Écrit en ligne
MALTESE-MILCENT M-T., Par quels chemins la petite fille devient femme et mère à la fois ?, in Interligne, IV Groupe, publié le 01 Jui 2015
Résumé :
PAR QUELS CHEMINS LA PETITE FILLE DEVIENT FEMME ET MÈRE À LA FOIS ?
Pour commencer une assertion de Samuel Beckett qui est dirais-je un défi lancé aux psychanalystes et particulièrement à mon équipe et moi-même dont le fil rouge depuis plusieurs années est l’écoute. Je vous la livre : Se taire et écouter, pas un être sur cent n’en est capable, ne conçoit même ce que cela signifie. – Samuel Beckett
Il faut bien le dire, malgré l’expérience avérée, des points noirs persistent. Mais pas seulement. D’autres éléments sont à prendre en compte.
Suivre les chemins par lesquels la petite fille devient femme et souvent mère met au cœur du débat plusieurs couples d’opposés : le masculin et le féminin, la mère et l’infans, le sexuel et le maternel. C‘est dire si les rejetons des relations précoces mère enfant seront multiples et nombreux. Et que la fillette les trouvera au cours de sa construction de femme et de mère quand elle le devient.
Nous avons tenté de les débusquer.
Déjà, quand Freud soutient que la libido est de façon régulière masculine (-1905- Trois essais sur la théorie sexuelle – NRF, p.161) et demande de reconnaître qu’au stade phallique, « la petite fille est un petit homme » (1915- Nlles conférences- NRF, p.158) on est désorienté. Et même si on reconnaît avec lui, qu’au stade anal la petite fille ne témoigne pas moins d’agressivité que le petit garçon, il est observable que, très tôt, elle se distingue de lui. Mais selon sa théorie phallocentrique Freud développe l’idée que garçon et fille traversent de la même manière les premiers stades de la libido. Le clitoris bien que plus petit, sert à la fille d’équivalent du pénis et le vagin, qui la spécifie, n’est encore découvert ni par elle ni par le garçon.
Vous le savez, ces théories freudiennes sur la sexualité féminine ont donné naissance à deux courants opposés : celui qui croit au vagin et celui qui n’y croit pas.
Aujourd’hui d’éminents travaux tels ceux de Monique Cournut-Janin, Florence Guignard et de Jacqueline Schaeffer, pour ne citer que ceux-ci, ont permis des avancées considérables pour aborder la sexualité féminine autrement. D’une part, par la prise en considération de l’attachement préœdipien de la fille à la mère et d’autre part, par l’abord du masculin et du féminin comme des qualités psychiques et non biologiques.
Un premier fait aujourd’hui admis est que le féminin et le maternel constituent lors de la relation primordiale mère infans un bain d’affects dans lequel fille et garçon se trouvent immergés. Pour s’en séparer et se différencier tous les deux devront s’en détourner, mais ils ne rencontreront ni les mêmes obstacles ni les mêmes apories. C’est que la différence de sexe entre elle et son fils renvoie la mère à la loi du père et la rassure, tandis que la similarité avec celui de sa fille la met face à elle-même, en danger.
Si l’on admet que la femme est dans la mère et la mère dans la femme on acceptera que ce soit son féminin qu’elle transmet. Pour comprendre comment la fille devient femme et mère souvent, il nous faudra, donc, examiner les perturbations narcissiques et libidinales issues de leurs toutes premières relations.
On ne peut s’empêcher de penser à la culture qui marque de son sceau les schémas de pensée et la psychanalyse aussi bien. Force est de constater que la grande majorité des parents investit beaucoup mieux le garçon que la fille. Car le garçon vient confirmer leur narcissisme phallique ou, pour le moins, le conforter ; tandis que la fille sera celle qui réactive leur première blessure narcissique la perte de leur moi idéal : la toute puissance infantile. Elle les blessera d’autant plus, que mère et père ne se trouvent assurés ni de leur narcissisme ni de leur identité sexuelle.
Et, c’est depuis la nuit des temps que la littérature masculine clame la suprématie de l’homme sur la femme, tandis que la littérature féminine bruit des souffrances éprouvées par le fait, quand ce n’est pas la faute, d’être née fille. Sur nos divans, ce sont les blessures qui entravent le sentiment d’être et le goût de vivre que nous entendons s’exprimer.
