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Francis DROSSART
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"Dans Oedipe, la fantaisie de souhait sous-jacente de l'enfant est amenée à la lumière et réalisée comme dans le rêve; dans Hamlet elle demeure refoulée, et nous n'apprenons son existence, tout comme ce qui se passe dans une névrose, que par les effets d'inhibition émanant d'elle."
Comme habituellement, Freud, le fondateur de la psychanalyse ouvre une voie de compréhension inestimable pour un sujet essentiel du psychisme humain. Cet ouvrage tentera de situer cette avancée, en reprenant tout d'abord les textes de Freud puis ceux de ses continuateurs.
Il sera ensuite présenté par F. Drossart une hypothèse originale concernant la psychologie du personnage d'Hamlet. Loin de toute préoccupation nosographique, il propose de se référer à la notion de retrait psychique (J. Steiner). Le retrait psychique correspond à un refuge, présent chez le sujet, entre les deux positions (schizo-paranoïde et dépressive) décrites par Mélanie Klein. Nous parlerons à cet égard d'espace intermédiaire. ce qui donne portée métaphorique à l'exclamation d'Hamlet:"Le Danemark est une prison".
Marc Amfreville s'attache, pour sa part, à examiner la langue de Shakespeare. Dans son texte intitulé Spectres d'identité, sens et double sens chez Hamlet, il nous rappelle qu'Hamlet est un être de fiction à envisager au regard des autres personnages de la pièce.
Cet ouvrage, d'inspiration kleinienne (pour la partie écrite par F. Drossart), plus "classiquement freudienne" (pour celle écrite par Marc Amfreville), ne contredit pas l'affirmation de Lacan, selon lequel le caractère proprement génial de la pièce est à rechercher dans sa structure labyrinthique.
pages.
Tout en restant en continuité avec la pensée freudienne, Melanie Klein, par l’utilisation du jeu en tant que voie d’accès à l’inconscient de l’enfant, (comme le rêve pour celui de l’adulte), a ouvert un champ d’études psychanalytiques qui est loin d’être clos aujourd’hui. Souvent décriée dans les milieux psychanalytiques francophones, sa pensée souffre encore aujourd’hui d’être insuffisamment traduite car souvent caricaturée, et réduite à quelques concepts détachés de leur contexte. Cet ouvrage vise à remédier à un tel état de fait. Sans négliger la clinique, il s’appuie sur la littérature, les arts plastiques et le cinéma, en essayant d’y saisir, au moyen d’une lecture kleinienne, la complexité fantasmatique qui s’y déploie de façon visible ou inattendue. C’est ainsi que l’Éducation Sentimentale de Flaubert, loin d’une vision solipsiste et étriquée, nous apparaît comme l’un des chefs d’œuvre de la mise en scène, dans toute sa crudité et sa diversité, de la position dépressive kleinienne.
156 pages.
Francis Drossart est psychiatre et psychothérapeute d’exercice libéral, psychanalyste membre et ancien président du IVe Groupe OPLF. Ancien Chef de Clinique des Universités et ancien praticien hospitalier, il a exercé successivement comme pédiatre puis pédopsychiatre. Il est actuellement Directeur de Recherches en psychopathologie et psychanalyse, rattaché au CRPMS, UFR-IHSS, Université de Paris, et responsable pédagogique du DU Clinique Psychanalytique Kleinienne. Membre du French Team of the Melanie Klein Trust’s Website.
Une Théorie Kleinienne de la Destructivité et de la Créativité
Par sa théorie du jeu chez l’enfant comme voie d’accès à l’inconscient au même titre que le rêve, et par sa référence constante à la deuxième théorie bi-pulsionnelle de Freud (pulsions de vie / pulsion de mort), Melanie Klein a ouvert une nouvelle voie à la métapsychologie. Les concepts de clivage, d’identification projective, de positions schizo-paranoïde et dépressive, d’envie, font désormais partie du vocabulaire de la psychanalyse. Ils ne sont cependant pas toujours suffisamment rattachés à la notion que Donald Meltzer considère comme la découverte essentielle de Melanie Klein : la concrétude des objets internes. En outre, chez les auteurs psychanalytiques francophones, le lien entre la pensée de Melanie Klein et celle de ses continuateurs directs (Wilfred R. Bion, Hanna Segal, Herbert Rosenfeld) ou indirects (Donald W. Winnicott) est souvent sous-évalué.
Cet ouvrage essaie de montrer comment la théorie kleinienne peut nous éclairer sur les phénomènes de destructivité et de créativité, en se référant à la fois à la psychopathologie et à certains domaines des arts plastiques, du cinéma et de la littérature.
L’auteur : Francis Drossart est psychiatre des hôpitaux, ancien chef de clinique en pédiatrie et en pédopsychiatrie, psychanalyste membre du IVème Groupe, directeur de recherches au CRPMS, UFR Etudes Psychanalytiques, Université Paris Diderot 7.
Chantal Lheureux-Davidse et Géraldine Le Roy, psychologues cliniciennes, psychanalystes, ont contribué à l’ouvrage.
Préface de Didier Houzel
242 pages.
Sommaire
Préface par Didier Houzel
Introduction: La place de la pensée kleinienne dans la psychanalyse
Première partie
Klein, Bion, Winnicott - A – Les grands concepts kleiniens : 1. Fantasme inconscient - 2. Objet interne - 3. Identification projective - 4. PS-D - 5. L’envie - B – Bion : 1. Réflexion faite - 2. Vers une théorie de l’activité de pensée - 3. Aux sources de l’expérience et éléments de la psychanalyse - C – Winnicott : Continuités et discontinuités avec la théorie kleinienne, par Géraldine Le Roy - 1. Les liens entre Melanie Klein et Winnicott - 2. Points d’accord et de désaccord - 3. Apports personnels de Winnicott - 4. Illustration clinique des différentes techniques
Conclusion : Winnicott et la création
Deuxième partie
La destructivité - 1. Le déni omnipotent - 2. L’incestuel - 3. Le hiatus périnatal - 4. Le hiatus adolescent - 5. Sur les traces du Colonel Kurtz - 6. Le claustrum (Donald Meltzer) - 7. Destructivité et créativité chez un enfant psychotique présentant des troubles envahissants du développement, par Chantal Lheureux-Davidse
Troisième partie
La créativité - 1. Amarcord de Fellini - 2. Les Nanas de Niki de Saint-Phalle - 3. Dans le Café de la Jeunesse Perdue de Patrick Modiano - 4. Les Vitrines de Christian Boltanski - 5. Délivrances de Toni Morrisson - 6. Les Transformations Corporelles chez Matthew Barney, David Cronenberg et Francis Bacon - 7. La Supplication de Svetlana Alexievitch
Conclusion
Bibliographie
Un jeune doctorant en Histoire, d'origine libanaise a choisi comme sujet de recherches les lois de Nuremberg. Cette plongée dans l'enfer du nazisme va mettre sa vie en péril et illustrer l'idée selon laquelle "on n'en a jamais fini avec le passé" ...
166 pages.
606 pages.
Les traces de l’archaïque seraient comme ces cicatrices que l’on croyait disparues et qui réapparaissent au froid telles des engelures. Sont ici évoqués les paysages de la clinique qui disent ces traces psychiques ressurgissant, à partir d’une effraction corporelle ancienne, de l’inconscient maternel à la faveur de la transparence psychique et/ou de l’un de ces inexplicables hasards par lesquels « la réalité vient dupliquer le fantasme » (Lebovici) ; ou au moment où il serait question de mémoire, à l’imminence du décès quand c’est un certain oubli qui permet la transmission des héritages et l’accomplissement des deuils. Ces traces que le psychisme peine à contenir et qui s’expulsent au dehors s’inscrivant sur n’importe quel support : scarifs, graphes, tags, les actes, le corps, le soi-peau, les murs des autres : s’agirait-il d’un refoulement ? Les auteurs, tous psychanalystes et praticiens de ces différents champs, nous livrent sous l’égide de Monique Bydlowski, une réflexion riche et originale sur ces champs croisés de l’archaïque et de la trace que l’on retrouve dans la clinique du périnatal, du pubertaire ou dans celle des fins de vie.
