Automne 2025 - Bienvenue sur le site du Quatrième Groupe
L’ÉDITORIAL
Quel(s) rapport(s) la psychanalyse entretient-elle avec les champs socio-historiques et politiques ? Sur quels critères fonder correctement les principes de ce rapport ? Le programme scientifique du Quatrième Groupe montre une fois encore l'actualité de cette question et le désir de sa (re)mise au travail1.
L'élaboration du problème se heurte (au moins) à un double écueil. Le premier consiste à vouloir appliquer, voire plaquer sur le champ socio-politique des analogies (Freud, qui en a largement usé, n’a pourtant cessé d’en souligner les dangers), entre ce qui s'élabore depuis « l'autre scène » de la cure et la scène sociale ; Le second, à situer la pratique analytique dans un statut de radicale extraterritorialité à l'endroit du champ social - extraterritorialité qui assurerait in fine à la psychanalyse le privilège d'être garante des fondations du social, via la rencontre, dans la cure, de structures anthropologiques transhistoriques fondatrices de l'humaine condition. Dans la première situation, il me semble que la psychanalyse risque d'adopter une posture prescriptive ou moralisatrice à l'endroit du socio-politique ; dans la seconde, elle tend à occuper une position de surplomb, voire d'indifférence à son endroit. Plus prosaïquement, force est de constater, depuis des années, un repli de la pensée psychanalytique sur la clinique, sur fond de critique assez consensuelle de notre « monde contemporain ». Ce rapport, pourtant, ne cesse d’interroger directement la pratique analytique : du début (institution de la cure), à la fin (visées de la cure), quand elle n'est pas tout entière traversée par elle, depuis la souffrance de sujets confrontés à des formes de collusion entre leur scène interne et le « contrat narcissique » (P. Aulagnier) de nos sociétés. Les débats contemporains sur la question du cadre témoignent à mon avis de ce problème.
Le Quatrième Groupe a, dès sa fondation, pris cette question à bras le corps. Ses fondateurs ont à juste titre considéré que les textes anthropologiques de Freud, loin d'être des excursions hors du champ de la psychanalyse, étaient consubstantiels à son objet, dans sa double dimension individuelle et sociale. Cette question a en outre, dès la fondation, concrètement été mise en œuvre « de l’intérieur » par la recherche - sans cesse remise sur le métier - d’une forme institutionnelle ajustée à la transmission de la psychanalyse.
On ne saurait donc, je crois, suivre ce fil sans revenir à la pensée de Cornélius Castoriadis. À côté du projet de maîtrise rationnelle (développement des techniques et maîtrise de la nature), consubstantiel de la modernité, Castoriadis a fait droit - rompant en cela tant avec la tradition marxiste qu’avec la pensée lacanienne -, aux notions d'autonomie et d’imaginaire, qu'il a élaborées de façon extrêmement originale. Le projet d’autonomie, fruit de « l’imaginaire social instituant » d'un côté, ne saurait se déployer selon lui sans, de l’autre, le projet émancipateur d’une psychanalyse visant la remise en jeu d'un « imaginaire radical » au fondement de la vie psychique. Quelle place la pensée de Castoriadis occupe-t-elle aujourd’hui, tant au sein du Quatrième Groupe que de la psychanalyse contemporaine ?
Plus en amont, cette thématique nous invite également à relire les auteurs de la Théorie critique (Adorno, Horkheimer, Fromm,...), et ses continuateurs contemporains.
On lira dans cette perspective avec intérêt les travaux d'un fin lecteur de Castoriadis, Joël Whitebook : sa remarquable biographie de Freud2, centrée sur la problématique de la « mère absente » d’une part, et les enjeux de « la rupture avec la tradition » d'autre part, appréhende l’invention freudienne en croisant analyse clinique et socio-politique, réalité psychique et réalité sociale, évitant en cela le piège du réductionnisme. Depuis cette position épistémique, Whitebook se livre à une réévaluation des problématiques du maternel/féminin et du « tournant pré-œdipien » de la psychanalyse contemporaine, en faisant un usage à mon sens très subtil de la pensée de Hans Loewald3.
