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Le secret
Invité : Claude Nachin
Date : novembre 2003
Argument et textes de la journée de travail du samedi 15 novembre 2003 à Lyon
Cette journée de travail a été consacrée à la restitution des réflexions élaborées dans le groupe de travail sur le thème du secret animé par Jean Peuch-Lestrade au cours des quatre années passées.
Chacun des membres du groupe y a présenté une hypothèse qu'il a développée au cours ou à l'issue de nos rencontres. Cette présentation était suivie de la réaction de Claude Nachin . Les éléments du débat n'ont pas été retranscrits.
Première partie : Clinique du Secret.
Claude Alombert : Secrets de mères et maladie régressive du jeune adulte
Elisabeth Bugglin : Secret structurant, secret mortifère
Christophe Matha : Secret et chambre noire
Christine Ebendinger- Cury : Secret et identité
Deuxième Partie : Institution et secrets.
Rosa Jaïtin : Homosexualité et institution psychanalytique
Dominique Geay : L'aveu
Jean Peuch-Lestrade : Institutions psychanalytiques et secrets.
Troisième Partie : Dialogues autour du secret : Claude Nachin
Argument
Nous sommes partis dans notre groupe de travail de deux idées :
le secret est à la fois la meilleure et la pire des choses : meilleure dans la liberté qu'elle garantit à la psyché, pire dans les aliénations qu'elle suscite.
Cette question est relativement peu présente dans les débats analytiques et dans la métapsychologie freudienne alors qu'elle nous semblait centrale dans la clinique quotidienne.
Au départ nous avons exploré la question du secret au travers de situations cliniques amenées par chacun. C'est à cette occasion que nous avons constaté que des situations de secret "exemplaires" se retrouvaient accueillies dans des lieux ou des institutions destinés à des populations ciblées : patients en prison, malades du sida, couples ayant fait le choix d'une insémination avec donneur pour traiter leur stérilité, par exemple…
Puis nous avons travaillé sur les textes : sans vous retracer l'ensemble de notre parcours qui fut assez vagabond, quelques auteurs ont fonctionné pour nous comme des balises autour de cette délicate question : Piera Aulagnier et le secret, condition pour pouvoir penser ainsi que la notion de contrat narcissique que nous avons fait discuter avec celle de pacte dénégatif chez René Kaës ; Nicolas Abraham et Maria Torok et les grands textes de l'écorce et le noyau, avec un faible particulier pour le court texte sur la topique réalitaire, et un détour par le verbier de l'homme aux loups.
A l'issue de ce trajet nous nous sommes interrogés sur l'intrication de cette problématique du secret avec la dimension institutionnelle, ce que nous avions déjà entrevu au départ au travers de nos situations cliniques, et nous avons débarqué dans l'institution analytique du coté du Comité secret.
Cette journée de travail n'est pas l'exact reflet de notre périple mais plutôt son résultat : en effet si certaines des interventions prévues reprennent les exposés fait dans le cadre du groupe de travail, la plupart sont le fruit de l'élaboration ultérieure d'une question dont l'originalité de la problématique n'a pu se dégager qu'avec le temps.
Première partie: Clinique du secret
Secrets de mères et maladie régressive du jeune adulte par Claude Alombert
Etymologiquement secret vient du latin secretum, adj : secretus, p.passé de secernere, séparer, diviser, mettre à part. Le verbe se décompose en son préfixe "se" indiquant la séparation et sa racine "cernere" signifiant trier, séparer (le bon grain de l'ivraie). Il y a donc deux fois "se" (double séparation). Tous les sens figurés, dérivés tel que mystérieux, caché, ont conservé la notion primitive de séparation.
Ce qui est secret apparaît donc toujours comme le résultat d'une opération, d'un processus de séparation, concernant non une chose ou un fait mais, un savoir sur cette chose. Il convient de souligner comme l'indique l'étymologie que le secret résulte d'une double opération de séparation, qui intervient aux niveaux intra et inter subjectif.
Le secret se compose à la fois d'un contenant et d'un contenu, résultat d'une opération intra subjective entre ce qui peut être porté à la connaissance des autres dans un mouvement d'excrétion et, ce qui est un bien intime, personnel, qui doit rester ignorer des autres dans un mouvement de rétention, conservation. Division donc entre un dedans (espace intérieur du sujet) et un dehors (espace public, ouvert, sans limite).
Arnaud Levy rapproche cette division de l'opposition rejet-conservation selon une thématique anale prédominante dont la parenté étymologique entre secret et excrément argumente sa pensée.
Les raisons pour tenir un secret ou à un secret sont multiples ; allant des conditions du pouvoir penser (Piera Aulagnier) aux pensées et actes que la morale ou le surmoi réprouve comme sont multiples les secrets eux-mêmes. Il est rare cependant, c'est une sorte de postulat, qu'on ne puisse les ramener à une causalité sexuelle et ou narcissique (identificatoire) primitive notamment quand elle touche à la dimension de l'incestuel (du traumatique ou de la séduction) comme par exemple dans le champ de la relation mére-enfant, justement paradigmatique des processus de séparation-individuation.
L'important est bien que la séparation intra subjective (entre ce qui peut être dit et ce qui doit être tus), quel qu'en soient les raisons, sentiment d'identité de soi, honte consciente ou culpabilité inconsciente, se double d'une séparation inter subjective ; le secret devenant alors le garant de cette dernière. (Ce qui crée nécessairement des relations particulières de complicité ou de pouvoir entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, les mères et leurs enfants. Bien différencier chez le petit enfant le désir de savoir et le désir de comprendre tout interdit de savoir peut avoir des conséquences graves).
La notion de séduction et donc de traumatisme paraît indissociable de la notion de secret. L'occurrence du terme de secret dans les écrits de Freud dans la période où il découvre l'importance des faits de séduction nous le fait percevoir.
Parce que ce que Freud a découvert, un savoir sur une chose sexuelle, une scène ou un évènement vécu, est voué au secret, à être caché et tu.
Parce qu'il a la conviction d'une découverte capitale ignorée de tous : "T'ai-je révélé oralement ou par écrit, le grand secret clinique ? L'hystérie résulte d'un choc sexuel, pré sexuel" lettre à Fliess 15/10/1895.
3) Parce qu'il est convaincu que sa découverte fait partie des grands secrets de la nature (au sens d'énigme). "Mon interprétation des névroses fait ici de moi un isolé ; ils me considèrent à peu près comme un monomane et j'ai la nette impression d'avoir aborder l'un des grands secrets de la nature" Lettre du 2/05/1894.
Pendant longtemps Freud ne fait part de sa découverte qu'à un seul, son ami et confident Fliess. C'est bien sur Fliess qu'il informera en premier qu'il ne croit plus à sa neurotica, lettre 69 du 21/09/1897 à son retour de vacances : "Il faut que je te confie tout de suite le grand secret qui au cours de ces derniers mois s'est lentement révélé ; je ne crois plus à ma neurotica".
De cette découverte, la neurotica, découle la technique que Freud développe pour forcer le patient à livrer son secret, exposée dans les Etudes sur l'hystérie. Convaincu de l'importance pathogène de ce secret le but du traitement, à cette époque, est d'amené le patient à avouer en usant de la persuasion. Quand la séduction thérapeutique échoue, Freud est obligé de deviner le secret en tenant compte des résistances qu'il a découvertes. " La résistance du malade se traduit par une rupture des associations ; c'est justement l'essentiel qui faisait défaut". A partir des lacunes du discours Freud reconstruit en arrachant le souvenir tu " morceaux par morceaux " (cf : analyse) par un travail qui n'exclut pas la violence, violence douce de la suggestion.
Enfin une étonnante communauté étymologique renforce cette indissociabilité entre secret et séduction : tout deux ont un préfixe commun signifiant la séparation. Seductio, action de mettre à part, séparer du verbe seducere composé du préfixe se qui marque la séparation et de ducere tirer à soi d'ou conduire mener.
Les illustrations cliniques qui suivent proviennent du même dispositif thérapeutique en établissement public. A l'issue du premier entretien un cadre psychothérapique individuel était proposé sachant qu'en aucun cas le thérapeute n'interviendrait dans le soin des enfants et n'aurait pas de lien avec leur équipe soignante, cette confidentialité garantissant une parole libre.
Mme A présente tous les signes d'un épuisement psychique mais pas de plainte ni de souffrance dépressive. Elle sait que son fils Christian va très mal et se sent incapable de lui dire de se soigner. Elle enseigne dans une école privée. Ch est le 3ième d'une fratrie de quatre : M 19 ans, F 18 ans, Ch 17 ans, F 1,5 ans. Il a toujours parfaitement réussi sa scolarité.