200 pages.
Parue dans le n° 203 du Coq-Héron et dans le n°49 du Bulletin du IVe Groupe
Ce petit recueil, d’un format tout particulièrement agréable et pratique (Petit Poche), vient offrir au lecteur une réflexion innovante pour aborder le champ complexe de l’archaïque dans les parcours de suivis d’adulte, à partir de données d’observations et d’interventions très précoces, autour de la grossesse, de la naissance, du trio et du groupe socio-familial environnant, ainsi que des scarifications et de la relation vie/mort entre mère et fille.
Après une préface éclairante de Monique Bydlowki, suivie d’un bref prologue sur l’archaïque et la trace de Patrick Ayoun, qui va également clôturer cet ouvrage avec une réflexion aiguisée sur ces impressionnants « recoupements », « blessures de mémoire » visibles, qu’expose la clinique des énigmatiques scarifications actuelles d’adolescents, les trois recherches de Francis Drossart, Joëlle Rochette et Laure Ayoun, s’attachent très directement à la clinique de ces périodes si délicates et sensibles qui affectent simultanément le développement de la psyché du petit humain mis au monde et les propres « traces » inscrites chez la mère, l’entourage et le socius.
L’éclairage de Francis Drossart s’avère particulièrement original : réinterrogeant avec acuité dans la métapsychologie ce qui pourrait éclairer la spécificité du traumatisme de l’accouchement, il rappelle qu’il a déjà pu nommer « hiatus périnatal » ce moment précis du post-partum « vide d’affects » souvent évoqué de façon discutable comme « baby-blues ». Car selon lui, ce « hiatus périnatal » décrit la sensation de perte d’objet intériorisé coïncidant avec la perte effective de l’enfant intra-utérin. « Il y aurait bien une césure de la naissance dans le psychisme de la mère », qui se situerait autour de cet affect de vacuité lié à l’expulsion du bébé intra-utérin (vécu en objet intériorisé dans le psychisme maternel au cours de la grossesse, mais un objet très différent de celui fantasmatique préconscient « d’enfant imaginaire »). L’essentiel de son hypothèse repose donc sur l’existence d’une discontinuité, d’un hiatus entre les périodes anté et post-natales dans le psychisme maternel. De sorte que c’est lors de cette vacuité d’affects que viendrait s’imposer le fantasme inconscient d’enfant mort ; l’enfant né et réel, devenu un objet externe, serait alors vécu comme un enfant substitutif de l’enfant intra-utérin perdu. Normalement peu perceptible, ce temps de « hiatus » prendrait par contre dans certains cas, des dimensions très pathologiques. Un cas de naissance prématurée illustre cette hypothèse.
F. Drossart explore ensuite sous cet angle nouveau la tragédie mythique de Médée. Il analyse ainsi que cet infanticide lucide met en œuvre ce que Médée vit intérieurement d’une désintrication pulsionnelle psychique, déclenchée par le déni cruel de sa maternité par Jason, lui ayant de ce fait, « arraché ses représentations ». A mon avis une telle interprétation éclaire avec justesse notre fascination horrifiée de cet acte mythique et elle pourrait peut-être bien éclairer d’autres infanticides maternels plus actuels.
La contribution et les très fines observations cliniques de Joëlle Rochette illustrent pleinement l’intitulé de toute cette publication. Elle souligne en effet l’importance des effets des empreintes du groupe familial et culturel, ceux des rituels du socius ambiants, et celles « de ‘traces brutes’ non psychisées » du propre vécu-bébé de la mère affectant l’ensemble des relations au nouveau-né. Elle note que s’ajoute de plus à ces effets, l’opacité confuse des turbulences que le post-partum déclenche, par la confrontation à un envahissement de l’archaïque inorganisé que la présence du nouveau-né réintroduit en la psyché de chacun. Selon elle, même une subtile description phénoménologique éclaire mal les mécanismes intrapsychiques à l’œuvre dans cette période de désorganisation/réorganisation qu’est celle de la première rencontre avec le nouveau-né, où domine le primat du sensoriel. L’intitulé de ses têtes de chapitres met bien en évidence les différents champs d’expériences qui s’entrecroisent au sein de ces traces ravivées dans l’immédiateté du post-partum. Le nouveau-né devient un « objet de transfert des traces les plus inélaborées » ; il « subvertit l’ordre établi et s’il vient rappeler l’animalité, il réinterroge aussi les théories sexuelles infantiles de chacun et les grands tabous fondateurs de l’humanisation. ». « Le nouveau-né n’est pas encore un bébé » ce qui convoque le chaos des « agonies primitives » et « des terreurs sans nom ». « La nouvelle accouchée n’est pas encore une mère » ce qui convoque en elle des traces du chaos d’un « no man’s land » sans primat spontané d’une « unité duelle ». Tous deux commencent ainsi par une traversée de chaos et de « pot-au-noir », avant de parvenir dans le meilleur des cas, à l’expérience d’une dyade mére/bébé, puis à celle de l’hédonisme du lien.
Bref Joëlle Rochette nous conduit magistralement à conceptualiser cette traversée et ses suites, ce vécu enfoui au plus lointain en chacun de nous. Comment alors ne pas être convaincu par sa plaidoirie finale en faveur d’une meilleure approche des quarante premiers jours de la rencontre entre le petit humain, sa mère et son environnement ?
Citant Cramer et Palcio-Espasa, Joëlle Rochette nous rappelle aussi que « dans le deuil le sujet doit abandonner des investissements, alors qu’à la naissance d’un enfant, il doit en produire ». Pourtant l’article de Laure Ayoun nous confronte ici à l’expérience inverse : quand au moment de l’imminence d’un décès maternel, la mort vient saisir le vif entre mères et filles. Que recouvre donc et révèle ce « vif » entre mères et filles dont Laure Ayoun nous fait découvrir l’incroyable intensité ? « Comment se règle le rapport à la mort entre mère et fille ? » ? Lorsque la mère âgée ou malade est proche de sa fin, pourquoi mère et fille peuvent-elles vivre cette certitude soudaine qu’il vaut mieux mourir toutes les deux plutôt qu’être séparées ? Pourquoi ne pas pouvoir survivre à sa mère ? Quelles sont donc ces « traces de mémoires activées » qui surgissent entre une mère et son enfant ? Ces questions ouvrent un champ de recherches à poursuivre encore, même si on s’accorde pleinement avec Laure Ayoun à penser que « « la capacité d’une fille à perdre sa mère, à en éprouver du chagrin sans en être détruite, est liée à la capacité de cette mère à supporter d’être oubliée, à se faire oublier. »
En effet qu’est-ce qui dans les destins pulsionnels d’une mère – au seuil de la mort- pourrait venir réveiller quelques traces de ce « hiatus périnatal » décrit par F. Drossart, ou ranimer le chaos du pot-au noir dans lequel demeurerait la confusion extrême entre objet externe et interne, malgré l’expérience vécue de deux vies distinctes ?
De multiples rappels théoriques relatifs à l’hystérie sont développés par Ouriel Rosenblum pour témoigner du suivi d’une jeune femme contaminée au VIH, dont l’évolution de la vie sexuelle et l’accès à la maternité pourront peu à peu lui permettre d’« accoucher d’une mère » et de s’ouvrir à un « enfantement psychique » à travers sa découverte du féminin. J’avoue avoir été pour ma part perplexe de ne pas pouvoir bien repérer dans ce cas, l’intrication/désintrication pulsionnelle pourtant forcément ici convoquée dans ses empreintes les plus archaïques, du fait que la contamination par le VIH est un carrefour manifeste entre la vie et la mort, vraisemblablement d’autant plus agité de turbulences lorsque la femme se découvre porteuse d’une autre vie en elle.
