Écrit en ligne
MALTESE-MILCENT M-T., À l'écoute du masochisme, in Interligne, IV Groupe, publié le 01 Jui 2015
Résumé :
À L’ÉCOUTE DU MASOCHISME
C’est au cours d’un travail sur l’écoute que s’est imposée la nécessité d’interroger la théorie freudienne sur le concept de masochisme, autour de ce plaisir du déplaisir qui le constitue. De mettre en commun et d’élaborer notre écoute psychanalytique.
Apparaît un masochisme repérable comme fait clinique au-delà d’une organisation psychique singulière. Un masochisme constitué par des éléments symptomatiques caractérisant une subjectivité fragile, un mode d’être disqualifiant le Moi avec l’émergence d’une détresse souvent sans lien direct avec la réalité : passivité face à l’agression extérieure, auto reproches, sentiments de honte, conduites d’échec, crainte de l’inconnu, tentatives de maîtrise donnant à entendre d’énigmatiques tendances masochiques en contradiction avec le principe de plaisir. Autrement dit, des modes d’expression d’une forme de masochisme et non d’un masochisme unifié originaire, comme l’instaure Freud en 1924. (Le problème économique du masochisme in Névroses Psychoses et perversions, PUF).
La conception freudienne d’un masochisme unifié originaire interroge :
- Peut-on unifier ces différents modes d’expression du masochisme en le ramenant à Un masochisme essentiel ? Comment résoudre cette aporie, ce plaisir issu d’un déplaisir quand le principe de plaisir domine les processus psychiques ? Freud a bien tenté d’y donner une issue par le recours à la pulsion de mort en 1924 (évoqué plus haut). Elle n’a pas empêché, déjà en 1931, ce cri du cœur à S. Ferenczi : « voilà encore ce maudit problème du masochisme ! »
Elle appelle plusieurs questions :
- Si ce plaisir issu d’un processus qui devrait produire du déplaisir, paradoxal donc, et qu’en ceci il est pervers, n’ouvre-t-il pas la question d’une théorie du plaisir ?
- Si, comme la métapsychologie l’indique, le plaisir est consécutif à une baisse de la tension, comment résoudre « ces énigmatiques tendances masochiques du Moi » ?
- Si le déplaisir est lié aux inévitables tensions intrapsychiques comment se pose le problème économique ?
- Et si la douleur est plaisir, que devient la cure ?
Fut ainsi entrepris un grand voyage à travers les textes freudiens des post-freudiens jusqu’à nos contemporains. Mais pas seulement. Les écrivains qui nous en apprennent autant que les patients sur les déploiements de la psyché furent revisités. À commencer par Dostoïevski et « son » joueur, les cinéastes comme l’américain Darren Aronofsky qui met en scène dans son film THE WRESTLER en 2009 une star du catch des années 80, « LE BÉLIER », dont le narcissisme expansif le conduit à sa perte (mort). Et aussi « le rêve de la belle bouchère » choisit par Freud pour décrire chez le sujet hystérique, le désir d’un plaisir insatisfait. Nous y reviendrons.
ÉNIGME du Masochisme, paradoxe de ce plaisir du dÉplaisir, QU’avons-nous gardE de la thÉorie freudienne et de quelques autres ?
Disons le tout de suite, la position de Freud a oscillé entre la primauté d’un masochisme érogène et celle d’un sadisme retourné contre soi.
Selon Freud, le masochisme se trouve à l’œuvre dans un processus à trois faces : Érogène- Féminin- Moral.
- Érogène, comme source de l’excitation sexuelle liée au plaisir de la souffrance. (Il signifie être dévoré au stade oral. Être battu au stade sadique-anal. Être castré au stade phallique. Subir le coït, enfanter dans la douleur, et encore être violé).
- Féminin, comme « expression de l’être de la femme » justifiée selon Freud par les fantasmes repérés dans la clinique. C’est-à-dire castrée par les menstruations, le coït l’accouchement. Et chez l’homme figuré castré symboliquement par une mère fantasmée castratrice et terrifiante. Il est présent donc chez la femme et chez l’homme. (Passivité = féminin. Activité = masculin)
- Moral, comme norme d’un comportement de vie qui tend une joue pour recevoir une claque.
