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Un tableau de Chagall - La Crucifixion blanche - nous aide à comprendre comment l'artiste s'est emparé du thème antisémite du Juif errant, élaboré au fil des siècles par la tradition chrétienne, en proposant une relecture de ce mythe qui en retourne le sens.
Il n'y a pas de passionnel de la passion auquel ne participerait pas une volonté de pouvoir et d'emprise visant l'abolition de l'objet comme autre, une violence anéantissant son objet. Dans le transfert analytique, le passionnel peut prendre la place d'un irréductible à toute mise en sens ou interprétation. Son rapport étroit avec une réaction thérapeutique négative doit toujours être pris en compte, et ce même à minima. Le noyau passionnel, son roc irréductible, réédite dans la cure la force pulsionnelle de traces infantiles refoulées. La situation passionnelle d'amour de transfert ne relèverait-elle pas de ce qui se passe dans la force "réalisante" que l'analyste serait tenté de donner à l'exigence passionnelle de son analysante, en prenant celle-ci à la lettre de la réalité, de "sa" réalité ? Le roc irréductible du transfert passionnel ne correspondrait-il pas chez l'analyste à une suspension de l'hallucination négative de la pensée, surface blanche permettant jusque-là qu'ait lieu le jeu des transferts dans la cure ?
Il n'est de passion que dans une recherche de comblement, d'une concordance sans écart, entre un sujet et son/ses "objets" ; que là où se constitue une visée de complétude. Considérer l'institution à la lumière des figures de la passion convoque dès lors la double dynamique dans laquelle sont pris le sujet et le groupe professionnel, celle de l'attraction totalisante du "Un" et du mouvement de différenciation pluralisante qui en constitue le pôle dialogique. Après avoir rappelé les enjeux psychiques de ce que représente le "travail" pour le sujet, nous nous intéresserons à la figure de l'institution considérée dans sa dimension subjective. Au titre de la diversité des configurations qui sont à même d'attracter une visée d'emprise totalisante sur la scène de l'institution, nous interrogerons les dynamiques qui se jouent dans le lien soignant, et celles qui se jouent relativement à l'institution comme objet psychique.
C’est à Nabile Farès poète psychanalyste que je voudrais rendre hommage ce soir, à celui que j’ai rencontré pour la première fois en 1992, lors du colloque du Collège de psychanalystes, sur le thème des violences et de la subjectivation. Je me souviens d’un déjeuner partagé aussi avec Benjamin Stora, de la générosité avec laquelle Nabile m’avait offert d’emblée son amitié dans un échange plein de chaleur et d’humour. Je relisais récemment sa communication sur « les névroses de guerre » et j’ai retrouvé toute la densité de ses propos d’alors, des propos qui m’avaient tant troublé, tellement ils dévoilaient la folie de la langue souveraine, la langue devenue folle quand elle se prétend le lieu de la vérité pour énoncer le détournement pervers de la réalité : le temps de guerre était devenu ce qu’on a appelé « l’œuvre de pacification », dans un renversement ironique, destructeur, de la réalité. Pour Nabile, cette duplicité de la langue coloniale a créé une fissure, une béance pour toute une génération naissant au langage, inscrivant la duperie au coeur des mémoires les plus singulières, et de la mémoire collective, inscrivant un trou, une faille devenue trace paradoxale d’une guerre innommée, ou par ailleurs ‘trop’ nommée…
L'enfant est-il un petit sauvage pulsionnel, mais qui échappe aux passions proprement dites, car elles nécessiteraient un Moi construit et un Idéal-du-Moi intériorisé ? Telle est la question posée au départ de ce travail. Pour y répondre, deux exemples de lien passionnel à l'objet maternel sont exposés, qui présentent entre eux une différence notable. La symptomatologie anxieuse du premier illustre une passion amoureuse oedipienne. Dans la seconde présentation, la passion qui prévaut est l'envie, c'est-à-dire la haine pour l'objet lui-même. Dans ce cas-là, est apparu un retournement de l'investissement pulsionnel tendre de l'objet (la marmotte dans le jeu) en haine envieuse et destructrice. L'objet idéalisé est devenu persécuteur et l'enfant a tenté d'en conjurer la menace par la fragmentation de la marmotte maternelle du transfert en une foule de nuisibles à exterminer dans des chambres à gaz.
Dans l'envie, comme dans la passion amoureuse, l'objet idéalisé s'empare de toute la libido. Le sujet le tient donc pour responsable de sa frustration. C'est une véritable passion amoureuse retournée. L'objet de la passion envieuse, qui est le maître et le possesseur du monde, est attaqué haineusement, alors que dans une passion amoureuse, c'est le sujet qui se fait subvertir par l'objet idéalisé et se soumet.
Au cours du processus de civilisation, les passions sont terribles et nécessaires. Leur évocation, dès les contes de l'enfance, constitue l'essentiel des oeuvres de culture. Grâces à elles, le travail de culture n'est pas qu'un travail de deuil. Il ne vise pas uniquement à intérioriser les objets perdus, mais à prolonger autrement cette souffrance d'amour et de mort, à garder autrement la blessure ouverte. Et le travail de culture devient ainsi lui-même passion.
