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En clinique du handicap mental, là où les apprentissages essentiels en matière d’autonomie sont laborieux voire compromis, le sujet a besoin d’un étayage durable pour prétendre sortir de la dépendance à ses objets. Chez le sujet dit « déficitaire », le risque de l’incestuel existe, qui naît de son entière soumission au Nebenmensch, lors de soins de nursing prolongés. Dans ces lieux de confusion désidentifiante, la dyade mère-infans contrarie l’expérience intersubjective lorsqu’elle expulse la figure d’un tiers symboligène, garante du processus de désaliénation d’un sujet-infans impuissant à conquérir seul un lieu de subjectivité. Si l’institution d’accueil n’y prend garde, le même phénomène se réplique dans l’accompagnement au quotidien du sujet. En articulation à la « fonction mère », nous proposons une réflexion sur la fonction psychique du tiers, « fonction père », sous ses divers aspects, condition sine qua non pour permettre au sujet déficient mental un accès à l’appropriation subjective. Quelques courtes vignettes cliniques de sujets adultes « institutionnalisés » avec traits psychotiques, confrontés au déficit d’un principe régulateur – institutionnel et/ou intra-familial – qui a vocation à barrer la jouissance incestueuse et meurtrière, étaieront notre propos.
Le couple pervers imaginé par E. Albee dans sa pièce « Qui a peur de Virginia Woolf magistralement interprété à l’écran par Liz Taylor et Richard Burton, nous servira de paradigme quant au fantasme d’infanticide, décrit par Serge Leclaire. Fantasme que nous avons exploré dans le domaine du périnatal, mais dont l’omniprésence se manifeste dans tout le psychisme humain.
Mon propos est d’interroger le distinguo introduit par Freud et couramment admis dans notre champ entre peur et angoisse ? S’il est nécessaire de discerner l’une de l’autre, il est important de considérer que les deux notions se mêlent, s’interpénètrent, se chevauchent dans maintes configurations cliniques. Alors, un champ de complexités s’ouvre à nous : ce n’est pas l’objet dont on a peur mais l’inconnu auquel il nous renvoie, et au-delà de son indétermination, l’angoisse a bien un objet. Peut-on penser qu’il y a angoisse sans peur ou peur sans angoisse ? Pour l’analyste, là où la peur désigne un saisissement, une pression interne, liés à un objet que le sujet croit identifier comme tel, l’angoisse désigne un état, une configuration psychique, et nous met sur la voie d’une exploration clinique avec des repérages métapsychologiques. La notion de peur affecte nos processus conscients, tandis que certaines formes d’angoisse ne peuvent être identifiés par le sujet, ce qui devient précisément l’un des enjeux de notre travail analytique.
La période covid fait obligation aux analystes de repenser le malaise dans la culture, non pas en le psychopathologisant, mais en reprenant encore et toujours la question des fondements métapsychologiques de leur pratique. Le fil suivi ici est celui de « l’effroi infans », au cœur de la dépendance vitale caractérisant l’état sans-aide originel. Cela amènera à ré-interroger l’approche freudienne du Nebenmensch, esquisse restée sans suite métapsychologique chez Freud.
Malgré le souci freudien de clairement distinguer la peur de l’angoisse, ces deux affects semblent inextricablement liés dans son œuvre. Il apparait que pour Freud l’angoisse est originaire – qu’il s’agisse de l’angoisse de la naissance ou de l’angoisse de castration. Une des manifestations cliniques qui retiennent sont attention sont les phobies infantiles d’animaux. Les cas du petit Hans ou le petit Arpad mettent Freud sur la piste de l’analogie entre phylogénétique et ontogénétique, développement du petit homme et évolution de l’humanité. Pourtant, contre toute attente, la peur et l’angoisse sont passées sous silence dans l’anthropologie freudienne des origines, alors même qu’elles apparaissent comme l’un des ressorts, si ce n’est le mobile, du mythe du meurtre du père de la horde.
Entre l’intemporalité de la peur comme « expérience impressionnante pour le psychisme », son actualisation sur la scène de la réalité extérieure, la façon dont elle est retravaillée par le culturel et traitée par le collectif, la question se partage. C’est ce qui aura été l’objet de ce travail.
Nous prenons, peu à peu et douloureusement, conscience du bouleversement qui s’annonce dans notre monde. Que deviennent alors les différents espaces psychiques quand l’angoisse interne est due à la réalité externe, quand ce que nous éprouvons est l’angoisse du réel à différencier de l’angoisse du pulsionnel selon Freud ? Comment considérer le travail psychique exigé par la rencontre de chacun avec ce nouvel environnement, nouvelle réalité externe ? En m’appuyant sur les rêves recueillis par Charlotte Béradt de 1933 à 1939, lors de l’installation du nazisme en Allemagne et ceux relatés par Jean Cayrol à son retour du camp de Mauthausen, je vais essayer de rendre compte ce qu’apportent les travaux de Piera Aulagnier, Geneviève Haag et René Kaës, à l’analyse de ces rêves.
Il s’agira ici de prendre en compte le vivant humain dans sa capacité à se construire comme son propre écosystème, c’est-à-dire les conditions aujourd’hui nécessaires pour rendre la réalité humaine habitable. Comment la psychanalyse nous aide-t-elle à penser et à transformer notre rapport violent au réel et la cruauté de notre indifférence envers l’autre et envers un monde abîmé ? Nous interrogerons ce premier territoire que la psyché auto-engendre comme espace-monde et espace-corps, prémices d’un écosystème originaire nécessaire à la survie. On prendra en compte les traits collectifs d’une clinique de la mélancolie telle qu’elle imprime notre rapport au présent et au devenir-déchet du monde.
