de sublimation dans une perspective de sérénité, au-delà des conflits.
La psyché se trouve prise dans la temporalité et soumise au changement tout en se heurtant à ses propres limites que nous avons situées au niveau de l’archaïque et au niveau de la mort[15]. Un de ses possibles s’exprime en capacité d’oubli et de refoulement alors qu’un autre de ses possibles implique capacités de souvenir, d’imaginer et de raisonner. L’âme va au-delà de psychè dans la mesure où son pouvoir de sublimation lui permet de se dégager des contraintes pulsionnelles et de se situer par rapport à Dieu.
Temporalité de l’humanité et temporalité de l’humain peuvent aussi se traduire dans les termes de la phylogenèse et de l’ontogenèse qui sont en corrélation étroite : l’ontogenèse étant une reprise dans la temporalité humaine de la temporalité de l’humanité si l’on prend en compte la théorie de la récapitulation de Haeckel tel que le fait Freud.
L’atemporalité de l’éternité implique un double postulat à savoir un en-deçà de l’archaïque et un au-delà de la mort ouvrant la problématique d’immortalité[16]. Toute la prière adressée à Dieu par Augustin tend à articuler la reconnaissance de l’éternité confondue, par lui, avec l’existence de Dieu et le débat rationaliste qui est aussi le sien en prise sur l’objectivité du temps. Ce discours de type obsessionnel est très bien rendu dans la pièce de théâtre par l’acteur. Il nous faut remarquer qu’il s’agit d’un débat entre spiritualité et rationalité. La dimension spirituelle est comprise dans la prière initiale qui est présente au début du texte et qui structure le temps du désir ou se structure du temps du désir.
Comme nous l’avons déjà noté nous voyons que la problématique du temps s’articule à la problématique des origines du monde. Si la réponse d’Augustin est laborieuse, elle est cependant claire : Tu l’as fait dans ta parole (XI, 7). Il s’ensuit une référence au texte évangélique de la transfiguration : Celui-ci est mon fils, je l’aime. J’ai tenté de montrer dans un texte antérieur[17] comment la transfiguration nous convoque à la problématique de nomination de l’image et à son ouverture à la problématique de l’icône. Nous voyons que ce passage de l’image à l’icône par l’acte de parole implique l’Amour. Augustin est encore plus explicite : Une parole énoncée et transmise.
L’inscription du petit d’homme se fait effectivement dans et par le langage, nous rencontrons cette vérité dans la pratique de la psychanalyse. Cette inscription se déploie dans le temps grâce à l’Amour de l’autre.
Si la mélodie de Ferré continue à nous enchanter, ses paroles d’« Avec le temps », nous paraissent moins pertinentes.
Nous demeurons confrontés à une double voie d’humanisation celle qui va du réel vers le symbolique et celle qui va du symbolique vers le réel. Le paradoxe de l’humanisation consiste dans le constat que tant qu’on n’a pas atteint la seconde voie, rien ne pourra être dit de la première ! Et si la transcendance était une voie transversale qui détendrait le paradoxe de cette rencontre fondamentale entre réel et symbolique ! ?
En attendant, Adieu Jacques !
Marc Bonnet
Juin 2012-Janvier 2015
[1] Saint Augustin, Les aveux, Nouvelle traduction des Confessions (397-401), par Frédéric Boyer, POL, 2004.
2 Pensons ici au travail de Ghislain Lévy sur L’invention psychanalytique du temps, paru chez L’Harmattan en 1996.
3 Bonnet M., Aux limites de la temporalité : de l’archaïque à la mort, Filigrane, Numéro 1, Printemps 2013.
4 Freud S., (1938) in Résultats, Idées, Problèmes, TII, PUF, 1985
5 Apulée, Métamorphoses, 3 vol., par P. Vallette et D. S. Robertson, 1940-1945
6 Pour plus de précision, voir un travail récent : Bonnet M., De quelques avatars des rapports complexes entre Psyché et Dieu. 2012-2013. (A paraître)
7 Nancy J-L, Corpus (1992-2000). Editions Métailié, 2000
8 Descartes R., (1641) Méditations métaphysiques, PUF, Quadrige, 2009
9 Pensons ici au livre de Jean-Claude Rolland : Avant d’être celui qui parle. Gallimard, 2006
10 Saint Augustin (413-427), La Cité de Dieu, La Pléiade, 2000.
11 Bonnet M., De quelques représentations possibles du péché originel in Topique 105, Religions et sexualité, 143-160, Le Bouscat, L'Esprit du Temps, 2009
12 Voir à ce sujet le livre très récent de Jean-Michel Hirt : « Paul, « l’apôtre qui respirait le crime », Pulsions et résurrection, Actes Sud 2014
13 Remarquons ici la place de la prière chez Saint Augustin pour laquelle je reprendrai volontiers l’expression de Denis Vasse[1] la qualifiant de temps du désir.
VASSE D., Le temps du désir, Seuil, Paris, 1969, 170 p. et coll. « Points essais », 1997, avec postface, 185 p. La prière, une expérience
14 Peut-on parler de pulsion de régression avec Jean-Paul Valabrega dans son livre : Chronopathies, Dunod, 2005 ?
15 Bonnet M., Aux limites de la temporalité : de l’archaïque à la mort (art. Cité)
16 L’idée m’est venue de préciser cette ligne de pensée en termes d’un Au-delà du principe d’inertie ! Qui aurait à voir avec la notion d’apocalypse entendue entre catastrophe et révélation… (Travail en cours d’élaboration)
17 Bonnet M., Transfigurations, in Topique, N°85, 2004
SEMINAIRE « UNE THEORIE KLEINIENNE DE LA CREATIVITE »
Francis Drossart
14 novembre 2014 : L’œuvre de Niki de Saint-Phalle
Née à New-York en 1930 après la crise financière et la découverte par sa mère de l’infidélité paternelle («Je suis une enfant de la dépression »), morte en Californie en 2002 (non loin du Mexique dont le culte solaire inspire une partie de son œuvre), Niki de Saint-Phalle est sans doute l’un des plus grands sculpteurs de tous les temps… sinon «le plus grand», comme se plaisait à dire son complice et amant Jean Tinguely, négligeant Praxitèle, Michel-Ange, Puget, Rodin et quelques autres. En tout cas, contrairement au couple Rodin – Camille Claudel, le couple Niki – Tinguely fut un couple échappant au machisme. Et le féminisme, auquel Niki n’adhéra jamais explicitement, lui doit la comparaison entre le statut de la femme dans le monde et celui des noirs américains… lors de cette époque des « seventies » pendant laquelle John Lennon et Yoko Ono scandaient : « Woman is the nigger of the world »… L’on se souvient des deux temps successifs décrits par Albert Camus : celui de la prise de conscience de l’absurde (L’étranger) puis celui de la révolte (L’homme révolté). Chez Niki, qui revendique avec dérision son statut de descendante de Gilles de Rais, et se mobilisera totalement au cours des années 80 dans la lutte contre le Sida, les deux temps (dadaïste d’une part, engagé d’autre part) coïncident toujours. Et les Tirs illustrent particulièrement cette dualité. Celle qui tira sur des autels fut aussi celle qui construisit des cathédrales (cette Hon, statue d’une femme allongée que l’on peut visiter en entrant par son portail vaginal)… Ou qui érigea les Totems.
L’on raconte que Marta Arguerich, à l’âge de quatre ou cinq ans, monta sur un tabouret de piano pour relever le défi d’un cousin, et devint celle que l’on sait. C’est ainsi que je me représente la jeune sauvageonne vêtue de blanc et armée d’une carabine 22long rifle, réalisant ses premiers tirs dans un fond de jardin qui jouxtait l’Hôpital des Enfants Malades.
Nous avons vu la fois dernière comment on peut, à travers les tentatives heureuses ou malheureuses de réparation de la position dépressive décrite par Mélanie Klein (une autre Calamity Jane !), élaborer une théorie de la création artistique qui va plus loin que celle élaborée par Freud avec la notion de sublimation. Rappelons qu’ Hanna Segal, s’appuya, notamment sur l’œuvre de Proust, énonce que l’artiste, l’écrivain, le compositeur, cherchent inlassablement à recréer un univers définitivement perdu. Mais pas à l’identique. Que penser de ces autocars de touristes garés devant la maison de Combray où chacun s’extasie devant le service à thé dans lequel Marcel trempa la petite madeleine. Mais ce qui donne au Narrateur de la Recherche, dans le Temps Retrouvé, la force de surmonter son désespoir, alors que les protagonistes vieillis de son enfance lui renvoient sa propre image flétrie par les « ravages du temps » - et lui rappellent sa jeunesse perdue en mondanités, c’est l’idée que « la vraie vie, c’est la littérature ».
Opposant l’artiste au psychotique, Segal cite un roman de W.Golding, La Flèche. L’action met en scène, au Moyen Age, un constructeur de cathédrales mégalomane qui veut élever une flèche d’une hauteur exceptionnelle. Son sadisme et son mépris de ses collaborateurs s’opposent trait pour trait au grand respect de Niki pour les artisans de Toscane auxquels elle fait appel pour son Jardin des Tarots. Le sadisme du héros de La Flèche, tout particulièrement dirigé contre les couples, est lié, selon Segal, à une représentation de parents antisexuels. Bion fait de ce fantasme de parents antisexuels l’un des plus actifs à l’œuvre dans les meurtres schizophréniques. Comment ne pas voir dans les Tirs la réalisation symbolisée de ce fantasme (lié à la réalité de l’enfance de Niki). Ou dans cette Promenade du dimanche, ces représentations de Mères dévorantes et de Pères prédateurs ? Ou dans ce dinosaure de King Kong qui, au milieu des missiles atomiques, détruit une ville au milieu des médaillons de chefs d’Etat masculins ? « Le symbole ainsi créé n’est ni une copie, ni l’équivalent de l’objet. Il s’agit d’une re-création ressentie comme dotée d’une existence indépendante de l’artiste lui-même : il ne crée pas seulement dans son monde interne, mais donne vie dans le monde externe ». (Segal)
Et c’est précisément cette re-création qui est à l’œuvre dans la plupart des œuvres de Niki. Le Golem de Jérusalem évidemment, appelé « Le Monstre » par les enfants qui dévalent l’une de ses trois langues en forme de toboggan .Cette Fontaine de Château-Chinon, ou celle de la place Stravinski, où les redondances colorées de Niki se heurtent et se mélangent aux roues dentées couleur de rouille, de Tinguely ? Dans cette page qui semble sortie d’un livre pour enfant, intitulée « My love, where shall we make love ». Ou dans ces Nanas dansantes, dont l’une d’elles, qui semble avoir quatre jambes, semble évoquer ces êtres doubles du discours d’Aristophane, dans le Banquet de Platon qui décrit ainsi la démarche de l’androgyne primordial : « … ou bien, quand il entreprenait de courir vite, c’était à la façon d’une culbute et comme quand, en faisant la roue, on se remet d’aplomb dans la culbute par une révolution des jambes : en s’appuyant sur les huit membres qu’il possédait alors, l’homme avançait vite, à faire ainsi la roue ! ».
« Comment la culpabilité peut-elle inhiber la créativité ? » se demande Segal. Elle cite à l’appui le rêve de l’un de ses patients, écrivain,sous l’emprise d’un surmoi paternel sadique et écrasant. Dans son rêve, il est capturé par les nazis ; il se trouve dans une pièce sombre où se trouvent notamment Goering et Göbbels. Pour gagner du temps, il leur propose d’écrire leur biographie à la manière héroïque, tout en sachant qu’ils vont quand même le tuer. L’on comprend qu’une représentation aussi peu exaltante de l’écriture entraîne une paralysie complète chez l’écrivain – auteur du rêve !.. Au contraire, Niki, dont l’imaginaire familial peuplé de chevaliers, mais aussi de monstres et de dragons, la prédispose peut-être à ne pas être impressionnée par les nazis (qu’elle ne rencontra pas à vrai dire dans la réalité), retourne la formule de Goëbbels « Quand j’entends le mot ‘culture’, je sors mon révolver ». En faisant « saigner la peinture » avec ses tirs à la carabine, elle (re)-crée de la culture. Avec l’iconoclastie, elle fabrique de l’art!...
Citons encore Segal : « Tous les enfants, à l’exception des plus malades, et tous les adultes jouent. Peu deviennent des artistes. L’artiste a besoin d’une capacité très spéciale pour trouver une expression aux conflits les plus profonds, pour traduire le rêve en réalité. Il réalise une réparation durable dans la réalité aussi bien qu’en fantasme ».
De quel monde détruit s’agit-il chez Niki ? Nous en arrivons, bien sûr, au Secret, c'est-à-dire à l’inceste paternel.