En bref, ce tout petit ouvrage au titre vaste et prometteur, tente d’explorer en profondeur sous plusieurs perspectives, certains signes manifestes des origines de traces archaïques en l’humain, qu’elles touchent le hiatus périnatal de la mère, la césure de la naissance pour tous en toute culture, les empreintes à vif entre mère et fille, celles de la mort et de la vie dans une mère à VIH, et ces étranges « recoupements », marquages corporels visibles tels des stigmates venus d’un ailleurs indicible... Ce faisant, en dépit de la richesse de ces investigations, leur réalité elle-même nous impose de constater humblement nos limites, puisque nous ne pouvons pourtant penser, élaborer et repérer que la partie la plus émergeante de l’archaïque de quelques-unes de ces traces en nous.
116 pages.
Articles
RÉSUMÉ
Les travaux de Mélanie Klein sur la psychanalyse de l’enfant l’amenèrent à modifier la théorie freudienne du surmoi en postulant pour celui-ci une plus grande précocité et une nature très archaïque. Bien que Freud sur ce point ne l’ait pas désavouée, cette hypothèse d’un surmoi cruel et archaïque reste controversée. Elle nous amène à refuser certains aménagements apportés à la clinique de la cure, dans le but d’amener l’analyste à la position d’un surmoi parental bienveillant. Ceci au détriment de l’interprétation du transfert...
Les dangers de ces aménagements techniques, pouvant conduire à des interprétations sauvages et à des transgressions, sont mis par l’absurde en évidence dans le film de Cronenberg «Maps to the stars» qui montre un «coach-analyste» entraînant ses patients et lui-même dans un scénario mégalomaniaque et catastrophique. Ceci en résonance avec le cynisme stupéfiant du monde des célébrités hollywoodiennes.
Le couple pervers imaginé par E. Albee dans sa pièce « Qui a peur de Virginia Woolf magistralement interprété à l’écran par Liz Taylor et Richard Burton, nous servira de paradigme quant au fantasme d’infanticide, décrit par Serge Leclaire. Fantasme que nous avons exploré dans le domaine du périnatal, mais dont l’omniprésence se manifeste dans tout le psychisme humain.
Mélanie Klein décrit initialement les mouvements allant de la position dépressive (D) à la position schizo-paranoïde (PS) comme une défense paranoïde contre l’angoisse dépressive. Bion modifie cette vision des choses en considérant que l’identification projective peut être un phénomène normal, et nous propose un modèle oscillatoire entre ces deux positions. A cela, nous souhaitons ajouter la notion d’un espace intermédiaire (EI) entre ces deux positions, ce qui peut être résumé par la formule : (PS) « --» (EI) « -- » (D)
L'écrivain Paul Fournel, avec sa formule "le vélo est mon roc", opère un renversement de perspective quant au roc des passions. renversement qui fait passer celui-ci du statut d'obstacle épistémologique à celui de levier pour transformer le monde. Levier aléatoire certes, qui, comme le guidon de cet auteur, peut se retourner.... (suite sur les Actes 8 - Le roc des passions)
À partir de certains textes de Winnicott, et de façon non exhaustive, nous essayons de montrer combien sa pensée se situe dans la continuité de celle de Melanie Klein (dont il se considère être l’« élève »), mais aussi comment elle s’en différencie, notamment, quant au rôle attribué par Klein à la pulsion de mort dans les phénomènes de destructivité, phénomènes que Winnicott étudie sous un autre angle. Mais aussi, quant à la genèse du faux self, l’un des apports essentiels de Winnicott à la clinique psychanalytique.
À travers l’étude du drame Lorenzaccio, comparé à celui de George Sand Une conspiration en 1537 dont s’est fortement inspiré Musset, nous étudions la spécificité du mobile du crime chez ce dernier auteur. À la différence du personnage de Sand, qui tue par désir de vengeance et de faire valoir son bon droit, celui de Musset tue pour maintenir une dernière fois ce qui lui reste encore d’identité, sans aucun espoir pour la suite. Nous avançons que la destinée de ce personnage, double du narrateur de la Confession d’un enfant du siècle, est sous le poids d’un fantasme de matricide.
Il sera question, à partir de cette allusion au film surréaliste de Hans Richter, de la fonction idéologique d'un certain type de "fantaisie totalitaire", en ce qu'elle s'oppose irréductiblement, de par l'écran-bêta, à la fonction alpha qu'exerce sur la pensée la barrière du rêve (Bion).
Toute ressemblance avec des événements récents ne pourrait être que non-fortuite...
Charlie Hebdo : on est prié de ne pas fermer les yeux
La tragédie des Bacchantes d’Euripide, à travers le personnage de Penthée, ce roi puritain et obsessionnel qui refuse de célébrer le culte de Dionysos, illustre les méfaits de l’arrogance, celle-ci s’abritant sous le couvert du maintien de l’ordre. Forme particulière de cette Hubris particulièrement redoutée des Grecs, l’arrogance du personnage repose sur un déni omnipotent des forces pulsionnelles, qui se présentent à lui sous la forme du dionysiaque.
A travers la ténébreuse affaire de la relation entre Jung et son analysante Sabina SPIELREIN, relation qui fut probablement à l’origine du texte de Freud sur l’amour de transfert, nous questionnerons la place de la psychanalyse au cinéma, telle que nous la donne à voir le film récent de David CRONENBERG.
Jean Laplanche décrit les messages énigmatiques de nature sexuée adressés inconsciemment au jeune enfant par l'adulte et particulièrement sa mère. Nous essaierons de trouver un exemple de ce type chez Proust dans une scène d'enfance de la Recherche du Temps Perdu.
Les œuvres de Matthew Barney, de David Cronenberg et de Francis Bacon, à travers leur singulière plasticité, mettent en jeu, chacune à sa manière, certaines transformations corporelles. Chez chacun de ces trois artistes, à la recherche d’une « logique de la sensation » (Deleuze) prime sur celle de l’expressionisme et du spectaculaire. Il s’agit là à n’en pas douter de ce passage intime entre perception de l’animé et de l’inanimé, dont rend compte la notion d’inquiétante étrangeté décrite par Freud. Ceci n’est pas sans nous évoquer certains phénomènes de solidification psychique que l’on peut voir dans la clinique de l’autisme ou de la paranoïa. C’est ici que le terme de sublimation retrouve sa charge pulsionnelle par le biais du scopique poussé jusqu’à son point extrême – qu’il s’agisse du cycle Cremaster, de Crash ou de ces « Crucifixions-Boucheries », où l’on voit un ver roder au pied de la Croix.
Cet article est paru dans « L’œuvre d’art : un ailleurs familier – ACTES 3 – 2014 »
Présentation de l’ouvrage en cliquant sur le lien.
À travers l’oeuvre et la vie d’André Malraux, sont abordées ici les deux problématiques indissolublement liées chez le héros adolescent : celle de la mort librement acceptée et celle de la fraternité assumée sans réserve. À propos du processus de l’adolescence, je reprendrai ici la formulation de Piera Aulagnier, selon laquelle ce processus repose sur un « fonds d’auto-historicité » toujours remis en jeu par sa « confrontation à des possibles relationnels ». C’est précisément ce double mouvement qui me paraît au centre de la saga malrucienne, faite de prises de risque, de coups d’éclat et de coup de dés qui, selon l’expression de Mallarmé « n’aboliront jamais le hasard ».
Mots-clés : Héros – Adolescence – André Malraux.
Acte résistant s’il en fut, le « J’Accuse !... » de Zola est aussi un monument de la littérature : tout son sens est donné ici au terme d’« écrivain-martyr ». Fidèle à son credo naturaliste, l’auteur des Rougon-Macquart est là encore à la recherche de la vérité. Sa démarche d’investigation s’opposant à la haine de la vérité et de la connaissance qui anime les anti-dreyfusards, renouvelle, décrit et met en scène l’éternel conflit entre Œdipe et Tirésias.