En fait, elle semble le découvrir au fil des entretiens réguliers, son inquiétude, dont elle ne se rendait pas compte à l'époque, remonte à environ deux ans quand Ch s'est mis à fréquenter l'église après une rencontre avec le prêtre. Cet intérêt pour la religion était simplement surprenant parce que inattendu. Ch se passionne pour la Bible, fréquente assiduement un groupe de prière, reproche à ses parents leur incohérence, de ne pas être pratiquant, entre en conflit, parfois violent, avec eux en tenant des discours péremptoires, allant jusqu'à leur affirmer récemment sa conviction que seul ceux qui n'ont pas péché devant l'éternel survivront le jour du jugement dernier. Il faut savoir accueillir Dieu dans son cœur. Ces événements se déroulent alors que Mme A est enceinte de sa fille, grossesse non désirée qu'ils ont décidé de mener à terme après en avoir parler avec les enfants. Période de moins bon résultat scolaire pour Ch à qui l'on conseille le redoublement. Il demande alors à changer d'établissement, à s'éloigner de ses amis de lycée et de ses frère et sœurs pour intégrer un internat de semaine. Un jour, il vient se réfugier à la maison. Il n'a pas assisté au cours, a apparemment erré toute la journée, ses vêtements sont en guenille obligeant ainsi sa mère à s'occuper de lui. Un week end il en vient au main avec son frère et sa sœur aînés puis se ferme dans sa chambre, s'isole, ne mange plus en famille, reste éveillé la nuit en lisant les évangiles. Les week end se suivent alors immuables : il exerce une emprise grandissante sur sa mère, lui demande de ne pas quitter la maison, lui parle tout à la fois de son désir d'avoir des enfants, des relations sexuelles interdites en dehors du mariage et de la proscription de la masturbation. Elle seule peut entrer dans sa chambre, il a besoin d'elle pour s'endormir, il n'y a qu'elle auprès de qui il se sent bien.
Le cadre thérapeutique proposé permet petit à petit d'évoquer les difficultés de la petite enfance. Quand Ch avait 1,5 an, l'âge de la petite dernière, elle s'est absentée une semaine avec son mari. C'est sa sœur aînée, célibataire, dont elle est inséparable, qui a gardé les enfants, elle fait presque partie de la famille c'est leur "nounou". Pendant cette absence Ch s'est amaigri et à leur retour une constipation opiniâtre a nécessité un bilan hospitalier ce qui l'avait beaucoup angoissée. Quelque mois plus tard, en première année d'école maternelle elle parle d'un enfant difficile, perturbation, cassant ses objets, agressant ses petits camarades, évoquant son sentiment de culpabilité et la honte humiliante qu'elle a ressenti vis à vis de sa collègue institutrice, sentiment dont elle n'a jamais parlé à personne et qui aurait perduré toute l'année malgré l'intervention conciliante de la directrice pour favoriser l'intégration de Ch dans la classe. Elle pourra alors au cours des entretiens aborder son ambivalence et dire avec beaucoup d'affects sa difficulté à abandonner ses bébés à d'autres qu'elle.
Mme B ne manifeste aucune souffrance apparente. Secrétaire d'accueil dans une grande entreprise elle est plutôt avenante. Son unique demande est qu'elle n'arrive pas à amener son fils chez le psychiatre. Laurent est trop renfermé et trop solitaire ; à 18 ans il redouble sa terminale alors qu'il a toujours eu un an d'avance. Son père est un grand musicien, ses parents se sont séparés peu après la naissance de Laurent, que sa mère a élevé seule avec sa propre mère. Depuis plus d'un an elle fréquente un cadre de l'entreprise qui lui demande de vivre avec lui.
Il y a un an Laurent a fait une TS médicamenteuse décrite sans gravité. Depuis quelques mois il fait "sécher" les cours, il est le plus souvent fermé dans sa chambre où elle se demande ce qu'il peut faire. Il a cessé de jouer de la guitare, a rompu avec son groupe, les seuls copains qu'il fréquentait. Il lui est arrivé à plusieurs reprises de sortir dans les bars le soir, où, prétextant qu'il n'y a plus de métro, il l'appelle de son portable pour qu'elle vienne le chercher. Depuis quelque temps il lui emprunte des vêtements, pull over, tee shirt mais surtout une vieille veste de fourrure qu'il n'a pas quitté de tout l'hiver. Laurent a besoin de laisser sa lumière allumée pour s'endormir et si elle ne le disputait pas il ne se nourrirait que de laitage et de yaourts.
Après quelques entretiens Mme B raconte la petite enfance de Laurent. Elle n'a jamais compris le départ du père de Laurent qui à privilégier sa carrière de soliste. Elle décrit cette période de sa vie comme très difficile et très éprouvante. Laurent était souvent malade, un enfant capricieux, quand il refusait de manger les repas se prolongeaient en des scènes interminables et ils étaient tout le temps chez le pédiatre. Quand Laurent entre à la maternelle, toute proche de son lieu de travail, elle ne pouvait s'empêcher de sortir et d'aller le voir à travers la grille de la cour à l'heure des récréations, nombreuses sont les après midi où elle préférait le savoir tranquille à la maison avec sa grand mère. Ainsi apparaît la fragilité de cette jeune mère qui a senti la nécessité d'unir avec elle son fils et sa mère. Le père de Laurent s'était-il éloigné pour des raisons professionnelles ou l'a-t-elle maintenu à distance de son fils ?
" L'essence de la maladie de l'esprit consiste en le retour à des états antérieurs de la vie d'affects et de la fonction " (Actuelles sur la guerre et la mort 1914). Et non pas dans la destruction des acquisitions et des compétences ou l'atteinte de tel ou tel organe en opposition à la conception médicale.
Ces observations de maladie de l'esprit dans lesquelles les adolescents semblent retrouver des manifestations de la petite enfance, illustrent parfaitement la théorie freudienne. Je pense particulièrement à l'apparition à l'adolescence ou au jeune âge adulte aux décompensations dites limite souvent diagnostiquées psychotique, décompensations graves mais réversibles dont les parents disent que rien ne les laissaient présager. Je propose de les appeler décompensations régressives.
J'ai choisi de les évoquer pour soutenir la thèse suivante. En 1914 dans "A partir de l'histoire d'une névrose infantile" Freud écrit : " Je suis prêt à affirmer que toute névrose d'un adulte s'édifie sur sa névrose d'enfant qui toutefois n'a pas toujours été suffisamment intense pour frapper et être reconnue en tant que tel."
Peut-on affirmer que toute décompensation psychique grave, à l'exception de la classique entrée dans la schizophrénie, d'un jeune adulte s'édifie sur sa névrose d'enfant qui a été suffisamment intense pour frapper et être reconnue comme telle et a été tenue au secret par les mères pour des raisons intra psychiques.
Ce qui est remarquable dans la parole de ces mères racontant la petite enfance de leur adolescent, récit obtenu non pas par une attitude de neutralité bienveillante mais par une attitude médicale psychothérapique active de séduction bienveillante, est que ces évènements racontés n'ont pas été oubliés, encore moins refoulés ou clivés, mais ont été séparés, tenus à l'écart, tus, et sont restés des secrets pour ses mères jusqu'à ce qu'ils deviennent partageables par une parole dite et adressée à un thérapeute. Jamais ces femmes n'en avaient parlé à quiconque. Jamais ils n'ont fait l'objet d'une histoire racontée notamment à leurs enfants.
" Parfaitement connu du sujet, le secret, dans sa simplicité, son apparente banalité, n'a rien d'une énigme, rien de ce qui permettrait de le résoudre ou de l'interpréter… . Bien que le sujet perçoive, plus ou moins clairement, que le secret recèle la cheville cruciale de son histoire, il ne peut être question de s'en départir. Ce qu'il dissimule ainsi concerne la connaissance d'un fait, un savoir qui doit rester caché pour des raisons qui lui paraisse impératives mais dont il saisit mal les causes."
"Lieu de la vulnérabilité, celle où le sujet sera le plus sûrement atteint dans son image idéalisante qu'il cherche à protéger…. Lieu où se confond ce qu'il sait de lui-même et ce qui dans son fantasme doit demeurer ignoré de tous ". Victor Smirnoff
La période de la petite enfance évoquée est sans doute trop indicatrice de la problématique narcissique et ambivalente de ces mères et a été recouverte par contre investissement dans la certitude que ces enfants se développaient harmonieusement.
Ces entretiens thérapeutiques peuvent être compris comme un espace possible de partage du secret équivalent à " l'expérience de mutualité " dont parle Winnicott essence de la capacité de la mère à s'adapter aux besoins de son bébé. Leur valeur psychothérapique est de les rendre capable de partager leur expérience avec nous et non simplement de les traduire en fantasmes ou en gestes symptomatiques car la création d'un secret nous paraît avec Masud Khan engendrer un espace vide dans la psyché de ces mères. En effet c'est ainsi qu'elles se présentent lors des premiers entretiens, espace vide occulté de manière réactionnelle par l'investissement narcissique de la réussite scolaire.
La parole de ces femmes, qui ont été des petites filles et sont devenues de jeunes
mères, comme tout secret véritable s'inscrit dans le corps érogène, ici, le corps
érogène de la relation précoce, la dyade mère enfant. Cette parole entendue révèle
" une marque de leur insuffisance, de leur imperfection, de leur manque qui doit
être à jamais oblitéré par le secret c'est à dire par le silence qui en est le garant ".
Je pense avoir été assez clair pour maintenir avec V.Smirnoff " une distinction capitale
entre les énigmes dont parle la psychanalyse qui appartiennent à l'ordre de l'inconscient "
et le secret qui d'un point de vue topique appartient au préconscient-conscient."
Habitué à manier les énigmes le psychanalyste se trouve désemparé face au secret. " Ecrit
Smirnoff. Le secret ressortirait-il alors du domaine de la psychothérapie médicale, de la psychiatrie ?
" Jamais le secret ne peut être confié à celui qui le convoite. Il faut bien, avant de pouvoir le dire, s'assurer de l'indifférence, éprouver la neutralité, voir le total désintérêt de l'autre ". D'où l'importance du cadre qui institue une séparation structurante qui garantit une parole libre dans le fait affirmer de n'être pas impliquer directement dans le soin de leur enfant.
Ainsi quand nous avons créé le PJA nous l'avons conçu avec un seul numéro d'appel pour deux services distincts et complémentaires :
Une permanence groupale Accueil-Psychothérapie ouverte deux soirs par semaine pour les jeunes 16-25 ans.