« Maman, j’ai une merveilleuse nouvelle ! Papa est mort ! » (Daddy). Bien des années plus tard, Niki rédige ce petit livre, d’une écriture enfantine reproduite telle quelle dans l’ouvrage. L’on dirait un conte pour enfant des années 60, bien loin de l’art avant-gardiste de ces années-là, d’un Rauschenberg, d’un Duchamp, d’un Jasper Johns. Non, un peu comme ces histoires de Babar l’éléphant, genre « Un papa, une maman »,avec un château en arrière-plan rappelant les origines aristocratiques du père (« pas de quoi se vanter, dira Niki, d’avoir fait les croisades : c’étaient des boucheries ! »). Et puis la remise, les gestes sordides et répétés du père. Et puis la honte, le silence. Cette mère lui disant après la publication du livre : « Si j’avais su ! »… Mais le fond du jardin de Ronsin, où Niki va commencer ses Tirs, est bien le lieu géométrique d’une réparation créatrice (et non magique), par Niki, du « vert paradis des amours enfantines » détruit à tout jamais lorsqu'elle avait douze ans.
« J’ai commencé à peindre chez les fous », disait-elle. Elle ajoutait aussi parfois que les hommes ne servaient à rien, ce qui n’était pas très aimable pour Jean. Ce compagnon devenu mari, dont elle fut l’exécuteur testamentaire fidèle, comme le fut plus tard pour elle sa petite fille Ploum, qui lui donna la joie d’avoir un fils métis. J’imagine Niki dans cette clinique psychiatrique où elle reçut une dizaine d’électrochocs. Elle vient de montrer à son psychiatre la lettre d’aveu du père. Elle entreprendra plus tard une analyse, mais ici, là où elle est, chez les fous, on ne pratique pas cela. On est déjà dans cette « médecine basée sur l’évidence » qui a de beaux jours devant elle. Le psychiatre lui tend la lettre, et lui demande d’arrêter de croire à ces sornettes. Le soir même, il écrira au père pour lui conseiller de consulter, pour ce qu’il estime être un délire d’auto-accusation…
Alors que Niki est la femme d’Henry Matthews, un écrivain sympathique et talentueux, qui lui a « donné » deux enfants, l’une de ses amies artistes lui dit « Alors, comme cela, tu es une femme d’écrivain qui fait de la peinture ? ». Elle quitte son mari, lui confie les enfants, et s’enferme dans son atelier avec de la peinture, des spaghettis, des grains de café… Et elle en voudra longtemps à l’amie en question, pour reconnaître ensuite qu’elle lui devait d’avoir osé vivre sa vocation d’artiste. Le défi l’avait stimulée.
Il est plus que vraisemblable que Niki, au cours de ses séjours parisiens, rencontra un analyste, une femme probablement. Et que ce travail lui fut précieux. Mais ceci ne contredit pas le fait que bien avant, dès cette époque où l’élève pré-pubère du Couvent américain du Sacré-Cœur se fait exclure pour avoir peint en rouge les feuilles de vigne recouvrant les statues, Niki artiste apparaît casquée et toute armée dès la naissance, comme Athéna sortant du crâne de Jupiter.
Il paraît que Franz Schubert, un jour, entra chez l’un de ses amis, et avisa un moulin à café rempli de grains. Il le jeta par terre, les grains se renversèrent, et il dit alors « Quel instrument merveilleux maintenant. On n’a plus qu’à tourner la manivelle, et voilà, les notes, les mélodies apparaissent. On n’a plus qu’à les écrire ! »
Schubert était un homme, petit, laid et d’origine très modeste. Il était aussi un génie. Niki était une femme, grande, belle, et de « haute extraction ». Elle affectait de se moquer de tout cela. Peut-être le fait d’avoir posé pour des magazines de mode, d’avoir été femme objet d’une autre manière que dans la remise du père, influença-t-il son art. Mais pour moi, Niki, c’est celle qui ramasse les grains de café jetés à terre par Franz et qui, comme lui avec le moulin vide, mais en ramassant ces grains et en les collant sur ses tableaux, construit une œuvre merveilleuse.
FD
Références bibliographiques
(1) CATALOGUE DE L'EXPOSITION
(2) PLATON, « Le Banquet.tr.fr 1950 », Gallimard, Bibliothèque de la Pleïade
(3) QUINODOZ Jean-Michel, « Entretiens avec Hanna Segal », 2008, Puf
(4) HANNA SEGAL, « Délire et créativité », tr.fr
Entretien du 16 avril 2012 accordé par Ghyslain Lévy à la revue Filigrane.
Invité par la société psychanalytique de Montréal à l'occasion du colloque du printemps 2012, Ghyslain Lévy avait accepté d'accorder une entrevue à Ellen Corin, psychanalyste membre habilité de la société psychanalytique de Montréal, intitulée "De quel reste à venir la psychanalyse est-elle le nom ?"
La vidéo de cet entretien est accessible en cliquant sur ce lien
Le texte de cet entretien est accessible en cliquant sur ce lien
D’UNE VIE A L’AUTRE : UN FILM DE GEORG MAAS (Allemagne, 2013)
Monique Bydlowski définit la « dette de vie » comme la participation inconsciente à l’œuvre dans la transmission entre les générations. S’appuyant sur les travaux du Centre Picker-Loczy, Bernard Golse étudie ces effets chez les enfants accueillis en orphelinat.
Katrine (dont le rôle est magistralement interprété par Liv Ulmann, actrice dans « Sonate d’automne » d’Ingmar Bergman) est considérée comme l’un de ces enfants germano-norvégiens nés pendant la IIe Guerre Mondiale, récupérés par les nazis en vue de leur programme d’aryanisation (« Lebensborn »), puis abandonnés après la chute du IIIe Reich et considérés comme des intouchables. Comme d’autres enfants de la RDA, elle vivra dans un orphelinat sous le contrôle de l’omnipotente Stasi.
Nous la retrouvons bien des années plus tard en Norvège où elle a pu retrouver sa mère. Elle est, peu après la chute du Mur de Berlin, sollicitée par un avocat dans le cadre d’un procès contre l’Etat norvégien, sous l’égide de la Communauté Européenne. Acceptera-t-elle de témoigner, au risque de faire voler en éclats le fragile équilibre dans lequel elle et son mari (rôle interprété par Sven Nordin), avec leur fille, se sont paisiblement installés ?
Le film va nous réserver une surprise de taille.
Tout le poids et le contrepoids de la vérité et du mensonge vont défiler sous nos yeux de façon hallucinante, dans une recherche de la vérité des origines et des origines de la vérité qui ne peut qu’évoquer pour un psychanalyste la rencontre d’Œdipe avec la Sphynge. En termes bioniens, la lutte entre les fonctions C (désir de connaissance) et –C (haine de la connaissance).
« Confusion has made its masterpiece » (la confusion vient de produire son chef-d’œuvre), Macbeth.
Il faut saluer le coup d’éclat de Georg Maas qui par ce « Zwei Leben » s’élève d’emblée au niveau des plus grands auteurs, dramaturges et cinéastes qui se sont risqués sur ce thème redoutable de la confusion et du déni des origines : Shakespeare, Pirandello, Kubrick, Thomas Bernard… et quelques autre. Et de renouveler avec vigueur le thème que l’on croyait éteint de la liberté sartrienne, qui fait réécrire en permanence le passé à la lumière du présent.
Francis Drossart
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Hommage à Marie-Claude Fusco
Notre collègue Marie-Claude Fusco, naît Barbier, le 2 Octobre 1929, dans une famille originaire du Morvan, bourgeoise et catholique. La fratrie comprend trois filles et un garçon. Adolescente, elle rejoint le mouvement scout, et devient cheftaine. Après ses études secondaires, elle fait des études de psychologie à La Sorbonne à Paris.
Son mariage avec Mario Fusco, professeur d’italien, la fait vivre en Italie, de 1956 à 1964, d’abord à Naples puis à Milan, où son mari enseigne et devient traducteur (Italo Calvino, Leonardo Sciascia et Elsa Morante). Ils ont 2 enfants, un fils, Emmanuel, et une fille Dominique. De retour en France en 1964, pendant cette période mouvementée de la deuxième scission de l’histoire de la psychanalyse, où la SFP se défait et se scinde en APF et École Freudienne (Lacan). Puis les évènements de 68.
Elle travaille d’abord un an comme psychologue auprès d’enfants ; en 1969 elle est recrutée au Dispensaire de la rue Tiphaine, comme psychologue vacataire, et y travaille jusqu’à sa retraite en 1994. Elle a rencontré Victor Smirnoff (APF) dans le cercle d’amis de Nathalie Zalztman.
C’est avec J. P. Valabrega (qui vient avec Piera Aulagnier et Perrier de se séparer de Lacan pour former le Quatrième Groupe) qu’elle va faire une analyse. Elle rejoint ensuite le Quatrième groupe. Je me souviens, avec les plus anciens, de son arrivée fin des années 75. Elle va occuper bientôt différents postes, notamment celui du secrétariat psychanalytique (deux mandats : 1981-1984 et 2000-2002), puis de Vice -Présidente (1987-1988 et 2007-2009), et de Présidente (1988-1989et1995-1996). Elle a co-dirigé avec V. Smirnoff un groupe de travail commun avec le Quatrième Groupe dans le dispensaire dirigé par V. Smirnoff, dans lequel J.C. Stoloff et moi avons participé début des années 80, sur la théorie de Lacan.
Au Quatrième Groupe elle a dirigé d’autres groupes de travail, elle a continué le dernier, sur « La sexualité infantile » alors qu’elle était déjà malade avant son opération.
Elle a écrit une dizaine d’articles, dont un avec V. Smirnoff et un autre avec J. Morisi (cf. le Site). Je me centrerai sur ces deux-là, pour leur intérêt engagé et toujours actuel dans cette période de crise. « La psychothérapie analytique : modulation ou déviance de la psychanalyse », 1989, Topique 44, article à contre-courant de l’opinion, alors répandue par les lacaniens, de l’écart entre la psychanalyse et la psychothérapie et d’une certaine dévalorisation, voire mépris pour ce parent pauvre : la psychothérapie analytique. Leur position montre combien cet exercice, au contraire, peut-être plus compliqué que la cure analytique et nécessite d’être psychanalyste.
Le deuxième, « De la consultation d’hygiène mentale de la Seine (OPHS) au département de psychothérapie : le centre Victor Smirnoff », co-écrit avec son amie Jacqueline Morisi reprend la communication que j’avais sollicitée pour un colloque, co-organisé avec Nicolas Gougoulis (SPP) au sein de la feue AIHP, et, à défaut de Topique, amicalement publié par Judith Dupont (Le Coq- Héron 2010, n° 201), intitulé « Histoire de a fondation des dispensaires psychanalytiques ». Avec son amie Jacqueline Morisi (présente dès le début de la création du dispensaire au côté de Smirnoff), elles rapportent comment cette aventure post - guerre a été rendu possible grâce au rôle clé du Dr Henri Duchêne dans l’orientation psychanalytique des services. H. Duchêne tait psychiatre responsable du Service d’Hygiène Mentale de la Seine et proche du noyau de ces psychiatres militants qui ont pensé la politique du secteur psychiatrique et la psychothérapie institutionnelle, Bonnafé, Tosquelles, etc. Sa rencontre avec le Dr V. Smirnoff, qui avait l’expérience de la Guidance infantile anglo-saxonne pratiquée aux Etats Unis a fait le reste. Depuis sa création en 1955, sont évoqués tous les aléas de ce dispensaire psychanalytique (difficultés, déménagements multiples, élargissement de la population soignée - d’abord aux adolescents puis aux adultes), luttant pour son autonomie de fonctionnement en gardant l’esprit de sa création, et l’ouverture à la formation. Rattaché au secteur de Perray - Vaucluse et finalement destiné aux adultes, ce dispensaire a pris, à la mort de son créateur en 1994, le nom de « Centre Victor Smirnoff (22 Boulevard de Sébastopol 75004 Paris). Quelques participants du Quatrième Groupe y ont travaillé comme psychanalystes.
Collègue attachante, cultivée, discrète et modérée dans les débats internes et les différents Bureaux, Marie-Claude va nous manquer.
Michelle Moreau Ricaud
Chère Marie-Claude,
C’est sous cette forme de lettre que j’ai choisi de m’adresser à toi, dernière lettre d’une longue correspondance que nous avons entretenue depuis des années, dans la complicité affectueuse d’une amitié que tu m’as si généreusement accordée.
Aujourd’hui, tu es enfin libérée des souffrances, des douleurs qui n’ont cessé de s’acharner depuis de longs mois, te rendant le quotidien de plus en plus insupportable, même si tu étais toujours discrète et réservée à ce propos. Ces dernières semaines, j’entendais ta faiblesse et ton extrême fatigue à ta voix, au téléphone. Mais je savais aussi qu’à tout moment, si je te parlais de notre Quatrième Groupe, de nos soirées au Séminaire, de nos réunions de membres, tu irais rechercher des forces en toi pour redonner à ta voix sa vigueur, retrouver aussitôt ton attention et ta présence. Alors la vivacité de tes remarques et ton humour étaient toujours là.