En 1905, le masochisme est défini par Freud, par la tendance du masochiste à endurer de son objet aimé toutes les humiliations et tourments sous une forme symbolique comme sous une forme réelle. (Trois essais sur la théorie sexuelle p. 69).
Il est alors primaire et érogène.
En 1919, c’est le sadisme qui a la primauté : « le masochisme, énonce-t-il, n’est pas une manifestation pulsionnelle primaire, mais il provient d’un retournement du sadisme contre la personne propre ». (In, « Un enfant est battu »)
Projeté sur l’objet haï le sadisme est retourné, par culpabilité, contre soi.
Le masochisme est secondaire et non plus primaire.
En 1920 Freud pense résoudre cette difficulté à trouver une source et une compréhension à ce paradoxal plaisir du déplaisir, par une pulsion de mort, force biologique irréductible à autre chose qu’à elle-même. Dès lors, le couplage Pulsion de vie/ Pulsion de mort donne au fondement du masochisme une force endogène et non sexuelle.
La pulsion de mort, tendance naturelle d’un retour à l’inanimé, à travailler contre soi voire à l’anéantissement de sa propre existence, résout l’énigme et le problème. Déliée et dirigée vers l’extérieur, elle devient pulsion de destruction et d’emprise; liée par la libido sexualisée elle devient sadique : au-dedans le masochisme, au-dehors le sadisme.
En 1920, le masochisme redevient Primaire.
À cette date, il semblerait que c’est la contrainte de répétition, hors du champ sexuel, qui oriente Freud vers une nouvelle théorie des pulsions et de leur destin par le couplage Pulsion de vie/Pulsion de mort, Éros/Thanatos. (Au-delà du principe de plaisir, 1920).
Sans doute faut-il aussi se souvenir qu’au début des années 20, Freud est confronté à des pertes à répétition : toutes ses économies se sont envolées à la suite de la première guerre mondiale, tous ses espoirs d’aide financière disparaissent avec la mort de son riche ami Anton Von Freund, sa fille Sophie -26 ans- meurt brutalement d’une pneumonie grippale. Tandis que, écrit-il à S.Ferenczi le 4 février (p.358), « Je me suis préparé pendant des années à la perte de mes fils, et maintenant c’est ma fille qui est morte… tout au fond de mon être, je décèle le sentiment d’une offense narcissique irréparable ». Perte, blessure narcissique irréparable… La castration ultime, la mort rôdent…
Mais, 4 ans plus tard, en 1924 avec l’étude du Problème économique du masochisme, considérée comme son ultime transmission, Freud reconnaît que l’« On est en droit de trouver énigmatique du point de vue économique l'existence de la tendance masochique dans la vie pulsionnelle des êtres humains. En effet, si le principe de plaisir domine les processus psychiques de telle façon que le but immédiat de ceux-ci soit d'éviter le déplaisir et d'obtenir le plaisir, le masochisme est inintelligible» (Le Pb. économique du masochisme, 1924, PUF, p.286 éd, 1978).
En effet, plaisir du déplaisir, voire de la souffrance, la pensée achoppe. La contradiction, avec l’organisation de la vie psychique dans laquelle le principe de plaisir « gardien de notre vie » domine, est patente. Des questions s’imposent :
- Que devient le but de la cure si dans la « Réaction thérapeutique négative », associée au masochisme moral aussi bien par Freud que par la pensée psychanalytique, la souffrance, objet et moteur du progrès de la cure devient plaisir?
- Qu’est-ce qui pousse cette patiente ce patient à répéter les mêmes comportements, à se trouver dans les mêmes situations, à « s’inventer », se créer des symptômes nouveaux et continuer à se plaindre ?
- Serait-ce pour tirer du plaisir de leur souffrance ou pour obtenir de leur mère-père analyste quelque chose qu’ils n’ont jamais reçu ?
Énigme pour Freud comme pour nous, le masochisme reste un obstacle et pour la théorie et pour la pratique.
Je viens de le dire, Freud lui-même reconnaît en 1924 que, du point de vue économique, le masochisme est inintelligible. On peut avancer, que dans une cure « interminable» la séparation est conflictuelle, qu’elle suscite l’angoisse de la perte, celle de la relation analytique et au-delà celle de castration. Mais qu’en est-il de cette recherche du plaisir dans le déplaisir inféré au masochiste ?