Une permanence Accueil des proches qui offre la possibilité de rendez-vous et de soin pour tout adulte qui formule une demande d'aide et de compréhension dans sa relation avec un jeune en difficulté. Mais un cadre semblable peut se réaliser en d'autres circonstances. Ainsi une femme au cours de son analyse, après que sa fille ai occupé un bon nombre de séances, en vient à me demander l'adresse d'un confrère. Ce qu'elle a pu faire entendre me paraît suffisamment grave pour que je réponde à sa demande. Je prends soin de lui donner le nom d'un collègue que j'estime pour ses compétences, suffisamment proche, mais avec lequel je n'ai aucun lien institutionnel ni amical. Dans les séances qui suivront je l'inviterais activement à parler de la période de la petite enfance de son adolescente. Je considère que cette pratique n'a en rien entravé le déroulement de son processus analytique qui se poursuit actuellement mais qu'au contraire elle a permis le dévoilement d'un matériel longtemps occulté.
L'histoire serait tenue au secret car trop indicatrice de la problématique narcissique et ambivalente. Si livrer son secret expose au danger narcissique pour ces mères blessées narcissiquement par la maladie de leur enfant, il s'agit bien d'un travail psychothérapeutique, pour les soutenir, les aider, dans cette phase que j'ai décrite où ne reconnaissant plus leur enfant elles ne se reconnaissent plus elle-même dans l'éprouvé de leurs affects pour celui-ci. Nous nous gardons bien d'interpréter leurs repères identificatoires, leurs désirs ou leurs fantasmes, afin que partager un secret puisse être une expérience vécue renarcissisante, pour leur permettre de récupérer une capacité à accompagner leur enfant dans leurs soins en retrouvant auprès d'eux les affects liants qui ont fait tant défaut dans la petite enfance. C'est bien sûr la limite de ce travail thérapeutique : vivre une expérience non dépourvue de transfert mais dans laquelle celui-ci n'est pas interprété directement.
Si j'ai évoqué cette problématique c'est que l'on peut légitimement s'interroger sur la place et le rôle de la doctrine psychanalytique dans le champ psychiatrique actuel balisé entre le social, les neurosciences et l'économique.
C'est aux psychistes (comme les appelait D.Anzieu) d'inventer des dispositifs soignants qui utilisent la disposition générale aux transferts découverte par Freud. Rappelons que le transfert est la chose la plus partagée au monde. Ces dispositifs soignants doivent répondre à une exigence : celle d'accueillir l'exigence de travail psychique corollaire de la pulsion. Cette exigence de travail psychique nous la concevons comme une exigence de mise en sens, de représentation, de mise en mots. Si interprétation il y a eu c'est bien d'interpréter le sens de l'acte de faire du secret. En cette occurrence c'est bien se positionner en tant que psychanalyste dans le champ psychiatrique car dans la cure analytique aussi il ne s'agit pas d'interpréter le secret en tant que tel mais le sens qu'a cette opération intra et inter subjective pour le sujet.
Notre dispositif est un dispositif qui différencie, qui sépare, qui inclut du secret. Il importe que le thérapeute se situe dans l'abstinence, le refusement, ici le refus d'intervenir directement dans le soin de l'enfant. Il appartient aux soignants d'apprendre à renoncer à tout dispositif totalisant, autosuffisant, afin de ne pas mélanger les registres, l'histoire des parents et celle de l'enfant. Il s'agit de ne pas rester coller à une théorie traumatique, de ne pas se situer dans une psychothérapie historique mais de tenir compte des énergies psychiques propre à chaque sujet singulier (cf : indice de réalité de l'insct et des constructions fantasmatiques).
Encore faut-il reconnaître au travail psychothérapique sa nature véritable qui n'est pas de combler les lacunes de l'histoire individuelle mais de tenter de donner du sens (sans fin) à l'énigme que constitue le désir (le wunsch, le désirer) et particulièrement l'énigme représentée par le désir maternel.
Secret structurant, secret mortifère par Elisabeth Bugglin
La force des choses a fait que ma participation au groupe de travail sur le secret a été à plusieurs reprises suspendue et, alors que j’ai été privée des échanges de mes collègues pendant leurs rencontres mensuelles, j’ai abordé les textes choisis en suivant mes propres associations autour du secret et de la crypte. En conséquence, je vous invite aujourd’hui à m’accompagner dans cette balade à travers la littérature.
En m’appuyant sur des textes de Pierra Aulagnier, j’aborderai les secrets nécessaires pour la formation du JE pour ensuite parler des énoncés effractaires maternels et de leur avenir dans la vie psychique de l’infans. Ceci m’amènera à parler avec Nicolas Abraham et Maria TOROK, des secrets extrêmement difficiles d’accès. Je tâcherai d’établir un lien entre ces secrets que j’appellerai noyaux mélancoliques et leurs agissements sournois en faisant appel à Sigmund FREUD, à Benno ROSENBERG et d’autres.
Commençons donc à parler des secrets structurants qui permettent la constitution du JE et l’apparition du langage.
1 - Le secret structurant
Le premier secret trouve ses origines dans la relation d’exclusion entre la mère et son nourrisson.
En effet, l’infans ne s’approprie que progressivement les fonctions du secondaire et leur mise en place ne peut se faire que sous l’influence des processus secondaires de la mère. De facto, les objets de rencontre et d’expérience de l’infans se transforment en produits hétérogènes appartenant à la réalité de celle-ci. Ils sont porteurs de sa charge libidinale.
L’objet qui s’offre comme seul matériau conforme au processus originaire et primaire de l’infans doit avoir subi une première transformation qu’il doit aux processus secondaires maternels. L’activité psychique de l’infans ne peut métaboliser l’objet que si le discours de la mère l’a doté d’un sens en le nommant.
Il doit alors métaboliser en une représentation de son rapport au monde ce qui lui provient de la psyché maternelle. Aussi, dès son origine, l’activité de l’être humain est-elle confrontée à un ailleurs façonné par le discours de la personne en face.
Le matériau proposé à l’infans remplit les exigences du refoulement maternel et l’infans le reconstruit pour le remettre dans sa forme archaïque dans laquelle la mère l’avait reçu en son temps. Le « déjà-refoulé » se transforme peut-être sous l’influence des pulsions sexuelles de l’infans en un « non-encore-refoulé » et par le refoulement originaire que ce dernier subira à son tour, il retrouvera une forme semblable à celle qu’il avait auparavant.
En revanche, dans le discours de la mère apparaîtront toujours des résidus empreints du principe de réalité qui résisteront à la transformation originaire et adaptative aux processus primaires de l’infans. Ils constitueront les précurseurs nécessaires à l’élaboration des processus secondaires et témoigneront de l’altérité et du discours de l’Autre. En conséquence, la problématique identificatoire reste basée sur la transmission d’un refoulé nécessaire à la construction du JE.
Le discours adressé à son enfant protège la mère contre un retour du refoulé de la composante sexuelle de son amour pour lui. Il représente ce qui, de son désir pour son enfant, a pu trouver une place dans l’admissible. Il exprime ses attentes pour son enfant et lui permet d’accéder à une image identificatoire avant que l’enfant puisse s’exprimer lui-même. Ainsi, la libido maternelle ne se détournera pas de l’enfant actuel pour faire un retour vers celui qu’elle a été elle-même et qui a souhaité un enfant du père. En effet, c’est ce désir qui a été refoulé mais derrière celui-ci se trouve encore le désir d’avoir un enfant de la mère.
Le discours de la mère est donc représentatif de ce qu’elle a pu réélaborer à partir de son vœu d’avoir un enfant du père. Il lui permet également la forclusion de son premier vœu qui est celui d’avoir un enfant de sa propre mère. Son discours lui prouve la victoire de son JE sur son refoulé. Le retour du refoulé de la mère signifierait l’appropriation de l’enfant par la mère ce qui est interdit.
Les aspirations de la mère pour son enfant, portées par le discours qui lui permet de justifier sa relation identificatoire et libidinale avec lui, empêchent l’irruption de ces désirs inconscients. En s’assurant que son propre enfant n’est pas la réalisation de ses désirs refoulés, elle garantit la transmission de l’interdit de l’inceste qu’elle a reçu elle-même.
Pour l’enfant, bien longtemps avant qu’il puisse exprimer ses velléités d’objet œdipien, l’intériorisation du vœu maternel lui signifie qu’il est interdit d’occuper la place de « l’enfant objet mythique » .
En confrontant l’infans à son histoire œdipienne refoulée, la mère induit chez celui-ci le refoulé à venir. Cette anticipation maternelle lui permet de s’adresser à cette dernière comme si son propre refoulement avait déjà eu lieu. Infans et mère partagent alors un secret qui trouve son origine dans le germe d’une structure primordiale qui sera chargée de « faire du secret » en assurant de refouler les désirs interdits dans l’inconscient. Le secret partagé avec la mère correspond à un désir qui ne pourra jamais être satisfait. Il pourrait se trouver à l’origine d’une zone illusoire qui protège l’enfant d’un vécu d’abandon et lui permettra l’investissement libidinal de son propre Moi.
L’acceptation du discours maternel conduit l’enfant à découvrir le mensonge de la mère sur ses origines. Par la même occasion, il découvre aussi sa capacité à mentir ou à garder secrète une pensée qu’il ne veut pas divulguer. Parallèlement, l’acquisition du langage lui permet de s’opposer aux effractions du désir maternel.