Ma chère Marie-Claude, c’est un long compagnonnage que nous avons partagé au Quatrième Groupe, partagé avec quelques amies chères, dans le même souci des valeurs de la psychanalyse qui nous ont été transmises et que tu as été toujours soucieuse de transmettre à ton tour. Nous en parlions souvent dans la perspective de prolonger l’œuvre de l’amie commune, celle qui nous était si proche, je pense bien sûr à Nathalie.
Nous avons poursuivi ensemble avec le Séminaire sur le Mal, ce que Nathalie nous avait généreusement confié, ce cheminement transversal de la réflexion analytique ouverte sur le divers, le multiple, l’hétérogène. Cette ouverture de tes intérêts a été une grande source de bonheur dans nos échanges, que ce soit à propos de musique, et là, tes connaissances lyriques, ta curiosité musicale éclectique, ton plaisir de la pratique du piano, étaient entre nous des moments de partage et d’amusement. Je ne parle pas de nos rencontres amicales à l’Opéra et des belles soirées dont nous parlions ensuite longuement.
Il y avait aussi les découvertes si excitantes de tes voyages dont tu me faisais ensuite le récit, et où se mêlaient ton intérêt toujours vif pour la Culture, et pour la rencontre des autres.
Il y eut aussi des dimanches éblouissants à la campagne, entre ami(e)s, certains ici doivent s’en souvenir.
Et puis il y eut des moments douloureux, des tunnels où se perd l’espoir, mais là tu as toujours été présente, et avec quelle insistance, quelle affection, quelle attention… J’en ai éprouvé la chaleur il n’y a pas si longtemps encore.
Ma chère Marie-Claude, ma dernière lettre s’achève mais ne s’achèvera pas le souvenir léger, souriant, attentif, que tu as laissé en moi, et je pense en chacun de nous. Ce souvenir m’enrichit et j’ai plaisir à le partager aujourd’hui avec tous.
Nous voilà réunis pour dire adieu à notre collègue et amie Marie-Claude avec qui, pour certains d’entre nous, nous avons partagé durant plus de trente ans nombre de moments de notre vie professionnelle, institutionnelle et amicale. Son investissement inlassable pour la transmission de la psychanalyse ne s’est jamais démenti puisque, jusqu’au bout, elle a tenu à ce que se poursuive le travail entrepris avec les participants de son dernier groupe de travail – il y en a eu bien d’autres - sur la sexualité infantile. La formation au Quatrième Groupe lui doit beaucoup : nombreux sont les participants qui peuvent témoigner de la qualité de son engagement auprès d’eux, de sa finesse analytique, de son écoute, de la qualité de son engagement d’analyste auprès d’eux et de l’accueil naturellement bienveillant qui a été toujours le sien au cours de sa participation aux différentes étapes qui jalonnent notre parcours de formation.
La vie institutionnelle ne la laissait pas davantage indifférente. Elle y était toujours très présente et nous étions, tous, sensibles à son avis. Si elle avait cette élégance discrète qui jamais ne s’impose, elle savait aussi exprimer franchement ses désaccords et ne rien lâcher sur la rigueur analytique et sur ses engagements.
Deux fois présidente de notre association, elle a aussi fait preuve de la modestie qui la caractérisait en n’hésitant pas, au moment où le Quatrième Groupe traversait sa crise la plus grave, à occuper une fonction moins honorifique au sein du Bureau. Parallèlement à ses activités au sein de notre groupe elle s’est aussi investie, avec sa générosité habituelle et pendant de longues années, comme analyste au Département de Psychothérapie Victor Smirnoff où son souvenir auprès de ceux avec qui elle a travaillé reste très vivant, ainsi qu’au BAPU de Saint Maur (Val de Marne).
Aucun de nous n’oubliera la fidélité indéfectible qui était sa marque : à notre Groupe, à ses collègues, aux participants dans les différents modes de rapport qu’ils ont eu avec elle, aux nombreux amis qu’elle avait, parmi nous, mais aussi dans d’autres espaces de la communauté analytique.
Au nom du Quatrième Groupe, et par-delà du chagrin de ton absence, je veux te dire merci, Marie-Claude, pour tout ce que tu nous a apporté et tant donné.
Certaines figurations de la cruauté, de l’horreur, du monstrueux, du pornographique…voire du mal en général produisent des effets d’effroi et de sidération, mais aussi des effets de fascination imaginaire. Or, de telles images sont véhiculées par les médias de façon quasi permanente et constituent même des supports à certains jeux vidéo. Nous essayerons de voir que ces figurations correspondent à des représentations de choses qui peuvent difficilement transitées vers des représentations de mots. Elles demeurent en état de choc des images sans pouvoir s’inscrire dans le registre du langage et de la parole et de ce fait même, elles incitent aux passages à l’acte les plus transgressifs par rapport aux interdits fondamentaux et aux simples règles de vie sociale. Nous pouvons alors nous demander comment l’ensemble sociétal marqué du sceau de la perversion ordinaire généralisée, légitime en quelque sorte un tel mode de figuration. Resterait alors à débattre des voies de traitement de ces impasses de figurations pour permettre au sujet l’accès à la symbolisation et à la subjectivation attenante.
Mots clés : Figuration-Horreur-Imaginaire-Mal-Monstre-Pornographie-Symbolisation
Commentaires :
Préambule :
Revenir 50 ans après en ce lieu n’est pas sans me faire vivre des limites à mon propre processus de figuration. En janvier 1964, j’avais effectivement un contact préalable avec Alfred Lang, alors nouveau Médecin Chef en cet hôpital. L’entretien d’embauche se passait sous un lampadaire peu éclairé et dans une atmosphère feutrée. Futur psychologue diplômé de la Faculté, j’étais en train de postuler au poste de praticien en la matière qui était en vue de création en ces lieux. Ciel ! Que de recommandations empreintes de précautions me poussant à penser que j’étais une sorte d’intrus dans un monde fermé qui m’effrayait tout en me fascinant à la fois. Certes de la folie, j’avais entendu parler à l’Université en termes psycho-pathologiques d’une part et en termes phénoménologiques d’autre part. Peu avant, j’avais passé de nombreuses demi-journées, enfermé dans un service de vieilles dames du Vinatier pour étudier la problématique des troubles mnésiques dans les différentes formes de démence sénile, mais je n’étais que stagiaire. Voilà pas que sous ce lampadaire, pointait l’image d’assumer une responsabilité dont je n’avais pas de représentations bien claires d’autant qu’il existait alors peu de modèles figuratifs de psychologue praticien et qu’à Saint-Jean-de-Dieu, je me trouvais en passe de devoir innover.
Quelques mois plus tard, je déambulais dans le couloir d’un des services à la recherche de, je ne sais, un bureau, un patient, un interlocuteur, un soignant, lorsqu’une voix venue de l’arrière m’interpellait : Eh, c’est toi le psychologue ? Je me retournais pour répondre par l’affirmative. Un homme plus âgé que moi, vêtu d’une blouse blanche et que j’identifiais à un infirmier, me dit alors : Faut faire attention, la semaine dernière un collègue a été agressé par derrière par un malade avec des ciseaux. Vaut mieux regarder derrière soi ! Ce conseil me fit prendre conscience du danger de l’attaque par surprise et de la pénétration possible par un outil contondant, représentation sadique anale s’il en est. Quelques années plus tard, lors d’une séance d’analyse, je fus amené sur le divan à mettre des mots sur cet incident qui me revint à l’esprit dans cette position particulière où j’éprouvais l’envie de voir ce qui se passait par-derrière et peut-être aussi celui d’assurer ma protection. La représentation brute d’agression sexuelle sous forme de sodomisation voire d’agression meurtrière put être associée à des scénarios infantiles vécus lors de la Seconde Guerre mondiale.
Ce n’est que bien plus tard que l’obscurité de mon attirance pour la folie qui m’avait fait choisir ce poste à Saint-Jean-de-Dieu plutôt que celui de psychologue dans le cadre de l’Education Surveillée de l’époque, sera en partie levée par la reconnaissance de ma grand-mère maternelle ayant séjournée bien avant moi dans un Asile d’Aliénés (Bonnet M. Dialogue entre objectivation et subjectivation dans la clinique de la folie. Le Coq-héron 206, Prendre soin, 80 à 97, Toulouse, Ères, 2011). Gageons que ce n’est pas par hasard que le sujet vient dans de tels lieux, même pour y gagner sa vie ! Lorsque Martine Baur, m’a proposé d’intervenir dans ce cycle sur Les aspects négatifs de l’image en ajoutant que mon propos pourrait constituer un avers de mon travail antérieur intitulé Transfigurations, j’ai accepté assez rapidement sans m’apercevoir que cela m’engageait par la même occasion à faire retour sur le passé et pourtant cela est si banal quand on pratique cliniquement et théoriquement la psychanalyse. Je suivrai l’inspiration suggérée par Martine pour engager mon propos sur la base de Transfigurations (Bonnet M., Transfigurations ! Topique 85, Mythes et anthropologie, 213-227, Le Bouscat, L'Esprit du Temps, 2004).
Transfigurations :
Dans ce travail datant de 10 ans, je me suis interrogé à partir de moments cliniques transférentiels et contre-transférentiels où l’analysant redevenant patient, semble se figer dans un état de béatitude et de bien-être dans la situation analytique qui l’amène à proposer à l’analyste quelque chose comme : Nous sommes bien ici vous et moi ! Ce serait bien que le temps s’arrête et que nous puissions rester ici dans une sorte de communication et de contemplation. Une collègue avec laquelle, j’avais parlé de ce moment avait à juste titre pointé l’aspect analyse interminable qui se profilait à un tel horizon et il m’était arrivé d’interpréter dans ce sens une telle position. Pourtant une belle séance, m’amena à entendre, un plus de la parole d’une analysante: Ce que je ressens ici a quelque chose de transcendantal, oui c’est transcendantal et j’aimerai que cela puisse durer ! J’étais moi-même saisi par quelque chose qui dépassait la rencontre et qui en quelque sorte la transcendait et c’était comme si l’espace lui-même s’en trouvait illuminé. Le terme de la séance approchait et grande était la tentation d’aller au-delà. Me revint alors fugacement le thème évangélique de la transfiguration du Christ accompagné de trois de ses apôtres, de sa blancheur fulgurante, (Luc 9,28) de l’apparition d’Elie et de Moïse conférant avec Jésus, de la demande de Pierre : Et si nous plantions trois tentes ici ! Et puis cette voix qui sort de la nuée : Celui-ci est mon fils, écoutez-le !
Cette évocation de transfiguration me permit de lever la séance en évoquant la nécessité de reparler de ce moment vécu en commun dans les séances suivantes. L’analysante put alors reprendre de nombreuses représentations déjà évoquées qui prirent alors leur plein sens. Ce qui m’avait frappé dans ces moments cliniques, ce fut l’effet de sidération et de complaisance dans l’image au point de la figer voire de la statufier en tentant de l’écarter de tout effet de langage et de parole. Le texte biblique montre à merveille qu’il est un imaginaire qui ne se referme pas sur lui-même mais qui, du fait des effets de parole peut s’ouvrir au symbolique tout en permettant une articulation nouvelle à la réalité.
Le travail de 2004 m’avait conduit sur le plan théorique à m’interroger sur la notion d’icône en y voyant une articulation condensée de l’image et du signe qui permettait d’envisager les interrelations entre imaginaire et symbolique sur un mode différent que celui d’une opposition tranchée mais en faisant interférer une tiercéité entre les 2 registres.
L’avers de la transfiguration nous conduirait à considérer l’existence d’images fonctionnant pour elles-mêmes en opposition à tout effet de symbolisation c’est-à-dire à tout effet de langage et de parole. Cet avers se trouve d’ailleurs au cœur même de la scène de la transfiguration elle-même. Nous pouvons justement nous demander ce qui se serait passé si les trois tentes avaient été construites, si les apôtres étaient restés contemplatifs de la scène et si aucune voix ne s’était élevée. Mais revenons pour l’instant à la définition du terme même de figuration, en délestant transfiguration de son préfixe trans.
De la figuration :
Selon les définitions recensées dans le dictionnaire, constatons que le mot se rapporte tout d’abord au registre minéral en termes de Figuration cristalline, cristallographique. En géomorphologie, on parle de figuration préglaciaire sous forme de création de figures à la surface du sol sous l’effet du gel et du dégel. En musique ensuite, la figuration consiste en une forme spécifique de composition fondée sur des figures mélodiques ou rythmiques. Venons-en à la définition dans les termes du fait de figurer : Il s’agit du fait de donner une représentation qui rende perceptible surtout à la vue, son aspect ou sa nature caractéristique. Il s’agit aussi dans le fait de figurer, de susciter à l’esprit l’image de quelque chose ou son résultat. Dans le domaine de l’art théâtral, le terme de figuration renvoie au figurant au sens de comédien. Les synonymes de figuration sont image, représentation, schéma, symbole. Insistons pour terminer à propos des définitions, sur leur renvoi à l’aspect essentiellement visuel de la figuration.