Dans la théorie freudienne, cette idée subversive ne provient-elle pas, du fait que la tension d’excitation bien que douloureuse contienne du plaisir ? Ce plaisir paradoxal, masochique de la douleur, ne devient-il pas dans la 2è topique dans la 2è théorie des pulsions, le modèle du plaisir ?
Avec la mise en scène d’« Un enfant est battu » Freud donne, en 1919, la primauté au sadisme. Dans cette scène réelle ou fantasmée un enfant, un garçon assiste à la vision de son père battre son frère qu’il jalouse et qu’il hait.
Voir son frère subir les coups du père provoque, par la liaison d’Éros, un plaisir sadique fondé sur la liaison et non sur la décharge. Mais être battu par le père, c’est aussi, être dans une position passive de fille et se trouver à la place de la mère, être donc aimé du père.
L’identification inconsciente au frère battu par le père, position masochiste, apaise la culpabilité de jalousie et de haine à l’égard du frère. Elle condense l’érotisme et le sadisme. Le masochisme comme retour du sadisme sur soi par culpabilité, satisfait Freud qui donne ici, la primauté au sadisme. Cependant, bien après 1914 et son Introduction du Narcissisme, il ne semble pas prendre en compte la blessure narcissique réactivée chez l’enfant par la position objectale rejouée par son père. Il bat son frère et pas lui, il aime donc son frère et pas lui. Le discours inconscient de l’enfant pourrait se formuler de la manière suivante : si mon père bat mon frère c’est qu’il le reconnaît et qu’il l’aime, tandis que moi, il ne me reconnaît pas, il ne m’aime pas. Je n’existe pas.
Se faire battre reviendrait à instaurer une relation même mauvaise plutôt que pas du tout, à trouver la nécessaire reconnaissance narcissique de l’objet pour se sentir exister :
- « Quand je souffre, j’existe », dit un patient.
- Une patiente se plaint d’être « transparente » aux yeux de sa mère qui, au lieu de l’écouter, ne parle que d’elle. La solution trouvée à cette non-reconnaissance narcissique, à cette blessure, a été de manière répétitive de quitter par avance ses objets d’amour. De sacrifier le versant tendre de la pulsion à l’autel du narcissisme. Autrement dit, de sacrifier sa libido d’objet à sa libido du Moi. Ici, mais ce n’est pas notre propos, le clivage libido d’objet, libido du Moi est la conséquence de l’échec de l’introjection d’un objet suffisamment bon. (Ferenczi 1909)
Dans LE fait clinique
La quête de la reconnaissance narcissique de l’objet - une constante aussi bien dans les organisations à versant névrotique qu’à versant psychotique- ouvre des chemins nouveaux de réflexion :
-Les plaintes réitérées sur le mode d’une souffrance psychique supposée infligée par l’autre, font-elles écho à un plaisir issu de la transformation du déplaisir (de la tension) en plaisir ? D’une transformation solipsiste du fonctionnement de la psyché qui n’inclut ni l’objet ni l’échange avec celui-ci ?
- La souffrance éprouvée, exprimée par l’indifférence, la négligence, la mésestime, la violence, la cruauté de l’objet d’amour ou encore social, ne résulte-t-elle pas du lien, des retrouvailles entre perception de l’objet (externe) et de sa représentation ?
- Les blessures dénoncées sur le mode d’un sentiment de honte, d’humiliation, de la dévalorisation de soi : projets qui ne se réalisent pas, échecs qui se répètent liés ou non à la réalité des faits, ne sont-elles pas l’écho de la recherche désespérée d’une relation qui n’a jamais eu lieu avec un objet introjectable ? Ne témoignent-elles pas de l’échec de la mise en œuvre de la relation primaire objectale ? N’évoquent-elles pas un narcissisme blessé, béant, mal ou pas établi ? Un narcissisme en négatif, sous-tendu par la quête incessante de sa restauration?
Au cours de ses premiers travaux (1ère Topique), Freud suppose que la décharge des tensions passe par la présence de l’objet et donc d’une « certaine liaison avec celui-ci, un lien entre perception et représentation ».
