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RÉSUMÉ
Les travaux de Mélanie Klein sur la psychanalyse de l’enfant l’amenèrent à modifier la théorie freudienne du surmoi en postulant pour celui-ci une plus grande précocité et une nature très archaïque. Bien que Freud sur ce point ne l’ait pas désavouée, cette hypothèse d’un surmoi cruel et archaïque reste controversée. Elle nous amène à refuser certains aménagements apportés à la clinique de la cure, dans le but d’amener l’analyste à la position d’un surmoi parental bienveillant. Ceci au détriment de l’interprétation du transfert...
Les dangers de ces aménagements techniques, pouvant conduire à des interprétations sauvages et à des transgressions, sont mis par l’absurde en évidence dans le film de Cronenberg «Maps to the stars» qui montre un «coach-analyste» entraînant ses patients et lui-même dans un scénario mégalomaniaque et catastrophique. Ceci en résonance avec le cynisme stupéfiant du monde des célébrités hollywoodiennes.
La question du cadre est d’abord une question d’actualité sociétale quand s’affaissent toutes les médiations symboliques comme c’est le cas aujourd’hui. C’est aussi penser le cadre politique et extra-politique dans lequel s’inscrit la pratique de la psychanalyse. On distinguera le bord externe du cadre de la situation analytique qui réunit les éléments du dispositif et que mettent en péril les pratiques par « zoom ». On prendra en compte l’investissement transférentiel du cadre métaphorisant les parts projetées du corps de l’analyste. Le cadre, sur son bord interne, soutient l’écran psychique qui rend possible le jeu transférentiel des représentations. Telle est la fonction tiercéisante du cadre.
On évoquera le travail en face à face et la place du contre-transfert dans l’instauration des deux bords du cadre de la situation analytique proprement dite, une face double du cadre dirigée à la fois vers la réalité du dehors et la réalité du dedans.
Le « travail de culture » (Freud, Zaltzman) ne se limite pas au dispositif divan-fauteuil et à la mise en œuvre de « l’or pur de la psychanalyse ». Nous interrogeons ce qu’il en est de l’extension de la psychanalyse et des dispositifs institutionnels qui attractent la vie psychique, et constituent des scènes pour le déploiement transférentiel. Le champ de la mésinscription (soin, travail social, etc.) procède de la catégorie de l’intermédiaire, œuvrant à l’incessant « remaillage du corps social » (Henri), et à la constitution du « bien commun ». Le travail de transformation de la destructivité qui s’y développe permet de penser le Kulturarbeit, dans la pluralité des dimensions individuelles, groupales, institutionnelles et collectives.
Dans le « Séminaire sur l’amour » (1970-1971), François Perrier apporte une contribution essentielle à la problématique de la sexualité féminine et du féminin en donnant au maternel féminin statut d’expérience fondatrice du féminin, de la construction du narcissisme et du moi-idéal pour la femme, en deçà de la théorie sexuelle phallique soutenue par Freud assignant à la femme valeur de négatif. À l’écoute clinique des contenus pulsionnels archaïques, d’angoisses féminines spécifiques, non partageables par le garçon, il récuse le schéma freudien réduisant l’accès au désir chez la femme à l’envie du pénis. Avec l’invention du concept d’amatride comme structure de transition dans la culture, il décrit et conceptualise une figure féminine illustrant une faillite de la structuration du féminin pour donner à la cure la visée d’inscrire le signifiant féminin dans sa positivité.
L’auteure met l’accent sur la théorisation de la pensée de l’analyste en séance, et sur le fil central de la solitude qui l’accompagne dans ses différentes déclinaisons : présence-absence, vivance-perte, en partant de La perte de soi de J.-F. Chiantaretto, et des associations qu’il lui a inspirées. Elle explore ainsi une solitude habitée, animée par un entre-deux qui singularise l’expérience de la cure, tandis qu’elle est traversée par des mouvements intérieurs contradictoires entre doutes et conviction, incertitudes et croyance, et prolongée pour l’analyste par la place de l’écriture.
La psychanalyse naît, se développe et se reformule dans un processus sans fin de transmission. L’auteur abordera les questions posées par la transmission de la psychanalyse à l’université, en tant qu’elles viennent interroger le lien intrinsèque entre méthode psychanalytique et métapsychologie.
