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Du négatif à la vie - Novembre 2022
Invitée du Séminaire de Jean-François Chiantaretto sur "L’écriture du psychanalyste", l’intervention de Janine Altounian est à écouter ici.
Janine Altounian n’est pas psychanalyste.
Dans cette distinction qu’elle aime inscrire dans sa rencontre avec les psychanalystes, « je suis une analysante », elle nous convoque au lieu vivant de notre pratique, celui qui suppose que l’un ne va pas sans l’autre. L’analyste est aussi et restera toujours un analysant, et c’est dans cette dialectique mobile aux visages identificatoires multiples qu’il trouve et crée sa place, continuellement.
Janine Altounian « n’aime pas écrire » dit-elle et n’a « jamais eu envie d’écrire ». Et pourtant ! Son parcours articule la nécessité d’en passer par l’écriture comme lieu de rencontre possible entre ce qui de l’intime, d’une indicible transmission traumatique et le travail de culture peut trouver sa part visible, reconnaissable et partageable.
« Traduire pour hériter », pour aimer son héritage, avec et au-delà la marque traumatique de celui-ci. Il faut donc parfois en passer par cet exercice de traduction convoquant l’autre comme témoin pour éviter à l’expérience traumatique de poursuivre son travail d’attaque et d’isolation du sujet, d’une génération à une autre.
Pénélope fait et défait chaque nuit le linceul de son beau-père Laërte pour signifier son refus du meurtre de ce qui l’affilie à son époux. Il faut recommencer chaque nuit la tâche artisanale dans une lutte solitaire et répétée entre la destructivité et la vie qui résiste. Donner place, corps, à l’absent, et non au disparu qui n’a ni place, ni corps.
Cela n’est pas totalement un hasard si c’est le signifiant « lieu » qui insiste. Il y a dans la démarche de la germaniste et essayiste une présence toute singulière dans son acuité aux mots et leur polysémie par le passage à la langue étrangère. Comme si cette attention choisie lui permettait d’explorer d’autant mieux les zones psychiques délaissées ou incomprises faute d’entente autour d’une langue commune. Elle nous dit dans son intervention que « la non compréhension de l’analyste ne me gêne pas, cela m’aide à comprendre à quel endroit il ne comprend pas, à quel endroit le lien ne se fait pas. ».
De « L’effacement des lieux » (titre de son dernier ouvrage paru aux Presses Universitaires de France, 2019) à leur réhabilitation, le travail n’en est jamais fini. En se nommant destinataire du manuscrit de déportation de son père, Janine Altounian nous rappelle qu’«être à l’écoute» ne va pas de soi et relève, toujours, d’une décision singulière et de notre responsabilité.