Ainsi fondée, cette conception implique un plaisir issu de la liaison et non de la décharge. Une différence serait alors à faire entre décharge comme plaisir et évacuation évitement de la tension comme principe de stase intrapsychique.
Or, l’objet, nous dit Freud, « naît dans la haine » tandis que C. Le Guen appelle cette période où se constitue l’objet, celle de l’Œdipe originaire (appelée par d’autre angoisse du 8è mois). Elle préfigure celle du complexe d’Œdipe à venir.
Dans cette dernière, confronté à l’apparition d’un inconnu un étranger -le père ou son substitut-, l’infans se trouve précipité d’une situation de toute puissance (le narcissisme primaire) à celle d’une situation de dépendance à l’objet : il n’est pas « tout » pour l’objet ; un autre que lui le retient et le satisfait. Un choc psychique, tel un tremblement de terre provoqué par l’épreuve de réalité, fait effraction alors dans sa psyché en devenir.
Avec Freud, nous savons qu’un choc psychique est nécessaire pour qu’un changement puisse avoir lieu dans le psychisme. Il sera progrédient, initiera une phase nouvelle du développement, tandis que les failles de l’objet, les défaillances de la relation primaire viendront l’entraver. Les avatars qui prennent la forme de la crainte du changement et la reviviscence de la première blessure narcissique, ouverte par l’expulsion de l’infans hors du monde utérin, ne nous laissent pas surprendre. Un Objet absent, défaillant, blessé narcissiquement ne permettra à son petit ni la constitution d’un bon objet interne ni l’octroi de la confirmation narcissique nécessaire à la différenciation et à la séparation Moi/Objet. Mal organisé le Moi n’aura de cesse de trouver des solutions pour colmater la blessure narcissique subie.
Les solutions masochiques seront alors une des modalités, pour limiter, éviter l’effondrement narcissique dussent-elles mettre le sujet en danger comme dans les perversions. Des tentatives de maîtrise de l’objet où s’engouffrent les situations d’échec voire d’humiliation seront de même mises en œuvre.
Toute perspective de changement, nouveau travail, nouveau cadre de vie, nouvelle relation affective ou sociale, ouvre la confrontation avec l’inconnu (la présence du tiers inconnu, de l’autre « l’étranger », auprès de l’objet). Elle réactive la situation d’effroi éprouvée lors de la constitution du Moi/non-Moi, de l’épreuve de réalité, réactualise la blessure narcissique de la scène de l’Œdipe originaire, perturbe la stase énergétique.
Un Moi peu ou mal structuré par les distorsions de la relation objectale précoce, ne pouvant différer l’excitation pulsionnelle par une liaison entre affects et représentation cherchera à l’abaisser, soit par un évitement des sources de la tension, soit par une modalité d’évacuation des charges. Un mode d’abréaction sera trouvé dans l’échec de la réalisation. Échec du projet, échec de la rencontre certes, mais l’effondrement est évité, le narcissisme sauvé.
Dans cette configuration, le plaisir ne résulte plus du déplaisir sans l’inclusion de l’objet, mais de la décharge de la tension provoquée par sa représentation dans l’inconnu. Le plaisir n’est pas lié au déplaisir de l’échec, mais à la sauvegarde du narcissisme. Le déplaisir est pour le Moi et le plaisir pour le Moi- Idéal. Notons que dans certaines organisations psychiques, le plaisir sera pour l’Idéal du moi. Déplaisir donc pour une instance, plaisir pour une autre.
Freud, d’ailleurs semble en convenir en 1920 dans « l’Au-delà du principe de plaisir » quand il dit : « … la majeure partie des expériences que la compulsion de répétition fait revivre, ne peut qu’apporter du déplaisir au moi (…) mais, il s’agit d’un déplaisir qui (…) ne contredit pas le principe de plaisir, déplaisir pour un système, mais en même temps satisfaction pour l’autre ».