Psychiste dans une institution accueillant des personnes adultes atteintes d’une déficience mentale et de troubles associés, nous évoquerons dans cet article des situations rapportées d’un lieu d’élaboration de situations cliniques par des professionnels éducateurs ou vécues en entretiens psychothérapeutiques singuliers. Confrontée à des sujets qui, répétitivement, « racontent des histoires » à leurs pairs, à l’accompagnant du quotidien, au psychiste, nous nous interrogerons, dans une écoute analytique, sur la potentialité de sens dont ces récits sont porteurs. À travers le dire d’un sujet en particulier, nous questionnerons le statut de ces récits affabulatoires centrés sur une thématique du négatif. Quels liens entendre entre ces fictions et le discours de ses premières figures d’attachement ? Quels effets inconscients sont recherchés par le sujet ? Sont-ce des formations réactionnelles à des mensonges initiaux des premiers objets, à des attitudes ou agirs déconcertants et énigmatiques de l’environnement, des constructions narratives mettant en scène des fantasmes originaires ? Prises dans la trame intersubjective transférentielle, ces affabulations auraient-elles quelques vertus symbolisantes ?
L’histoire du mouvement psychanalytique montre comment plus d’un chemina aux côtés de Freud ignorant alors les points de désaccord qui allaient peser d’un poids suffisant pour l’amener sinon à se séparer du moins à revendiquer une psychanalyse à sa manière. L’exemple de la fondation du 4e Groupe OPLF souligne qu’on ne saurait faire des scissions un phénomène purement institutionnel, un fait de politique, mais que plus profondément les initiateurs de ces scissions ont opéré une dérive théorique due à leurs apports propres qui fait potentiellement effet de coupure.
August Aichhorn, psychanalyste viennois, oublié ou méconnu, n’ayant écrit qu’un seul livre, a été un novateur en amenant à la psychanalyse des populations qui en étaient exclues : adolescents délinquants, familles, et personnes de catégories sociales n’appartenant pas à la bourgeoisie viennoise. Sa pratique clinique de la psychanalyse, développée dans la revue « pédagogie psychanalytique », va influencer une multitude de psychanalystes. Celles et ceux qui ont participé à ses séminaires vont essaimer sur 2 continents : En Europe avec les polycliniques mais aussi en Grande-Bretagne où ces psychanalystes vont jouer un rôle de médiation dans la controverse entre Mélanie Klein et Anna Freud, et en France où l’ordonnance 1945 sur la protection des mineurs va s’en inspirer.
L’histoire du mouvement psychanalytique est parsemée de moments de conflits de personnes, assez passionnels, aboutissant parfois à des ruptures brutales – exclusions ou démissions à titre personnel – ainsi qu’au niveau collectif, notamment en France, à des scissions. Le tableau est le suivant : une majorité, garante de l’identité institutionnelle s’opposerait à un groupe de réformateurs un peu trop zélés. Je vous propose un survol rapide des conflits ou des tensions théoriques rencontrés par le tout jeune Freud neurologue confronté à la pensée des grands maîtres de la neurologie en espérant pouvoir saisir un élément de compréhension qui éclairerait la position épistémologique tranchée qu’il adoptera plus tard en condamnant les cadres de pensée et les visions d’ensemble au profit de la recherche pas à pas.
Bien que les ruptures dans l’histoire de la psychanalyse se produisent toujours sur le problème de la formation, la passion et la conflictualité (favorisant les maladies chroniques des sociétés analytiques, qui prennent la forme du suivisme, du clanisme et du clivage destructeur) opèrent comme « pousse à la scission ». La scission de 2005 du Quatrième Groupe, dont l’issue sera la création de la SPRF, sera étudiée pour interroger la problématique de l’aliénation transférentielle (à l’analyste, à la société analytique, au désir de devenir analyste et au savoir) et le retour du refoulé du pouvoir, de la dissimulation et de la déception présents au temps de Jacques LACAN mais aussi avec le fondateur de la psychanalyse. La théorisation de l’institution analytique serait à investir pour continuer à penser et à créer à partir de ces problématiques de formation, d’aliénation et de communauté analytique au travail.
L’auteur décrit la présence d’« objets léthargiques » dans l’inconscient des patients qui présentent une réaction thérapeutique négative, et une activité du moi qui tend à produire et à maintenir la paralysie de ces objets. L’objet « léthargisé » est équivalent au noyau psychotique, ainsi qu’au moi prénatal du malade. Cet objet interne est intensément éprouvé par l’analyste dans son contre-transfert. Ces idées sont illustrées par l’histoire d’un patient qui présentait une réaction thérapeutique négative.
