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MOREAU RICAUD M., Alain de Mijolla (1933-2019) in Le Coq-héron 2019/1 (N° 236), Cliniques 2 - Au coeur des réflexions actuelles, p.11-14, Toulouse, Erès, 2019
Résumé :
Hommage à Alain de Mijolla (1933-2019)
Docteur en médecine, neuropsychiatre, psychanalyste, membre du Committee on Archives and History (ipa), Alain de Mijolla, né à Paris le 15 mai 1933, est décédé le 24 janvier 2019. Il a été inhumé au cimetière de Bagnolet, après une cérémonie funéraire aux Batignolles. Il est élevé par ses grands-parents, et son grand-père, « Papé », lui donne le goût de l’histoire. Après les années d’école primaire, il est un excellent élève au lycée Saint-Michel-de-Picpus, dans le 12e arrondissement de Paris. Ses études de médecine et de psychiatrie terminées, il est un temps médecin des hôpitaux psychiatriques.
Il se forme comme psychanalyste (avec Conrad Stein et supervision avec Denise Braunschweig), devient membre en 1968 et titulaire en 1975 de la Société psychanalytique de Paris (dont il démissionnera en 2007). Collègue cultivé, actif, habité de passions (histoire, musique, cinéma, théâtre, amitiés, bonne chaire), Alain de Mijolla laisse une œuvre analytique ainsi qu’une œuvre institutionnelle et éditoriale originales. Avec son collègue aixois Jacques Caïn, il organise de 1982 à 1993 les « Rencontres d’Aix », en Provence, débats autour d’un thème (par exemple, « Souffrance, plaisir et pensée », en 1982, « L’autobiographie » en 1987, « À la musique… » en 1991), qui se tiennent dans une petite chapelle fraîche, dans une atmosphère amicale, avec conférences et ateliers, dans la période du Festival de musique, ce qui permet le soir d’assister aux concerts.
En 1985, Alain de Mijolla fonde l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse, dont il est le président jusqu’en 2011. Il sollicite tout analyste ayant témoigné par ses écrits de son intérêt pour l’Histoire, et, fédérateur, regroupe bientôt bon nombre de chercheurs, historiens, socio-politiciens, et bien sûr, traducteurs, écrivains, mais aussi amateurs intéressés. Son but : faire l’histoire de cette discipline, qui, bien qu’ébauchée par Freud, n’existe pas encore comme telle. Des champs de recherche sont proposés sur « l’histoire de la psychanalyse et de son fondateur », l’étude des découvertes, des biographies des proches et des disciples, l’histoire du mouvement depuis l’origine, ses développements, sa place dans les sciences. La création d’un Comité scientifique international et d’un petit noyau organisationnel : secrétariats scientifique, administratif, et les rédacteurs du petit Journal (biannuel en français et en anglais) font tourner cette nouvelle association.
Véritable aventure scientifique pour le président-fondateur et les collègues qui le suivent, en France – d’abord une poignée, qui se réunit rue de Grenelle, puis rue du Commandant-Mouchotte –, bientôt des dizaines de Sociétés psychanalytiques de par le monde ; des groupes de recherche se forment en France et dans plusieurs pays.
Tous les deux ans se tient, en période estivale, la « Rencontre internationale de l’aihp », où, chose rare, le temps de parole des orateurs est le même que celui de l’audience, ce qui permet un vrai débat. Ces rencontres se sont tenues à Paris, Vienne, Londres, Bruxelles, Berlin, Paris, Londres, Rome, Barcelone, Versailles, Athènes, etc. En 1996, afin de marquer le centenaire de la psychanalyse, la rencontre est organisée à Paris avec l’apf, le Quatrième Groupe et la spp.
Une revue annuelle, la Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, d’un volume plutôt inattendu (de 460 à 746 pages) voit le jour, en 1988, aux Puf. Les travaux des Rencontres y sont publiés, recherches pointues comme « L’engagement sociopolitique des analystes », « L’édition de l’œuvre de Freud », « La formation des analystes », etc., ainsi que des conférences et travaux divers : compte-rendus d’ouvrages, d’évènements, ainsi que de nombreux documents inédits.
Durant un temps, Alain de Mijolla tient un Séminaire d’histoire de la psychanalyse à l’ehess, où beaucoup d’entre nous ont pu donner des communications.
Signalons également le tout premier colloque à Paris, en 1988, sur la Correspondance Freud-Ferenczi, co-organisé par l’aihp et Judith Dupont avec André Haynal, afin d’aider à la publication de cette correspondance unique. Nous avions tous travaillé à partir des Minutes des lettres de Freud et de Ferenczi, traduites, rédigées et… prêtées par Judith. Les communications sont parues dans les numéros 2 et 3 de la Revue.