Ces secrets de l’enfant gardent leurs significations, ils pourront être partagés avec d’autres et ils peuvent être investis libidinalement. Ils sont donc nécessaires pour le démarrage des processus maturatifs du narcissisme et des relations objectales.
Que se passe-t-il lorsque le discours de la mère est empreint d'un retour du refoulé, lorsqu’il y a effraction de ce retour du refoulé dans l’espace psychique de l’infans ?
2 - Le secret mortifère
Si la mère ne différencie pas le fait d’être mère de la relation qu’elle-même a eue à sa propre mère, elle transmet à son enfant, à travers les énoncés de son discours, l’image qu’elle s’était construite du désir de sa propre mère pour elle. Or, l’interdit ne peut se transmettre que si la mère différencie l’enfant qui vient de naître de l’enfant mythique. Comment l’infans peut-il réagir lorsque la mère lui transmet sa propre excitation sexuelle ?
A notre sens, les énoncés maternels porteurs d’une charge libidinale trop importante ou témoignant d’un retour de son refoulé seront clivés parce qu’ils sont inutilisables pour la construction du refoulement constitutif. Toutefois, faisant partie des énoncés qui lui sont adressés par l’objet, l’infans se trouve confronté à un discours paradoxal qui, d’un côté, lui désigne ses désirs incestueux comme interdits mais qui, d’un autre côté, lui transmet des résidus non élaborés des désirs de la mère. Dans un premier temps, il se les approprie de la même manière que le matériau utilisable.
Alors que les énoncés structurants pourront être mis au profit de la duplicité, l’infans aménage par l’incorporation des énoncés partiels que nous qualifions d’objet partiel, un artefact qui le protège du trop d’excitation se rajoutant à ses propres stimuli pulsionnels. Cet artefact constituera un noyau inutilisable pour la construction du moi car le contenu incorporé s’oppose aux processus d’introjection. En effet, l’incorporation se caractérise par l’absence de signifiant qui reste l’attribut nécessaire pour une métabolisation réussie. Nous pouvons donc considérer cet artefact comme un dehors exclu à l’intérieur de l’espace du moi en construction. Il constitue un for intérieur dans lequel l’infans garde le secret de la transgression maternelle.
Les excitations venant de l’objet externe resteront ainsi tenues à l’écart et pourront être assimilées à l’objet externe partiellement incorporé. Elles constitueront un traumatisme pré-verbal dont la représentation a été écartée avec toutes les forces libidinales dont l’infans dispose.
L’incorporation ne subit aucune censure du principe de réalité. Aussi, la jouissance née des désirs maternels reste associée à ceux-ci et sera également inaccessible. En le rendant inaccessible, l’infans préservera l'objet interne partiel.
Parallèlement, les énoncés audibles seront introjectés et constitueront un objet interne fonctionnel conforme à son homologue externe. L’introjection de l’objet interne dérive d’une relation innocente, soumise au seul principe de plaisir, mais elle se trouve aussi à l’origine du dédoublement de l’objet et elle devient, alors que la duplicité se met en place, le témoin d’une relation non-innocente.
Lorsque l’épreuve de la réalité intervient et procède à des réajustements de l’objet interne, le processus de l’introjection devient une source de souffrance ce qui renforce la culpabilité inscrite dans la relation avec l’image maternelle. Cette culpabilité ne pourra pas effacer le plaisir dans lequel l’objet partiel a été incorporé. L’écorce du « noyau mélancolique » se consolide. Outre les désirs intolérables, il contient une jouissance indicible, interdite. Il renferme un désir mortifère qui, à un moment donné, a mis en danger le refoulement constitutif parce que les mots de l’interdit avaient perdu leur effet. L’incorporation de l’objet partiel témoignera d’une réalité externe qui a impliquée à un moment donné les instances interdictrices comme complices d’une jouissance née d’un désir interdit. Leur implication rend toute dénonciation impossible. La jouissance causée par le désir interdit a réellement été éprouvée, même si la réalisation n’est restée qu’imaginaire.
Il constitue un secret intrapsychique qui témoignera toujours que l’infans s’est protégé d’un traumatisme dû aux désirs non-élaborés de la mère. Dans ce sens, ce secret intrapsychique est aussi un secret interpsychique. Plus le discours maternel est marqué par le retour de son refoulé plus les éléments incorporés prennent de la place et exercent leur pouvoir non-psychisant. En quelque sorte, l’enfant sera envahi par l’objet partiel.
Le fonctionnement psychique de la mère et de l’enfant est désormais bâti sur le même modèle. L’homologie est basée sur le noyau mélancolique commun inaccessible d’un côté comme de l’autre. Néanmoins, le contenu de ces noyaux respectifs reste bien vivant et contamine le fonctionnement psychique de ces personnes.
Considérons brièvement la relation qui se crée entre un enfant et une mère structurés de cette façon.
L’enfant sera investi pour pouvoir répondre aux désirs de la mère. Il sera admiré comme une idole qui a comme tâche essentielle de lui renvoyer une image idéale. Ainsi, elle trouvera la satisfaction de ses propres désirs car elle-même est victime d’une absence de représentations pour une partie de ses désirs pulsionnels ou elle montre dans ses manifestations à l’égard de l’enfant qu’elle n’a pas pu élaborer sa propre sexualité infantile.
Le narcissisme primaire de l’enfant se construit alors en manquant de réponses objectales psychisantes. Leur absence sera interprétée comme un interdit représentationnel. L’objet partiel restant encrypté dans la psyché en tant qu’objet non-transformable provoquera alors une idéalisation d’un objet sans contours qui aboutit à la formation d’un idéal du moi très exigeant qui s’efforce d’enclencher la sublimation des pulsions libidinales. Toutefois, l’idéal du moi ne peut pas obtenir cette sublimation coûte que coûte car il s’agit d’un mécanisme de défense indépendant. L’ idéal du moi sera difficile à satisfaire une fois que l’état d’adulation réciproque cessera. Il sera alimenté par la culpabilité inscrite dans la relation avec l’image maternelle et soutenu par le plaisir dans lequel l’objet partiel a été incorporé.
En dépit de se tourner contre l’objet, il va s’attaquer directement au moi qu’il menace au bénéfice de sa propre jouissance qui continue d’agir sournoisement dans la psyché du sujet. Il n’incite pas à renoncer aux désirs incestueux, mais il interdit le désir. L’idéal du moi ne sévit donc pas au même titre que le surmoi qui défend la loi sociale et paternelle. Il ne protège pas contre les désirs incestueux. S’il interdisait le désir comme le surmoi, il serait au même titre que le moi menacé de mort.
Le moi en se soumettant aux exigences exagérées de l’idéal du moi est alors confronté à un paradoxe qui rend l’intégration et surtout la compréhension de l’interdit impossible.
Compte tenu du contrôle exercé par cette instance, libido et pulsion d’autoconservation ne peuvent plus être mises au service de la pulsion de vie. L’équilibre entre pulsion de vie et pulsion de mort est rompue. Le moi se protège de cet effet de désintrication par l’investissement libidinal narcissique plus important pour augmenter son potentiel d’autoconservation mais ceci au prix d’un appauvrissement de sa libido objectale. Progressivement le monde objectal sera abandonné d’autant plus que l’environnement continue à donner des réponses inappropriées.
Les sujets ainsi structurés ne ressentent pas de la culpabilité. A la limite, ils se disent malades et développent des symptômes mais ils n’expriment pas de sentiments de culpabilité. Celle-ci reste à un niveau inconscient.
Nous pourrions faire l’hypothèse qu’à partir du moment où le sujet commence à investir les objets externes, l’agressivité qui normalement est évacuée vers l’extérieur par la libido, ne peut pas être évacuée compte tenu de l’incorporation de l’objet partiel.
Elle se tournera vers le moi et sera associée à celui-ci. Elle constituera en quelque sorte un masochisme propre au moi qui réclame la punition de ses désirs interdits. Dans ce sens, il serait directement attaché à l’idéal du moi. Cette hypothèse semble être confirmée par l’attitude des patients qui, avec allégresse et plaisir, parlent de leurs transgressions, mais qui, à l’opposé, sont extrêmement cruels et excessifs dans les jugements qu’ils portent à leur propre égard. Il semblerait que le moi se soumet à son idéal en acceptant les attaques qu’il mène contre lui. En étant érotisée, la culpabilité peut être masochiquement investie et apporter une satisfaction essentielle au moi.
Le masochisme du moi agit alors à l’encontre des convenances afin de provoquer une punition, qui sera l’objet de sa vraie satisfaction. FREUD propose d’ailleurs l’expression « besoin d’être puni » (Strafbedürfnis) pour remplacer celle de « culpabilité inconsciente» (unbewusstes Schuldgefühl). Alors que cette dernière porte plus sur le sadisme accru du surmoi auquel le moi se soumet pour accepter la différence des générations et des sexes, la culpabilité inconsciente peut envahir le moi qui l’apaise en l’érotisant. Il paiera l’apaisement par son auto-châtiment et par des auto-accusations. Cette satisfaction masochique lui permettra des retrouvailles avec l’objet partiel.
En résumé, en l’absence du surmoi héritier de l’œdipe, l’idéal du moi, parce qu’il exige des défenses masochiques, peut être considéré comme le gardien du noyau mélancolique car il rend le secret qu'il renferme intouchable. Pour autant, ce fonctionnement n’exclut pas la présence d’un surmoi, mais les perspectives qu’il propose sont partiellement annulées pour laisser le champ libre au fonctionnement masochique.
Quel lien pouvons nous établir avec la mélancolie ?