La partialité des classifications des maladies mentales issues du DSM III n’est plus à démontrer. Privilégiant une approche purement symptomatique et comportementale, elles visent à promouvoir, sous prétexte d’une vision « athéorique », le refus organisé, chez les cliniciens, de toute psychopathologie. L’auteur revendique ici, à tout le moins, le droit à une mise en suspens de cette classification lors de la rencontre intersubjective censée avoir lieu entre le psychiatre (ou le psychologue) et son patient.
Le festin nu (Naked Lunch), de W. Burroughs, tel qu’il fut magistralement adapté à l’écran par D. Cronenberg, met en scène de manière très crue les dangers méconnus de l’écriture. Après avoir tué sa femme accidentellement dans un « exercice à la Guillaume Tell », R. Lee croit échapper à la répétition en troquant son revolver contre une machine à écrire, mais il aurait dû se douter que celle-ci était tout aussi dangereuse, ce qui apparaît dans la scène finale où il tuera un sosie de cette femme avec un stylo qui se transformera en revolver !... L’inversion de la fonction alpha, décrite par Bion, est ici à son paroxysme dans ce monde de désespoir, de sexualité apathique, d’addictivité et d’hallucinations.
L’on sait que la métaphore botanique est très présente chez l’auteur de À l’ombre des jeunes filles en fleurs, mais aussi de Sodome et Gomorrhe. Nous essaierons de montrer dans quelle mesure l’auteur de la Recherche, qui se comparait lui-même à un ver à soie, s’inscrit dans une démarche qui n’est pas celle de l’auto-engendrement mais plutôt de la parthénogénèse comme figure créatrice.
Présentation de l'ouvrage en cliquant sur le lien.
RÉSUMÉ
À partir de l’histoire et du mythe de Jack l’Éventreur, nous essaierons de montrer que, par-delà la « libération des forces pulsionnelles » le plus souvent invoquée, le « serial killer » poursuit un véritable dessein qui n’est rien moins que de mettre au point (avec souvent de savantes et progressives améliorations) un véritable « appareil à détruire la pensée de l’autre » (attaques contre les liens, fonction anti– C au sens de Bion). Cet appareil lui permet efficacement de maintenir un semblant d’intégrité psychique qui fait de lui un être apparemment normal. De ce point de vue, de par le clivage ainsi instauré, l’auteur de meurtres en série est celui d’un véritable récit dont la fonction déstabilisatrice, quant à ceux à qui il s’adresse, est exactement inverse de celle que l’on reconnaît aux contes de fées.
Le roman Léviathan de Paul Auster illustre de façon saisissante la manière dont l’écrivain, confronté à la destructivité et à la terreur sans nom véhiculées par le monde contemporain, trouve une issue sublimatoire au prix d’un clivage de sa personnalité. Ici, en l’occurrence, entre le premier écrivain, le narrateur (Peter) et son double (Ben), écrivain qui renonce à l’écriture pour se lancer dans l’action terroriste qui le conduira à la mort. La trajectoire de Ben, par un jeu hallucinant d’identifications projectives en cascade, étant infléchie par la mauvaise rencontre du terroriste Dimaggio, lui-même identifié (à moins qu’il ne soit un agent provocateur du FBI ?) au sujet de sa thèse d’Histoire, l’anarchiste Berkman. Le drame de la pensée concrète schizophrénique et de l’échec de la sublimation, trouve ici une résolution partielle, au prix du clivage de la personnalité de l’auteur entre ses parties détruites (Ben) et survivantes (Peter).
Nous nous inspirerons du livret de Colette, mis en musique par Ravel, et commenté par M. Klein, pour aborder trois concepts qui nous paraissent fondamentaux en psychanalyse de l’enfant. En premier lieu, le concept d’angoisses infantiles, à travers les différentes théorisations qui nous en sont données par Freud. En deuxième lieu, la notion éminemment kleinienne de l’immédiateté du transfert en psychanalyse de l’enfant. Enfin, toujours dans la situation analytique avec l’enfant, le caractère d’inquiétante étrangeté qui la caractérise, sur le modèle de l’anamorphose décrite par Lacan, et repris par Fédida.
La sculpture apparaît rarement chez Freud comme métaphore du travail analytique. Ainsi, dans son Moïse de Michel-Ange, il s’applique uniquement à rechercher les déterminants inconscients de l’œuvre. Nous essaierons de montrer certaines similitudes entre le travail du sculpteur et celui du psychanalyste. Tout d’abord, ils procèdent tous les deux par soustraction («Per via di levare»). Ils sont tous deux à mi-chemin entre achèvement et inachèvement. Enfin, l’interprétation analytique comme la statue, est à notre avis dans certains cas sinon dans tous, porteuse d’une «inquiétante étrangeté.
Interlignes
LUCRECE BORGIA : UNE MERE « KLEINIENNE »
(Comédie Française, 2018, mise en scène de Denis Podalydès)
Dans un texte jusqu’à présent inédit et récemment publié par John Steiner, Mélanie Klein, à la fin de sa vie, met en garde ses disciples contre une utilisation trop sombre de sa technique centrée sur l’interprétation du transfert négatif. S’il faut savoir découvrir la haine derrière l’amour, il faut aussi parfois, ajoute-t-elle, savoir distinguer l’amour derrière la haine. Comme le remarque Antoine Vitez, la tragédie de Lucrèce Borgia est celle de l’amour maternel venu trop tard.
Criminelle, adultère, incestueuse et incestée, Lucrèce veut s’arracher au mal qui est sa condition, se faire connaître et aimer de l’enfant qu’elle a eu. Élevé et tenu éloigné d’elle, Gennaro ignore sa filiation. L’amour d’une mère rachète toutes les fautes. Une goutte de lait de tendresse humaine peut teinter en blanc un océan de noirceur (Podalydès).
Dans la préface qu’il donne à son œuvre, Hugo, selon une thématique qui lui est chère, avance que le poète « fera toujours apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet, la prière des morts à travers les refrains de l’orgie, la cagoule à côté du masque. ». Kleinien avant la lettre, l’auteur d’Hernani n’hésite pas à nous dire qu’il donnera à Triboulet un cœur de père, et à Lucrèce la monstrueuse des entrailles de mère.
Pris dans un terrible quiproquo, Gennaro, l’enfant de la troupe, garde comme une cuirasse sous son habit les lettres qu’il reçoit tous les mois de sa mère qu’il n’a jamais vue. Une mère immaculée, lieu de toutes les idéalisations, dont il va penser qu’elle est victime des terribles machinations de l’horrible Lucrèce. Lorsqu’il comprend que celle-ci le poursuit de son amour, de Venise à Ferrare où elle règne désormais, il retire la lettre B de l’inscription qui trône sur le palais BORGIA, jetant la dérision sur Lucrèce, et signant son arrêt de mort. En vain la mère désespérée essaie de le gracier. Après avoir accepté son aide dans un premier temps sous la forme d’un contrepoison, il la refuse finalement. C’est que la mauvaise mère Lucrèce n’a pu (et pour cause) lui jurer qu’elle n’est pour rien dans les malheurs de sa (bonne) mère. Et pour cause, puisqu’elles sont une seule et même personne.
Passage tragique de l’objet partiel à l’objet global, avec le velléitaire Don Alphonso Duc d’Este et 4ème mari de Lucrèce, et le ténébreux confident Gubetta, se partageant la figure du mauvais père. « Gennaro, je suis ta mère », dit Lucrèce en expirant, tandis qu’expire aussi le fils.
L’on se souvient de la formule provocatrice que se permit un jour un Jean Laplanche : « Faut-il brûler Mélanie Klein ? » A quoi il répondit par un verdict de clémence en ajoutant qu’il fallait seulement la faire travailler. Au risque d’un anachronisme évident, je dirai simplement que c’est bien ce qu’il nous a fait ici, l’auteur des Contemplations : Faire travailler Mélanie Klein !