Le désir insatisfait constitutif du rêve de la Belle Bouchère que rapporte Freud -nous sommes en 1899- pour démontrer que dans tout rêve se cache l’accomplissement d’un désir, met au jour d’une part, la liaison de la représentation de l’objet avec l’affect à l’œuvre dans le comportement d’échec et d’autre part, le sacrifice de la satisfaction d’une instance au profit d’une autre. Dans sa mise en scène onirique, la Belle Bouchère maintient son désir insatisfait - inviter son amie à dîner-, tandis qu'elle en satisfait un autre, la tenir éloignée de son mari. Elle sacrifie son Moi libidinal au profit de son Idéal de Moi, une instance au profit d’une autre. Ce faisant, ne fait-elle pas le choix de souffrir un peu aujourd’hui, pour moins souffrir demain ?
Et qu’en est-il de la relation transférentielle dont Freud ne parle pas? Pourtant, c’est dans la visée de mettre en échec sa théorie du rêve comme accomplissement d’un désir que la Belle Bouchère raconte son rêve à Freud: « Je vais vous raconter, lui dit-elle, un rêve qui est tout le contraire d’un désir réalisé ». La question est donc celle-ci : est-ce que le plaisir de la Belle Bouchère est issu de la transformation du non-plaisir en plaisir ou de la satisfaction narcissique de mettre Freud en échec ?
Le paradoxe de l’élaboration du concept de masochisme ne se trouve-t-il pas dans le fait qu’après avoir introduit en 1914, un « narcissisme qui ne serait pas une perversion…pouvant entrer dans un champ plus vaste et revendiquer sa place dans le développement sexuel régulier », Freud ne lui accorde pourtant pas une place fondatrice dans l’organisation du Moi ? Car, nous en conviendrons, c’est la qualité de l’investissement narcissique et pulsionnel parental qui permettra, ou non, au bébé d’exister comme sujet. En effet, si le bébé doit être objet de satisfaction pulsionnelle affective, il ne doit pas être réduit à un objet d’investissement d’emprise et moins encore de décharge incestueuse. La pratique nous permet de considérer qu’un transfert parental trop fusionnant ou à contrario sidérant (par son absence psychique) non seulement barre l’accès à la phase du complexe œdipien, mais encore propulse le développement psycho sexuel du bébé vers des organisations mortifères possibles.
PEUT-ON SORTIR DU PARDOXE MASOCHIQUE ?
Tenir compte de la nécessaire intégration pulsionnelle du narcissisme lors de la relation primaire objectale nous paraît essentiel. Comme chacun le sait, une psyché s’organise et se construit en interaction avec une autre. Tout comme « Un Bébé seul, ça n’existe pas » (D.W.Winnicott 1969), une psyché seule ça n’émerge pas ni n’existe.
La reconnaissance narcissique et son intégration pulsionnelle passe par un éprouvé d’être reconnu par les deux imagos identifiantes. Elle ouvre la voie aux processus de différenciation et de séparation qui, eux, donnent accès au développement du sentiment d’exister, au sentiment d’être semblable et différent à la fois. Autrement dit, l’identification (réussie) simultanée au père et à la mère permet l’élaboration de la représentation d’un objet introjectable. Un objet suffisamment bon (D.W. Winnicott) permettant la construction du moi.
Que nous faut-il donc écouter ?
Le psychanalyste d’aujourd’hui peut-il entendre ce que cache le discours masochique ?
Énoncer que derrière celui-ci se trouve à l’œuvre une silencieuse pulsion de mort, un besoin inconscient de punition, une culpabilité inconsciente qu’il va falloir débusquer, nous semble faire l’impasse sur la nécessité de l’épreuve de réalité que doit opérer le Moi pour se projeter vers l’avenir. Sur la discontinuité, les dysfonctionnements de la relation d’objet précoce qui entravent et empêchent de se détourner du narcissisme primaire et se projeter vers l’avenir. Ils sont (ces dysfonctionnements) source de toutes les tendances extrêmes propres à la destruction de l’autre et de soi. Celles, entre autres, si bien décrites par G. Lévy dans « L’ivresse du Pire » (Campagne Première, Paris, 2010) et celles, si bien mises en scène dans le film THE WRESTLER (2009) du cinéaste Darren Aronofsky, quand le « soi grandiose » lance un défi à la castration ultime, la mort.