Peut-on penser la psychanalyse indépendamment de la forme socio-historique dans laquelle elle a vu le jour - en l’occurrence la forme capitaliste ? En est-elle une émanation bourgeoise (position marxiste classique), ou constitue-t-elle, au contraire, un instrument électif de sa critique ? Prenant notamment leur source dans les travaux des théoriciens de la critique de la valeur (R. Kurtz, R. Scholtz, A. Jappe,...), les écrits de Sandrine Aumercier sont d’une acuité et d’une hauteur de vue salutaires dans le paysage d’une psychanalyse contemporaine, qui, sur le terrain de la critique sociale, me semble trop souvent s'enfermer dans des positions déclinistes. Je ne saurais que trop conseiller, en particulier, la lecture d’un ouvrage remarquable, coécrit avec Frank Grohmann - « Quel sujet pour la théorie critique ? Aiguiser Marx et Freud de l'un par l'autre » : « Lorsque la psychanalyse manque de nommer la spécificité de sa propre émergence historique, elle transforme ses résultats en ontologie transhistorique. Inversement, toute théorie critique de la société qui croit pouvoir parler du sujet ou de l’individu sans considérer “le sujet de l’inconscient” transforme la question de la forme sujet en une ontologie sociale qui méconnaît la singularité, non collectivisable, de l’inconscient. » (p. 162) Comment, en effet, penser avec et depuis cette contradiction ?
Quelques questions, donc, et quelques pistes de réflexion, pour ouvrir le débat...
Je vous souhaite à toutes et tous une bonne rentrée.
Olivier Paccoud
Responsable du site
1 Les Journées scientifiques du Quatrième Groupe des 21 et 22 mars 2026 auront pour thème “Les visées de la cure, aujourd’hui” ; plus près de nous, notons la journée de restitution du groupe de travail de Georges Gaillard à Lyon, le 11 octobre, sur le thème “Travail de culture, hypermodernité et travail de subjectivation". ► ici
2 Récemment traduite en France : Whitebook J., Sigmund Freud, une biographie intellectuelle, Paris, Ithaque, 2025 ; voir également Whitebook, J., “Hans Loewald: a radical conservative”, in International Journal of Psychoanalysis, 85 (2004), pp. 85-97.
3 H. Loewald (1906-1993) est un psychanalyste américain dont les travaux sont encore assez peu connus en France. Il critique notamment la conception "officielle" de Freud, qui, selon lui, élève une conception pathologique du Moi et de sa formation - celle de la névrose obsessionnelle - au rang de prescription normative. Loewald repère une conception alternative - "officieuse" - du moi et de l'appareil psychique dans les écrits de Freud : il considère la discussion de Freud sur la stratification archéologique de Rome, dans le premier chapitre du Malaise dans la civilisation, comme une tentative d'envisager une image "inclusive" du psychisme, dans laquelle les objets psychiques sont préservés et intégrés, plutôt que déchargés et éliminés. Dans un Moi véritablement mature, "les niveaux antérieurs et plus profonds de l'intégration moi-réalité restent vivants comme des sources dynamiques d'une organisation supérieure", de sorte que les strates plus avancées du psychisme communiquent continuellement avec les plus archaïques.
ACTUALITÉS
À sa demande, vous trouverez ►ici un écrit de Georges Gaillard en hommage à Monique Schneider.
Nous saluons la disparition de notre collègue psychanalyste, Claude Nachin
C’est avec beaucoup de tristesse que le Quatrième Groupe - OPLF a appris le décès du psychanalyste Claude Nachin, survenu le mardi 19 août 2025 à Amiens.
Notre collègue laisse à celles et ceux qui ont eu le plaisir de le côtoyer, le souvenir d’un homme dont la présence chaleureuse et la pensée vivante égalaient sa rigueur intellectuelle. Psychanalyste, psychiatre, passeur attentif et discret, il a su prolonger l’héritage de Nicolas Abraham et Maria Torok, tout particulièrement dans ses travaux sur le deuil, la transmission et le « fantôme », éclairant ainsi, avec finesse et générosité, les énigmes de la vie psychique. Engagé sur de nombreuses années comme participant aux activités du Quatrième Groupe, il y fut aussi, à de multiples reprises, un conférencier fort apprécié car porteur de ce souci constant de la transmission d’une pratique habitée par une profonde éthique de la rencontre.
Proche de Claude Nachin, avec qui elle travailla et partagea de nombreux échanges, Mireille Fognini – participante aux activités du Quatrième Groupe et membre du comité de rédaction de la revue Le Coq-Héron - consacre à sa mémoire un hommage singulier (►ici).
Les obsèques de Claude Nachin ont eu lieu à Amiens le lundi 25 août 2025.
Chantal Defernand, psychanalyste membre honoraire de notre société qui connaissait bien notre collègue, a pu y représenter le Quatrième Groupe. Invitée par sa fille Claire Nachin à prendre la parole au cours de la cérémonie d’adieu, je la remercie très chaleureusement de lui avoir rendu hommage au nom de notre société.
Catherine Even-Le Berre, Présidente du Quatrième Groupe - OPLF
À la demande de Catherine Even-Le Berre, Présidente du Quatrième Groupe, et de Robert Dubanchet, Vice-Président, vous trouverez ► ici un communiqué au sujet d'un article du journal Le Monde paru le 11 juin 2025.
Parutions Récentes