Francis Drossart
Paris, 25 novembre 2018
Fara Da Se
L’on sait que Freud, reprenant la formule de Garibaldi sur l’Unité italienne, disait que la psychanalyse n’avait à compter que sur ses propres forces, sans chercher sa validation du côté des autres sciences, ni de la politique ou de la religion. Elle se construirait par elle-même : Fara da se
En ces semaines troublées qui ont pu faire redouter, dans notre pays, le triomphe des forces de la discrimination et de l’obscurantisme, la psychanalyse, en tant qu’héritière de la pensée des Lumières, (même si elle ne partage pas le paradigme rousseauiste d’un homme né naturellement bon), a pu à bon droit se considérer comme menacée dans notre pays. Elle le restera malgré l’issue heureusement républicaine des dernières élections présidentielles.
Menacée, elle l’était lorsque Freud lui donna existence sous l’Empire Austro-Hongrois, réactionnaire et antisémite. Elle le fut lorsque l’Anchlüss exila les psychanalystes viennois et que la recherche de la vérité qu’elle véhicule fut pourchassée dans la plus grande partie de l’Europe. Aujourd’hui à nouveau, elle l’est par cette offensive de l’insignifiance qui vise à dénier l’inconscient sous prétexte d’une lutte obsessionnelle contre les symptômes, lutte tout droit sortie de l’utopie cauchemardesque du Meilleur des Mondes.
Le Quatrième Groupe, quelle que soit son adhésion au principe freudien d’abstinence, ne pouvait être indifférent aux évènements politiques qui n’ont pas fini de nous préoccuper. Il est resté vigilant, dans le cadre du Groupe de Contact, à défendre inlassablement la psychanalyse contre les attaques qui visent non certains de ses effets, mais son existence même. A ce titre, il envisage de s’associer aux démarches que celui-ci va entreprendre dès maintenant auprès de certains ministères nouvellement nommés, et dont dépend le sort de la psychanalyse dans les institutions soignantes et universitaires. Et il reste fidèle à l’esprit de cette formule qui fut celle de Nathalie Zaltzman, auteure de La Guérison Psychanalytique :
« Ce n’est pas le Quatrième Groupe que nous avons à défendre, c’est la psychanalyse ! »
Francis Drossart
A Chacun sa Vérité
La notion de vérité alternative qui fait florès actuellement a donné une nouvelle actualité au roman d’Orwell 1984, redevenu best-seller aux États-Unis. Le commentaire éclairant de Pierà Aulagnier sur cette œuvre mérite également lecture (1). Le 17 août 1914, on pouvait lire ces lignes dans le journal L’Intransigeant (2) : " Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses. Elles traversent les chairs sans faire aucune déchirure ".
La psychanalyse est née le jour de la lettre écrite par Freud à W. Fliess, lettre dans laquelle il place la réalité externe au second plan derrière la réalité psychique. Faut-il en conclure, comme le prétendent les détracteurs de la pensée freudienne, que celle-ci utilise la formule pirandellienne au profit d’un grand n’importe quoi ? La réponse est non, évidemment. La répétition de l’acte manqué, par exemple, inscrit la psychanalyse dans le domaine de la preuve. Freud était (aussi) un grand lecteur d’Agatha Christie ! (3).
Confrontés comme tout le monde à une nouvelle offensive de l’insignifiance (4) et de déni omnipotent (5) qu’ils observent dans les médias et ne connaissent que trop chez leurs analysants, les psychanalystes ont des choses à dire sur ce phénomène, et pourraient en faire un nouveau débat scientifique, d’ailleurs déjà amorcé. Comme l’indiquent Bion (6) et J. Steiner (7), le thème central du drame de Sophocle est le conflit entre Œdipe et Tirésias, c’est-à-dire la haine de la vérité, un Watergate en quelque sorte dans lequel Œdipe fait semblant de vouloir mener l’investigation.
Contrairement à ce qui est souvent dit ou écrit, le Quatrième Groupe ne s’est pas constitué en contradiction, voire en vérité alternative, vis-à-vis des modèles de formation ipéistes ou lacaniens mais à côté de ceux-ci, dans une démarche asymptotique de recherche de la vérité. Mais quelle vérité, sinon celle du désir de devenir-être analyste ? C'est-à-dire investigateur dans un monde tendant à devenir orwellien, en refusant ses contre-vérités.
Francis Drossart - Février 2017
1) Aulagnier P. (1984), Le pire des mondes, in L’Apprenti-Historien et le Maître Sorcier, du Discours Identifiant au Discours Délirant, Paris, PUF, coll. Le Fil Rouge
2) Cité par : L’Obs, 2 février 2017
3) Mijolla-Mellor (de) S. (2007), Un divan pour Agatha Christie, L’Esprit du Temps
4) Herlem P., L'offensive de l'insignifiance in Le Coq-Héron n° 192, 2008/1, Erès, 2008
5) Drossart F., (2014), Le déni omnipotent, Topique n°127, La pensée kleinienne
6) Bion W.R. (1967) Réflexion faite, trad.fr. Paris, PUF, 1983, Bibliothèque de Psychanalyse
7) Steiner J., Turning a blind eye, The cover-up for oedipus
LE LABYRINTHE DU SILENCE ( Im Labyrinth des Schweigens)
Un film de Giulio Ricciarelli (2014)
« Malheur à qui porte la vérité à ceux qui la combattent à la force du déni ! »
La remarque de Paul-Claude Racamier, dans son ouvrage L’inceste et l’incestuel (1995) m’est venue à l’esprit à la sortie du cinéma où je venais de voir ce film. Mis à part mon profond désaccord avec les théories de l’auteur du Génie des Origines, je me suis tout de suite demandé s’il était pertinent de mettre sur le même plan les crimes incestueux et les crimes contre l’humanité. Mais alors que le Mémorial de la Shoah ouvre ses portes à une exposition sur le génocide arménien, le nouage indéfectible entre horreur et indécence m’est apparu donner raison à cette association hasardeuse. Soit.
« Il vous faudra un camion ! »
C’est l’exclamation de l’officier américain qui, en ce jour de 1958, dans cette ville de Berlin (qui se prétend dénazifiée et où les jeunes gens n’ont jamais entendu parler d’Auschwitz), autorise le jeune procureur Johann Radmann à sortir les fiches des anciens SS gardiens de ce camp. A la fin du film, le même officier tentera en vain de le dissuader d’aller chercher, dans ces mêmes archives, le nom de son père disparu quinze ans auparavant.
Hallucinante recherche de la « laide vérité » qui va d’abord obliger le jeune homme à en venir presque aux mains avec un rescapé juif du camp, qui refuse au début de lui confier une mallette contenant des archives dérobées lors de l’arrivée des Russes.
L’ami du procureur, qui le met en contact avec le rescapé, est un journaliste d’investigation de deux ans son aîné. Sa recherche ardente de la vérité sur la Shoah se révèlera à la fin du film sous-tendue par la terrible culpabilité d’y avoir participé.
Bien loin de l’aura maléfique du Dr Mengele, tapi dans une sorte de banalité du mal, un ancien gardien du camp a retrouvé, dans cette Allemagne qui a décidé de se consacrer à sa reconstruction et au football, son poste d’instituteur. Lorsqu’on viendra le chercher dans la cour de récréation de l’école, il est en train de donner une gifle à un élève maladroit en lui disant : « Comme ça tu feras la différence entre ta gauche et ta droite ! »
« Silence is the real crime » (le vrai crime, c’est le silence), affirmait Hanna Segal en 1987 à propos de la terreur nucléaire. La formule perversement inversée par les criminels contre l’humanité est celle, orwellienne, que reprend en la dénonçant Pierà Aulagnier : le « crime-pensée ». En ce printemps de 2015, cela nous dit évidemment quelque chose.