Les plaintes réitérées, les conduites d’échec, voire les mises en danger vital, ne sont-elles pas l’écho d’un objet incorporé et non introjecté. D’un retour en son contraire du narcissisme de la toute puissance primaire. D’un désir, qui n’a de cesse d’y faire retour et qui donne lieu dans les organisations à versant psychotique à ce que Kohut appelle « le soi grandiose » ?
Le discours du masochiste ne dit-il pas à mots couverts une souffrance liée à un objet défaillant ? Ne laisse-t-il pas entendre le bruit d’une plaie narcissique toujours ouverte ? Une plaie qui n’a de cesse d’être réparée ?
Chacun le sait pour pouvoir se projeter vers l’avenir, le Moi devra réussir à abandonner sa toute puissance infantile primaire, lui tourner le dos au cours de la traversée de l’épreuve de réalité. Réussie et intégrée par le lien représentation et objet - externe-, outre la différenciation Moi/non-Moi, l’épreuve de réalité permet une décharge plus modérée nécessaire à l’investissement du Moi.
Une relation objectale intégrant la reconnaissance narcissique permettra au sujet en devenir de métaboliser le déplaisir issu des tensions intrapsychiques et de différer le plaisir. Tandis que l’échec de l’introjection d’un bon objet, l’incorporation d’une mère morte dans le sens d’A. Green, de parents humiliés, blessés narcissiques ; toute entrave liée à la confirmation narcissique du Moi laissera à l’œuvre les traces de la blessure, voire du traumatisme des temps anciens.
Dès lors, le recours du Moi à des solutions masochiques aura pour but, d’instaurer une relation objectale fut-elle mauvaise plutôt que rien. De lutter contre l’effondrement narcissique toujours menaçant. De supporter un moindre mal pour en éviter un plus grand. De perdre un peu, pour éviter de perdre le tout limitant dans le même mouvement l’angoisse de la perte et au-delà, celle de castration.
Nous avons là une conception du masochisme dont l’énigme, me semble-t-il, passerait par une révision de la place et de la fonction du narcissisme dans le système intrapsychique. Serait-elle résolue par l’instauration d’un narcissisme que j’appellerai « tempéré » ?
Jacques André qui a rédigé l’introduction de « l’Enigme du masochisme » dans la PBB Payot se demande si l’énigme du masochisme ne serait pas l’énigme du narcissisme?
Il va sans dire que non seulement le débat n’est pas clos, mais suscite encore questionnements et recherche.
M-T. MALTESE-MILCENT
Bibliographie :
Collectif : L’énigme du Masochisme, Petite B.B. de Psychanalyse, PUF.
Dostoïevski : Le joueur, GF-Flammarion.
S. Ferenczi : Psychanalyse.Œuvres TI -TIII et TIV. Payot.
S. Freud 1919 : On bat un enfant in Névrose, Psychose et Perversion PUF.
S. Freud 1914 : Pour introduire le Narcissisme, in La Vie sexuelle, PUF.
S. Freud 1924 : Le problème économique du masochisme in, Névrose, psychose, perversion, PUF.
S. Freud 1924 : Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, P.B.B. Payot.
A. Green : La mère morte, in Narcissisme de mort Narcissisme de vie. Les Ed de Minuit.
B. Grunberger : Esquisse d’une théorie dynamique du masochisme, in RFP. 1954, PUF.
T. Reïk : Le masochisme, Payot.
B. Rosenberg : Le masochisme mortifère, masochisme gardien de la vie, PUF.
D.W.Winnicott : De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot.
The Wrestler, film de Darren Aronofsky. 2009
Résumé :
L’écoute clinique donne à entendre différents modes d’expression du masochisme qui obligent à interroger la conception freudienne d’un masochisme originaire unifié, tel qu’il est formulé dans le Problème économique du masochisme (1924) considéré comme l’ultime transmission de Freud sur ce concept. Pour tenter de comprendre l’énigme de ce plaisir du déplaisir constitutif du masochisme, en contradiction avec le principe de plaisir à l’œuvre dans l’organisation psychique, les voies de réflexion ici proposées sont issues d’un travail collectif. L’essentielle nous a paru être celle de l’impasse que fait Freud sur la place fondatrice du narcissisme dans l’organisation psychique du sujet : l’énigme du masochisme serait-elle l’énigme du narcissisme ?