«Le problème – clinique, théorique et métapsychologique – des aménagements techniques liés à la psychopathologie des limites est au centre de cette lecture de Ferenczi, d’un Ferenczi cherchant à se trouver/créer dans la confrontation à Freud et à ses contradictions. Elle excelle à montrer un Ferenczi à la recherche d’une théorie du contre-transfert et de son élaboration, à travers l’idée que la “perlaboration sensible” de l’analyste permettrait d’associer et de justement doser le versant qualitatif de l’interprétation et le versant quantitatif de la répétition, per via di porre et per via di levare. La “logique paradoxale” de l’oscillation viendrait ainsi transformer le duel en dualité créatrice. Et si l’empathie guide l’oscillation, l’identification empathique ne vise pas l’analysant en personne, ni même l’ensemble de son fonctionnement psychique, mais l’enfant traumatisé encrypté dans l’adulte clivé, pris dans le piège de l’identification à l’agresseur et à sa culpabilité inconsciente : isolé et donc incapable d’être seul.»
J.-F. Chiantaretto, Préface
Auteurs : LAURET M. (ss la direction de), CABASSUT J., CAMACHO S., DOLLÉ-MONGLOND B., DUFOUR D.-R., LANTIER M., LAURET M., ROUZEL J., SAURET M.-J., VAQUIÉ M.
Auteurs : LAURET M. (ss la direction de), CABASSUT J., CAMACHO S., DOLLÉ-MONGLOND B., DUFOUR D.-R., LANTIER M., LAURET M., ROUZEL J., SAURET M.-J., VAQUIÉ M.
Contexte
L’incertitude est consubstantielle de la pratique psychanalytique, fondée sur une ouverture à l’inconnu. La règle fondamentale en institue l’expérience au fondement de la cure. Elle est tout à fois la réponse méthodologique la plus ajustée aux logiques du sexuel infantile et le ressort privilégié de son appropriation subjective.
Objectifs
L’auteur souhaite opposer à cette incertitude féconde une incertitude fondée sur une dépendance vitale qui, sur fond de lien passionnel, tend à figer le processus analytique et vise la destruction de la cure. Partant, il s’agit de problématiser le régime d’incertitude propre à l’expérience-limite. Cette expérience de « lutte à mort contre la mort » s’engage lorsqu’une emprise apparemment sans issue s’exerce sur un être humain et le dépossède « d’un droit impersonnel à la vie » (N. Zaltzman, 1998). De quels ressorts la pratique psychanalytique dispose-t-elle dans un tel contexte ?
Méthode
L’auteur s’appuie à la fois sur une pratique clinique de psychanalyste et son travail de superviseur auprès d’équipes confrontées à des cliniques de la grande précarité. Les champs anthropologiques ou artistiques sont également convoqués pour explorer les logiques de l’expérience-limite. L’auteur met à l’étude le concept de pulsion anarchiste proposé par Nathalie Zaltzman il en propose un réexamen critique tout en soulignant sa grande valeur sur le plan clinique. À l’horizon de ce questionnement, l’auteur interroge la psychanalyse au regard de la crise environnementale, pensée comme expérience-limite à venir.
Résultats
Quelles sont les ressources d’une psychanalyse aux prises avec l’expérience-limite ? Le travail clinique en régime anarchiste assure la constitution d’une résistance singulière au cœur des zones de mort. Elle a vocation à armer psychiquement les sujets pour soutenir une capacité à jouir de l’existence malgré tout, sans sombrer dans la psychose, l’apathie, l’aliénation. Traversée par l’expérience-limite (la crise de la Covid-19, par exemple), une psychanalyse travaillée par la pulsion anarchiste peut, en retour, entreprendre un travail de réexamen de ses fondements et de déplacement de ses paradigmes fondateurs.
Conclusion
Ce texte interroge les changements de paradigme cliniques et théoriques requis par un régime spécifique d’incertitude, celui de l’expérience-limite. Le questionnement clinique se double d’une interrogation anthropologique, sur fond de crise environnementale. Ce texte constitue une première approche et s’efforce de poser quelques jalons au cœur d’un chantier considérable.