Perdu un moment dans son labyrinthe, le procureur va déchirer à la fois sa veste, et sa relation amoureuse avec une coututière. « Ce n’est pas réparable », lui dit celle-ci lorsqu’il lui amène la veste. La fin du film laisse planer un léger espoir. Mais la tenue d’un prisonnier du camp, telle que nous pouvons aujourd’hui la voir derrière une vitrine du Mémorial, elle, ne pourra jamais être réparée... Et le navire baudelairien pris « dans un piège de cristal » (comme la nuit du même nom), nous laisse, comme cette veste, une métaphore de l’irréparable.C’est la trace qui appelle à réparation, pas le fait obscur tapi dans ce que le négationnisme appelle les détails de l’histoire. Mais pour cela, cette trace, il faut bien, encore, la faire réapparaître.
Voilà pourquoi le film de Ricciarelli mérite, à mon avis, l’ attention des psychanalystes et de tous ceux à qui la psychanalyse n’est pas étrangère.
Francis Drossart
SEMINAIRE « UNE THEORIE KLEINIENNE DE LA CREATIVITE »
Francis Drossart
14 novembre 2014 : L’œuvre de Niki de Saint-Phalle
Née à New-York en 1930 après la crise financière et la découverte par sa mère de l’infidélité paternelle («Je suis une enfant de la dépression »), morte en Californie en 2002 (non loin du Mexique dont le culte solaire inspire une partie de son œuvre), Niki de Saint-Phalle est sans doute l’un des plus grands sculpteurs de tous les temps… sinon «le plus grand», comme se plaisait à dire son complice et amant Jean Tinguely, négligeant Praxitèle, Michel-Ange, Puget, Rodin et quelques autres. En tout cas, contrairement au couple Rodin – Camille Claudel, le couple Niki – Tinguely fut un couple échappant au machisme. Et le féminisme, auquel Niki n’adhéra jamais explicitement, lui doit la comparaison entre le statut de la femme dans le monde et celui des noirs américains… lors de cette époque des « seventies » pendant laquelle John Lennon et Yoko Ono scandaient : « Woman is the nigger of the world »… L’on se souvient des deux temps successifs décrits par Albert Camus : celui de la prise de conscience de l’absurde (L’étranger) puis celui de la révolte (L’homme révolté). Chez Niki, qui revendique avec dérision son statut de descendante de Gilles de Rais, et se mobilisera totalement au cours des années 80 dans la lutte contre le Sida, les deux temps (dadaïste d’une part, engagé d’autre part) coïncident toujours. Et les Tirs illustrent particulièrement cette dualité. Celle qui tira sur des autels fut aussi celle qui construisit des cathédrales (cette Hon, statue d’une femme allongée que l’on peut visiter en entrant par son portail vaginal)… Ou qui érigea les Totems.
L’on raconte que Marta Arguerich, à l’âge de quatre ou cinq ans, monta sur un tabouret de piano pour relever le défi d’un cousin, et devint celle que l’on sait. C’est ainsi que je me représente la jeune sauvageonne vêtue de blanc et armée d’une carabine 22long rifle, réalisant ses premiers tirs dans un fond de jardin qui jouxtait l’Hôpital des Enfants Malades.
Nous avons vu la fois dernière comment on peut, à travers les tentatives heureuses ou malheureuses de réparation de la position dépressive décrite par Mélanie Klein (une autre Calamity Jane !), élaborer une théorie de la création artistique qui va plus loin que celle élaborée par Freud avec la notion de sublimation. Rappelons qu’ Hanna Segal, s’appuya, notamment sur l’œuvre de Proust, énonce que l’artiste, l’écrivain, le compositeur, cherchent inlassablement à recréer un univers définitivement perdu. Mais pas à l’identique. Que penser de ces autocars de touristes garés devant la maison de Combray où chacun s’extasie devant le service à thé dans lequel Marcel trempa la petite madeleine. Mais ce qui donne au Narrateur de la Recherche, dans le Temps Retrouvé, la force de surmonter son désespoir, alors que les protagonistes vieillis de son enfance lui renvoient sa propre image flétrie par les « ravages du temps » - et lui rappellent sa jeunesse perdue en mondanités, c’est l’idée que « la vraie vie, c’est la littérature ».
Opposant l’artiste au psychotique, Segal cite un roman de W.Golding, La Flèche. L’action met en scène, au Moyen Age, un constructeur de cathédrales mégalomane qui veut élever une flèche d’une hauteur exceptionnelle. Son sadisme et son mépris de ses collaborateurs s’opposent trait pour trait au grand respect de Niki pour les artisans de Toscane auxquels elle fait appel pour son Jardin des Tarots. Le sadisme du héros de La Flèche, tout particulièrement dirigé contre les couples, est lié, selon Segal, à une représentation de parents antisexuels. Bion fait de ce fantasme de parents antisexuels l’un des plus actifs à l’œuvre dans les meurtres schizophréniques. Comment ne pas voir dans les Tirs la réalisation symbolisée de ce fantasme (lié à la réalité de l’enfance de Niki). Ou dans cette Promenade du dimanche, ces représentations de Mères dévorantes et de Pères prédateurs ? Ou dans ce dinosaure de King Kong qui, au milieu des missiles atomiques, détruit une ville au milieu des médaillons de chefs d’Etat masculins ? « Le symbole ainsi créé n’est ni une copie, ni l’équivalent de l’objet. Il s’agit d’une re-création ressentie comme dotée d’une existence indépendante de l’artiste lui-même : il ne crée pas seulement dans son monde interne, mais donne vie dans le monde externe ». (Segal)
Et c’est précisément cette re-création qui est à l’œuvre dans la plupart des œuvres de Niki. Le Golem de Jérusalem évidemment, appelé « Le Monstre » par les enfants qui dévalent l’une de ses trois langues en forme de toboggan .Cette Fontaine de Château-Chinon, ou celle de la place Stravinski, où les redondances colorées de Niki se heurtent et se mélangent aux roues dentées couleur de rouille, de Tinguely ? Dans cette page qui semble sortie d’un livre pour enfant, intitulée « My love, where shall we make love ». Ou dans ces Nanas dansantes, dont l’une d’elles, qui semble avoir quatre jambes, semble évoquer ces êtres doubles du discours d’Aristophane, dans le Banquet de Platon qui décrit ainsi la démarche de l’androgyne primordial : « … ou bien, quand il entreprenait de courir vite, c’était à la façon d’une culbute et comme quand, en faisant la roue, on se remet d’aplomb dans la culbute par une révolution des jambes : en s’appuyant sur les huit membres qu’il possédait alors, l’homme avançait vite, à faire ainsi la roue ! ».
« Comment la culpabilité peut-elle inhiber la créativité ? » se demande Segal. Elle cite à l’appui le rêve de l’un de ses patients, écrivain,sous l’emprise d’un surmoi paternel sadique et écrasant. Dans son rêve, il est capturé par les nazis ; il se trouve dans une pièce sombre où se trouvent notamment Goering et Göbbels. Pour gagner du temps, il leur propose d’écrire leur biographie à la manière héroïque, tout en sachant qu’ils vont quand même le tuer. L’on comprend qu’une représentation aussi peu exaltante de l’écriture entraîne une paralysie complète chez l’écrivain – auteur du rêve !.. Au contraire, Niki, dont l’imaginaire familial peuplé de chevaliers, mais aussi de monstres et de dragons, la prédispose peut-être à ne pas être impressionnée par les nazis (qu’elle ne rencontra pas à vrai dire dans la réalité), retourne la formule de Goëbbels « Quand j’entends le mot ‘culture’, je sors mon révolver ». En faisant « saigner la peinture » avec ses tirs à la carabine, elle (re)-crée de la culture. Avec l’iconoclastie, elle fabrique de l’art!...
Citons encore Segal : « Tous les enfants, à l’exception des plus malades, et tous les adultes jouent. Peu deviennent des artistes. L’artiste a besoin d’une capacité très spéciale pour trouver une expression aux conflits les plus profonds, pour traduire le rêve en réalité. Il réalise une réparation durable dans la réalité aussi bien qu’en fantasme ».