Le surmoi matérialise l’intrication du psychisme individuel et de la culture, dans la perspective freudienne de l’articulation de l’auto-destructivité individuelle et de l’auto-destructivité collective. Dans cette articulation, la psychopathologie des limites, tant sur le versant mélancolique que sur le versant incestuel, oblige à mettre l’accent sur les convergences du travail de la cure et du travail de la culture.
Les modalités de vécus de changements catastrophiques développés par Bion au sujet de patients psychotiques sont tout autant utiles pour approcher cliniquement les changements catastrophiques découlant de transformations psychiques survenant dans le déroulement habituel de cures d’enfant, d’adolescent, d’adulte, sans pathologie notoirement psychotique, mais aussi lors de circonstances extérieures particulières imposant des arrêts de traitement et/ou changements de thérapeute. Cet article présente l’exemple d’un départ à la retraite d’un psychanalyste exerçant en CMPP, soumis donc lui-même à plusieurs principes de réalité (son obligation de retrait d’activité, conjointe à sa propre impuissance à organiser au mieux sur le plan thérapeutique son remplacement auprès des patients suivis). Sont ainsi exposées certaines réactions d’angoisse à ces changements – côté patients et côté analyste -, et analysé la notion d’angoisse de changement catastrophique comme réactivation d’une irreprésentable angoisse inaugurale. L’évocation de différentes sortes d’arrêt de cures vient souligner la nécessité pour le thérapeute d’être attentif autant à ces événements extérieurs de contraintes qu’aux turbulences psychiques internes qui en découlent. L’article évoque aussi le problème épineux et non résolu des modalités de financement des institutions soignantes, ajoutant une contrainte « réalistique » supplémentaire inapte à moduler de façon adaptée sur le plan clinique, de ces situations difficiles de rupture de traitement.
Le titre de cette première journée du Colloque rend hommage à Cornelius Castoriadis auteur de « L’état du sujet aujourd’hui », ce qui n’est pas sans me rappeler sa conférence avec le même titre au Quatrième Groupe le 15 Mai 1986. Je garde un très vif souvenir de cette soirée à la salle des conférences de FIAP, rue de la Santé, qui accueillait à l’époque des activités scientifiques du Quatrième Groupe et précisément la série qu’on appelait des « Confrontations critiques ». Le discours de Castoriadis déconcertait comme d’habitude l’auditoire par sa force et sa nouveauté ; cette conférence faisant un retour après sa séparation avec Piera Aulagnier et son éloignement du Quatrième Groupe où il avait travaillé plusieurs années sans pour autant demander son habilitation comme analyste-membre.
Quoi qu’il en soit, ce retour est resté sans suite ; force est de constater que ses idées qu’il soit de l’imagination radicale ou de la socialisation de la psyché n’ont pas trouvé, sauf quelques exceptions, l’écho qu’elles méritent ni au Quatrième Groupe ni dans les autres milieux psychanalytiques français. Cependant André Green, comme il me disait dans une discussion informelle, lui avait proposé de joindre la Société psychanalytique de Paris, puisque Castoriadis avait fait une deuxième analyse avec Michel Renard de la SPP après sa première analyse avec Irène Roublef analyste de l’Ecole Freudienne et analysante de Lacan.
Ni « orthodoxe » ni lacanien, Castoriadis garde son indépendance institutionnelle et d’esprit... (suite)
À partir de certains textes de Winnicott, et de façon non exhaustive, nous essayons de montrer combien sa pensée se situe dans la continuité de celle de Melanie Klein (dont il se considère être l’« élève »), mais aussi comment elle s’en différencie, notamment, quant au rôle attribué par Klein à la pulsion de mort dans les phénomènes de destructivité, phénomènes que Winnicott étudie sous un autre angle. Mais aussi, quant à la genèse du faux self, l’un des apports essentiels de Winnicott à la clinique psychanalytique.
L’objectif de ce numéro est d’évoquer – sans visée exhaustive – les apports conséquents et transmissions vivaces pour l’ensemble du corpus clinique et théorique de la psychanalyse de plusieurs éminents psychanalystes britanniques, comme Melanie Klein, Wilfred Bion, Donald W. Winnicott, Michaël Balint. En effet, malgré une diffusion sélective et plus tardive en France qu’en d’autres pays européens et d’Amérique du Sud, ces apports nourrissent désormais la pratique, et témoignent de la richesse de leurs avancées et perspectives, permettant une approche de plus en plus subtile de l’évolution intra et intersubjective de nos psychismes. L’histoire de la psychanalyse britannique est passionnante à plusieurs titres. En effet, l’Angleterre fut une des premières terres d’accueil de nombreux psychanalystes européens dès 1930, et surtout en 1933 et 1938, lors de l’irréparable flambée des exactions nazies. Cette affluence migratoire a intensifié alors, pour diverses raisons, les positions théoriques identitaires des émigrés freudiens dits les « Viennois » orthodoxes et leurs prosélytes anglais, en les opposant aux nouveaux développements kleiniens devenus plutôt assez consensuels en Grande-Bretagne. Dès 1933...
