Écrit en ligne
MOREAU RICAUD M., Les Brutes en blanc de Martin Winckler, in Interligne, IV Groupe, publié le 05 Déc 2017
Résumé :
Compte-rendu de livre
Martin WINCKLER Les Brutes en blanc, Paris, Flammarion, 2016, 248 p
Par Michelle Moreau Ricaud
Bulletin de la Société Médicale Balint, Paris, Oct 2017
Contrairement à la boutade d’Oscar Wilde - « Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique : on se laisse tellement influencer » - ! j’ai lu la dernière publication de M. Winckler…
Auteur de plusieurs romans, d’essais, de chroniques et d’un Site : Winckler’s Webzine, un temps Rédacteur à la revue Prescrire, l’auteur s’est surtout fait (re) connaître pour l’excellent La Maladie de Sachs, POL 1998. Bruno Sachs, double de l’auteur, médecin, personnage déjà présent dans deux romans précédents, Trois médecins et La Vocation, nous est présenté par les proches en courts monologues alors que lui-même écrit sur ses patients.
Le film que Michel et Rosalinde Deville ont tourné en 1999, à partir de ce roman document, La Maladie de Sachs, montre de façon saisissante comment ce médecin doit avoir la tête à tout… jusqu‘à la perdre !
M.Winckler nous livre cette fois, avec ce tableau de « la maltraitance médicale en France », comme l’indique son sous-titre, un véritable brûlot contre les médecins (mais les psychanalystes sont loin d’être exemptés).
Rappelons, pour nos collègues de la Société Médicale Balint, que Martin Winckler est le pseudonyme de Marc Zaffran, ancien étudiant tourangeau, devenu médecin généraliste, ayant exercé en pratique libérale et à l’hôpital de Pithiviers de 1983 à 2008. En retraite précoce depuis cette date, il a émigré au Canada, où il participe à la recherche sur la formation du médecin à l’université de Mac Gill, à Montréal, et à Ottawa.
La violence du titre de ce livre est-elle justifiée ?
Ce titre, sur la première de couverture, est à peine atténuée par le sous- titre à l’intérieur du livre : La maltraitance médicale en France. Effet de bombe.
Disons tout d’abord qu’il faut bien reconnaître qu’il y a de plus en plus de plaintes de patients au moment où la santé est à l’ordre du jour avec la réforme de Marisol Touraine et la loi de santé. En dépit de la déontologie médicale, les faits de maltraitance de patients par certains médecins sont avérés. L’auteur, quant à lui, dénonce tout un tableau de brutalités exercées par les médecins : abus de pouvoir sur les patients, relations abusives avec parfois gestes déplacés ou même viols (p 126), insultes, menaces, refus de recevoir des patients qui sont au CMU, dépassements d’honoraires, moqueries, mépris, condescendance, négligences, etc.
Dès le lendemain de la publication et sans l’avoir lu (?), l’Ordre des médecins, dans une réponse immédiate étonnante - alors qu’il laisse trop souvent, et pendant des années, des pratiques dévergondées impunies - a taxé ce livre de caricature. Il précise que les patients, en très grande majorité, « font confiance à leurs médecins ».
Faut-il s’étonner que la profession médicale, ancrée mythologiquement dans le « sacré », avec Asclépios, Hygée et Panacée, soit tant décriée de nos jours ? Certes Molière ne l’avait pas épargnée, avec Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant, ni Jules Romains dans Knock ou le triomphe de la médecine. Mais cette fois, nous ne sommes plus dans la comédie...
« Pourquoi y a-t-il tant de médecins maltraitants ? » Cette question est celle du bandeau du livre. Si elle est pertinente, faut-il en chercher les raisons dans les études médicales ? Dans la troisième partie Winckler évoque « l’enseignement maltraitant », leslacunes de l’esprit critique, la caste médicale, les chapelles, les conflits d’intérêt, le pouvoir (politique compris), les collusions avec les laboratoires, les « inventeurs de maladie » (Jôrg Blech), le déni des émotions, etc.
Je me demandais si l’esprit carabin ne subsistait pas chez certains des médecins incriminés… Ne commencent-ils pas à se dé-former dans les bizutages que subissent les étudiants post concours de la première année, illégaux mais toujours d’actualité, qui inaugurent leur entrée dans les études médicales proprement dites ? Ces séquences d’humiliation sont-elles spécifiques à cette profession ? Elles n’aident certainement pas à développer une empathie envers les patients, lors des premières rencontres avec eux ; les identifications aux aînés maltraitants, ainsi que les mécanismes de défense contre la souffrance, les maladies, la mort, pourtant nécessaires à la pratique clinque pour « tenir bon », pourraient-elles induire indifférence, cynisme, voire arrogance ?
L’auteur nous confie comment, selon lui, pendant ses études, il a pu échapper aux « mauvais patrons » auxquels s’identifient les étudiants, reproduisant à leur tour l’attitude hautaine dès lors qu’ils deviennent eux-mêmes médecins. Il a rencontré, dit-il, de « bons patrons » qui l’ont influencé, et beaucoup de patientes (en gynécologie, lors de prescriptions de contraception). Celles-ci l’ont-elles « civilisé », empêché d’être un médecin brutal ? Les échanges avec des collègues étrangers et, dès 1985, en fréquentant un groupe Balint auraient fait le reste ? Voici ce qu’il en dit : « J’ai eu de la chance, des collègues médecins et psychologues ainsi que la pratique des groupes Balint m’ont aidé à comprendre ce qui, dans les traits de ma personnalité, me rendait sensible aux arguments des patients… et me poussait de mon côté à me méfier et à douter de ce que le patient disait. Pour me protéger. » (p.85). Il a pu ainsi apprendre à considérer le patient et à l’écouter. Il cite l’ouvrage de Michael Balint, psychanalyste hongrois émigré en janvier 1939 en Grande-Bretagne Le Médecin, le Malade, la Maladie, écrit en 1957, et traduit dès 1960 par Jean-Paul Valabrega (non cité ; la note est à corriger p 290) qui travaillait sur La relation thérapeutique au CNRS.