Des figurations limites : Réarticulons ces données à notre propos de ce jour : je voudrai maintenant m’intéresser à des figurations que j’ai qualifiées de limites dans mon argument, limites au sens de limitées puisque cantonnées dans le registre du visuel et qui tendent à faire l’impasse de leurs articulations au langage et plus encore à la parole. Elles correspondraient à des représentations ou à des images de choses qui seraient limitées tendanciellement à ne pas devenir des représentations de mots. Ainsi, certaines figurations du monstrueux, de la cruauté, de l’horreur et du pornographique…voire du mal en général produiraient des effets contraires d’effroi et de sidération mais aussi d’attraction qui susciterait une fascination imaginaire telle qu’elle bloquerait l’accès à la dimension symbolique. Notre propos essayera de s’intégrer dans le cadre de ce cycle du Malaise dans l’imagination qui est peut-être une dimension actuelle du Malaise dans la civilisation (Freud S., (1929) Malaise dans la civilisation, sous la traduction Le malaise dans la culture, OC XVIII, PUF, 2002). Parler de l’imagination de l’humain, au niveau tant collectif qu’individuel implique que nous tentions de la considérer dans ses figurations positives mais aussi dans ses figurations négatives, celles justement qui suscitent le malaise.
- La figuration du monstrueux :
Le mot monstre vient à la fois du latin monstrare qui signifie montrer et du mot monstrum dérivé de monere : avertir. Il s’agit en quelque sorte d’un avertissement visuel. Le monstrueux serait donc un signal visuel d’avertissement qui vient condenser les dangers et les menaces qui rôdent autour de l’humain. En cela, il est donc un signe porteur de sens. Tout effrayant qu’il soit du fait de sa laideur, de sa cruauté, de sa dénaturation, le pouvoir d’attraction du monstre ne semble jamais faire défaut et pourrait être lié à une figuration en excès. La figuration du monstre relève d’une dialogique entre l’horrible et le merveilleux voire le miraculeux et nous en avons de nombreuses traces dans l’art, en particulier dans la peinture et la sculpture du Moyen-âge et de la Renaissance. Par contre à l’âge classique, celui durant lequel se déploie l’enfermement des fous, on cache les monstres, on les occulte, au nom de l’idéologie de la vraisemblance. Le monstre est alors considéré comme un défi aux lois de l'harmonie. Il figure le chaos que l'on préfère ignorer. Le monstrueux fera retour au XIXème siècle, en particulier dans la littérature (Eugène Sue, Les mystères de Paris Victor Hugo : Notre Dame de Paris et la figure de Quasimodo) et la peinture avant de trouver sa pleine expression au XXème dans le cinéma fantastique de science-fiction et d’horreur.
Des figurations monstrueuses ont eu ainsi leur place mythique au fil des civilisations et tant la Sphinge que la Gorgone sans oublier le Cerbère, le Minautore ou le Dragon sont des paradigmes anciens des vampires, cyborgs, zombies, superhéros plus ou moins hermaphrodites qui s’illustrent à merveille dans nombre de Bandes Dessinées (BD) actuelles voire de jeux vidéo.
Si la figuration du monstre trouve sa place dans les contes pour enfant au côté des figurations de la sexualité, elle est très appréciée dans la période adolescente dans la mesure où elle est une des figurations de l’horreur constitutive d’une sorte de transgression vis-à-vis des modèles idéologiques imposés par la société.
Une telle orientation est sensible dans l’art moderne et contemporain où, comme le remarque Jean Clair (Clair J., Les monstres ont triomphé des dieux. Interview LE MONDE DES LIVRES | 26.04.2012), les monstres semblent avoir triomphé des dieux. On semble être passé d’un monde de beauté et d’harmonie à un monde de laideur où prévalent des catégories comme le difforme, le monstrueux, l'horrible, l'effrayant, le stupéfiant. Les monstres sont activés en quelque sorte pour rompre l’harmonie (apparente et supposée) du monde des dieux. Le monstre est une caricature empreinte de laideur qui semble prendre la place de la beauté comme élément d’attraction et de fascination. Tout semble se passer comme si la nouvelle règle dans l’art contemporain était le monstrueux, l'excès, jusqu'aux formes extraordinaires que prennent certaines manifestations qui tombent dans la coprophilie ou quasiment dans le meurtre chez certains artistes d'avant-garde.
- La figuration de la cruauté :
Rappelons-nous que Freud a eu souvent recours à ce terme et l’a intégré comme manifestation de pulsions destructrices articulées aux pulsions de mort caractéristiques de la deuxième théorie des pulsions issue de l’Au-delà du principe de plaisir (Freud S., (1920) Au-delà du principe de plaisir. OC XV, PUF, 2002). Il a même qualifié le surmoi du mélancolique de surmoi cruel tout en le systématisant comme « pure culture de la pulsion de mort » (Freud S., Le moi et le ca, OC XVI, PUF, 2010). Ces références nous conduisent à considérer la cruauté comme étroitement liée au fonctionnement psychique, le processus de cruauté se révèle sous différentes formes en termes d’activités meurtrières, mortifères pouvant aller jusqu’à viser l’effacement des pensées traduisant ainsi la déliaison maxima des pulsions de mort avec les pulsions de vie.
Les images de guerre ainsi que celles du terrorisme fournissent des mises en scènes de violence hallucinante, de jeux sadiques et de séquences figuratives de cruauté qui ont peut-être trouvé leur point d’acmé dans les camps nazis d’extermination et dans le Goulag soviétique (Baillette Frédéric, Stratégies de la cruauté Figures de la mort qui rôde, Quasimodo, n° 9 (« Corps en guerre. Imaginaires, idéologies, destructions. Tome 2 »), printemps 2006, Montpellier, p. 7-50 Texte disponible sur http://www.revue-quasimodo.org). Au jour d’aujourd’hui la transmission médiatique des figurations d’atrocités cruelles est instantanée et largement offerte aux yeux des spectateurs de tous genres et de tout âge venant exciter leurs pulsions scopiques. Ainsi, par exemple, durant la guerre récente en Irak, Al-Qaida a utilisé la vidéo pour diffuser des séquences particulièrement macabres (égorgement au couteau perdurant plusieurs minutes) pour impressionner les Irakiens susceptibles de pactiser avec les armées d’occupation ainsi que les occupants eux-mêmes. Ces séquences furent largement diffusées via internet. Les figurations de la cruauté trouvent leur paradigme dans les imaginaires (fantasmes et idéologies) de guerre qui ont fait et font encore effraction dans le réel et stimule un réel particulièrement réfractaire à toute symbolisation et sur lequel nous aurons à revenir. J’en étais là de l’écriture de ce texte lorsqu’une collègue évoqua dans une séance de supervision des cas de harcèlement en milieu scolaire qui étaient de plus en plus nombreux et qui relevaient selon elle de l’expression d’une cruauté banalisée.
Dans son essai sur La cruauté, Michel Erman, s’appuyant tant sur la littérature que sur la psychanalyse, conceptualise la cruauté comme une manière de déferlement de l’effroi en situation (Erman M., La cruauté essai sur la passion du mal, PUF, 2009). Nous pouvons remarquer avec Dominique Cupa que la cruauté se trouve dans la psyché en dialogique ou plus simplement en dialogue avec son contraire que serait la tendresse (Cupa, D., Tendresse et cruauté, Dunod, 2007). L’auteure les considère comme deux formes de pulsion d’autoconservation. La métapsychologie de la cruauté meurtrière s’élabore sur la cruauté primaire de l’infans ou dit en d’autres termes sur le sadisme infantile lui-même réactif au masochisme érogène primaire. La cruauté de type sadique dont nous venons d’évoquer des figurations limites s’organise en contre-investissement du masochisme associé au processus mélancolique. C’est ainsi que Jacques Hassoun a pu parler de Cruauté mélancolique (Hassoun J., La cruauté mélancolique. Aubier, 1995). Poursuivons en retenant quelques propos tenus dans l’ouvrage collectif : « La cruauté au féminin ». Cet ouvrage est publié sous la direction de Sophie de Mijolla. Cette dernière développe l’idée selon laquelle, la cruauté a partie liée à la pulsion de voir visant un objet spécifique à savoir l’intérieur du corps. La peau doit être arrachée pour révéler le cru, le sanguinolent. Ainsi la cruauté féminine relèverait d’une relation banalisée au sang transitant par le fantasme archaïque du sang menstruel en tant que résultant de la mort d’un fœtus qui inciterait à aller voir dans l’intérieur du corps de la mère, lieu du crime originaire. Les figurations de la cruauté poursuivent le travail entrepris depuis l’origine de l’humain et nous pouvons parler avec Janine Filloux de culture de la cruauté (Filloux J., Une culture de la cruauté. Sur le concept nietzschéen de culture, Connexions, Mémoires du futur, 2012, 2). C’est dans ce sens que Jacques Derrida lançait un défi à la psychanalyse lors des Etats Généraux de 2000, celui de revendiquer la cruauté comme son affaire propre. René Major tentera de relever le défi en posant la question de savoir s’il y a un au-delà de cruauté qu’il tente de situer en termes de désistement vis-à-vis de la jouissance sans pour autant se désister comme sujet (Major R., La démocratie en cruauté, Galilée, 2003). Une issue possible de la cruauté suppose l’investissement même des armes de la cruauté originaire en termes de création symbolique fonctionnant alors comme « meurtre de la chose ». Avant de revenir sur ce désistement vis-à-vis de la jouissance, restons encore un peu sur le terrain de la complaisance avec elle, en évoquant,
- La Figuration de la pornographie :
L’étymologie grecque de pornographie est composée de graphos=graphe (signifiant qui renvoie à la peinture, à la photographie, mais aussi à l’écriture) et de porné=prostituée dérivé de perménal=vendre (des choses, des esclaves). Porné signifie à la fois femme et marchandise. Dans la pornographie donc il s’agit de représentations imagées (dessins, peintures, photos, vidéos) de détails sexuels obscènes, destinés à être communiqués ou vendus au public. Lorsque j’ai commencé à travailler ce texte en avers de la transfiguration, j’ai pensé en premier lieu aux figurations pornographiques et à leur développement contemporain via internet. La présentation du Dictionnaire de la pornographie rappelle que cette dernière émerge de la représentation de l’amour vénal chez les grecs mais que ces limites n’ont cessé d’évoluer (Sous la direction de De Folco Philippe., Dictionnaire de la pornographie, PUF, 2005). Certaines de ses figurations insistent sur des aspects plus ou moins limites liées à l’exercice des plaisirs sexuels en les ramenant à une pure jouissance corporelle, d’un ou plusieurs corps à corps. Ces figurations favorisent surtout la jouissance visuelle du spectateur, s’accompagnant ou non de pratiques masturbatoires. Le metteur en scène des figurations pornographiques zoome sur les organes sexuels en stimulant la pulsion de voir dans les termes de Regardes fixement, car il n’y a rien d’autre à voir. Il s’agit à la fois d’une pratique ancienne qui était privée et secrète et qui subit une médiatisation, une industrialisation et une marchandisation extraordinaires à notre époque. Si nous regardons une vidéo porno, nous sommes scotchés sur les images répétitives passant plus ou moins en boucle sur l’écran, avec comme tout langage des onomatopées ou des cris, des bruits évoquant la jouissance et des paroles le plus souvent jetées à l’autre en termes d’impératif de type sadique formulés dans un langage argotique. Nous pouvons parler d’une pauvreté de langage associée à une luxuriance des images.