Les absents (hommes, dieux et autres esprits) jouent un rôle considérable dans la création des signes qui servent, dans toute société, à désigner, nommer, et même instituer les places des présents et celles des absents tout en mettant du sens dans leurs relations. La sémiotique conçoit ainsi le processus d'humanisation à travers la création des signes alors que la psychanalyse a permis, à sa manière, de voir combien le monde des absents participe à la construction psychique du sujet.
Comme toujours dès qu’on décentre durablement l’humain de son apparente et naïve quiétude, dès qu’on sème le doute sur ses souvenirs et l’origine de ses passions, on le rend malade. Malade de la peste. Le dimanche 27 aout 1909, sur le pont du George Washington qui l’amenait à New-York, contemplant la découpe des gratte-ciels de Manhattan, Freud ne s’y était pas trompé. « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste… » avait-il confié pensivement à Ferenczi et Jung. La psychanalyse comme peste des certitudes. Vérité impossible à formuler en Europe ? Ironie d’un Viennois ciblant la naïveté américaine ? En tout cas, la mesure de cette « peste » et la qualification de ses symptômes ne sont pas plus aisés aujourd’hui qu’en 1909. C’est pourtant cela que vise ce recueil.
Au demeurant, la véracité de la phrase citée fait débat. Elle ne figure ni dans les œuvres de Freud, ni dans celles de Ferenczi ou de Jung. Pourtant, le 7 novembre 1955, à Vienne, lors d’une conférence prononcée sur le sens d’un « retour à Freud », Lacan affirme la tenir de Jung. Mais l’aurait-il finalement inventé pour propager, au nom de son fondateur, l’annonce des méfaits de la jeune science ? Comme avec le pangolin du XXIe siècle, un doute subsiste sur l’identité de l’agent infectieux.
Rendre à l’incertitude son bien, tel est donc l’enjeu. Mais encore faut-il pouvoir la défaire de l’irritation qu’engendre toute retenue, fût-elle celle du jugement. Séjourner « dans les incertitudes, les mystères et les doutes sans se laisser aller à la quête agacée de faits ou de raisons » exige une solide capacité négative. John Keats en faisait la source du génie de Shakespeare, et Bion en rappelle l’impérieuse nécessité dans l’exercice de l’analyse. C’est à ce prix que l’écoute s’affranchit de tout agrippement au savoir, qu’elle accueille l’angoisse et l’effondrement pour permettre, le moment venu, les salutaires mouvements de la curiosité.
Certes on pourra regretter que depuis plus d’un siècle la « jeune science » ait pris quelques rides et qu’elle puisse parfois s’essouffler sous le poids de trop généreux commentaires. Pourtant l’incertitude demeure l’ordinaire du psychanalyste. À condition, bien sûr, qu’il accepte de suivre les chemins du scandaleux et de l’inouï en s’arrachant aux ornières du bien connu et du prédictible.
Comme on le verra, les textes ici assemblés partent souvent de « petits riens », rencontrés au fil du quotidien analytique. Dans la cure, dans l’échange entre collègues, en marge de lectures. Ils sont comme autant de pensées incidentes. Elles en disent souvent long sur les vastes et complexes théories qui les sous-tendent et se sont constituées au cours d’un lent parcours. À l’écart de tout conformisme assuré, chaque auteur a voulu se laisser distraire par l’imprévu et l’incertain. Sans fausse pudeur. Sans naïveté ni complaisance non plus.
J.Y. T.
Auteurs: Viviane Abel Prot, Isabelle Alfandary, Marc Amfreville, Laurence Apfelbaum, Miguel de Azambuja, Jean-Louis Baldacci, André Beetschen, Leopoldo Bleger, Laure Bonnefon-Tort, Catherine Chabert, Jean-François Chiantaretto, Nicolas de Coulon, Brigitte Dollé-Monglond, Bernadette Ferrero-Madignier, Gilberte Gensel, Jean-Michel Hirt, Laurence Kahn, Marie Claire Lanctôt Bélanger, Jean-Michel Lévy, Anne Maupas, Évelyne Sechaud, Marie Sirjacq, Jean-Yves Tamet, Claire Trémoulet.
Comme toujours dès qu’on décentre durablement l’humain de son apparente et naïve quiétude, dès qu’on sème le doute sur ses souvenirs et l’origine de ses passions, on le rend malade. Malade de la peste. Le dimanche 27 aout 1909, sur le pont du George Washington qui l’amenait à New-York, contemplant la découpe des gratte-ciels de Manhattan, Freud ne s’y était pas trompé. « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste… » avait-il confié pensivement à Ferenczi et Jung. La psychanalyse comme peste des certitudes. Vérité impossible à formuler en Europe ? Ironie d’un Viennois ciblant la naïveté américaine ? En tout cas, la mesure de cette « peste » et la qualification de ses symptômes ne sont pas plus aisés aujourd’hui qu’en 1909. C’est pourtant cela que vise ce recueil.