Hélas, cette revue si précieuse, mais en échec commercial, doit arrêter de paraître après six énormes numéros.
Enfin, en 1995, Alain entreprend la rédaction du Dictionnaire international de psychanalyse, aidé par un comité éditorial composé de Sophie de Mijolla Mellor, Roger Perron et Bernard Golse, et des conseillers. Il est publié en deux volumes, chez Calmann-Lévy, en 2002 : concepts, notions, biographies, œuvres, évènements, institutions…, soient 1572 entrées, rédigées par 460 chercheurs internationaux. Ce Dictionnaire est traduit en plusieurs langues et réédité chez Hachette, avec de nouveaux ajouts, dont les entrées récentes, biographiques, de Nathalie Zaltzman et Jean-Paul Valabrega.
Si ce passionné d’histoire n’était pas un historien diplômé, il l’est devenu, en travaillant de manière « artisanale ». Infatigable chasseur d’archives, il traque les mythes et les erreurs écrites sur Freud, et se fait aider si besoin par des collègues formés à l’historiographie.
Dans notre propre analyse et dans l’écoute de nos patients et analysants, ne sommes-nous pas en quelque sorte continuellement dans les secrets de leurs histoires familiales et dans la grande Histoire également ? Ne nous formons-nous pas souvent d’abord « sur le tas » ? Après l’expérience du divan et sa propre recherche sur les identifications et les fantasmes d’identification, Alain de Mijolla continue à s’intéresser aux secrets de famille, qui se faufilent d’une génération à l’autre. Ainsi, son essai sur Arthur Rimbaud le lance dans l’historiographie : il commence par une enquête, via les nombreuses biographies écrites sur Rimbaud et reprenant sa généalogie, ainsi que le silence et l’absence du père dans la vie et les écrits du poète, fait l’hypothèse d’une identification inconsciente d’Arthur avec son père, le capitaine Frédéric Rimbaud, déserteur de l’armée (et du domicile familial alors qu’Arthur a 6 ans). Ses amis Nicolas Abraham et Maria Torok l’encouragent dans sa recherche, proche de la leur (sur le fantôme et la crypte). Mais Alain de Mijolla préfère le terme intergénérationnel à transgénérationnel (N. Abraham), trop près de l’occulte, de la transe qui omet le tiers transmetteur.
Essai remarquable, jouant sur l’évocation du film de Marcel Carné et Jacques Prévert (1942), où « l’occupant » du moi, chez A. Rimbaud, l’entraîne à sa perte. Cet essai lui vaut le prix Bouvet en 1976.
Directeur de la collection « Confluents psychanalytiques » aux Belles Lettres, il a aussi la responsabilité de la collection « Histoire de la psychanalyse » aux Puf et fait traduire des ouvrages importants : la Correspondance Freud-Jones, de P. Gay Un juif sans dieu, de Hirschmüller Josef Breuer ; de King et Steiner La controverse Anna Freud-Melanie Klein (1941-1945) ; de H. et M. Vermorel Sigmund Freud et Romain Rolland. D’autres ouvrages publiés dans cette collection : C. Lorin, Sándor Ferenczi. De la médecine à la psychanalyse ; R. Roussillon Du baquet de Messmer au « baquet « de Freud.
En 2004, Alain de Mijolla recevra le Sigourney Award pour son œuvre. Il donne ses archives à l’imec en 2014. Travailleur infatigable – et qui a fait travailler son équipe – A. de Mijolla semble avoir réussi dans toutes ses entreprises, sauf une : il regrettait disait-il son manque d’influence, pour cette nouvelle discipline, l’histoire de la psychanalyse, sur nombre de collègues analystes et surtout les universitaires…
Sa bibliographie : Pour une psychanalyse de l’alcoolisme, avec S.A. Shentoub (Payot, 1973) ; Les mots de Freud (Hachette, 1982) ; 100 Questions sur Freud (La Boétie, 1984) ; La psychanalyse, avec S. de Mijolla Mellor (Puf, 2008, 5e éd.) ; Fragments d’histoire (Puf, 2003) ; Préhistoires de famille (Puf, 2015) ; Freud et la France (Puf, 2010) ; La France et Freud, 2 tomes (Puf, 2013-2016) ; Sabina la « Juive » de Carl Jung (Pierre Guillaume de Roux, 2014) ; L’identification selon Freud. Une notion en devenir (In Press, 2017).
Mots clés : Hommage