Le masochisme feint de s’adresser au moi, mais il vise en réalité la resexualisation de sa relation avec l’objet partiel. En dirigeant sa haine érotisée contre le moi il risque de le mener à mort.
Le travail de mélancolie aura ainsi pour objectif de se détacher de l’objet partiel, mais il doit également aboutir à l’investissement d’un nouvel objet. Cependant, le sujet gardera toujours l’amour pour son objet incorporé même si c’est par le biais d’une identification narcissique. La haine éprouvée vise l’objet partiel, mais du fait de son inaccessibilité elle se retourne contre le moi. L’investissement narcissique et idéalisant de l’objet prend la place de la haine érotisée et permet que le sujet se détourne de son noyau mélancolique. En revanche, la culpabilité inconsciente continue à alimenter en permanence la haine qui en conséquence devient auto-punitif. Dès que le niveau masochique est atteint le sujet peut à nouveau se tourner vers un objet externe qui assurera le sadisme dont le moi aura besoin.
Le fonctionnement mélancolique devient ainsi le garant d’un équilibre entre pulsion de mort et pulsion de vie. Il lie la destructivité qui s’adresse à l’objet et qui se retourne secondairement contre le moi.
Secret et chambre noire par Christophe Matha
Comment restituer et surtout que restituer?
J’avais pensé évoquer l’effet d’une première participation à un groupe de travail, l’inquiétude renforcée par l’arrivée en deuxième année (serai-je à la hauteur de la confiance du secrétaire?), mais quel aurait été le lien avec le thème de travail?
Je propose donc de témoigner d’un effet du groupe de travail et du projet de restitution, sur ma compréhension d’une situation clinique.
En deuxième année la façon de travailler fut la suivante: Chaque participant proposait au groupe un ou plusieurs textes à lire puis en assurait une présentation ouvrant un débat, l’ensemble devant être accompagné d’une vignette clinique.
Ce dernier point causa quelques soucis. Exposer et confronter sa compréhension d’un texte ça passe; déposer sa pratique clinique c’est déjà plus difficile; articuler les deux en un tout homogène fut un exercice suffisamment éprouvant pour que nous soyons plusieurs soulagé de l’absence d’un deuxième tour l’année suivante.
Jean PEUCH-LESTRADE m’avait proposé de travailler la question des secrets de famille à partir des travaux de Serge TISSERON sur TINTIN. Ces lectures m’emmenèrent à découvrir le travail du même auteur sur l’image et tout particulièrement la photographie, non pas en tant que résultat photographique (l’image photographique) , mais en tant qu’action de photographier. Ces dernières lectures présentaient pour moi un double intérêt: d’une part j’aime photographier, d’autre part j’avais à l’époque une patiente passionnée de photographie. Je pensais donc naïvement avoir là ma vignette clinique.
La présentation commença donc par un résumé des déductions généalogiques de TISSERON sur HERGE à partir de l’ensemble de l’œuvre TINTIN. Ma part de participation théorique autour de la question du secret étant faite, je pouvais donc reprendre quelques remarques de Tisseron sur la photographie puis passer à l’exposé clinique.
C’est là que les choses se gâtèrent. Certes l’exposé clinique était insuffisamment préparé mais surtout il n’y avait pas le moindre secret à se mettre sous la dent. Le comble de la soirée fut pour moi le moment où, amusé, un participant supposa que ma patiente devait être une jeune et séduisante femme. Sur le coup j’interprétais cette remarque comme la pensée que je m’étais laissé séduire par une belle hystérique. Elle eu surtout l’effet d’une surprise, notamment en raison du physique de la patiente que j’avais gardé secret pendant l’exposé.
Cette dernière, obèse, quelque peu exhibitionniste certain jours, m’avait certes fait vivre des émotions contrastées, mais je fus surtout surpris par ce que je compris de la séduction qu’elle avait exercée sur moi.
Dans un premier temps rédactionnel, j’évoquais la vision de fessiers titanesques moulés dans des collants que me donnait parfois à voir cette patiente. Ces propos très imagés ont été entendus sur un mode péjoratif, presque discriminatoire par quelques membres du groupe de travail, au point que je décide de retirer cette formulation. J’ai finalement décidé de la reprendre. D’une part en témoignage de l’écart que je ressentais entre cette façon qu’elle avait de me parler d’elle, son visage, que son visage et cette imposante évidence qu’elle ne s’y réduisait pas, d’autre part et surtout de ce que le choix de ces mots témoigne et il me faut bien l’admettre de la séduction qu’elle a exercé sur moi.
Deux ans passèrent puis au terme du groupe Jean PEUCH-LESTRADE envisagea l’idée d’en restituer quelques-choses.
Que restituer de ma participation? Les traces me paraissaient trop fragmentaires jusqu’à ce que le souvenir de cette patiente et de la remarque de mon collègue s’impose mais cette fois ci sous la forme d’une question: Qu’est ce qui de mon discours avait laisser penser que cette femme puisse être une jeune et jolie femme? C’est à partir de cette question que ma réflexion pu se développer.
Aurai je été sourd à son désir d’être perçue comme une femme séduisante. Désir qui secrètement aurait infiltré mon discours et entendu par un tiers, non pris dans l’histoire transféro contre-transférentielle?
Notre rencontre était celle d’une passion commune, la photographie, passion s’exerçant certes dans des registres différents; magie et alchimie du travail de laboratoire en exploitant des techniques du 19ème siècle pour elle, enjeux du choix d’un cadrage, de ce qui est retenu ou exclu dans ces limites mais aussi du jeu avec la lumière en ce qui me concerne.
Il y avait aussi de la complémentarité dans nos intérêt, moi la prise de vue, la capture de l’image, elle sa transformation secrète et mystérieuse dans l’antre de la chambre noire.
Elle avait aussi deviné mon intérêt pour la photographie en repérant quelques unes personnelles dans mon bureau. Je me suis même laissé aller à ce qu’à quelques occasions nous parlions entre photographes.
Nous avions un autre point commun dans un tout autre registre.
Elle ne savait pas comment abandonner son métier de comptable pour se consacrer totalement à sa passion et en vivre. Son projet avec moi était donc aussi un projet d’accompagnement vers une évolution professionnelle plus conforme à ses désirs. J’étais moi même pris au même moment dans une problématique similaire d’évolution: comment de psychiatre et « psychanalyste amateur, voire sauvage» pouvais-je devenir psychiatre et psychanalyste?
Ces deux points me semblent créer les conditions de développement d’un secteur réservé du transfert tel que le définit Conrad STEIN à savoir: « une connivence avec le patient imputée par ce dernier, à tors ou à raison, au psychanalyste, imputation fondée sur la notion que ce dernier ne saurait manquer de souscrire au projet psychanalytique et de s’en porter garant au nom de la communauté qui proclame sa valeur ».
Ce secteur réservé est à entendre comme un élément faisant obstacle au processus psychanalytique, en ce sens où il conditionne la survenue d’éléments non analysé.
Cependant il est possible d’entrevoir cette connivence autrement qu’en tant qu’obstacle.
Victor SMIRNOFF pense « qu’un patient devrait posséder quelque chose qui permette l’investissement affectif et libidinal pour que le processus analytique puisse s’instaurer et qu’il faut, pour que le transfert s’instaure, qu’il y ait de part et d’autre une disponibilité libidinale suffisante »
Il est donc probable que cette passion commune pour la photographie ait servi de ferment au processus thérapeutique.
Au cours de ce travail élaboratif rédactionnel s’imposa rapidement l’évidence qu’il n’avait quasiment jamais été question du physique de la patiente, deux fois seulement. Par contre elle m’avait inondé de description d’autoportraits de son visage, images répétitivement floues de façon incompréhensible par elle. Ces photographies que je n’ai jamais vues elles m’en parlait au point que je pouvais progressivement me les figurer comme un album qu’on consulte d’une séance sur l’autre.
Elle avait commencé à me parler d’elle au travers du commentaire répétitif de ces images fragmentaires et floue comme une confirmation figurée du caractère fragmentaire et flou qu’elle avait de me parler d’elle.
En n’entendant pas suffisamment cette dimension fragmentaire qu’elle avait de parler d’elle même j’accompagnais sa résistance en créant les conditions d’un secret partagé.
Elle me parlait de ses images comme d’énigmes dont il nous fallait trouver ce qui y était caché. Elle parlait par images interposées, répétait par images interposées.
Dans un premier temps elle répétait l’évocation de deux séries d’images: celles floues de son visage ainsi que celles prises dans le jardin de ses grands parents maternels prises au grand angle et avec un petit pieds pour tenter de retrouver la perspective de son enfance (celle d’un lieu gigantesque vu de bas).
Je propose d’étudier un peu plus la question de ces images en les travaillants des deux points de vu successif: celui de la prise de vue puis celui de l’étude de l’image.
Le choix d’un cadrage c’est exclure ce qu’il y a au delà des limites. Limiter le cadrage au visage c’est exclure le reste du corps et sa force pulsionnelle. Exclusion qui se poursuivait dans le commentaire de ses photos, jamais il n’était question d’autre chose que de son visage. Je pense que la résistance à penser sa vie pulsionnelle se manifestait dès le cadrage.
Au cours des premières séances elle évoquera essayer à travers la photo mais aussi avec moi de découvrir tous les non dits de sa famille. Peut être me donnait-elle à voir son visage sous tous les angles pour que j’y trouve ce qu’elle n’y voyait pas.
Plus tard elle m’expliquera privilégier les cadrages où elle coupe les têtes, les excluant pour privilégier l’enracinement.