En voici quelques unes:
« Il a suffi à mon frère de paraître pour être aimé »,
« Pour ma mère je suis transparente »,
« Sans pénis, je n’étais rien pour ma mère… Avec l’arrivée de mon frère, je n’ai plus existé!»
Or, la polysémie de la vie fantasmatique inconsciente des hommes et femmes donne à percevoir la quête du phallus idéalisé du père mais tandis que les hommes tentent de s‘extirper du giron maternel, les femmes n’ont de cesse d’être reconnues dans leur intégralité : au libre exercice de leurs aspirations personnelles et à la jouissance d’une sexualité pleine et entière.
LA TRANSMISSION DU NARCISSISME ET DU PULSIONNEL
L’investissement narcissique parental qui a donc partie liée avec le sentiment d’exister du petit d’homme me fait considérer que le premier de cet investissement est anténatal. Et qu’à ce moment il s’agit d’un narcissisme représentant de la libido du moi et pas encore de la libido d’objet.
Il me semble que la psychanalyse ne s’est pas intéressée à ce tout premier investissement anté natal qui préfigure celui de l’infans. Et si avec Freud nous concevons que l’organisation libidinale trouve ses racines dans le narcissisme primaire (« Pour introduire le narcissisme »), nous pensons que ces racines plongent dans la psyché maternelle anté et post natale. N’est-ce pas avec cette même psyché que la mère dispense soins et caresses à son bébé et qu’elle est sa première séductrice par le sens énigmatique qu’ils revêtent?
Dès lors ne peut-on considérer que par leur biais, sont transmis au bébé les fantasmes inconscients de la mère mais aussi ceux du père puisqu’il est présent dans la relation ?
On peut objecter qu’il est difficile de comprendre comment un contenu psychique inconscient passe d’une génération à une autre ? Comment des éprouvés et des conduites se reproduiraient à l’identique, sur plusieurs générations quand, secrets et désirs insatisfaits sont scellés, inavoués.
Haydée Faimberg avance que, dans le télescopage des générations, il y a une identification narcissique que l’on repère dans le transfert. Selon elle, un investissement narcissique massif empêche l’enfant de se distinguer et de se séparer. Il me semble que l’expression « narcissisme massif » laisse entendre un narcissisme de mort tel que A. Green l’a décrit. Ce serait alors un narcissisme clivé de la maturation pulsionnelle (B. Grundberger) qui fait obstacle à l’altérité, à la reconnaissance de l’autre semblable et différent à la fois. Autrement dit, un narcissisme expansionniste qui fait barrage aux capacités de différenciation et de séparation de l’infans et le maintient dans la fusion.
Dominique Guyomard qui a introduit la notion de « narcissisme du lien » invite à mieux comprendre ce qui se passe lors de cette première expérience sensorielle préverbale mère-infans. S’instaure, soutient-elle un narcissisme du lien porteur de la mémoire d’une jouissance oubliée. Celle-là même du bébé qu’elle a été et qui vient se réactiver par la mise au monde du sien. Un lien d’une séduction partagée qui doit être éphémère pour être structurant et donner naissance à l’objet. Ce qu’elle appelle « l’Effet Mère ». Un « Effet Mère » qui se répète de génération en génération.
Il s’agit là d’un plaisir réciproque éphémère et que la perte n’est pas celle de l’objet mais celle de la relation. J’ajouterai que ce lien peut avoir lieu sans plaisir partagé et que dans les deux cas ce narcissisme du lien préfigure le temps de l’homosexualité primaire. Lequel, ainsi que je l’avance plus loin, ouvre la voie à l’organisation narcissique et libidinale du sujet. Construction dans laquelle toutes les instances sont l’une à l’autre liées.
Aussi, un lien précoce mère-infans trop érotisé ou, à l’inverse clivé de libido aura des conséquences néfastes sur le féminin de la petite fille. Pour le dire vite, sur son identité sexuelle (et tout autant sur celle du garçon).
Je vous propose deux vignettes qui me paraissent significatives des deux cas de figure :
- Le cas d’un trop de séduction maternelle :
Est celui d’une jeune femme, troisième fille consécutive d’une fratrie de quatre dont le frère est arrivé après elle.
Elle vient me trouver aux alentours de ses 28 ans parce qu’elle est rejetée, abandonnée, pas aimée. Ni de son directeur de thèse, ni de son ami et moins encore de sa mère. Au moment de son engagement dans l’aventure analytique elle me « lance » d’entrée : « Je viens de rompre avec mon ami pour venir chez vous ».