De quel monde détruit s’agit-il chez Niki ? Nous en arrivons, bien sûr, au Secret, c'est-à-dire à l’inceste paternel.
« Maman, j’ai une merveilleuse nouvelle ! Papa est mort ! » (Daddy). Bien des années plus tard, Niki rédige ce petit livre, d’une écriture enfantine reproduite telle quelle dans l’ouvrage. L’on dirait un conte pour enfant des années 60, bien loin de l’art avant-gardiste de ces années-là, d’un Rauschenberg, d’un Duchamp, d’un Jasper Johns. Non, un peu comme ces histoires de Babar l’éléphant, genre « Un papa, une maman »,avec un château en arrière-plan rappelant les origines aristocratiques du père (« pas de quoi se vanter, dira Niki, d’avoir fait les croisades : c’étaient des boucheries ! »). Et puis la remise, les gestes sordides et répétés du père. Et puis la honte, le silence. Cette mère lui disant après la publication du livre : « Si j’avais su ! »… Mais le fond du jardin de Ronsin, où Niki va commencer ses Tirs, est bien le lieu géométrique d’une réparation créatrice (et non magique), par Niki, du « vert paradis des amours enfantines » détruit à tout jamais lorsqu'elle avait douze ans.
« J’ai commencé à peindre chez les fous », disait-elle. Elle ajoutait aussi parfois que les hommes ne servaient à rien, ce qui n’était pas très aimable pour Jean. Ce compagnon devenu mari, dont elle fut l’exécuteur testamentaire fidèle, comme le fut plus tard pour elle sa petite fille Ploum, qui lui donna la joie d’avoir un fils métis. J’imagine Niki dans cette clinique psychiatrique où elle reçut une dizaine d’électrochocs. Elle vient de montrer à son psychiatre la lettre d’aveu du père. Elle entreprendra plus tard une analyse, mais ici, là où elle est, chez les fous, on ne pratique pas cela. On est déjà dans cette « médecine basée sur l’évidence » qui a de beaux jours devant elle. Le psychiatre lui tend la lettre, et lui demande d’arrêter de croire à ces sornettes. Le soir même, il écrira au père pour lui conseiller de consulter, pour ce qu’il estime être un délire d’auto-accusation…
Alors que Niki est la femme d’Henry Matthews, un écrivain sympathique et talentueux, qui lui a « donné » deux enfants, l’une de ses amies artistes lui dit « Alors, comme cela, tu es une femme d’écrivain qui fait de la peinture ? ». Elle quitte son mari, lui confie les enfants, et s’enferme dans son atelier avec de la peinture, des spaghettis, des grains de café… Et elle en voudra longtemps à l’amie en question, pour reconnaître ensuite qu’elle lui devait d’avoir osé vivre sa vocation d’artiste. Le défi l’avait stimulée.
Il est plus que vraisemblable que Niki, au cours de ses séjours parisiens, rencontra un analyste, une femme probablement. Et que ce travail lui fut précieux. Mais ceci ne contredit pas le fait que bien avant, dès cette époque où l’élève pré-pubère du Couvent américain du Sacré-Cœur se fait exclure pour avoir peint en rouge les feuilles de vigne recouvrant les statues, Niki artiste apparaît casquée et toute armée dès la naissance, comme Athéna sortant du crâne de Jupiter.
Il paraît que Franz Schubert, un jour, entra chez l’un de ses amis, et avisa un moulin à café rempli de grains. Il le jeta par terre, les grains se renversèrent, et il dit alors « Quel instrument merveilleux maintenant. On n’a plus qu’à tourner la manivelle, et voilà, les notes, les mélodies apparaissent. On n’a plus qu’à les écrire ! »
Schubert était un homme, petit, laid et d’origine très modeste. Il était aussi un génie. Niki était une femme, grande, belle, et de « haute extraction ». Elle affectait de se moquer de tout cela. Peut-être le fait d’avoir posé pour des magazines de mode, d’avoir été femme objet d’une autre manière que dans la remise du père, influença-t-il son art. Mais pour moi, Niki, c’est celle qui ramasse les grains de café jetés à terre par Franz et qui, comme lui avec le moulin vide, mais en ramassant ces grains et en les collant sur ses tableaux, construit une œuvre merveilleuse.
FD
Références bibliographiques
(1) CATALOGUE DE L'EXPOSITION
(2) PLATON, « Le Banquet.tr.fr 1950 », Gallimard, Bibliothèque de la Pleïade
(3) QUINODOZ Jean-Michel, « Entretiens avec Hanna Segal », 2008, Puf
(4) HANNA SEGAL, « Délire et créativité », tr.fr
D’UNE VIE A L’AUTRE : UN FILM DE GEORG MAAS (Allemagne, 2013)
Monique Bydlowski définit la « dette de vie » comme la participation inconsciente à l’œuvre dans la transmission entre les générations. S’appuyant sur les travaux du Centre Picker-Loczy, Bernard Golse étudie ces effets chez les enfants accueillis en orphelinat.
Katrine (dont le rôle est magistralement interprété par Liv Ulmann, actrice dans « Sonate d’automne » d’Ingmar Bergman) est considérée comme l’un de ces enfants germano-norvégiens nés pendant la IIe Guerre Mondiale, récupérés par les nazis en vue de leur programme d’aryanisation (« Lebensborn »), puis abandonnés après la chute du IIIe Reich et considérés comme des intouchables. Comme d’autres enfants de la RDA, elle vivra dans un orphelinat sous le contrôle de l’omnipotente Stasi.
Nous la retrouvons bien des années plus tard en Norvège où elle a pu retrouver sa mère. Elle est, peu après la chute du Mur de Berlin, sollicitée par un avocat dans le cadre d’un procès contre l’Etat norvégien, sous l’égide de la Communauté Européenne. Acceptera-t-elle de témoigner, au risque de faire voler en éclats le fragile équilibre dans lequel elle et son mari (rôle interprété par Sven Nordin), avec leur fille, se sont paisiblement installés ?
Le film va nous réserver une surprise de taille.
Tout le poids et le contrepoids de la vérité et du mensonge vont défiler sous nos yeux de façon hallucinante, dans une recherche de la vérité des origines et des origines de la vérité qui ne peut qu’évoquer pour un psychanalyste la rencontre d’Œdipe avec la Sphynge. En termes bioniens, la lutte entre les fonctions C (désir de connaissance) et –C (haine de la connaissance).
« Confusion has made its masterpiece » (la confusion vient de produire son chef-d’œuvre), Macbeth.
Il faut saluer le coup d’éclat de Georg Maas qui par ce « Zwei Leben » s’élève d’emblée au niveau des plus grands auteurs, dramaturges et cinéastes qui se sont risqués sur ce thème redoutable de la confusion et du déni des origines : Shakespeare, Pirandello, Kubrick, Thomas Bernard… et quelques autre. Et de renouveler avec vigueur le thème que l’on croyait éteint de la liberté sartrienne, qui fait réécrire en permanence le passé à la lumière du présent.
Francis Drossart
Gravity
Par-delà ses effets spéciaux de film à grand spectacle, Gravity, de Alfonso Caron, nous montre l’être humain confronté à des forces physiques inhumaines. C’est aussi à mon sens une illustration des interactions violentes qui règnent dans l’univers schizo-paranoïde et celui de la position dépressive, tous deux décrits par Mélanie Klein.
« Dans l’espace avec son équipe, une astronaute est projetée dans l’infiniment grand, avec seulement quelques heures d’oxygène devant elle ».
La station orbitaire Explorer est en effet menacée par les produits de désintégration d’un autre satellite, qui se dirigent vers elle à très haute vitesse. Les seuls rescapés (la chargée de mission Ryan Stone dont le rôle est tenu par Sandra Bullock et le chef de mission alias George Clooney) vont devoir lutter pour leur survie. Ce dernier disparaitra lui-même dans la deuxième partie du film, dans un scénario à la Titanic, pour sauver sa jeune collègue.