Ce texte vise à clarifier la notion de cadre psychanalytique, et, partant, à mieux situer la question du cadre au regard de la pratique psychanalytique. Dans un premier temps, l’auteur essaie de mettre le cadre, la « question-du-cadre », en bonne position théorique, afin de tenter de démêler ce qui, dans cette question, relèverait de symptômes théoriques, de ce qui afférerait à de véritables et cruciaux enjeux pour la psychanalyse. L’auteur tente de situer, au regard notamment de sa conception des visées de la psychanalyse, la position métapsychologique du cadre. Enfin, il tente de penser le cadre en lien avec certains enjeux théorico-cliniques, touchant notamment à la question de l’acte, qui semblent fondamentaux pour la psychanalyse d’aujourd’hui et de demain. Pour ce faire, il se soutient de la pensée de Bion, mais également de celles de Ferro, Ogden, Bollas, Grotstein.
Après avoir revisité quelques mouvements psychiques et quelques enjeux inhérents à l’hypermodernité, nous mettrons l’accent sur les nouages constitutifs des dynamiques de transmission et leurs aléas. Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à quelques spécificités de ces mouvements de transmission au sein des institutions du soin, du travail social, etc., en tant que les mouvements qui les traversent condensent nombre d’enjeux qui se jouent ailleurs à bas bruit. Quelques évocations de processus groupaux et institutionnels nous permettront de souligner le travail d’historisation identifiant ce tissage où se conjuguent appui dans la filiation et travail de transformation et de créativité qui incombe à chaque génération.
En reprenant ici avec un texte de Winnicott le dispositif mis en œuvre avec « L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort » de Ferenczi?ont été réunis autour de ce texte des analystes de divers styles et obédiences, avec pour seule contrainte le risque de témoigner le plus librement possible de son actualité dans leur pratique clinique et théorique. Ces analystes étant par ailleurs tous enseignants-chercheurs, sans doute s’agit-il aussi de témoigner en acte de la possibilité à l’Université d’œuvrer au questionnement psychanalytique de la psychanalyse – une possibilité intrinsèquement liée au projet même de la formation de psychologues cliniciens avec la psychanalyse, qui ne peut légitimement être porté que par des analystes, et des analystes assumant de déployer pour une part leur créativité à partir de l’étrangèreté?de leur présence à l’Université.... (suite sur la revue)
Michael Balint a perpétué l’école de Budapest en Angleterre, avec la création des « Groupes de recherche formation » qui deviendront les « groupes Balint ». Il est l’un des instigateurs du Middle Group, dont le principal porte-parole sera Donald W. Winnicott. Il inventera et développera les notions d’investissement mutuel, de fonction apostolique, de défaut fondamental, de régression et de confusion des langues.
Cet ouvrage, fruit de recherches dans les archives de Melanie Klein, présente des conférences et des séminaires sur la technique psychanalytique donnés dans les années 1930 et 1950 par Melanie Klein à des analystes en formation ou récemment habilités. Elle y aborde les fondamentaux de la psychanalyse (le transfert, la connaissance de l’inconscient...) mais répond aussi aux questions de ses auditeurs. Les thèmes abordés restent toujours d’actualité. On découvre là non seulement Melanie Klein au travail avec les adultes, mais aussi une femme chaleureuse, ouverte et extrêmement respectueuse de l’autre. Les commentaires de John Steiner resituent les thèmes évoqués dans une perspective contemporaine.
Le champ de la mésinscription (soin, travail social, etc.) est massivement impacté par les mutations, et par le mouvement de désinstitutionnalisation, en cours. Il est aux prises avec deux sources principales de déliaison mortifère : celle que présentifient les usagers, d’une part, et celle qui découle des incidences des mutations sociales, des incessantes restructurations et des menaces qu’elles font peser sur les organisations institutionnelles, d’autre part. Celles-ci s’en trouvent grandement fragilisées et le travail de nouage en devient d’autant plus exigeant, car il requiert toujours plus d’énergie, face aux différents niveaux par où les liens sont déstabilisés, malmenés, détruits. Dans ce contexte, l’analyse de la pratique peut être pensée comme paradigmatique des pratiques de régulations, en tant qu’elle peuvent contribuer à faire tenir ensemble ce qui tend à se morceler au sein de la vie institutionnelle ; à préserver de la créativité et de l’investissement dans un univers où les marges de libertés (professionnelles) n’ont de cesse de se restreindre. Ces pratiques peuvent se donner pour visée de soutenir, voire de faire advenir, du groupe comme une instance suffisamment unifiante, participant en cela à la reconstruction des collectifs de travail et du « bien commun ».
Avec le parcours de vie de James Gammill, sont évoqués ici les souvenirs de l’auteure, Mireille Fognini, sur ses derniers échanges avec lui, et son ancien travail de supervision où est décrite sa méthode personnelle de transmission, dont elle retrouve la spécificité dans les deux publications essentielles qui rassemblent ses expériences de travail clinique et théorique avec Melanie Klein et ses successeurs, prolongées et enrichies de ses propres constructifs apports de transmission.