Cet article, à partir d’un cas clinique, se propose de repenser les liens qui unissent ou devraient unir psychanalyse et réflexion sur l’environnement. Prenant appui sur un article fondateur de H. Searles, un essai écologiste du romancier américain Jonathan Safran Foer et une nouvelle de l’écrivain Rick Bass, il entend démontrer que le psychanalyste, en marge d’indispensables considérations sur la réalité psychique, devrait savoir rester attentif à la réalité matérielle des sources des angoisses créées par la crise environnementale, qu’il ne peut pas ne pas partager avec son patient – et que la littérature peut l’y aider.
L’épidémie de Covid-19, par les aménagements concrets de notre cabinet qu’elle implique, nous amène à y rencontrer le monde commun dans lequel la solidarité se déploie pour y mettre un terme. Elle implique une dimension de symétrie, y compris de transfert, qui vient fortement déstabiliser notre pratique analytique, habitués que nous sommes à la concevoir comme hors-monde pour donner toute sa place au transfert, fondamentalement asymétrique. La crise environnementale nous impose aussi de réinterroger notre contrat narcissique et les rapports de certitude confiante dans la science qui en constituent, dans nos sociétés modernes, les énoncés du fondement. Ce trouble n’est-il pas à l’origine de la force de conviction des discours des prophètes de l’Apocalypse, qu’ils soient religieux, scientifiques ou psychanalytiques ?
À la mort de Ferenczi, son ami écrivain D. Kosztolányi lui rend un hommage émouvant. Il évoque sa personnalité sociable, attachante, juvénile, dont la curiosité, toujours en éveil, le faisait s’intéresser à tout, à l’art, la littérature, aux jeux, au folklore... Il le présente aussi aux lecteurs du Nuygat comme un chercheur inquiet, faisant une place au doute, et dont l’influence s’étend, avec celle de Freud, sur le plan international. Ferenczi, engagé dans le combat pour la cause analytique, s’est occupé aussi bien des « affaires extérieures », comme Freud les appelait, (création de l’Association psychanalytique internationale) que de théorie (dont l’originale Thalassa) ou de formation analytique.
Comment, et à quel « coût », le travail analytique participe-t-il de notre temps… et réciproquement ? Comment penser psychanalytiquement les effets de la crise écologique sur la vie psychique ? Comment relier cette question à celle d’une vie psychique inconsciente ? Comment en situer convenablement les articulations avec le travail de la cure, entre défense contre le sexuel et sexualisation défensive du meurtrier ?
L’évocation d’une situation clinique peut exemplifier et actualiser certains éléments de la pensée de Ferenczi dans un contexte institutionnel. Le suicide de la patiente, après un temps de sidération de la pensée dans la perspective de l’écriture, m’a emmené à construire à partir de la pensée de Piera Aulagnier une hypothèse qualifiée de théorisation comme symptôme mais aussi interprétation, hypothèse où s’invite un effet de l’originaire dans certains raptus suicidaires.
Avec la « figure » de « l’infans dans l’adulte », Ferenczi crée la représentation d’un en-deçà de l’enfant freudien, de « l’enfant dans l’adulte » constitué en référence au complexe d’Œdipe, avec pour conséquence non seulement un remaniement de la position du psychanalyste, du cadre analytique et de l’activité représentative qui lui est liée, mais plus encore, une rupture avec la doctrine freudienne par la mise à l’écart du complexe d’Œdipe comme structurant universel du psychisme. On sait que sur cette rupture Freud ne cédera pas, et considérera ces derniers travaux comme le résultat de « sources émotionnelles immaîtrisables et invaincues », entraînant une régression névrotique dans l’évolution de Ferenczi. Mais force est de constater qu’avec l’extension contemporaine de la notion d’état-limite et celle des aménagements cliniques qu’elle tend à induire, le différend Freud-Ferenczi garde toujours son actualité.
C’est le récit métaphorique d’une liberté de vivre sur des îles, acceptées par des prisonniers, puis des prisonnières, au lieu de rester dans des camps. L’auteur y décrit leurs vies, leurs manies, leurs solitudes, leurs exils, leurs morts, leurs rencontres, leurs couples potentiels avec les tribulations de l’exogamie, et les effets endogamiques de la fertilité et de l’infertilité qui révèlent « des cas » « aux destins piteux » bien peu encourageants pour l’espèce humaine en totale extinction pour ces insulaires. Sauf à attendre l’espoir d’une nouvelle Genèse ?
En partant du mot « génocide », l’auteur constate qu’avec les guerres, les mots risquent de perdre tout ou partie de leur polysémie. De même, une pluralité de perspectives est nécessaire pour appréhender la réalité de celles-ci. Il ouvre la perspective arendtienne de la « guerre d’anéantissement » pour mieux comprendre la guerre en Ukraine.
« L’accueil de l’infans dans l’adulte », notion plus ferenczienne que freudienne, ne fait pas l’unanimité chez les psychanalystes. Plutôt que d’entrer dans un débat intellectuel qui chercherait à affirmer de quel côté politique il est souhaitable de se trouver – Freud ou Ferenczi ? – j’ai choisi de me former ma propre opinion à travers quelques courtes séquences cliniques de psychanalyse d’adultes glanées pour l’occasion. Cette étude m’amène à mesurer l’importance du modèle du « en même temps ».
La guerre entre l’Ukraine et la Russie montre combien la parole peut être manipulée et devenir une arme de guerre, ce qui n’est pas sans émouvoir profondément les psychanalystes, pour lesquels la parole requiert un respect quasi sacré : elle seule « nous tient ensemble » (Montaigne).