Les principes du Quatrième Groupe.

Je formulerai les principes de base du Quatrième Groupe de la façon suivante :

• I. Prééminence du principe instituant par rapport à l'institué.
• II. Pluriréférence dans la connaissance et dans la formation.
• III. L'Institution est le résultat d'un contrat entre pairs (égaux). Une seule catégorie de membres.

Corollaire : L'habilitation est une reconnaissance inter paris.

PRINCIPE INSTITUANT

Le Quatrième Groupe a posé dès sa fondation la prééminence dans l'Institution du principe instituant. Nous pouvons lire dans les Avant-Propos du texte Principes et modalités de fonctionnement (Assemblée générale de 1969) : «que les membres contribuent à maintenir l'organisme (ainsi) mis en place, comme instituant plutôt qu'institué. C'est dire que l'analyse critique des modalités de fonctionnement constitue le premier des principes que les fondateurs du Quatrième Groupe entendent respecter.»

Pour le profane le mot institution tend à évoquer la "chose instituée" dans son sens concret de groupe social organisé qui perdure dans le temps compris comme synonyme d'association ou organisation, et aussi comme un terme qui désigne des "masses" artificielles hautement organisées à exemple de l'Église ou de l'Armée selon la nomenclature freudienne, ou encore comme formes de l'État : l'Administration, le Parlement, la Justice.

La sociologie tout entière a été définie comme la science des institutions¹ puisque on peut appeler institution toutes les formes de comportement et toutes les croyances instituées par la collectivité. Ainsi, les institutions sont assimilables au comportement social réglé par des normes, à des modèles culturels, à des patterns de conduite, à des systèmes de représentations imaginaires.

Mais "la chose instituée" est un des sens, et non le plus marquant, du concept d'institution. Fondamentalement institution est l'action par laquelle on institue. La force du terme se concentre autour de tout ce qui a été l'objet d'une décision ou le résultat d'une action humaine en opposition à ce qui est de nature ou naturel. Ainsi instituer signifie donner commencement, établir. Et l'institué est l'établi.

Nous pouvons, alors, discerner deux moments ou deux principes qui se conjuguent dans l'acte d'instituer (dans l'institution ou commencement de quelque chose) : l'un est le principe instituant par lequel une nouvelle forme advient, et l'autre le produit de cet acte : l'institué. Par celui-là l'invention et la création font leur rentrée dans l'histoire, par celui-ci la répétition, la règle, la copie, organisent la continuité et résistent dans la quotidienneté du temps qui passe. Par le premier mouvement l'Institution naît, par le deuxième elle se perpétue. Mais, même dans l'obscur instant où l'institué se reproduit, la gestation d'un non-encore-devenu travaille pour rompre les bornes de ce qui est et pour permettre au nouveau de s'établir à son tour.

Cependant, la capacité créative, l'esprit alerte et critique où loge le principe instituant, sont fragiles devant le poids écrasant de la réalité établie. La morne répétition de l'institué s'abrite derrière la sécurisante sacralité de la loi – ou de la norme – et renvoie sans cesse au temps mythique de l'origine où les principes furent posés, libérant le temps historique de tout questionnement sur le bien fondé de la pratique et de la théorie à laquelle les groupes humains s'accrochent.

Conscients de cette réalité institutionnelle, sachant que toute institutionnalisation «vise à définir un mode de régularisation, et a pour but de maintenir un état, de "faire durer" et d'assurer une transmission»² , prévoyant que la fluidité des relations et des normes discutées et adoptées dans les moments de l'institution in statu nascendi vont s’ankyloser avec une pression constante vers la conformité, les fondateurs du Quatrième Groupe ont institué un lieu et un moment pour convoquer, de façon consciente et réfléchie, l'esprit critique, en interrogeant périodiquement la démarche globale de l'Institution, prompts à la ré-instituer à tout instant. Ainsi notre organisation considère que "la raison d'être d'un appareil analytique" n'est jamais acquise d'une fois et pour toujours : «ou bien l'institution est auto-critique, ou bien elle devient une aliénation.»³ Le lieu institué de l'auto-critique est la Session réinstituante.

Le principe instituant acquiert dans ce contexte une double signification⁴ : il est la mise en acte d'un moment inaugural constamment appelé pour sortir de la létale répétition de l'établi, mais en même temps il se fait une valeur à soutenir, un but, une finalité institutionnelle.

Le principe instituant est le premier des principes que les membres du Quatrième Groupe entendent respecter.

Eduardo Colombo

Paris, 2001

1. Emile Durkheim : Les règles de la méthode sociologique.
2. Enriquez, Micheline et Eugène : «Le psychanalyste et son institution», in Topique n°6. Mai, 1971, p. 31.
3. Principes et modalités de fonctionnement (révision du Cahier bleu, 1985), Topique n° 38, novembre 1986, p. 165. Le paragraphe cité continue avec la précision suivante : «C'est pourquoi le IVe Groupe a décidé – dès sa fondation – de soumettre périodiquement à un examen critique rigoureux son propre fonctionnement, à la fois interne et élargi, par rapport à l'évolution de la psychanalyse comme pratique, comme théorie et comme application, par rapport à ses institutions propres, internes, autant qu'en face des institutions larges, externes, celles des instances et pouvoirs sociaux "vernaculaires".
   Tel est – rappelé et redéfini – l'objet de nos sessions dites réinstituantes.»
4. Note. Peut-être serait-il intéressant de remarquer le double sens que, dans notre cas, prend le mot principe , et surtout l'importance d'un de ces sens. Principe est emprunté au latin principium qui traduit le mot grec archê lequel a le double sens de commencement (origine de quelque chose) et de commander. Ainsi principe fait référence à ce qui est premier dans un ordre séquentiel ou causal (primum movens) mais aussi à ce qui est fondement d'un ordre spirituel ou rationnel (le principe de raison [nihil est sine ratione], la prima philosophia de Hobbes ou de Descartes, les principia de Russel). Dans son évolution conceptuelle le mot principe se charge d'autres contenus, par exemple de connotations normatives : une règle pour la conduite de la vie, un principe moral, une valeur, "agir selon des principes".