Dans son séminaire de juin 2010, Claude Maritan a proposé une réflexion intitulée Du porno et des hommes ( Maritan C., Du porno et des hommes, Séance du Séminaire du 19 juin 2010. Thème de l’année 2009/2010. La sexualité masculine. Non publié en français, ce texte a été traduit et publié en langue italienne sous le titre : Gli uonimi e la pornografia, in Setting, N°33Ed. Franco Angeli 2013). Dans ce travail, il montre entre autres combien les films pornos qui mettent en scène les corps des femmes sont l’expression de fantasmes typiquement masculins centrés sur la question du corps et du plaisir féminins. La représentation but consisterait à éviter le trauma de la différence des sexes et la perte de la complétude narcissique. Nous pouvons alors émettre l’hypothèse selon laquelle les hommes qui jouissent des images virtuelles pornographiques seraient maladivement attachés à une mère malade qu’ils seraient occupés à soigner en tentant de lui restaurer un corps libidinal. Les irruptions des images pornographiques quasi permanentes à notre époque servent de révélateur aux impasses de structuration libidinale. Serge Tisseron, dans une longue interview donnée au Journal La voix du regard en 2002 introduit la notion d’obscène pour qualifier les images pornographiques qu’il définit comme « de machine de guerre contre la métaphore », venant par là-même contrarier ou plutôt empêcher le travail du refoulement qui est la condition même de la culture (La voix du regard N°15, 2002). L’obscène se définit comme l’articulation de l’exhibition des organes sexuels avec la proclamation du diktat précédemment évoqué: il n’y a rien d’autre à voir. L’obscène dénie alors toute dimension d’amour à l’érotisme, réduisant la scène primitive à un simple échange sadomasochiste de corps à corps venant conforter le fantasme originaire d’auto-engendrement dans lequel le sujet a tendance à se considérer comme né de rien si ce n’est de lui-même. Nous voyons alors que la confortation obscène du nihilisme produit une catastrophe tant subjective qu’intersubjective. Nous sommes alors loin de la honte de voir des choses inconvenantes, mais face à l’obscène, il s’agit bien d’être menacé dans notre appartenance à l’ordre humain. Le propre de l’image pornographique obscène est de tenter d’échapper à la métaphorisation en se donnant comme figuration de la vérité alors que tendanciellement, elle n’est que pur reflet du réel et comme tel non symbolisable. Dans notre espace culturel, le corps érogène est lié au verbe d’une double manière : soit le corps érotique s’articule au verbe et devient corps parlant soit le verbe touche le corps et s’y incarne. La pornographie se fixe sur la figuration crue de corps à corps plus ou moins monstrueux alors que l’érotisme articule une parole d’altérité au cœur même de la sexualité.
- La figuration de l’horreur :
A ce point arrivé, nous nous posons la question : pouvons-nous aller plus loin dans la figuration de l’horreur que nous avons côtoyée dans les figurations de la cruauté et dans les figurations de la pornographie ? Et tout d’abord qu’est-ce que l’horreur ? Là encore, il s’agit d’un sentiment subjectif synonyme de frémissement d’effroi de hérissement et de tremblement. Il s’agit d’une impression, violente pouvant être causé par la vue, là- encore, mais aussi par la pensée d’une chose affreuse, ce qui relève tant du sujet que de l’état de la culture à un moment historique donné. Les figurations de l’horreur ont donné lieu à l’avènement des films d’horreur ou d’épouvante qui en fournissent de nombreux exemples, et ce, depuis le début du cinéma muet. Ces films ont pour représentation but de stimuler un sentiment d’angoisse chez le spectateur. Pensons à Frankenstein, Dracula, Psychose, L’exorciste, Le silence des Agneaux, Les dents de la mer, Amityville, La maison du diable, etc…Ces films impliquent des Zombies, des vampires, des revenants, des forces démoniaques voire des loups-garous. Actuellement, les jeux vidéo du même genre constituent un prolongement de ces figurations de l’horreur qui sont utilisées à l’envie par les adolescents, mais aussi par les adultes voire les seniors. Remarquons que ces jeux permettent cependant un passage du statut de spectateur passif du film à un statut de joueur co-acteur en prise directe avec l’horreur contenu dans les films de ce genre, mais pouvant en modifier le destin.
Si nous revenons au cœur de la subjectivité individuelle, nous pouvons nous demander dans quelle mesure, la figuration de l’horreur ne s’articule pas à l’ambivalence vis-à-vis du retour de figurations archaïques. Se figurer soi-même selon la différence des sexes et se figurer aussi dans la différence des générations, n’est-ce pas ce à quoi le sujet humain résisterait le plus ? Ainsi, les figurations de l’horreur nous amènent à prendre en compte toute l’ambivalence incarnée dans le processus de subjectivation. D’un côté, le sujet a été et reste friand en tant que pervers polymorphe des figurations de l’horreur liée à la cruauté, des figurations des monstres ainsi que des figurations pornographiques (Freud S., (1905) Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, 1987). A un certain moment, le refoulement de ces représentations a eu lieu et l’horreur exprimée par le sujet n’est qu’un contre- investissement : les contenus oraux, par exemple, dont le sens sexuel se dévoile dans la cure, suscitent horreur et angoisse qui rendent difficile leurs mises en mot dans la mesure où ces figurations renvoient à la dévoration en terme passif : être dévoré, mais aussi en termes actifs : dévorer, mordre. Pensons aussi au renvoi possible de l’horreur au substrat de l’horrible de la castration ainsi qu’aux images archaïques du vagin (Tête de Méduse ou Gorgone), du cloaque maternel, voire au répulsif de la scène primitive, sans oublier les contre investissements phobiques du fil rouge du sang de la femme (Schaeffer J. Le fil rouge du sang de la femme, Champ psy N°40, 2005). Lorsque ces figurations font retour dans le réel sur un mode comparable à celui de l’hallucination, elles font effraction et suscitent un affect mêlé d’effroi manifeste, mais aussi de fascination latente. Les représentations refoulées des pulsions que l’objet d’horreur vient réactiver gardaient une existence bien réelle, sur l’autre scène de l’inconscient. Ce qui pourrait alors faire horreur, ce serait les réminiscences des fantasmes originaires (séduction, castration, scène primitive, roman familial….) et le retour sur scène de ses réminiscences. Le sujet psychique est décidément bien séparé, clivé et le terme de refente subjective s’illustre parfaitement dans cette ambivalence vis-à-vis de toute stimulation visuelle.
En résumé, la figuration de l’horreur, joue à la fois, sur l’équivoque jouissance du voir et sur la répulsion à l’égard de l’horrible, du fait du pulsionnel refoulé qu’il réactive.
Nous avons situé dans notre introduction comment les figurations limites que nous venons d’évoquer pourraient relever de figurations négatives de l’humain émargeant comme figurations représentatives du mal, notion délicate s’il en est que nous allons tenter d’expliciter.
- De la figuration du mal :
Nous avons signalé précédemment comment la Shoah pouvait constituer dans un passé récent le paradigme des figurations limites en terme de figuration du mal tant au niveau de la civilisation qu’au niveau du sujet psychique individuel. Une telle modalité d’extermination systématique est, en effet, d’autant plus significative dans la mesure où nous remarquons que deux registres d’opposés s’y articulent :
Le registre des victimes niées dans leur existence, soumises à l’extermination et celui des bourreaux perdant définitivement leur humanité, incapables de se mettre à la place d’autrui et toujours prompts à repousser la tentation du bien selon la formule d’Hannah Arendt (Arendt H, (1963) Eichmann à Jérusalem, Folio Histoire, 1997). Elle considère d’ailleurs que les bourreaux nazis nous confrontent à la problématique de la banalité du mal.
Nous rebondirons sur cette formulation en postulant que le mal est une banalité qui se situe tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Au niveau collectif, comme le remarque Nathalie Zaltzman, avec l’animisme apparaît une figuration explicite du mal (Zaltzman N., L’esprit du mal. Ed de L’olivier, 2007). Vis-à-vis des forces démoniaques qui lui sont hostiles, l’humain d’alors ne bénéficie pas d’esprits protecteurs et c’est le pouvoir magique de la pensée et de l’acte langagier qui le protège. La protection sera ensuite confiée à l’ancêtre à travers un culte qui suppose simultanément le respect des tabous (Freud S., Totem et Tabou). Dans l’antiquité, en particulier grecque, la notion d’appartenance à la Cité devient essentielle : elle est fondée sur l’égalité des droits entre les hommes différenciés des esclaves, des femmes et des barbares mais aussi des dieux qui eux sont immortels. Le mal se traduit alors par ce qui menace la polis, entendu à la fois comme cité et loi politique. Ce sont les transgressions du héros antique qui défont l’ordre du monde, qui le transforme lui-même en agent du mal dont il assume la responsabilité subjective. Dans le récit biblique de La Genèse fondateur des trois monothéismes, l’humain se définit de manière spirituelle comme dans les sociétés primitives. Le couple fondateur est formé d’un homme, Adam et d’une femme Eve qui sont des créatures de Dieu. Ils épouseront la dure condition de sujets sexués et mortels du fait de leur transgression de l’interdit de goûter au fruit de l’arbre de la connaissance sous l’influence de Satan (Bonnet M., De quelques représentations du péché originel, Topique N°105, L’Esprit du temps, 2009). Notons qu’une loi, révélée par Dieu à Moïse transcendera la condition humaine à la différence des sociétés primitives où la loi est immanente à la coresponsabilité du groupe. Dans le registre de la fraternité chrétienne, ensuite, l’homme occidental sera confronté à un conflit de conscience entre une essence pécheresse et une liberté de choix. (Esprit du mal, p.49). Vous aurez sans doute remarqué, comment nous sommes en train de glisser de la notion de mal à la figuration de Satan opposée à la figuration de Dieu. Rappelons à ce propos que Freud dans son texte : Une névrose diabolique au XVIIème siècle note que le diable est une figure terrifiante du père mort alors que Dieu est figuré sous les traits d’un père compatissant (Freud S., (1923) Une névrose diabolique au XVIIème siècle in OC XVI p.213, PUF, 1991).
Force est de comprendre aussi la notion de mal du côté de la perversion dans la mesure où le mal extrême peut aller jusqu’à pervertir la pensée même de la loi voire son existence même. N’en sommes-nous pas d’autant plus conduits à ce point de perversion dans notre société consumériste post-industrielle qui nous invite en permanence à réaliser des actes de jouissance immédiate ? Le mal constituerait alors certainement un défi d’actualité pour l’action, la figuration et la représentation. La notion de crime contre l’humanité n’a pas clarifié définitivement la problématique du mal si ce n’est en tentant de cliver l’humain de l’inhumain qui pourtant en fait partie. À propos des crimes contre l’humanité, nous pouvons aussi prendre en considération les sujets qui ont opposé un refus à endosser une position d’exécuteur : les refusants pour reprendre le terme utilisé par Philippe Breton (Breton P., Les refusants. Comment on refuse de devenir un exécuteur ? La découverte, 2009). Le refusant se définit comme un être aussi banal que l’exécuteur, ni héros, ni résistant, ni juste. Alors que dans le registre génocidaire, le principe de vengeance apparaît comme le moteur, le refusant traduirait le refus de l’absence de raison de se venger. Sur le mode d’une certaine passivité, les refusants sont par leur refus, auteurs d’une parole d’innocence silencieuse, loin de la vengeance archaïque qui pousse l’homme au crime contre ses semblables. En face de l’inhumain voire du crime contre l’humanité, la figure d’un homme précaire témoignerait certes d’une frêle position mais d’une position d’espérance tout de même. Ceux qui refusent ou se refusent à la jouissance immédiate mériteraient alors une attention particulière dans la mesure où ils se refuseraient à être fascinés par les figurations limites.
- Essai de synthèse psychanalytique concernant ces figurations limites :
Comment terminer cette intervention sur les figurations limites, si ce n’est en nous réinterrogeant sur la signification psychanalytique de la figuration¸ nous avons dit en commençant que la figuration se situait du côté du voir, de la vision plus exactement du côté de la pulsion de voir (schautrieb) (Freud S., (1905-1920) Trois essais sur la théorie sexuelle. op. Cité). Cette pulsion partielle est une voie privilégiée de l’excitation libidinale qui articulée à la pulsion d’emprise, se transforme en pulsion de savoir. Un autre destin possible est la sublimation esthétique. Elle peut demeurer instrument de perversion si elle se limite exclusivement aux zones érogènes (Rappelons-nous ce que nous avons dit de l’obscène à propos des figurations pornographiques) et lorsqu’elle se maintient comme but sexuel normal en lieu et place de n’en être qu’une des prémisses. Freud reliera cet aspect pervers de la pulsion scopique au sadisme et au masochisme en termes de but actif et de but passif. Les contre investissements du plaisir scopique sont la pudeur, le dégoût, voire la honte et nous avons vu au passage que la plupart des figurations limites sont des investissements et des contre-investissements de la pulsion scopique. Leur dépassement implique sa castration symbolique (Une certaine épistémologie de la psychanalyse. Op.cit. P.61). Nous sommes confrontés dans la pratique à mettre des mots sur les images pour permettre au sujet psychique d’échapper ou de dépasser le pouvoir de fascination qu’elles exercent.
L’autre acte de synthèse de notre travail concerne donc la question de l’image articulée à celle de représentation. Nous avions repéré dans notre travail antérieur sur Transfigurations que le statut de l’image était double :
- l’image pouvait être image de chose en l’absence de la chose elle-même et à l’instar des éléments du langage, elle était alors un signe. Dans ce cas, elle revêt une dimension symbolique qui dépasse l’imaginaire du sujet ou le transcende. L’image aurait alors valeur d’icône.