Le constat de la répétition de construction d’autoportrait flou était pour elle une énigme.
Selon Serge TISSERON « la photographie floue a le pouvoir de mobiliser une image dynamique de l’événement qu’elle représente. Elle inverse le rapport habituellement reconnu pour être celui de la photographie à la durée. Dans la mesure ou la photographie ne possède pas d’indice de temporalité, le flou est autant le signe d’un devenir que celui d’un effacement »(p76).
Étais-ce sa façon de témoigner du point où elle en était? Soit s’effacer et disparaître (elle est arrivée avec des fantasmes suicidaires pour le moins préoccupants) soit progressivement se construire une image en devenir.
Je l’ai probablement aussi entendu comme une façon de figurer la vie. Si c’est flou, c’est que ça bouge et donc que ça vit!
Serge TISSERON propose « qu’une image peut être élue parce qu’elle renvoie à un fantasme personnel ou comble un défaut de symbolisation dans sa propre histoire, mais aussi parce qu’elle comble partiellement un défaut de symbolisation dans les générations précédentes. Ce dernier cas concerne toujours des évènements réels vécus dans la douleur ou la honte par la génération des parents où des grands parents. »
L’exemple de cette patiente semble confirmer cette dernière hypothèse.
Me donner à voir son visage c’est aussi donner à voir celui de son père; elle est la seule à lui ressembler des 4 enfants. Le choix du cadrage centré sur la tête c’est faire le contraire de ses choix de cadrages usuels qu’elle associe à l’enracinement tant dans la terre que l’histoire familiale. Donner à voir un visage serait une métaphore de déracinement? En tout cas c’est le terme qu’elle employa pour parler du placement de son père à 2 ans dans une famille d’accueil du Jura Suisse à la séparation de ses propres parents.
Les photos du jardin des grands parents sont peut être à entendre comme métaphore d’un jardin secret, celui de ses désirs et plaisirs d’enfants.
Exprimer ses affects était presque un interdit familial, actif de la part de la mère à laquelle il fallait obéir, passif de la part d’un père silencieux. Elle se décrit comme une enfant murée dans son silence et ses rêveries jusqu’à 5 ans, âge à partir duquel elle aurait commencer à parler. Probablement fallait il qu’avec moi elle commence aussi à me parler par images interposées avant d’abandonner progressivement cette médiation.
La chambre noire, le labo est associé à une ambiance fœtale « un bain de lumière rouge et douce à la limite de la vision »
Le noir et blanc est clairement associé chez elle à la question de la mort et de la vie, lumière qui donne vie aux images. « Les morts sont vivants en moi, comme si la mort n’existait pas» dira-t-elle en pleurant. L’image serait peut être aussi une tentative d’extraire d’elle même des représentations visuelles.
La photographie est un interdit maternel. Sans enfant c’est après un avortement qu’elle « s’y lance à fond » elle dont le destin projeté par la mère était d’avoir des enfants.
Dans la même séance elle évoquera sa mère étouffante puis « tout ce que je fais en photographie c’est à moi, je le garderai » Identification à sa mère tout en s’en démarquant au travers de la réalisation d’un interdit.
Remonter le temps et se questionner sur les origines en allant voir les photos anciennes dans le placard de ses grands parents, puis plus tard les garder, c’est à la fois l’expression d’une pulsion voyeuriste accompagnée de l’effraction d’aller voir dans le placard.
La question du secret est donc à entendre sur deux plans bien distincts:
-Celui de la souffrance de son père dont elle porte secrètement la trace.
-Celui de ses pulsions et désirs (notamment voyeurisme) mis au secret par l’interdit maternel mais aussi pour rester fidèle au pacte amoureux avec son père.
Serge TISSERON pense que « L’acte de déclencher mobilise des résonances inconscientes du coté d’un imaginaire de l’inclusion réciproque du monde et de soi, et de la transfiguration de celui ci. Tout photographe rêve de reconstituer par un simple « déclic » l’unité essentielle de l’objet et du sujet, du monde et de son spectateur. »(p169)
Dans le cas de l’autoportrait objet et sujet sont confondus. Pour cette femme ce choix fut probablement une tentative unificatrice tant en elle même qu’avec son histoire.
Il est aussi pensable que cette rencontre a pu tenir parce que je la percevais entière, elle qui ne se percevait pas telle.
Secret et identité : entre étrange et familier.. par Christiane Ebendinger-Cury
Je ne reviens pas sur la notion de secret travaillée par Claude Alombert. Je vais essayer de développer la notion d’identité, et le lien entre secret et identité.
L’identité
Jean Guillaumin dit que l’identité est ce qui assure la cohérence et la persistance d’une structure. « c’est un ensemble stable et organisé de caractères de la personnalité qui permet à un individu de se re-connaître et aux autres de le re-connaître »(1)
L’identité suppose une capacité d’investissement de soi, qui implique un sentiment de familier, qui donne une sécurité par rapport à son propre fonctionnement, qui implique une sorte d’alliance avec le sentiment d’être qui on est.
La répétition intervient dans la formation de l’identité dans la mesure où elle est la source d’une réassurance quant aux fondements de la personne.
Pour WINNICOTT, il y a un lien évident entre les concepts de « secret », « sacré » et « identité », il souligne qu’il existe au cœur de chacun un espace de secret qui est incommunicable : « chaque individu est un élément isolé en état de non-communication permanent, toujours inconnu, jamais découvert… Au cœur de chaque personne se trouve un élément de non-communication qui est sacré et dont la sauvegarde est très précieuse »(2). Cet espace secret et sacré, il le met en relation avec l’aire du jeu, où les phénomènes transitionnels prennent leur origine, où se localise l’expérience culturelle.(3)
Il insiste sur ce moment sacré qui est celui où la personne se trouve en contact avec son espace interne, intime, son espace de secret. Le thérapeute doit être particulièrement attentif à ce « moment sacré » : « celui où l’enfant se surprend lui-même, et non celui où je fais une brillante interprétation ». C’est le moment où l’enfant prend conscience de son fonctionnement psychique et découvre ses secrets.
Ce qui est sacré, c’est l’espace où se fonde la personne –donc l’identité- et où naît la vie créative.
MARGOLIS(4) souligne qu’il est nécessaire qu’une personne puisse avoir le sentiment d’être à part des autres, séparée, individuelle, voire unique pour pouvoir éprouver un sentiment d’identité du Moi. La séparation physique, les frontières du corps et de l’espace, contribuent au sentiment d’être séparé, différencié des autres dans le sens psychologique. Mais être séparé d’un point de vue psychologique implique que la personne a des pensées et des sentiments dont les autres n’ont pas connaissance, c’est-à-dire des pensées et des sentiments secrets. L’enfant ne se sent pas indépendant ou séparé des personnes qui lui sont proches malgré la séparation spatiale. C’est seulement lorsqu’il commence à pouvoir choisir de conserver un savoir sur lui-même, à avoir des secrets qu’il peut se sentir séparé et indépendant. Choix et contrôle sont indissociables et interviennent dans la formation du secret.Les parents jouent un rôle important dans la possibilité et la capacité de leur enfant à pouvoir avoir des secrets. Ils l’encouragent à devenir autonome et à avoir des activités propres qu’ils ne contrôlent pas, qu’ils ne connaissent pas. Ils vont également lui apprendre qu’il est des comportements, des paroles, des sentiments que l’on n’expose pas en public, que l’on tait ou que l’on cache.
Des parents qui exigeraient de leur enfant qu’il leur dise « tout », qui lui feraient sentir qu’il est mauvais d’avoir des secrets pourraient lui donner l’idée qu’eux et les autres peuvent lire en lui, qu’il est transparent.
1 - J. GUILLAUMIN.
2 - Processus de maturation chez l’enfant, p. 161.
3 - Jeu et réalité, p. 143.
4- -Gérald MARGOLIS, Identité et secret, p. 131.
Les secrets peuvent être de nature manifestes, d’autres sont inconscients.
Au-delà du secret manifeste, d’un fait qui est volontairement caché, il se trouve d’autres secrets dont le sujet lui-même n’a pas connaissance, dont il n’a pas conscience, qui sont du domaine de l’inconscient.
FREUD fait une analogie entre le secret chez le criminel et le secret chez l’hystérique. Chez les deux il y va d’un secret, de quelque chose de caché, mais il souligne la différence : « chez le criminel, il s’agit d’un secret qu’il connaît et qu’il vous cache, chez l’hystérique, d’un secret qu’il ne connaît pas non plus lui-même, qui se cache à lui-même ».
Pour MARGOLIS(5), il y a deux motifs pour lesquels le névrosé rend des faits, des pensées inconscientes :
La personne veut garder les secrets dont elle craint la révélation, elle fait en sorte qu’ils ne puissent lui échapper accidentellement. Si elle ne connaît pas ces fait, elle ne pourra les laisser échapper par inadvertance, cela relève du refoulement.
Le deuxième motif est que la personne veut garder secret un aspect de sa personnalité parce que les parents les désapprouvent, sans s’en rendre compte, elle adoptera leurs valeurs concernant ce secret. Il s’agit d’incorporation des objets parentaux, d’identification avec l’agresseur et de formation du surmoi.
LAPLANCHE et PONTALIS relèvent que du point de vue topique dans la première théorie de l’appareil psychique, FREUD décrit le refoulement comme le maintien hors de la conscience, mais FREUD n’assimile pas l’instance refoulante à la conscience comme MAGOLIS semble le concevoir. Cette notion « activiste » du refoulement peut sembler un peu trop caricaturale, comme si la personne pouvait décider consciemment de maîtriser ce processus et choisir ce qu’elle refoule ou non…
Criminel ou névrosé ?
