Livre
LÉVY G., Malaise dans la fraternité, Paris, Éditions Campagne Première, 2024
Le meurtre d’Abel par son frère CaÏn est le premier homicide rapporté par le récit biblique. Il est aussi le premier fratricide à l’origine de l’Histoire humaine. Qu’est-ce qui aveugle de fureur un frère aîné, CaÏn, envers son cadet, Abel, pour qu’il lui écrase la tête à coups de pierre ?
Partant de la violence énigmatique de ce mythe originaire, j’ai voulu interroger la complexité du lien fraternel, a priori celui de l’alliance, de l’amitié et de la solidarité. La fraternité ne contribue-t-elle pas aux valeurs démocratiques de nos idéaux républicains ?
L’histoire des jalousies et des rivalités envieuses n’est-elle pas également constitutive de la relation fraternelle, une histoire de violence passionnelle qu’on rencontre d’ailleurs bien souvent dans les cures analytiques ?
Dans ce livre, l’arrière-plan obscur de la relation entre frères, depuis les haines passionnelles se transmettant dans les familles, à travers les générations, jusqu’aux affrontements guerriers entre « pays-frères ». Notre actualité politique nous en fournit tous les jours l’illustration. Y est aussi développé cette scène de l’affrontement mortel des frères comme le tragique grec nous la donne à voir, combat mortel entre les fils d’Œdipe, Etéocle et Polynice, eux que leur père avait condamné à s’entretuer. Je prendrai également en compte la rivalité parfois féroce entre sœurs, surgissant souvent à l’occasion de la naissance d’une puinée, et source d’un sentiment d’exclusion, de rejet et de détresse chez l’aînée. La haine fratricide traverse chaque génération, chaque communauté, chaque groupe, alimentant le désir de se venger, ce que j’examinerai à partir de l’offense ressentie et du sentiment d’injustice aujourd’hui si puissant dans l’espace sociétal. Il nous faudra regarder un peu plus loin encore quand la destructivité et la jalousie envieuse entre frères, mais aussi le sentiment d’injustice s’étendent sur le plan collectif aux semblables, en des moments de crise tels que nous les avons connus récemment. Le lien de solidarité qui habituellement réunit et rassemble, s’affaisse. La crise désagrège alors le collectif, l’atomise en de multiples narcisses étrangers et ennemis les uns des autres. La panique politique et la discorde civile menacent quand le sentiment d’inégalité, d’injustice, vient offenser l’ appartenance à l’ensemble et le lien de fraternité qui la constitue.
Dans une autre direction, je propose de m’arrêter sur la question du frère, comme un fil rouge dans l’histoire de S. Freud, aussi bien dans son histoire biographique que dans l’histoire de l’écriture de la psychanalyse. On suivra ce fil rouge à partir de cette « lettre au frère » qui renvoie au « Trouble d’un souvenir devant l’Acropole » (1936), et du souvenir de « L’enfant à la bobine » (1920) par lequel Freud retrouve son complexe fraternel. C’est dans ma pratique analytique des adolescents et des jeunes adultes, entre désir parricide et fantasme matricide, que j’ai trouvé la question du frère dans des moments d’incandescence. C’est là où le rôle de la psychanalyse est à penser entre un actuel qui s’impose, le temps du mythe qui fait sans cesse retour, et l’inconnu inconscient qui, en chacun, renvoie aux traces refoulées de l’expérience originaire. C’est précisément ce cheminement que je me suis proposé dans ce livre autour du malaise dans la fraternité.
185 pages.