- Mais l’image peut aussi rester virtuelle en se constituant comme objet d’adhésion au sens de l’adhésif c’est-à-dire du collage fascinatoire à la chose engageant un rapport du sujet avec l’image qui s’inscrit dans le registre strictement passionnel c’est-à-dire pulsionnelle allant jusqu’à traduire une jouissance perverse émargeant au registre de la perversion.
Pour aller un peu plus loin dans le sens ouvert par cette distinction pensons à la distinction freudienne entre représentations de choses et représentations de mots (Freud S., 1891 Contribution à la conception des aphasies- PUF 1983 - Freud S., 1915 L’inconscient, OCF, P, XIII, PUF) mais aussi aux distinctions introduites par Piera Aulagnier, entre les 3 modalités de représentations que sont le pictogramme, le fantasme et la représentation idéique (Castoriadis-Aulagnier P., La violence de l’interprétation. PUF 1975). Freud attribuait la représentation de chose au registre de l’inconscient et la représentation de mot comprise comme représentation de chose + représentation de mot qui lui appartient, au registre de la conscience. Piera Aulagnier souligne l’importance de l’entendu dans l’inscription psychique des images de mots (Notons qu’elle préfère ce terme ou qu’elle le substitue à celui à celui de représentations employé par Freud). Elle précise que l’infans rencontre le langage comme une série de fragments sonores, attributs d’un sein qu’il dote de pouvoirs de paroles. Il se produit donc adjonction entre l’image de chose et l’entendu, qui va produire la construction de l’image de mot. L’accès au langage implique un substrat libidinal qui préexiste à la signification linguistique. Le sens libidinal ouvre le cheminement vers la signification linguistique en induisant la psyché à admettre que la signification linguistique fait partie du patrimoine du porte-parole. De façon concomitante, la mère exerçant la fonction porte-parole attend que l’enfant s’approprie les images de mots et entre par la même dans le langage. L’image a donc un sens libidinal qui s’établit sur la prégnance sensorielle visuelle, tactile, olfactive qui associée à une composante acoustique permettra, alors le passage de l’image de choses à l’image de mots. Dans un certain nombre de figurations limites, nous avons pu relever la prégnance du visuel articulé à un acoustique archaïque de type pré-langagier qui rend difficile la transition par le fantasme vers l’accès au travail de pensée secondarisée impliquant un travail psychique de perte de l’objet. Le passage du langage pictural au langage de l’interprète impliquera le travail de traduction assumé par un tiers ainsi qu’en ont témoigné nos collègues qui se sont intéressés aux patients psychotiques comme Piera Aulagnier ou Jean-Claude Rolland (Aulagnier P., Du langage pictural au langage de l’interprète, Topique 26, Epi 1980 - Voir aussi sur cette question le travail plus récent de Jean-Claude Rolland, Avant d’être celui qui parle, Gallimard, 2006.) De toute manière, nous avons à retenir que tout être humain doit naître deux fois : une fois comme organisme vivant et une fois comme être parlant en faisant du langage son propre habitat (Causse J-D., Naître ou la puissance des commencements, Etudes, Janvier 2014).
Un troisième axe de notre travail a consisté à considérer les figurations limites comme des composantes des figurations du mal. Nous recentrerons notre questionnement sur la problématique du sujet psychique individuel. Pour avancer dans la compréhension psychanalytique de ce type de figurations, nous pouvons à l’instar d’André Green les penser en termes de désintrication des pulsions sexuelles et des pulsions de mort (Green A., Pourquoi le mal ? Nouvelle Revue de la psychanalyse, N°38, Le mal, 1988). Reconnaissant aux pulsions de mort, un pouvoir de désintrication et de désobjectalisation fondamentales, le mal serait-il déliaison intégrale voire non-sens radical ? Peut-on réduire la dimension du mal, son esprit à la visée de Thanatos qui est selon la définition de Piera Aulagnier Désir de non-désir ? Il est cependant possible aussi de ramener l’expression du mal et de son esprit qui apparaît au niveau secondaire dans les modes de pensées qui infiltrent les positions morales et idéologiques vers l’archaïque du sujet en transitant par les fantasmes primaires sadique oral ou sadique anal alors pour prendre en compte la représentation originaire pictographique de l’avaler/cracher. Nous ne pouvons pas systématiser le mal en l’affectant d’une valeur strictement péjorative, dans la mesure où nous sommes, dans le même temps contraints de constater la valeur attractive de ses figurations dans les différentes expressions artistiques qu’elles soient picturales sculpturales, littéraires, théâtrales ou cinématographiques. Ce constat témoigne que nous demeurons intéressés et concernés par les figurations limites du mal, comme cela a été le cas tout au long de l’histoire de la psychanalyse et plus globalement dans l’histoire de l’humanité qui ont d’ailleurs parties liées. Nous pouvons souscrire alors à la formulation de Nathalie Zaltzman en remarquant que le mal dans l’imaginaire est autrement plus excitant qu’un hosannah sans fin (sic). Nous n’en sommes pas moins contraints de repérer les modalités de passage qui articulent le registre de l’imaginaire à celui du symbolique et qui nous conduisent à prendre en compte la problématique du meurtre et du meurtre symbolique qui se jouent tant dans les mythes que dans les fantasmes. Les figurations multivoques du meurtre ouvrent chacune à leur façon à une dimension symbolique. Que ce soit le parricide, le matricide jamais éloigné dans le mythe comme dans le fantasme, de l’infanticide.
Mais il est une catégorie de mal que nous avons rencontrée au cours de notre parcours des figurations limites qui n’est pas transformable selon le mode de la symbolisation du meurtre et qui tend à se reproduire selon le mode de la compulsion de répétition dans le réel. Peut-on envisager alors une autre issue que la répétition actualisée sans fin du meurtre sous forme d’extermination ou de violence terroriste ? Telle serait la question à laquelle nous convoque l’histoire récente de la civilisation au XXème siècle, inaugurée par la Shoah et le Goulag, sous la forme d’une pratique de systématisation de l’extermination à tendance génocidaire. Cette figure du mal tend à détruire dans le sujet humain, toute altérité insupportable dont les juifs ont été le paradigme ainsi que le montre Georges Zimra (Zimra G., Penser l’hétérogène. Figures juives de l’altérité. L’harmattan, 2007). Nous pouvons penser que la Shoah comme le Goulag ont constitué le paradigme récent d’une tentative de crime visant la spiritualité de l’homme cherchant à mettre fin à l’infini de l’homme tout en consacrant simultanément la mort de Dieu. La résultante attendue visait l’auto-engendrement d’un nouvel homme, sujet total et absolu, maître de lui-même et du monde qui verrait l’assomption du représentant narcissique primaire à l’abri de tout meurtre et de toute castration symboliques (Leclaire S., On tue un enfant, Seuil, 1975).
Nous pouvons alors constater à partir de l’expérience de la cure psychanalytique, qu’à un niveau subjectif individuel le sujet psychique peut accéder à un savoir intime de l’existence du mal coexistant dans son intériorité avec la dimension de l’amour. Sur ce plan, souvenons-nous de l’énoncé paradoxal de Freud concernant le mal : L’homme normal n’est pas seulement plus immoral qu’il ne le croit mais aussi beaucoup plus moral qu’il ne le sait (In Le Moi et le ça, op.cité).
Au niveau collectif, l’humanité se déprendrait plus difficilement de la prédominance du mal et chaque collectif d’humains a tendance à régresser vers une masse plus ou moins informe animée par la haine meurtrière vis-à-vis de toute altérité réalisant l’alliance dans le réel des figurations de la cruauté, du monstrueux, de l’horreur et de la pornographie. Nous sommes alors loin de l’idéal freudien concernant la civilisation en termes de sublimation conjuguant l’amour des ancêtres à la désexualisation des amours infantiles A ce propos, le philosophe contemporain, Dany-Robert Dufour parle de marchandisation de l’intime sur le mode de la prostitution et à propos plus précisément de la télévision et de la télé réalité, il écrit et je cite : Écho à la pornographie des camps de concentration : le sadisme permanent de la situation est analogue au sadisme infini des pratiques concentrationnaires européennes. À ceci près que ce petit réseau formé d’un camp télévisuel unique ne tue personne ; pas une goutte de sang versée, aucune mise à mort réelle n’est commise. Et les victimes y consentent. L’histoire qui conduit des sociétés totalitaires nazies et staliniennes, qui usaient de procédés extrêmement violents, à ces formes contemporaines, lénitives et débrutalisées, reste à écrire (Dufour R-D., La cité perverse, Libéralisme et pornographie, Denoël, 2009).
En conclusion :
La civilisation actuelle dans ses modalités sociétales continue de promouvoir le règne de la jouissance immédiate. Il s’agit de promouvoir une conversion par laquelle le pouvoir n’est plus exercé selon la répression du désir mais en promotion de l’exaltation de la pulsion. La société moderne est convoquée et se promeut, au niveau de l’imaginaire du moins, en réponse immédiate à toute demande comme si toutes les demandes relevaient du possible d’un monde conçu sans limites. Nous sommes ici confrontés une forme de toute-puissance de l’imaginaire, lieu sans limites habité par un individu possédant et pouvant tout, c’est-à-dire tout-puissant, auto-engendré, hors génération, hors histoire et hors mémoire. De cette civilisation contemporaine, se construit une image d’homme pur produit narcissique qui tend à n’être identifié qu’à lui-même. Les figurations limites sont ici valorisées à l’état brut, clivé de leur potentiel métaphorique et sont confinées à n’être que des images représentatives de la pulsion coupée de toute symbolisation et de tout affect. De ce fait même, les psychanalystes et plus largement tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement psychique de l’humain d’aujourd’hui me semblent contraints à reconsidérer le destin des pulsions à partir d’une valorisation extrême de la pulsion de mort portée au pinacle d’un monde poussant à la dés-subjectivation et à la dés-symbolisation. Notre propos conclusif ne va pas dans le sens d’une quelconque condamnation morale des figurations limites mais plutôt dans celui de réveiller le travail psychique qu’elles convoquent à savoir de pousser la réalisation des images vers un travail de symbolisation en évitant de les conforter dans le domaine d’un réel non symbolisable où le processus de consommation tend à les maintenir par le biais du registre de la jouissance immédiate. Nous avons à tenir compte que tout sujet se trouve pris dès sa naissance voire dès sa conception dans un processus de transmission qui se situe entre bénédiction et malédiction (Causse J-D., Naître ou la puissance des commencements, Études, La force des commencements, Janvier 2014).
Mon correcteur d’orthographe me proposait sans cesse lorsque j’utilisais l’adjectif limites de modifier en utilisant le verbe limiter en écrivant Les figurations limitent e, n, t. Effectivement les figurations limites appellent à leur transformation et à leur limitation dans un registre symbolique Mettre des mots sur les images pour éviter leur stagnation dans le registre de pur imaginaire. Nous ne pouvons pas en tant que psychanalystes nous contenter de nous en tenir à la condition singulière de la figuration du mal, nous sommes contraints à envisager son expression au niveau collectif, dans la mesure où, pour reprendre la formulation de Paul Ricœur, le mal... acte que tout individu commence est aussi un acte qui met à mal le contrat social et le code des lois (Ricoeur P., Le Mal, Un défi à la théologie et à la philosophie, Labor et Fides, 2004). Je relèverai bien le défi contenu dans l’ensemble de questions concernant l’esprit humain et son marquage ambivalent du signe de l’amour du bien et du mal en répondant non par une pirouette mais par une profession de foi (J’entends ici cette dimension de la démarche religieuse au sens où l’entend Sophie de Mijolla comme recherche d’une possibilité de sortir des bornes narcissiques grâce à l’amour de l’homme pour Dieu répondant à l’amour de Dieu pour l’homme - De Mijolla-Mellor. Le mal est une mauvaise rencontre, Topique, 91, EdT, 2005).
Je prendrai alors le risque de me demander à voix haute si la méprise de l’esprit humain ne consisterait pas justement à cette prétention narcissique à se croire première et dernière ressource de la condition humaine en faisant fi par la même de toute transcendance. Et si, malgré tout le chemin parcouru, par la civilisation, l’Esprit de Dieu et l’Esprit de Satan perduraient et séjournaient au cœur de l’esprit humain ne serions-nous pas contraints alors à reconsidérer l’Apocalypse et son Au-delà ? Entre catastrophe et métamorphose ? Allez, il y a encore de l’espérance.