Pour illustrer le lien entre l’espace secret et l’identité, l’histoire de cet homme d’une quarantaine d’années rencontré dans une maison d’arrêt.
La prison, c’est le lieu ou le détenu est « mis au secret » : il est mis au cachot, soustrait, caché au monde extérieur et celui-ci lui est également caché.
Il est dépossédé de son identité : un numéro d’écrou l’identifie. Parfois il s’identifie même à ce numéro d’écrou, lorsqu’il écrit au service médical pour demander un rendez-vous, parfois il oublie de signer et seul son no d’écrou ou son no de cellule permet de connaître l’auteur de la demande.
Dans le milieu carcéral, au mieux il est appelé par son nom, mais la particule « Monsieur » n’existe plus. Souvent il se fait tutoyer par les surveillants, et par les autres détenus….
5- -Identité et secret, in « Du Secret », Nouvelle Revue de Psychanalyse, no 14, 1976.
Donc lorsque je vois pour la première fois cet homme, il me dit que de toute évidence je dois le connaître, savoir qui il est, savoir pourquoi il est là… (ce qui n’est pas le cas), il n’aura donc pas besoin d’en parler... et il reste muet. Comme si toute son histoire pouvait être contenue dans un éventuel dossier que je serais allée consulter, ou dans les faits qui lui sont reprochés, Il se vit comme transparent, comme si je pouvais lire en lui, comme s’il ne pouvait de toute évidence pas avoir de jardin secret.
Ce n’est d’ailleurs pas lui qui a demandé à rencontrer une psychologue, mais l’équipe médicale qui, le voyant mutique et prostré, craignait un passage à l’acte de sa part.
Au fil des semaines, il dira qu’il est l’aîné de 3 garçons, avoir grandi dans une famille très unie, en garder de bons souvenirs, il insiste : « nous étions tous pareils ». Il a du mal à préciser des souvenirs comme s’il n’y avait rien de particulier à dire de son enfance, comme si tout avait été uniforme. Aucune représentation ne viendra –égayer-/–étayer- ses souvenirs, comme s’il n’y avait aucune image de son enfance.
Il n’a jamais vu ses parents en désaccord ; lui-même ne s’est jamais « chamaillé » avec ses frères, il dit qu’il n’y avait aucun motif de discorde : « mes parents nous aimaient tous pareils ».
Pourtant, même s’ils vivent tous dans la région proche, il n’a pas vu son père et l’un de ses frères depuis plusieurs années. Plus tard, il décrira son père comme quelqu’un de très autoritaire, qui agit toujours à la place des autres, ne leur demandant jamais leur avis, ne les laissant rien faire de leur propre initiative, c’est la raison pour laquelle il ne le voit plus. Occasionnellement il rend visite en secret à sa mère, lorsque son père est absent.
Après plusieurs mois, il dévoilera avec peine que lui et sa femme partagent un secret : il n’est pas le père de l’aîné des 3 enfants du couple : lorsqu’il a connu sa femme elle avait déjà un enfant de 2 mois. Personne ne le sait. « c’est mon fils car son père ne l’a pas reconnu, il a 12 ans maintenant, mais il ne saura jamais la vérité », Nous pouvons d’ailleurs nous demander quelles seront les conséquences de ce secret concernant la filiation, sur l’identité de l’enfant.
Il insiste : « je les aime tous pareil mes enfants » comme si à nouveau ces enfants devaient être absolument identiques… comme s’il fallait qu’aucune différence ne les sépare, comme si chacun d’entre eux n’avait pas d’identité propre.
Il parlera plus tard du délit pour lequel il est incarcéré : il a pris dans sa voiture une auto stoppeuse. La trouvant sympa car elle l’écoutait attentivement, il a voulu simplement s’arrêter dans un endroit calme pour parler avec elle. A un moment il a cru qu’elle lui faisait des propositions, il n’a pas compris qu’au contraire elle protestait, voulait partir et refusait catégoriquement tout contact physique…. Comme s’il n’arrivait pas à concevoir que quelqu’un puisse penser différemment, avoir un désir différent du sien…
Il a d’ailleurs des difficultés à exprimer tout désir, ce n’est pas lui qui demande un entretien psychologique, il ne sait pas se déterminer ensuite quant à la fréquence de nos entretiens « c’est comme vous voulez ».
Il se surprend à avoir pu manifester du désir vis-à-vis de cette auto-stoppeuse, plus encore d’avoir pu ressentir du désir, cela le surprend d’autant plus qu’il s’agit d’une étrangère, une femme qu’il n’avait jamais vue.
Pour une fois qu’il tente d’exprimer un désir, il rate son but : il n’a pas pu préciser ce qu’il voulait : simplement parler avec cette femme, comme si son désir inconscient se traduisait par un acte manqué ?
Il ne se reconnaît pas «ce n’est pas mon genre… moi qui ai été scrupuleusement honnête toute ma vie, je suis un homme droit, ma femme je n’avais jamais imaginé que je pourrais la tromper un jour ». Il se trouve étrange, inquiétant, effrayant : « c’est moi et ce n’est pas moi ». Il se demande quelle est sa vraie personnalité : l’homme sans histoire(s) qu’il a toujours cru être ou le criminel arrêté par la justice ?
FREUD dans l’inquiétante étrangeté « das Unheimliche »(6) note que « Heimlich » est un mot dont la signification évolue en direction d’une ambivalence, jusqu’à ce qu’il finisse par coïncider avec son contraire « unheimlich ». Il va du familier, du confortable au caché, dissimulé, voire au démoniaque. Serait unheimlich tout ce qui devait rester un secret, dans l’ombre, et qui en est sorti(7).
Cette jeune femme l’a accusé de viol, les examens médicaux ont montré que cela était inexact. Devant le juge d’instruction, il garde secret ce qui s’est réellement passé, ne cherchera pas à dévoiler la vérité. Il a signé la déposition et reconnu le viol qu’il n’a pas commis, s’estimant de toutes façons coupable.
Il a avoué des faits qu’il n’avait pas commis. Avouer c’est déclarer que l’on reconnaît être l’auteur de quelque chose en lien avec une faute. L’aveu soulage le sentiment de honte et la culpabilité qu’il ressent vis-à-vis de ce qu’il a pu faire ou seulement penser. Reik(8) emploie le terme de « compulsion d’aveu » : c’est une force intérieure, par laquelle le sujet est amené irrésistiblement à accomplir certains actes et à laquelle il ne peut résister sans angoisse.
Nous pourrions rapprocher la compulsion d’aveu, où le sujet ne peut s’empêcher de « dire », du passage à l’acte ou il ne peut s’empêcher de « faire ». Le but des deux mécanismes (dire et faire) étant de supprimer l’état de tension interne, compulsion d’aveu ou passage à l’acte sont des mécanismes de soulagement.
Nous ne pouvons parler de l’aveu sans évoquer la contrainte extérieure qu’est la torture, aveu et torture son fréquemment associés. Le condamné avoue sous l’effet de la torture : « Il confessait tout… même les choses qu’il avait réussies à garder secrètes… il racontait toute l’histoire de sa vie… le plus petit détail de sa vie était mis à nu… »(9).
Ce patient avouait-il des actes qu’il n’avait pas commis car il se sentait torturé par un sentiment de honte, par de la culpabilité, et avouer ces faits qu’il n’avait pas commis lui permettait de se débarrasser de ces sentiments ?
6 - P. 211.
7 - P. 222.
8 - Théodore REIK , Le besoin d’avouer, p. 76.
Avait-il un doute sur ce qu’il a réellement fait ? Comme s’il ne se connaissait pas suffisamment lui-même, comme s’il avait été surpris d’être capable d’actes (et même de pensées) auxquels il n’avait jamais pensé ?
Ou voulait-il se donner une identité, remplir de faits importants une vie trop banale ?
Ce patient me demandait comment, en tant que femme, je pouvais réagir lorsqu’il me parlait du délit qui avait entraîné son incarcération… Avais peur de lui ? Etait-il vraiment aussi monstrueux que l’image que lui renvoyait le juge sur lui-même ? Il semblait chercher ma compréhension et en quelque sorte une espèce de pardon sans jugement... comme s’il se confessait….
Conclusion : Criminel ou névrosé ?
Je ne répondrai pas à cette question, l’un n’excluant pas l’autre. Pour terminer, je citerai Paul-Laurent ASSOUN(10) qui dit « est-il bien sûr que le criminel sache ce qu’il cache –sous prétexte qu’il n’ignore ce qu’il fait- ? Il y a certes la question de l’établissement des faits et de la responsabilité : mais on sait que le crime lui-même peut être pétri de culpabilité –ce que Freud étiquettera chez les criminels par « conscience de culpabilité » dont il a soin de préciser qu’ils n’épuisent pas la population pénale ».
Le passage à l’acte de cet homme a pu être une tentative de se re-situer par rapport à lui-même, d’accepter d’avoir en lui des zones d’ombre, des secrets qu’il ne connaît pas. L’arrêt, l’enfermement (du fait du cadre contenant), la « mise au secret » a entraîné pour lui une remise en question de son identité. Il a pu peu à peu apprendre à parler, à élaborer le concept de « différence », à séparer « lui » de l’ « autre ».