Au moment où j’écris cela, me revient la menace faite à Don José par Carmen, dans l’Opéra de G. Bizet (Prosper Mérimée) : «mais, si je t’aime prends garde à toi ». La sienne, celle de partir, de me quitter, si je ne l’assurais de toute ma disponibilité ne tarda pas à venir.
Se sachant entendue, sans doute pour la première fois, séance après séance, elle parlait sans s’arrêter. Par là, elle me signifiait son besoin de reconquérir son intégrité narcissique et de se sentir exister. Dans son discours venait au jour une haine passionnelle pour sa mère. Haine passion qu’elle rejouait sur la scène de ses relations et qu’elle me faisait vivre dans le transfert. Chemin faisant le sentiment de ne pas être écoutée, d’être transparente, de ne pas exister aux yeux de sa mère a pu être relié à une séduction maternelle inadéquate. À une mère excitante et non contenante. Coupable, en la mettant au monde, d’avoir privé son père d’un garçon. Lui présentant ce père méprisable et violent. Une mère empêtrée dans la confusion des générations qui avait fait de sa fille la confidente de ses déboires sexuels. De fait, une mère plus femme que mère.
Le clivage entre le narcissisme et la maturation pulsionnelle, le déséquilibre entre les investissements narcissiques et les investissements libidinaux des deux imagos parentales venaient faire barrage à l’identification au masculin et au féminin de la petite fille qu’avait été cette jeune femme. Trop excitant, l’objet mère la maintenait dans une relation soumise à sa toute puissance. En rendait compte, la haine qu’elle lui vouait.
C’est au décours de ses associations et leur élaboration que la menace proférée au début de notre rencontre prit son sens.
- Du conflit entre le désir de se détourner du lien premier et celui de le retrouver.
- De son besoin impérieux d’être reconnue dans sa totalité de femme et de trouver un espace pour se rêver.
Dans le cas d’un lien NON ÉROTISÉ, voici ce qu’écrit Nathalie Rheims dans son livre « Laisser les cendres s’envoler » paru en 2012 (Ed, Léo Scheer, son mari):
- « J’ai perdu ma mère. Elle a disparu il y a plus de dix ans. Ma mère est morte, je le sais. Mais, lorsque j’y pense, je ne ressens aucun chagrin, pas la moindre émotion. Tout reste plat comme une mer gelée, pas un seul petit frémissement à la surface de l’eau. Quand je pense à elle, il ne se passe rien ».
« Le rien de cette relation est devenu chez moi aussi profond que l’absence de désir d’enfant. Impossible de m’imaginer donnant la vie. À sa façon, ma mère s’est enfuie avec la mienne, me laissant sans réponse face au froid qui s’installe à sa seule pensée »
FéMININ – MASCULIN ET FÉMININ - FÉMINITÉ : UNE NÉCESSAIRE DISTINCTION
Le couple masculin-féminin Freud le signifie au stade génital, au moment de la puberté quand il situe la différence des sexes. Autrement dit quand les premiers rapports sexuels peuvent se réaliser. S’il en est ainsi, faut-il comprendre l’accès au masculin et au féminin par les seules données biologiques ? Evidemment non. Mais, selon Freud, c’est en ce temps tardif que le féminin se distingue du masculin.
Or, si on admet que l’investissement narcissique sexué s’effectue, ainsi que je le soutiens, avant la naissance par les deux parents, qu’il est inégal pour la fille et le garçon, on pourra avancer dans l’idée que c’est avec ce premier investissement que le féminin et le masculin maternels entrent en une subtile dialectique avec le bébé dès leurs toutes premières relations. Et que c’est en étayage sur cette première matrice qu’il traversera tous les stades de son développement.
Le féminin qui nous importe ici serait donc un processus qui commence dès la première rencontre mère fille, relié de facto à l’investissement anté natal. Il est une construction psychique, invisible pourrait-on dire, qui se poursuit toute la vie. Ses caractéristiques prendront la forme de la féminité qui, elle, se donne à voir. Discrète et harmonieuse elle le parfait. Bruyante, grinçante à l’allure phallique, elle constitue une défense. Contre la castration, l’angoisse du féminin.
Quant à la libido que Freud soutient être masculine, n’est-elle pas le substrat de la pulsion sexuelle comme lui-même le dit et qu’il définit par une force, une poussée constante ? Le terme allemand Trieb signifie poussée. (1915, Pulsions et destin des pulsions). Poussée constante qui ne pouvant être totalement satisfaite réitère le désir qui spécifie l’humain.