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Nous avons tous nos convictions, nos fils rouges, mais aussi nos questions insistantes, nos curiosités insatisfaites, tout cela motivant nos champs d’investigations et de recherches. Il s’agit donc de reprendre quelques-unes des interrogations qui durant ces dix dernières années ont ponctué et soutenu une pratique analytique quotidienne aussi bien en pratique privée avec des analysants adultes, qu’en pratiques institutionnelles à visée diagnostique ou thérapeutique. Nous allons commencer par une profession de convictions, pour ne pas dire une profession de foi. Convictions ou foi, la différence est de taille, la foi supportant peu la critique et étant du registre de la croyance, la conviction se prêtant mieux au doute et au travail de pensée. Forme singulière d’investissement psychique, la conviction est portée par la confiance investie dans l’expérience et offre par ailleurs les apparences d’une garantie fondée à priori sur le concept de vérité. Pour résumé, la conviction me tient autant que j’y tiens. Mais si elle me constitue dans une éthique professionnelle, elle ne garantit pas de pouvoir faire tenir ensemble soucis de vérité, satisfaction pulsionnelle, intérêts narcissiques et équilibre psychique, traduisant par-là qu’elle servirait dans le fond plusieurs maîtres à la fois... (accès au texte complet)
Mots clés : infantile-sexuel-identité-transfert-contre-transfert
Betty Joseph (1917-2013)
Le 4 avril dernier s’éteignait à Londres Betty Joseph, psychanalyste membre de la société britannique de psychanalyse, l’une des dernières analystes britanniques à avoir été formée par Balint et par Mélanie Klein aux côtés de Bion, H. Rosenfeld et Hanna Segal dont elle était l’amie.
Clinicienne réputée outre Manche, en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis et en Amérique du Sud, Betty Joseph est peu connue en France où son seul ouvrage, Psychic Equilibrium and Psychic Change, paru en 1989, n’a pas été traduit, même si nombre de ses articles ont été traduits dans diverses revues psychanalytiques francophones.
Née dans une famille d’origine juive émigrée d’Alsace en Grande-Bretagne au 18ème siècle, Betty Joseph a commencé par se former au travail social. Elle découvrit l’œuvre de Melanie Klein lors d’un stage dans un des premiers centres de guidance infantile implantés au Royaume Uni par le psychiatre Emmanuel Miller. Elle s’occupa avec Winnicott des enfants évacués pendant la guerre et débuta alors, sur la recommandation d’Esther Bick, une première analyse avec Michael Balint. C’est sur les conseils de celui-ci qu’elle posa sa candidature à la société britannique de psychanalyse dont elle devint membre en 1949. Lorsque Betty Joseph apprit sa qualification comme analyste, elle commença par la refuser, car elle ne se sentait pas prête à exercer. Mais celle-ci lui fut cependant confirmée six mois plus tard. Sans doute cela explique-t-il la grande indulgence pour les jeunes analystes débutants et leurs maladresses dont elle fit toujours preuve. Betty Joseph effectua ensuite une seconde analyse avec Paula Heimann et fut supervisée par Mélanie Klein qu’elle fréquentait également à titre amical.
Le travail de Betty Joseph s’enracine certes dans la tradition kleinienne, mais on peut aussi y déceler l’influence de ses deux analystes : Balint qui, comme Mélanie Klein, avait été analysé par Ferenczi, fut le premier à associer dans un texte de 1939 les notions de transfert et de contre-transfert ; Paula Heimann écrivit en 1950 le premier article consacré au contre-transfert.
Elle partage avec Bion le souci d’apprendre de l’expérience, l’idée que tout se situe dans un flot continu et une évolution constante, la notion de l’analyste comme contenant et réceptacle des projections du patient, l’idée que les mots peuvent être utilisés non pour signifier, mais pour évacuer quelque chose.
L’influence d’Herbert Rosenfeld dont elle a été proche puisqu’elle l’a aidé à angliciser l’anglais de son premier livre est aussi perceptible dans l’importance qu’elle attache à la mobilisation des différentes parties clivées du self du patient et notamment de sa partie infantile vulnérable.
Comme Mélanie Klein et Hanna Segal, Betty Joseph considérait l’analyse d’enfants comme essentielle pour la compréhension des patients adultes. Son activité d’analyste d’enfants explique son intérêt non seulement pour la parole, mais aussi pour les agirs des patients, adultes comme enfants. De là vient aussi certainement son insistance sur le recours à des interprétations simples, compréhensibles au niveau psychique le plus élémentaire, même si divers niveaux psychiques peuvent se condenser.
Betty Joseph a eu besoin de temps pour se sentir pleinement à l’aise en tant qu’analyste et développer son propre style.
Ce qui la caractérise, c’est sa manière d’aborder de manière extrêmement fine et détaillée, pour ainsi dire pas à pas, ce qu’elle appelle « la situation totale du transfert », c’est-à-dire non seulement ce que le patient dit, mais aussi ce qu’il fait dans la séance et ce que cela suscite chez l’analyste. Cette approche minutieuse de la séance lui permet de repérer à mesure qu’elles surgissent les traces des fantasmes inconscients comme de l’histoire du patient. Mais à la différence de certains de ses confrères kleiniens, elle insiste sur l’importance de commencer par interpréter ce qui se passe dans la séance, c’est-à-dire l’expérience émotionnelle vécue par le patient et l’analyste avant de rattacher celle-ci à l’histoire du patient ou à ses fantasmes, car c’est là que se trouve à ses yeux le levier du changement psychique.
La notion de changement psychique est le fil rouge qui parcourt l’œuvre de Betty Joseph. Elle figure d’ailleurs dans le titre de son livre Psychic Equilibrium and Psychic Change. Celui-ci rassemble les principaux articles qu’elle a écrits des débuts de sa pratique analytique jusqu’en 1989. Ses premiers écrits concernent les enfants, la compulsion de répétition, la personnalité psychopathique… C’est dans les années 1970 que ses idées se sont davantage formalisées. Pour elle l’analysant est mu simultanément par le désir de changer et par la peur du changement.
Betty Joseph explore ainsi comment certains patients préfèrent rester englués dans leurs symptômes et se détourner de tout insight et de toute aide, de manière à préserver leur équilibre psychique, si coûteux que celui-ci puisse être pour leur développement psychique et leur vie.
Elle décrit ainsi dans son article « The Patient who is difficulté to reach », des patients qui semblent collaborer à l’analyse, parlent, associent et acceptent les interprétations, sans que rien ne change pour autant pour eux. Avec eux, l’analyste a la curieuse impression qu’analyste et analysant sont en train de parler ensemble d’un patient, mais l’analyste n’a pas le sentiment de parler au patient. Celui-ci s’est en effet enfermé dans un système défensif paralysant, avec lequel l’analyste peut malgré lui entrer en collusion. Ces manœuvres, qui ne sont pas conscientes, permettent au patient d’éviter les angoisses terribles qui ne manqueraient pas de surgir s’il abandonnait un tant soi peu ses défenses.
Ce que Betty Joseph cherche à repérer dans son observation détaillée de la séance, ce sont les changements : le patient commence par évoquer une angoisse, puis revient sur un détail de son quotidien. Les variations observées dans la séance reflètent en effet à ses yeux les modifications qui se produisent constamment dans la vie quotidienne du patient lorsqu’il est confronté à l’angoisse. Ce sont ces infimes changements repérables dans la séance qui constituent la matière du changement à long terme. Betty Joseph ne conçoit pas que celui-ci puisse survenir sans être préalablement survenu dans la séance. C’est lorsque le patient a pu faire face différemment à une angoisse dans la séance qu’il pourra y faire face différemment dans le reste de sa vie.
C’est dans cette même perspective que l’on peut comprendre son article « Towards the experiencing of psychic pain » dans lequel elle décrit ce qui se passe lorsque le patient commence à abandonner ses défenses. Il éprouve alors une douleur intense, parfois vécue comme une douleur physique, alors qu’il s’agit en fait de douleur psychique.
Betty Joseph évoque encore dans « Addiction to near-death » des patients que la rigidité de leur arsenal défensif a enfermés dans un état proche de la mort, qui leur paraît toutefois préférable à la vie et aux terreurs qu’elle suscite en eux.
Essentiellement clinicienne, Betty Joseph s’est aussi intéressée à l’identification projective, à la manière dont différents types d’angoisse pouvaient se manifester dans la situation analytique, comme à la manière dont l’envie éprouvée par ses patients, et généralement méconnue par ceux-ci, pouvait s’exprimer dans leur vie quotidienne sous forme de blocage vis-à-vis de tout apprentissage ou être projetée sur leur entourage vécu alors comme envieux.
En 1962, Betty Joseph a initié au sein de la société britannique de psychanalyse un séminaire qui permettait aux analystes de confronter leurs idées et d’échanger. Ce séminaire est ensuite devenu un groupe de travail qui a perduré tous les quinze jours pendant près de cinquante ans. Les participants s’y retrouvaient pour réfléchir ensemble dans un climat de confiance sur leurs patients les plus difficiles. Ce groupe de travail a été aussi le creuset à partir duquel certains analystes ont pu développer et élaborer leur propre pensée (John Steiner, Ronald Britton, Michael Feldman, Inès Sodré…). Il a donné lieu à un ouvrage collectif In Pursuit of Psychic Change, dans lequel chaque article se trouve ensuite discuté et commenté par un ou plusieurs membres du groupe.
Betty Joseph fut présidente du Melanie Klein Trust de 1991 à 2006. Elle reçut en 1995 le Sigourney Award qui récompense des personnalités ayant apporté une contribution significative à la psychanalyse.
Bel exemple de longévité analytique, Betty Joseph continua à recevoir des patients jusqu’à l’âge de 90 ans et à superviser des analystes en Grande-Bretagne comme à l’étranger au-delà de cet âge. J’ai eu la chance de la rencontrer dans sa maison de Clifton Hill à Londres, voisine de celle où avait vécu autrefois Melanie Klein, où elle m’a accueillie avec gentillesse et intérêt. Elle avait alors 93 ans. Le regard pétillant et l’esprit vif et alerte, elle avait des opinions affirmées sur la psychanalyse et des points de vue tranchés sur les analystes qu’elle avait côtoyés au long de sa longue carrière.
Bibliographie
Joseph B. Psychic Equilibrium and Psychic Change, London, Routledge, 1989
Hargreaves E. and Varchevker A. (ed.) In Pursuit of Psychic Change, The Betty Joseph Workshop, Hove, Brunner-Routledge, 2004
Gravity
Par-delà ses effets spéciaux de film à grand spectacle, Gravity, de Alfonso Caron, nous montre l’être humain confronté à des forces physiques inhumaines. C’est aussi à mon sens une illustration des interactions violentes qui règnent dans l’univers schizo-paranoïde et celui de la position dépressive, tous deux décrits par Mélanie Klein.
« Dans l’espace avec son équipe, une astronaute est projetée dans l’infiniment grand, avec seulement quelques heures d’oxygène devant elle ».
La station orbitaire Explorer est en effet menacée par les produits de désintégration d’un autre satellite, qui se dirigent vers elle à très haute vitesse. Les seuls rescapés (la chargée de mission Ryan Stone dont le rôle est tenu par Sandra Bullock et le chef de mission alias George Clooney) vont devoir lutter pour leur survie. Ce dernier disparaitra lui-même dans la deuxième partie du film, dans un scénario à la Titanic, pour sauver sa jeune collègue.
Sur un fond de décor cosmique d’une grande beauté, prédomine un vécu schizo-paranoïde qui évoque les angoisses psychotiques et/ou autistiques décrites notamment par G.Haag et D.Houzel : chute, morcellement, clivage, désintégration, bidimentionnalité…
Par un phénomène d’identification projective pathologique, les espaces de sécurité dans lesquels se réfugie Ryan deviennent presque instantanément chargés de l’atmosphère catastrophique qu’elle porte avec elle (incendie…). Le clivage du self rejoint ici le clivage de l’objet avec retour en boomerang des parties projetées (écrous, outils, pièces détachées de la navette spatiale, stylos…).
Mais la culpabilité liée à la position dépressive apparaît peu à peu dans le scénario. Celle liée à l’histoire personnelle de Ryan qui a perdu sa propre fille. Mais également celle qui se rattache au sentiment d’avoir abandonné à son triste sort son collègue, un George Clooney qui, en père œdipien, ne lui exprime ses avances sexuelles qu’au moment où il disparait. Ce partenaire qui représente concrètement pour elle le lien par télécommunication avec la planète Terre nourricière…
Au moment où Ryan alias Sandra Bullock croit avoir enfin trouvé refuge dans une station orbitale russe, elle semble se laisser glisser mélancoliquement dans la mort, sauvée in extremis par le fantôme de George Clooney… Celui-ci la réveille dans un climat d’euphorie maniaque en partie entretenu par la vodka qu’il trouve dans la cabine. Ryan va alors trouver l’énergie du désespoir qui l’amène à rejoindre un autre module spatial chinois avec lequel, contre toute attente, elle pourra miraculeusement atterrir. Plongée au fond d’un lac, elle regagne à la nage un rivage d’une beauté stupéfiante. Comme pour nous indiquer que, livrée comme l’espace aux attaques destructrices de l’Anthropocène, et en risque d’être transformée en une décharge débordant d’épaves métalliques, la Terre était malgré tout, magiquement restée intacte.
Réparation maniaque, ou sublimatoire ?