Avec la référence de ces deux psychanalystes intéressés par cette extension de la pensée freudienne à la médecine à des titres divers, nous sommes bien loin de ce médecin de fiction, l’insupportable Dr House de la série américaine télévisée, que vous connaissez tous, et citée par l’auteur. Pour Gregory House, médecin hospitalier de médecine interne, point n’est besoin, sauf exception, de voir le patient, suivi par les médecins et infirmières de son service : le dossier suffit. Véritable machine à diagnostiquer, il est savant, sûr, ne cherche à découvrir que l’énigme de la maladie ; ou plutôt c‘est la vérité diagnostique et non celle de l’être malade qu’il recherche. Pourquoi perdre du temps à rencontrer le patient ? Il le dit à son équipe : « Everybody lies », tout le monde ment. Le patient ment et le médecin aussi d’ailleurs.
Au long du livre d’autres pratiques médicales sont dénoncées : la prévention (parfois maltraitante en cancérologie, exemples à l’appui), la « supercherie » du cholestérol, les campagnes de dépistage du cancer de la prostate, le traitement de l’infertilité, la violence des annonces des maladies. Choix médicaux ou dérives connues pour le bien du malade, ne sont-elles pas des formes d’acharnements thérapeutiques ?
Notons que Marc Zafran s’était formé dans le groupe Balint que le Dr Pierre Bernarchon avait conduit pendant plusieurs années au Mans, (et à sa mort repris par Simone Cohen-Léon). Il a dû le quitter car il n’exerçait plus. Il avait également été notre invité à un congrès de la S.M.B, tenu à Pau. Winckler ferait-il alors la leçon à ses collègues (malgré la toute première phrase de son avertissement ?). L’auteur renvoie ses confrères au Code de déontologie, dont il rappelle les articles les plus importants, estimant que certains l’« enfreignent sans vergogne trahissant la confiance que leur accordent la plupart des patients, manquent à leurs obligations professionnelles et violent les lois de la République » (p.52)
En fin d’ouvrage, un chapitre intitulé « Que faire face à la maltraitance médicale ? » s’adresse aux patients. L’auteur leur donne une dizaine de conseils pédagogiques, pragmatiques, dans la visée comportementaliste, de choses à faire lors de la consultation, afin qu’ils puissent exercer leurs droits de patients jusqu’au dépôt de plainte, si nécessaire, non à l’Ordre des médecins, mais au pénal.
Une meilleure formation des médecins nous paraît être une des solutions. L’introduction des Sciences humaines en médecine fera-t-elle changer les choses ? On a vu en septembre 2016, à notre 42ème Congrès de la S.M.B., tenu à Bobigny, l’introduction, commencée là en 1968, grâce au Professeur Pierre Cornillot ouvrant les études médicales aux médecines alternatives, mais également aux groupes de paroles ou aux groupes Balint. Sa rencontre avec Edgar Faure alors ministre des universités avait favorisé cette ouverture, restée encore trop timide dans les autres UFR. Peut-on espérer que sciences humaines et groupes Balint pourront sensibiliser à la relation, au dialogue ? La formation - recherche, le « training cum research » de Balint, avec présentation de cas, devant des collègues et des psychanalystes pourraient compléter le savoir par un apprentissage d’un savoir-faire.
Revenons une fois encore sur le titre, évoquant, en négatif, la fameuse série Les Hommes en blanc de ce médecin du Sud-Ouest, le Dr André Soubiran. Nombre de futurs étudiants en médecine l’ont dévoré et ont été, peut-être, soutenus dans leur vocation par cette lecture. L’éditeur et l’auteur escomptent- ils un pareil succès pour le livre de Winckler ?
A ma demande à Flammarion au sujet d’une présentation du livre en présence de l’auteur, lors de son séjour à Paris ce mois d’octobre 2016, la réponse négative laisse beaucoup de questions sans réponse :
-n’y a-t-il pas, chez l’auteur, un culte un peu naïf des médecins anglo-saxons, canadiens et américains notamment ?
-ce livre a-t-il été écrit pour le grand public ? pour les patients ?
-les médecins français seront-ils curieux de lire le procès qu’il leur est fait, cette fois par l’un des leurs, afin de réfléchir à leur style de médecin et de l’améliorer ?
-n’y a-t-il pas, enfin, le risque de discréditer à l’avance tout médecin et de ruiner ainsi « l’attente croyante », confiante envers les médecins ?
-risque-t-il également de provoquer une recrudescence d‘agressivité et d’agressions verbales et physiques envers les soignants et médecins ?
-enfin, un autre danger ne serait-il pas de judiciariser, à l’américaine, les malentendus, différents et erreurs entre médecins et patients ?
Un regret : la formation dans les UFR de médecine (parfois embryonnaire) est passée sous silence et la formation médicale continue n’est nulle part envisagée ; point d’adresse non plus de la Société Médicale Balint, fondée en 1957 à Paris, par quelques jeunes médecins qui s’initiaient au groupe Balint.
Malgré ces quelques critiques et son ton, ce livre serait néanmoins à lire par tous les personnels soignant et pourrait alimenter un débat qui ne manquerait pas d’être fructueux. Faudrait-il alors, dire, avec Sade et …Winckler : « Français encore un effort si… » si vous voulez former de bons médecins !
Michelle Moreau Ricaud