Y aurait-il un substrat féminin et un substrat masculin de la pulsion ? Si c’est le cas peut-on les distinguer ?
Mais comme la sexualité humaine est une psychosexualité où le féminin et le masculin s’opposent ou s’intriquent, constituant la bisexualité psychique, l’analyste aura à interroger le féminin, et tout aussi bien le masculin, en termes d’investissements narcissiques et en termes d’identifications.
LE PLAISIR D’ÊTRE FEMME ET L’homosexualité primaire
L’abandon par Freud lui-même de l’identification primaire avec le père de la préhistoire pour celle avec les deux parents a permis des ouvertures nouvelles vers l’instauration de l’identité sexuelle de la fille et du garçon. La notion d’homosexualité primaire dont Freud ne parle qu’une fois dans toute son œuvre me paraît à ce titre essentielle. Car cette expérience, considérée par Evelyne Kenstemberg comme le deuxième temps et l’aboutissement de l’identification primaire et par Annette Fréjaville comme le moment fondateur de l’identité sexuelle marque un changement de nature dans la relation mère enfant.
Après la fusion du contenu et du contenant, l’indistinction des affects de la vie fœtale, c’est dans les bras d’une mère suffisamment bonne que le bébé partagera une relation de plaisir réciproque. Durant ce temps de jouissance commune il pourra s’éprouver tantôt objet auto-érotique tantôt « partenaire amoureux » (E. Kenstemberg). Dans son rapport à l’autre identique prévaudra la part auto-érotique tandis qu’à l’autre semblable mais différent, ce sera l’investissement libidinal qui primera. C’est alors que dans son économie psychique un changement interviendra. L’alternance de l’identique et de l’altérité permettra l’accès à un début de travail du deuil de l’objet, l’inhibition de la pulsion quant au but établira la relation de tendresse, par la distinction du courant tendre et du courant hostile. Cette alternance dans l’économie psychique fera émerger l’éprouvé de tendresse.
Force est de constater qu’il est, le plus souvent, méconnu par les femmes qui se trouvent sur nos divans.
L’homosexualité primaire est donc envisagée comme un tournant dans la vie psychique et comme assise structurante des identifications secondaires et de l’organisation du moi. L’identification au même, donne la possibilité de se projeter sur le double narcissique garant de l’identité sexuée tandis que l’identification au différent permet d’accéder à la potentialité du masculin et du féminin.
La fille, pour s’identifier à la mère qui est l’objet d’amour du père, et au père qui aime la mère, devra être assurée d’un double investissement narcissique : de la reconnaissance sexuée et par la mère et par le père et que, tous deux, s’en réjouissent réciproquement.
Cette double identification donnera à sa sexualité une nouvelle assise et un sens différent :
- L’identification au corps féminin de la mère désiré par le père ne sera plus celle d’un corps châtré, mais celle d’un corps qui accueille et qui contient.
- L’identification phallique au père permettra, elle, de surmonter l’angoisse de castration.
Ainsi, la fille pourra continuer à s’identifier à sa mère qu’elle sait douée de grands pouvoirs : elle fait les bébés et c’est elle qui l’a portée. Il lui reste, cependant, à apprendre qu’elle l’a faite grâce à la séduction qu’elle a su exercer sur son père et, qu’elle y est parvenue par la réalité de sa castration. C’est alors, qu’elle pourra se réjouir d’être une femme comme sa mère et fière du double pouvoir de séduire un homme et, par sa castration même, porter des bébés.
Est-ce pour nous surprendre que Niki de Saint Phalle symbolise dans ses sculptures le couple parental par des formes clownesques ? Une petite tête dans un corps aux formes extravagantes pour la mère et un homme deux fois plus petit qu’elle pour le père, lui tenant la main ?
Vous le savez, Niki de Saint Phalle a été abandonnée très tôt par sa mère à ses grands-parents et abusée violée par son père, à l’âge de onze ans.
Quant au garçon, il pourra s’identifier à son père en tant qu’objet primaire au sens d’homosexualité primaire, objet de fascination détenteur d’un pouvoir narcissique phallique dans la mesure où la mère le lui reconnaît.
Est-ce un hasard si Léonard (de Vinci) qui, selon les auteurs, aurait fait de la prison pour homosexualité, nous présente dans son sublime « Sainte Anne » une famille sans père ?