Francis Drossart
1er novembre 2013
1 pages.
Quelques réflexions autour du film
de François Ozon "Jeune et Jolie"
"Jeune et jolie"... hélas!
Certains se souviennent peut-être du "Mais ma petite fille, tu as complètement perdu la raison !" par lequel la bourgeoise de "La vie est un long fleuve tranquille" apostrophait sa jeune progéniture surprise à se maquiller dans la salle de bains... Quelques décennies plus tard, à notre époque post-moderne où Madame Bovary lit les "Cinquante nuances de Grey", le film de François Ozon mérite notre attention de psychanalystes. Non par ses qualités intrinsèques - à mon avis bien inférieures, dans le genre "mystère du féminin", à celles de "Belle de Jour" de Bunuel, de "Lolita" de Kubrick, ou même, plus récemment, de "Sleeping beauty" de Julia Leigh - mais par le message subliminal qu'il transmet, message idéologique et conformiste que je considère être la clé de son indéniable succès. Passons sur les clichés qui servent de toile de fond à cette descente de la belle lycéenne dans les souterrains du sexe tarifé. Ils sont nombreux : le dépucelage morose par un boy-friend tout droit sorti d'un épisode des "Bronzés", la fête d'anniversaire plus débile que nature, la liaison entre maman et le compagnon de sa meilleure amie, les cadenas du pont des amoureux, le danger du viagra chez les cardiaques d'un âge avancé, et l'éternel beau-père dans le rôle du chien dans un jeu de quille... Toute la médiocrité de ce que l'on persiste à appeler le "cinéma français" est là, à cent mille lieues du génie ironique d'Eric Rohmer auquel l'auteur emprunte fort lourdement le thème des "Saisons"...
Mais, comme il se doit, devant ce qui n'est après tout qu'un banal épisode de cette "ivresse du pire" que nous a si bien décrite Ghyslain Levy, la meute des "adolescentologues" s'est crue obligée d'y aller de son interprétation psychologisante : génération internet, addiction, équivalent anorexique, tendances suicidaires, masochisme exhibitionniste... manque l'encoprésie, pourtant suggérée par ces billets de banque cachés dans une armoire à linge. L'argent n'a pas d'odeur, sauf pour le fin limier de la brigade anti-proxénétisme qui découvre le pot aux roses. Mais sûrement pas pour le psychiatre aseptisé qui encaisse sans sourciller l'argent des passes de Léa pour le paiement de ses honoraires. Le "tout-psy" est donc ici convoqué, avec des commentaires d'une triste nullité. L'on pourrait, plus phénoménologiquement, évoquer devant cette élève sans désarroi, une nausée sartrienne fort habilement suggérée par l'abominable tapisserie à fleurs dont est affligée la chambre de l'adolescente. Tapisserie probablement héritée de cette grand-mère dont le prénom a servi de pseudonyme à la "pauvre petite fille riche". Grand-mère dont le lit de mort vient hanter, par effet d'après-coup, la scène de l'octogénaire expirant dans les bras de Léa, dans une chambre d'hôtel plus moderne mais aussi abominable. Ici l'on peut dire que François Ozon atteint, pour peu de temps du reste, une réelle beauté cinématographique. Mais quel est donc ce "message subliminal" que nous annoncions, comme vecteur de la réussite commerciale du film ? Comme toujours en psychanalyse, il faut le chercher là où l'on nous dit qu'il n'y a sûrement rien à voir. Tout le monde s'accorde à dire que la "petite fille riche" ne fait pas "ça" pour de l'argent. Pourquoi donc ? Mais, Bon Dieu, puisqu'on vous a dit qu'elle était riche ! Ah bon !... Comme si les riches n'avaient pas, encore plus que les autres, besoin (de beaucoup) d'argent?...
Il y a à n'en pas douter, dans ces grosses coupures dissimulées comme un trésor de guerre, quelque chose du Plan d'Epargne Etudiant. Et là, tout s'éclaire. Ne s'agit-il pas au fond de montrer que la demoiselle du Lycée Henri IV (H4, signifiant fort) est logée à la même enseigne - ou se loge elle-même à la même enseigne - que ces pauvres jeunes des Cités que l'inscription à l'Université ne dispense nullement d'un travail pénible dans un fast-food, des affres du surendettement... et bien sûr aussi, de la prostitution-masculine ou féminine. Le film aurait d'ailleurs sans doute gagné à ce que la lycéenne soit un lycéen. Mais les résistances qu'il aurait entraînées auraient été bien plus fortes. La moralité - platement bourgeoise - de "Jeune et jolie" est donc un pied de nez à la "misère étudiante" chaque année plus criante alors que le fossé se creuse toujours plus, dans notre société néolibérale, entre les Héritiers et les Déshérités. C'est une manière de faire dire à ces parents des beaux quartiers ("Vous savez, dit la mère de Léa, je gagne bien ma vie"), à l'intention des parents de laissés pour compte : "Nous sommes tous à la même enseigne ! Nos enfants aussi se prostituent. Vous seriez malvenus de venir vous plaindre !".
Francis Drossart
1 pages.
Francis Drossart
"Loin des caricatures et des polémiques, ce film témoigne de l'évolution des pratiques des secteurs de psychiatrie infanto juvénile, dans ses interventions auprès d'enfants avec autisme et de leur famille.
Cet entretien avec Hanna Segal a été réalisé à Londres en août 2001. Le principal interviewer était Daniel Pick. Jane Milton a posé quelques questions complémentaires et rédigé l’introduction et les notes. Tous deux sont psychanalystes et font partie de la Société britannique de psychanalyse (British Psychoanalytical Society). Le but de cet entretien était de recueillir des souvenirs sur la personne de Mélanie Klein et des réflexions personnelles sur ses apports cliniques et théoriques. À l'origine publié sur le site du Melanie Klein Trust, nous tenons à remercier le Melanie Klein Trust et John Steiner de nous avoir autorisée à traduire et publier en ligne cet entretien avec Hanna Segal.
G. Le Roy
Lire le texte
22 pages.
Cette page, gardera trace des éléments d'actualité de la psychanalyse présentés en page d'accueil au cours de l'année 2012.
AUTISME ET PSYCHANALYSE - Éléments d’information
L’autisme a été déclaré “Grande cause nationale” pour l’année 2012. Vous trouverez ici, actualisés régulièrement, des éléments d’information concernant le débat actuel autour de la place de la psychanalyse dans l’approche de l’autisme.
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Janvier et Février 2012
Communiqué à la HAS
Lettre au président de l'Assemblée Nationale
Courrier d'information du Professeur R. Misès à propos de la position de la HAS
Soutien du Quatrième Groupe à la CIPPA et à l’UNAPEI
Réaction de l’UNAPEI à la proposition de loi du député D. Fasquelle
Réaction de la CIPPA à la proposition de loi du député D. Fasquelle
Proposition de loi du député D. Fasquelle
Mars 2012
La HAS et la psychanalyse: Texte du 8 mars 2012
Avril 2012
Lettre ouverte au président de la Haute autorité de santé. M Moïse Assouline - in, La lettre de Psychiatrie Française.
STATUT DE PSYCHOTHERAPEUTE
Mai 2012
Texte du décret modifié relatif au statut de psychothérapeute -
Parution au journal officiel du 8 mai 2012
Mots clés : actualités de la psychanalyse - actualités 2012
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
5 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
3 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
4 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
4 pages.
Texte de l'intervention effectuée dans le cadre des journées scientifiques "Vivre à la Hauteur de sa condition psychique"
Et figurant dans les actes publiés en ligne .
6 pages.
Vous trouverez ici les actes des journées scientifiques du IVe Groupe
AUTOUR DE L'ŒUVRE DE NATHALIE ZALTZMAN
Samedi 20 et dimanche 21 mars 2010 à la BnF
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77 pages.
Mots clés : journée scientifique, N. Zaltzman, mal, esprit du mal, pulsion anarchiste, Kulturarbeit
LA DIMENSION DU MAL ET LE KULTURARBEIT
Méditation sur L’esprit du mal de Nathalie Zaltzman
"Il n’est pas facile de revenir sur l’Esprit du Mal après la soudaine disparition de Nathalie Zaltzman, ni de commenter ce qui en peu de temps est devenu le dernier témoignage d’une pensée vigoureuse et passionnée. Dans la conviction d’avoir perdu un ancrage théorique précieux, ce texte publié l’année dernière en Italie avait pour but de soutenir la diffusion d’une œuvre pénalisée par l’absence de traduction italienne, absence à laquelle nous remédierons bientôt."
Barbara De Rosa Université de Naples
Federico II
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11 pages.
Mots clés : Mal, N. Zaltzman, individuel, collectif, vie psychique, travail de culture, kulturarbeit, esprit,
Présentation de la journée d'étude du groupe de travail Corps et Cure - Valence, 12 juin 2010
"Le corporel sur la scène transférentielle"
8 pages.
Mots clés : corporel, transfert, contre-transfert, hallucinatoire, identification projective
Présente au colloque La force du nom : "Leur nom ils l'ont changé" qui s'est tenu à Paris, d’abord, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, le 18 octobre, puis à Jérusalem, les 1,2,3 novembre 2009, Michelle Moreau Ricaud en livre ici son compte rendu. Rappelons que ce colloque à donné lieu à un ouvrage du même nom paru en octobre 2010 aux éditions Desclée de Brouwer, et dont vous trouverez les références complètes ici
6 pages.
Mots clés : Jérusalem, colloque, histoire de la psychanalyse
En 2006, le quotidien "der Standard" publie un entretien de Margarethe Walter, dernière patiente de Freud encore vivante, avec Peter Roos. Lire la traduction de cette rencontre
Freud et le baiser de cinéma (Traduction)
4 pages.
4 pages.
Mots clés : Bion, memoir of the futur
Commentaires : Signalons la parution en septembre 2010 de :
Un Mémoire du Temps À Venir
Wilfred R. BION
Traduction et présentation par Jacquelyne Poulain-Colombier
Postface de Parthénope Bion Talamo
La Trilogie "fantastique" de Bion et sa clé
Editions du Hublot
Parution : 15 Septembre 2010 Format : 16X24cm 620 pages
4ème de couverture:
«Un Mémoire du Temps À Venir est à vrai dire un texte psychanalytique important, avec une portée clinique prééminente, et il ne devrait en aucun cas être écarté comme étant simplement l'espièglerie d'un monsieur âgé au pays de la création littéraire».
Ainsi s'exprimait Parthénope Bion Talamo à Los Angeles le 31 juillet 1995 lors de son intervention au 39ème Congrès de l'IPA sur "La portée clinique d'Un Mémoire du Temps À Venir", dans la ville même où son père s'était installé la dernière décennie de sa vie, partageant son temps entre sa pratique, des séminaires cliniques et l'écriture, dont celle du Mémoire.
Loin d'être une «facétie manquant d'à-propos», ce texte, ajoutait sa fille, «est composé de façon à représenter la théorie de Bion du fonctionnement (et du mauvais fonctionnement) de l'esprit». Il repose sur un mode d'écriture inédit en psychanalyse – montage achronologique, dialogues où se mêlent personnages «réels» et personnages de fiction. Bion s'est s'affranchi des conventions de publication en psychanalyse et réalise la plus audacieuse tentative pour rendre la dimension spécifique de l'espace-temps psychanalytique. Le changement dans la forme, que rythment les permutations de narrateur, de temps, de lieu, met le «nouveau» lecteur en situation, non pas de lire un livre sur la psychanalyse et les fondamentaux de Bion, mais de les découvrir par l'expérience. Autrement dit, «il force le lecteur à être conscient du fait qu'il doit utiliser son propre esprit (et sa propre vie) afin de le lire».
Wilfred Ruprecht Bion (1897-1979) rédigea les trois livres d' Un Mémoire du Temps À Venir entre 1975 et 1979. La présente traduction a été établie d'après l'édition de Karnac Books parue en 1991 où les Livres I, II, III forment une Trilogie, avec son compagnon de lecture, la Clé, composé par Wilfred et Francesca Bion.
Illustration de couverture : Looking at the Sunset – Gouache sur papier de Caziel (Kazimierz Jozef Zielenkiewicz, 1950) – Whitford Fine Art Gallery, Londres
Sommaire
Présentation de l'édition en langue française par Jacquelyne Poulain-Colombier
Livre I Le Rêve
Livre II Le Passé Représenté
Livre III L'Aurore de l'Oubli
Clé Postface de Parthénope Bion-Talamo «Sur la pertinence clinique d'Un Mémoire du Temps À Venir»
Bibliographie
Texte de l'intervention de Claude Alombert lors de la première séance du cycle sur la transmission - LYON le 6 février 2010
3 pages.
Texte de la rencontre avec Fethi Benslama qui a eu lieu le 29 novembre 2008 à Lyon dans le cadre du CYCLE "PSYCHANALYSE ET SPIRITUALITES".