Sur un fond de décor cosmique d’une grande beauté, prédomine un vécu schizo-paranoïde qui évoque les angoisses psychotiques et/ou autistiques décrites notamment par G.Haag et D.Houzel : chute, morcellement, clivage, désintégration, bidimentionnalité…
Par un phénomène d’identification projective pathologique, les espaces de sécurité dans lesquels se réfugie Ryan deviennent presque instantanément chargés de l’atmosphère catastrophique qu’elle porte avec elle (incendie…). Le clivage du self rejoint ici le clivage de l’objet avec retour en boomerang des parties projetées (écrous, outils, pièces détachées de la navette spatiale, stylos…).
Mais la culpabilité liée à la position dépressive apparaît peu à peu dans le scénario. Celle liée à l’histoire personnelle de Ryan qui a perdu sa propre fille. Mais également celle qui se rattache au sentiment d’avoir abandonné à son triste sort son collègue, un George Clooney qui, en père œdipien, ne lui exprime ses avances sexuelles qu’au moment où il disparait. Ce partenaire qui représente concrètement pour elle le lien par télécommunication avec la planète Terre nourricière…
Au moment où Ryan alias Sandra Bullock croit avoir enfin trouvé refuge dans une station orbitale russe, elle semble se laisser glisser mélancoliquement dans la mort, sauvée in extremis par le fantôme de George Clooney… Celui-ci la réveille dans un climat d’euphorie maniaque en partie entretenu par la vodka qu’il trouve dans la cabine. Ryan va alors trouver l’énergie du désespoir qui l’amène à rejoindre un autre module spatial chinois avec lequel, contre toute attente, elle pourra miraculeusement atterrir. Plongée au fond d’un lac, elle regagne à la nage un rivage d’une beauté stupéfiante. Comme pour nous indiquer que, livrée comme l’espace aux attaques destructrices de l’Anthropocène, et en risque d’être transformée en une décharge débordant d’épaves métalliques, la Terre était malgré tout, magiquement restée intacte.
Réparation maniaque, ou sublimatoire ?
Francis Drossart
1er novembre 2013
Quelques réflexions autour du film
de François Ozon "Jeune et Jolie"
"Jeune et jolie"... hélas!
Certains se souviennent peut-être du "Mais ma petite fille, tu as complètement perdu la raison !" par lequel la bourgeoise de "La vie est un long fleuve tranquille" apostrophait sa jeune progéniture surprise à se maquiller dans la salle de bains... Quelques décennies plus tard, à notre époque post-moderne où Madame Bovary lit les "Cinquante nuances de Grey", le film de François Ozon mérite notre attention de psychanalystes. Non par ses qualités intrinsèques - à mon avis bien inférieures, dans le genre "mystère du féminin", à celles de "Belle de Jour" de Bunuel, de "Lolita" de Kubrick, ou même, plus récemment, de "Sleeping beauty" de Julia Leigh - mais par le message subliminal qu'il transmet, message idéologique et conformiste que je considère être la clé de son indéniable succès. Passons sur les clichés qui servent de toile de fond à cette descente de la belle lycéenne dans les souterrains du sexe tarifé. Ils sont nombreux : le dépucelage morose par un boy-friend tout droit sorti d'un épisode des "Bronzés", la fête d'anniversaire plus débile que nature, la liaison entre maman et le compagnon de sa meilleure amie, les cadenas du pont des amoureux, le danger du viagra chez les cardiaques d'un âge avancé, et l'éternel beau-père dans le rôle du chien dans un jeu de quille... Toute la médiocrité de ce que l'on persiste à appeler le "cinéma français" est là, à cent mille lieues du génie ironique d'Eric Rohmer auquel l'auteur emprunte fort lourdement le thème des "Saisons"...
Mais, comme il se doit, devant ce qui n'est après tout qu'un banal épisode de cette "ivresse du pire" que nous a si bien décrite Ghyslain Levy, la meute des "adolescentologues" s'est crue obligée d'y aller de son interprétation psychologisante : génération internet, addiction, équivalent anorexique, tendances suicidaires, masochisme exhibitionniste... manque l'encoprésie, pourtant suggérée par ces billets de banque cachés dans une armoire à linge. L'argent n'a pas d'odeur, sauf pour le fin limier de la brigade anti-proxénétisme qui découvre le pot aux roses. Mais sûrement pas pour le psychiatre aseptisé qui encaisse sans sourciller l'argent des passes de Léa pour le paiement de ses honoraires. Le "tout-psy" est donc ici convoqué, avec des commentaires d'une triste nullité. L'on pourrait, plus phénoménologiquement, évoquer devant cette élève sans désarroi, une nausée sartrienne fort habilement suggérée par l'abominable tapisserie à fleurs dont est affligée la chambre de l'adolescente. Tapisserie probablement héritée de cette grand-mère dont le prénom a servi de pseudonyme à la "pauvre petite fille riche". Grand-mère dont le lit de mort vient hanter, par effet d'après-coup, la scène de l'octogénaire expirant dans les bras de Léa, dans une chambre d'hôtel plus moderne mais aussi abominable. Ici l'on peut dire que François Ozon atteint, pour peu de temps du reste, une réelle beauté cinématographique. Mais quel est donc ce "message subliminal" que nous annoncions, comme vecteur de la réussite commerciale du film ? Comme toujours en psychanalyse, il faut le chercher là où l'on nous dit qu'il n'y a sûrement rien à voir. Tout le monde s'accorde à dire que la "petite fille riche" ne fait pas "ça" pour de l'argent. Pourquoi donc ? Mais, Bon Dieu, puisqu'on vous a dit qu'elle était riche ! Ah bon !... Comme si les riches n'avaient pas, encore plus que les autres, besoin (de beaucoup) d'argent?...
Il y a à n'en pas douter, dans ces grosses coupures dissimulées comme un trésor de guerre, quelque chose du Plan d'Epargne Etudiant. Et là, tout s'éclaire. Ne s'agit-il pas au fond de montrer que la demoiselle du Lycée Henri IV (H4, signifiant fort) est logée à la même enseigne - ou se loge elle-même à la même enseigne - que ces pauvres jeunes des Cités que l'inscription à l'Université ne dispense nullement d'un travail pénible dans un fast-food, des affres du surendettement... et bien sûr aussi, de la prostitution-masculine ou féminine. Le film aurait d'ailleurs sans doute gagné à ce que la lycéenne soit un lycéen. Mais les résistances qu'il aurait entraînées auraient été bien plus fortes. La moralité - platement bourgeoise - de "Jeune et jolie" est donc un pied de nez à la "misère étudiante" chaque année plus criante alors que le fossé se creuse toujours plus, dans notre société néolibérale, entre les Héritiers et les Déshérités. C'est une manière de faire dire à ces parents des beaux quartiers ("Vous savez, dit la mère de Léa, je gagne bien ma vie"), à l'intention des parents de laissés pour compte : "Nous sommes tous à la même enseigne ! Nos enfants aussi se prostituent. Vous seriez malvenus de venir vous plaindre !".
Francis Drossart
Francis Drossart
"Loin des caricatures et des polémiques, ce film témoigne de l'évolution des pratiques des secteurs de psychiatrie infanto juvénile, dans ses interventions auprès d'enfants avec autisme et de leur famille.
Avec la participation de Marc Amfreville (contribution) et de Géraldine Leroy (préface)
Francis Drossart est psychiatre et psychothérapeute d’exercice libéral, psychanalyste membre et ancien président du IVe Groupe OPLF. Ancien Chef de Clinique des Universités et ancien praticien hospitalier, il a exercé successivement comme pédiatre puis pédopsychiatre. Il est actuellement Directeur de Recherches en psychopathologie et psychanalyse, rattaché au CRPMS, UFR-IHSS, Université de Paris, et responsable pédagogique du DU Clinique Psychanalytique Kleinienne. Membre du French Team of the Melanie Klein Trust’s Website.