Cette description quelque peu théorique permet de saisir la valeur structurante de cette expérience d’homosexualité primaire. Spécifiquement pour la fille dont la similarité de sexe met la mère en difficultés pour un comportement souple d’amante et de mère à la fois.
Si donc le féminin et le masculin sont les deux termes d’une différence en construction comme j’espère l’avoir démontré, le féminin se distingue du masculin par son double destin. De féminin érotique et de féminin maternel.
LE DOUBLE DESTIN DU FEMININ : FEMININ ÉROTIQUE ET FEMININ MATERNEL
Liliane Abensour soutient qu’une mère, cela n’existe pas. Elle préfère le terme d’objet à celui de mère car, dit-elle, l’objet étant au delà du maternel, il évite bien des difficultés. Si cette approche différentielle semble intéressante pour l’analyse du transfert et du contre transfert, il me semble que pour notre propos, nous ne pouvons faire l’impasse sur le lien du maternel avec le pulsionnel. Car, quand bien même le comportement maternel se traduit en tendresse étayée sur des qualités pare-excitantes et des capacités de rêverie, les fantasmes de la mère sur le corps sexué de son bébé auront partie liée avec son investissement libidinal et ses propres théories sexuelles. Est-il pensable, en effet, que toutes les transformations corporelles de la petite fille devenue femme et mère n‘ait pas d’incidences sur sa psycho sexualité et sur ce qu’elle transmet ?
Ce qui complexifie les mouvements identificatoires de la fille c’est l’identité de sexe avec sa mère, ainsi que je viens de le dire, et que ce sexe est le lieu d’un double impur.
« L’Origine du Monde » de Courbet est explicite : il est à la fois lieu d’origine (du monde) et lieu de jouissance. Un seul et même lieu pour jouir et engendrer voilà le scandale !
Nous avons là, la source de la l’angoisse de pénétration et du fantasme incestueux. Fantasme explicité par J. Schaeffer du fait « Que la mère puisse jouir avec son amant dans le même lieu où elle a joui avec son enfant, et que ce sexe soit semblable à celui de sa petite fille ». (De mère à fille : l’antagonisme entre maternel et féminin)
Fantasme qui, dans un retournement en son contraire a donné naissance, si j’ose dire, dans la religion chrétienne à une mère « Vierge conçue sans péché ». Qu’elle soit magnifiée et adorée par plus de 3 milliards d’hommes et de femmes de par le monde ne saurait étonner.
Si donc, l’organe sexuel féminin a la potentialité de jouir et de procréer tout à la fois, ne faudrait-il pas faire une distinction entre la femme et la mère, entre la mère et le comportement maternel?
Il me semble que c’est dans ce sens que M. Fain et Denise Braunschweig et à leur suite F. Guignard et J. Schaeffer insistent sur la nécessité dans le comportement maternel de refouler la pulsion sexuelle qu’ils appellent par le terme heuristique de « censure de l’amante » ou mieux encore de « bascule » : un mouvement d’oscillation et non de clivage.
Un comportement de mère basculant avec souplesse entre des mouvements sexuels d’amante et des mouvements de tendresse maternelle renvoie explicitement aux processus secondaires, à la liaison de la pulsion et à son intégration dans le narcissisme. C’est dire qu’être mère le jour et amante la nuit est une acquisition et non une donnée. Un processus par lequel la fille devenant femme accepte son féminin dans sa plénitude et se réjouit de sa fonction de mère. Une organisation psychique donc, suffisamment souple qui alterne entre la tendresse et l’érotique entre l’amante et la mère. Une mère à même d’avoir un comportement maternel sans le fantasme incestueux.
Aussi, si la transmission se passe de mère à fille comme je le pense c’est, équipée des fantasmes générationnels préœdipiens et œdipiens plus ou moins élaborés, que, l’économie psychique maternelle entrera en interaction avec celle de sa fille. Une mère, encore fixée à ses liens précoces maternels, au féminin non intégré à son narcissisme, toujours déçue de son manque phallique, fonctionnant en clivage de l’érotique et de la tendresse, qui pose sa fille en rivale, pourrait-elle, et comment, être une messagère de l’attente amoureuse ? Car la fille attend l’accomplissement de son féminin par son Prince charmant. (J. Schaeffer, « La Belle au Bois dormant »).
La fille en effet passe sa vie pourrait-on dire à attendre. Elle attend la poussée de ses seins, la venue de ses règles, la jouissance amoureuse… Elle attend de porter en elle des bébés et les mettre au monde.