Au demeurant, la véracité de la phrase citée fait débat. Elle ne figure ni dans les œuvres de Freud, ni dans celles de Ferenczi ou de Jung. Pourtant, le 7 novembre 1955, à Vienne, lors d’une conférence prononcée sur le sens d’un « retour à Freud », Lacan affirme la tenir de Jung. Mais l’aurait-il finalement inventé pour propager, au nom de son fondateur, l’annonce des méfaits de la jeune science ? Comme avec le pangolin du XXIe siècle, un doute subsiste sur l’identité de l’agent infectieux.
Rendre à l’incertitude son bien, tel est donc l’enjeu. Mais encore faut-il pouvoir la défaire de l’irritation qu’engendre toute retenue, fût-elle celle du jugement. Séjourner « dans les incertitudes, les mystères et les doutes sans se laisser aller à la quête agacée de faits ou de raisons » exige une solide capacité négative. John Keats en faisait la source du génie de Shakespeare, et Bion en rappelle l’impérieuse nécessité dans l’exercice de l’analyse. C’est à ce prix que l’écoute s’affranchit de tout agrippement au savoir, qu’elle accueille l’angoisse et l’effondrement pour permettre, le moment venu, les salutaires mouvements de la curiosité.
Certes on pourra regretter que depuis plus d’un siècle la « jeune science » ait pris quelques rides et qu’elle puisse parfois s’essouffler sous le poids de trop généreux commentaires. Pourtant l’incertitude demeure l’ordinaire du psychanalyste. À condition, bien sûr, qu’il accepte de suivre les chemins du scandaleux et de l’inouï en s’arrachant aux ornières du bien connu et du prédictible.
Comme on le verra, les textes ici assemblés partent souvent de « petits riens », rencontrés au fil du quotidien analytique. Dans la cure, dans l’échange entre collègues, en marge de lectures. Ils sont comme autant de pensées incidentes. Elles en disent souvent long sur les vastes et complexes théories qui les sous-tendent et se sont constituées au cours d’un lent parcours. À l’écart de tout conformisme assuré, chaque auteur a voulu se laisser distraire par l’imprévu et l’incertain. Sans fausse pudeur. Sans naïveté ni complaisance non plus.
J.Y. T.
Auteurs: Viviane Abel Prot, Isabelle Alfandary, Marc Amfreville, Laurence Apfelbaum, Miguel de Azambuja, Jean-Louis Baldacci, André Beetschen, Leopoldo Bleger, Laure Bonnefon-Tort, Catherine Chabert, Jean-François Chiantaretto, Nicolas de Coulon, Brigitte Dollé-Monglond, Bernadette Ferrero-Madignier, Gilberte Gensel, Jean-Michel Hirt, Laurence Kahn, Marie Claire Lanctôt Bélanger, Jean-Michel Lévy, Anne Maupas, Évelyne Sechaud, Marie Sirjacq, Jean-Yves Tamet, Claire Trémoulet.
Comme toujours dès qu’on décentre durablement l’humain de son apparente et naïve quiétude, dès qu’on sème le doute sur ses souvenirs et l’origine de ses passions, on le rend malade. Malade de la peste. Le dimanche 27 aout 1909, sur le pont du George Washington qui l’amenait à New-York, contemplant la découpe des gratte-ciels de Manhattan, Freud ne s’y était pas trompé. « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste… » avait-il confié pensivement à Ferenczi et Jung. La psychanalyse comme peste des certitudes. Vérité impossible à formuler en Europe ? Ironie d’un Viennois ciblant la naïveté américaine ? En tout cas, la mesure de cette « peste » et la qualification de ses symptômes ne sont pas plus aisés aujourd’hui qu’en 1909. C’est pourtant cela que vise ce recueil.
Au demeurant, la véracité de la phrase citée fait débat. Elle ne figure ni dans les œuvres de Freud, ni dans celles de Ferenczi ou de Jung. Pourtant, le 7 novembre 1955, à Vienne, lors d’une conférence prononcée sur le sens d’un « retour à Freud », Lacan affirme la tenir de Jung. Mais l’aurait-il finalement inventé pour propager, au nom de son fondateur, l’annonce des méfaits de la jeune science ? Comme avec le pangolin du XXIe siècle, un doute subsiste sur l’identité de l’agent infectieux.
Rendre à l’incertitude son bien, tel est donc l’enjeu. Mais encore faut-il pouvoir la défaire de l’irritation qu’engendre toute retenue, fût-elle celle du jugement. Séjourner « dans les incertitudes, les mystères et les doutes sans se laisser aller à la quête agacée de faits ou de raisons » exige une solide capacité négative. John Keats en faisait la source du génie de Shakespeare, et Bion en rappelle l’impérieuse nécessité dans l’exercice de l’analyse. C’est à ce prix que l’écoute s’affranchit de tout agrippement au savoir, qu’elle accueille l’angoisse et l’effondrement pour permettre, le moment venu, les salutaires mouvements de la curiosité.
Certes on pourra regretter que depuis plus d’un siècle la « jeune science » ait pris quelques rides et qu’elle puisse parfois s’essouffler sous le poids de trop généreux commentaires. Pourtant l’incertitude demeure l’ordinaire du psychanalyste. À condition, bien sûr, qu’il accepte de suivre les chemins du scandaleux et de l’inouï en s’arrachant aux ornières du bien connu et du prédictible.
Comme on le verra, les textes ici assemblés partent souvent de « petits riens », rencontrés au fil du quotidien analytique. Dans la cure, dans l’échange entre collègues, en marge de lectures. Ils sont comme autant de pensées incidentes. Elles en disent souvent long sur les vastes et complexes théories qui les sous-tendent et se sont constituées au cours d’un lent parcours. À l’écart de tout conformisme assuré, chaque auteur a voulu se laisser distraire par l’imprévu et l’incertain. Sans fausse pudeur. Sans naïveté ni complaisance non plus.
J.Y. T.
Auteurs: Viviane Abel Prot, Isabelle Alfandary, Marc Amfreville, Laurence Apfelbaum, Miguel de Azambuja, Jean-Louis Baldacci, André Beetschen, Leopoldo Bleger, Laure Bonnefon-Tort, Catherine Chabert, Jean-François Chiantaretto, Nicolas de Coulon, Brigitte Dollé-Monglond, Bernadette Ferrero-Madignier, Gilberte Gensel, Jean-Michel Hirt, Laurence Kahn, Marie Claire Lanctôt Bélanger, Jean-Michel Lévy, Anne Maupas, Évelyne Sechaud, Marie Sirjacq, Jean-Yves Tamet, Claire Trémoulet.
Cet article est la reprise augmentée d'une intervention dans le cadre d'un colloque sur l'œuvre de Victor Stoïchita : "L'effet Pygmalion. Pour une anthropologie historique des simulacres." On suivra le fil de ce livre en revisitant les données d'un point de vue psychanalytique. Pygmalion, nous dit l'auteur, est le mythe fondateur du simulacre, et nous le suivons sur cette voie, ce qui nous conduira à examiner au plus près la question du fétichisme et de la perversion que nous lierons à une difficulté inhérente à l'humain, celle de ne pouvoir renoncer à ses objets primaires.
En tant qu’analystes, nous avons introjecté des images de nos analystes et superviseurs, ainsi que celle de Freud comme concepteur de l’analyse; ces images nourrissent notre « fonction psychanalytique de la personnalité ». L’identification à Freud modèle cette fonction, implique une éthique de la science et de la vérité sur soi-même, une curiosité pour le psychisme, une capacité d’intuition, une créativité de la pensée. Les auteurs vraiment innovants, comme Klein ou Bion, témoignent d’une identification authentique, créative et mature à Freud, qu’il faut bien distinguer d’une soumission à la lettre et d’une pseudo-identification. Cette position implique un difficile travail d’élaboration, un renoncement à l’omnipotence de l’analyste, une acceptation de la douleur psychique, et non une acceptation dogmatique aveugle aux apports de Freud. L’auteur souligne, à l’instar de Freud puis de Bion, que l’insight et la recherche de vérité sont essentiels dans ce processus de survie et de croissance psychique que l’analyse a pour visée.