Et si de nos jours les pères participent au « maternage » du bébé, ce qui lui permet d’établir un début de différentiation entre les deux parents, le lien à l’objet mère reste spécifique en ce qu’il est la continuité de l’investissement premier et que l’idéalisation narcissique le constitue. Lien à jamais perdu et sans cesse cherché. Je dis bien lien et pas objet.
Ce qui me paraît essentiel, dans la mise en œuvre d’un processus féminin projeté vers le futur et d’un maternel harmonieux, c’est la régulation de l’érotique et de la tendresse dans le comportement maternel.
Une mère suffisamment bonne est messagère de l’attente, dit J. Schaeffer. Elle le sera, selon moi, si elle est aussi, suffisamment séductrice.
S’il en existe, ce ne sont pas les filles de celle-ci qui se trouvent sur nos divans.
Ce qui apparaît chez celles qui nous occupent, ce sont les avatars consécutifs à la relation primordiale préverbale de chaque histoire :
- L’absence de tendresse est le manque le plus partagé entre la fille et le garçon : La tendresse ? Je ne sais pas ce que c’est, répondent-ils à mes propositions.
- Le besoin d’être reconnue dans sa totalité est le plus représentatif de la fille. Il est d’autant impérieux que la réalité du corps maternel sexué reste un savoir refoulé et par la mère et par la fille.
- Le silence maternel sur son corps sexué est la source d’un refoulement, de la dénégation du vagin et non sa méconnaissance comme Freud le dit.
Un autre rejeton de l’inconscient maternel transmis à sa fille est celui d’un féminin marqué par la soumission et UN SENTIMENT LATENT d’infériorité vis-à-vis des garçons. Ainsi,
- Sylvaine mère de deux filles comme sa mère, a choisi un deuxième mari représentant de son manque phallique idéalisé. Sa plainte réitérée est celle d’être méprisée, non considérée, pas aimée. Dans sa famille dit-elle, les femmes ne parlent pas, n’ont pas le droit à la parole. Et c’est lorsque l’analyse mit au jour une culpabilité liée à la place qu’elle occupe dans la triangulation œdipienne où la femme-mère est soumise à un père violent, qu’un travail de différenciation et de séparation avec l’objet mère a pu commencer.
* * *
Penser le féminin, l’appréhender dans son double destin érotique et maternel a été un travail interactif de toute l’équipe. Le mien passe par l’analyste femme que je suis. Par mes expériences et mes théories féminines. Et si Freud a construit son « monisme phallique » à l’aune de son inconscient, je considère que c’est la traversée psychique de l’histoire intime de soi-même et son élaboration continue qui conduit à savoir se taire, écouter et entendre pour interpréter.
Et même, si dans sa fonction d’analyste la femme reste femme elle n’est certes pas l’analogon d’une mère suffisamment bonne.
Recourir au tiers, au père séparateur est le garant de la dynamique du processus analytique. Le but étant, selon moi, de lier les antagonismes pulsionnels en plus d’aimer et de travailler.
La question reste celle-ci : Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Marie-Thérèse MALTESE-MILCENT
29 novembre 2014
Résumé :
Contrairement au garçon, la fille est marquée par le même sexe que sa mère. Cette identité de sexe et la nature narcissique de l’investissement maternel et paternel ont des conséquences psycho-sexuelles sur son devenir de femme et, de mère quand elle le devient. Elles suscitent des interrogations, ouvrent des chemins pour penser la transmission du féminin et le maternel autrement.
Plusieurs questions sont abordées dont deux essentielles :
- Y aurait-il un narcissisme du lien à différencier de celui de l’objet ?
- Une mère peut-elle être suffisamment bonne sans être suffisamment séductrice ?
Bibliographie :
- S. Freud, 1915, Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Paris.
-1931, La vie sexuelle, PUF, Paris.
-1933, La féminité, in Nouvelles Conférences, Gallimard, Paris.
- F. Guignard, Mère et fille, In Press, Paris.
- D. Guyomard, L’effet-Mère, PB de P, PUF, Paris. J. Laplanche, Vers la théorie de la séduction généralisée, PUF, Paris.
- J. Schaeffer, - De mère à fille : L’antagonisme entre maternel et féminin, in Press, Paris, 2002.
- La Belle au bois dormant, Comment le féminin vient aux filles ? in Le refus du féminin, PUF, Paris, 1997.