Sigmund Freud rêve d’une écriture théorique, dont le paradigme est l’écriture du rêve, qui serait en homologie avec ce qu’elle décrit. En ouvrant une fenêtre dans le langage pour en faire un rêve d’écriture comme fond de la parole, Freud en appelle à une sémiotique irréductible à une approche linguistique pour donner à la langue la chance de se libérer dans la parole de ses fixations sémantiques, pour en dégager l’étendue et la clôture.
Premières lignes :
Fragilité intrinsèque du sujet et contrat narcissique
Pour nous centrer sur la propension du sujet à soumettre l’autre et à se soumettre à l’influence de l’autre, commençons par rappeler une évidence pour la psychanalyse contemporaine, celle de la fragilité intrinsèque de tout sujet, et de sa nécessité de nouer son angoisse dans le lien (S. Ferenczi, 1929, D.W. Winnicott, P. Aulagnier, etc.). Dès son arrivée au monde le nouveau-né prend place dans le « contrat social » (Rousseau, 1762) ; il est attendu par le groupe familial dans une place, et se
Barbarie et « travail de Culture »
« Sans qu’elle ait à le poser comme but, la démarche analytique va rencontrer les figures intimes de la barbarie : l’appétit cannibalique, le désir de meurtre, l’inceste, les appétences sadiques et masochistes, l’ambivalence inscrite au creux des sentiments dits les plus nobles ; et encore, les identifications au père de la horde, à la mère omnipotente. Au dedans et au dehors circulent les figures d’emprise et des mouvements pulsionnels de même nature. Et ce sont ces positions subjectives
Relisant L’enfant dans la psychanalyse d’Anna Freud, son rapport détaillé de la vie du « groupe des enfants de Terezin » est venu pour moi éclairer cette nécessité de constituer une matière psychique commune, groupale, pour qu’un groupe puisse devenir psychothérapique. Je vais tenter de dégager comment cette observation, revue à la lumière de nos concepts de la construction du moi corporel et de l’image du corps, et de ceux retirés de l’expérience psychanalytique des groupes, enrichit notre approche des phénomènes groupaux et de la groupalité psychique.
Il s’agit d’un groupe de six enfants juifs allemands (trois filles et trois garçons) arrivés à Bulldogs Bank, charmante maison « entourée de champs et de bois », le 15 octobre 1945. Ils étaient alors âgés de 3 ans à 3 ans et 10 mois et venaient de vivre entre deux et trois ans dans le camp de concentration de Terezin.
On en sait peu de choses. Après la déportation puis le meurtre de leurs parents, après être passés de refuge en refuge, six enfants, entre 3 mois et 1 an, échouèrent et vécurent au camp de concentration de Terezin. Ils furent admis à la « section des enfants sans mère » où ils furent gardés avec les moyens du bord (peu de nourriture, peu voire pas de jouet, peu d’espace et un personnel lui-même déporté, affaibli et soumis aux déportations successives et incessantes). Ils y restèrent jusqu’à la libération du camp, le 3 mai 1945. Dès ce jour, ces six enfants, avec bon nombre d’autres, furent soignés et nourris durant un mois dans un château tchèque, puis reçus en Angleterre dans le camp de Windermere pour deux mois, avec un convoi de 300 enfants et adolescents, « transportés en bombardiers » nous dit A…
Les catégories de l’affect et de la représentation peuvent, doivent se confondre avant de pouvoir in fine se différencier l’une de l’autre. Ce "va, vient et revient" est le mouvement même de psyché et celui de la cure et, plus encore, celui de la cure avec ce patient. Les représentations infantiles trop violemment refoulées sont abolies au point de disparaitre apparemment définitivement, ne laissant comme traces illisibles seulement quelques figures archaïques, lointaines de lignes verticales, obliques ou spiralaires avec l’affect de déréliction qui les accompagnait originairement.
Il est intéressant et précieux de voir comment l’écoute analytique, les constructions silencieuses de l’analyste, l’incompréhension temporaire qu’il lui est essentiel de savoir supporter, ont permis à ce patient de faire réapparaitre les images centrales de l’affect : la mère fichu au vent sous la pluie précédant l’apparition de la musique de la parole maternelle parlant aux animaux et débouchant sur une remémoration puissante de Charlie Chaplin avec le retour de la prééminence de la parole.
Il s’agit encore, dans cet écrit, du partage d’un processus analytique, d’un travail intérieur que l’on peut désigner comme « une remémoration à deux » où analysant et analyste peuvent et doivent se confondre avant de se réinventer ;