Homosexualité et Institution psychanalytique par Rosa Jaïtin
Les origines de cette réflexion
L’origine de ce travail a été la réflexion théorico-clinique dans notre groupe autour du secret et mes recherches sur l’inceste fraternel commencées en 1998.(11)
J’ai repris quelques éléments de la cure d’un patient homosexuel pour travailler la relation entre le déni de l’homosexualité dans une équipe de travail et l’effet miroir sur le groupe d’enfants, dans lequel un enfant a été incesté.
Je présente une petite vignette clinique pour aborder la question. Le suivi d’un patient homosexuel en analyse m’a permis de repérer que l’homosexualité, dans certaines conditions, pouvait être une façon de résoudre le désir incestueux entre sœur et frère, comme solution pour l’économie du lien. Joaquin a trente-cinq ans. Il se situe dans sa fratrie entre deux sœurs. La cadette est hospitalisée en psychiatrie de manière récurrente. Lors de l’une de ses hospitalisations, elle confie à son frère qu’elle est amoureuse de lui. Cette révélation va permettre que son désir pour sa sœur soit mis en lumière. Elle est son double comme sujet débordé pulsionnellement par la folie. Folie et homosexualité constituent la façon qu’ils ont trouvé de rester ensemble face aux parents. Face à une mère défaillante, déprimée, une mère morte vivante ; face à l’absence d’un père mort très jeune (quand Joaquin avait 14 ans) ainsi qu’un oncle maternel qui s'est suicidé le jour du mariage de ses parents. Faire un choix homosexuel lui permet d’éloigner sa sœur d’un péril mortel par la crainte de la répétition de l’histoire du lien fraternel de sa mère.
Le fantasme d’inceste fraternel dans ce cas peut se lire comme un inceste homo érotique, sans différenciation de sexes, en tant que surinvestissement du complément sexuel phallique : la sœur pour le frère, le frère pour la sœur. Il permet à la fratrie de réveiller la mère morte et en même temps de faire le passage de l’homo érotisme à la bisexualité. Le fantasme d’inceste fraternel chez Joaquin et sa sœur était un constat, le constat de l’absence de la mère, du père et de l’oncle maternel. Ce mode de résolution du complexe fraternel a une valeur défensive : il protège de la parentalité morte. Il permet donc de réveiller les parents morts. Dans le cas de mon patient, tuer les parents était le passage nécessaire à la différenciation entre maman et papa, ce qui lui a permis d’élaborer le problème de la bisexualité adelphique (fraternelle) de l’avoir ou ne pas avoir, pour assumer la problématique d’être un sujet qui s’identifie comme tel, un sujet homosexuel actif, pour reprendre les mots de Ferenczi.
9 - Georges ORWELL, 1984, p. 345..
10 - L’inavouable inconscient, Topique no 70
11 - Jaitin, R. (1998), "La groupalité fraternelle mise à l'épreuve par l'inceste et la ruptur
e familiale", Thérapie Familiale Psychanalytique, variantes techniques, in Le divan familial, Paris, Press Éditions ; 1- 120-136.
Révisions des théories sur l’homosexualité et de l’homo-érotisme
A / Le premier aspect est la question du fraternel et du spéculaire.
Déjà Freud en 1900 soulève, dans le processus du rêve, la question de l’homosexualité dans le lien fraternel.
À propos des phénomènes de déformation dans le rêve, deux attitudes homosexuelles différentes sont mentionnées : d'une part celle d'une relation anale avec un frère aîné dont le patient pourrait attendre un don de puissance mais qui demeure dominé par la violence, et d'autre part une relation, elle, d'allure spéculaire et bénéfique où le frère devient une représentation de soi-même projetable comme avantageuse dans le miroir.
L’apport principal de J. Lacan à la compréhension du fonctionnement homo-érotique demeure sa communication en 1936 (12) sur le stade « du miroir ». Celle qui lui précédait en 1933 concernait l’étude du crime commis par deux femmes de chambre. Il y voit un exemple de manifestations de violence qu'il relie à un fonctionnement affectif d'ordre homosexuel.
Il est d'ailleurs possible d'entendre dans le même sens le texte de la pièce « Les Bonnes » que J. Genet tirera de l'observation rapportée par J. Lacan.
Lacan (1938) décrit dans sa thèse le complexe fraternel dans la paranoïa d'autopunition comme structure psychopathologique déterminée par une fixation à la relation fraternelle de l'enfance.
Mais il abandonne la notion de complexe fraternel pour la théorie du stade du miroir et de la relation spéculaire narcissique qui pourrait donner à penser que l'ancrage fraternel n'a rien de spécifique.
A l’opposé R. Kaës (13) va insister sur la spécificité du complexe fraternel.
R. Kaës décrit ainsi la bisexualité adelphique. Elle concerne d'abord le fantasme bisexuel, c'est à dire androgyne, en relation avec l'imago maternelle originaire bisexuelle toute puissante, dangereuse, qui correspond à l'angoisse d'intrusion phallique.
Les métaphores sur le jumeau, introduites par W. Bion sur le jumeau imaginaire et par De M’Uzan., complètent la compréhension du spéculaire.
Pour Bion, l'invention du jumeau remonte bien à des expériences très précoces et traduit surtout l'incapacité du sujet à tolérer un objet qui n’est pas entièrement soumis à son contrôle. C'est dire l'importance du versant défensif.
Les travaux de M . De M’Uzan (13) sur le jumeau dit paraphrénique comme sujet transitionnel, renvoient à des éléments encore plus archaïques qu’on peut bien comprendre dans le roman de Philippe Besson « Le garçon d’Italie ».
12 - Lacan J.(1938), Les complexes familiaux,in Bibliothèque des Analytica , Paris, Navarin, Editeur.
B / La deuxième question serait l’homosexualité comme défense face à la question du traumatisme (soit d’inceste, soit de défaillance ou de perte ou de mort parentale )
Pour H. Deustch (1932) (14) la perversion homosexuelle est pré-oedipienne
1 - Par ailleurs, aux E.E.U., H. Bergler et L. Eidelberg en 1933 (15) ont soutenu que l’homosexualité masculine avait pour origine un conflit oral : derrière le désir homosexuel pour le pénis de l’objet homosexuel se trouvait un désir inconscient, caché, de l’obtention du sein maternel. Les auteurs soulignent la constance d’un facteur traumatique. A côté du fantasme il y a toujours des facteurs de la réalité extérieure.
M. Langer (1969) et L . Ravscovky en Argentine ont tenu les mêmes propos.
2 - Pour C. Chiland (1999) (16) l'homosexuel, dans sa quête érotique d'un partenaire de même sexe, exprime le manque dans la relation d'attachement dont il souffre par rapport à ce parent de même sexe ; ce n'est pas nécessairement une défaillance du parent, c'est ce qu'a éprouvé le sujet.
3- Une troisième source constitue la recherche d’A. Green sur les fondements de la relation homoérotique à l'objet, qui a pu mettre en valeur certaines hypothèses kleiniennes précisées plus tardivement par Winnicott quand celui-ci insiste sur les effets pathogènes d'une mère qui se montrerait soit trop absente, soit trop envahissante, soit trop précocement séductrice dans un registre déjà œdipien, et bien sûr trop agressive. Et voilà que le deuil blanc de la mère induit le deuil blanc de l'enfant, enterrant une partie de son Moi dans la nécropole maternelle.
A. Green s'est beaucoup intéressé à la représentation de la mère génératrice d'un sentiment de narcissisme primaire unique mère/enfant au sein duquel l'imago paternelle n'aurait pas encore de place spécifique. L'enfant serait considéré et se considèrerait comme la composante manifeste de la complétude narcissique maternelle. Or l'homoérotisme constituerait l'une des défenses possibles face aux angoisses dépressives pour un sujet dont l’amour maternel n’est pas objectalisé ou bien où il y a des représentations parentales phalliques.
C / La question de l’homo-érotisme nous permettra de finir de situer la question comme non différenciée de la sexualité.
S. Ferenczi (17) (1914) propose d'utiliser le terme d'« homoérotisme » afin de mettre en évidence l'aspect psychique des courants pulsionnels en cause et d'éviter des malentendus d'ordre biologique.
Il estime que l'homoérotisme de sujet constitue un « véritable sexe intermédiaire » alors que l'homoérotisme d'objet correspondrait plutôt à un simple recul d'ordre névrotique.
Dans les deux cas, nous resterions dans une optique prégénitale et narcissique encore en quête de primat de la sexualisation et encore en échec dans cette direction. Il s'agirait cliniquement dans ces dernières formes surtout de modèles dépressifs (ou antidépresseurs) de personnalité. En approfondissant ces axes de recherche, la question serait de savoir si la paranoïa, largement travaillée par Freud, ne serait pas une défense face à un « noyau dépressif central » , pour reprendre E. Pichon Rivière.
13 - De M’Uzan M., « L’identité et la question du double », in , n Revue Française de Psychanalyse, T. LXIII, Paris, PUF, 1999, 1135-1151.
14 - Deuch H ( 1932) L’homosexualité chez les femmes », in Psychanalyses, Paris, Payot, 149-165. névroses
15 - Bergler E. « La respectiva importancia de la realidad y de la fantasía en la génesis de la homosexualidad femenina », in L’homoex5/10/03ualidad femenina, all : Ravscovsjy A., Langer M. et autres, Buenos Aires, Rodolfo Alonso Editores, 1969.
16 - Chiland C. « L’identité sexué, in Revue française de psychanalyse, Identités, Paris, PUF, Tomme LXIII, 1999, 1252-1262.
Quels ont été les obstacles épistémologiques au sein du mouvement psychanalytique qui ont empêché de faire avancer cette ligne de pensée ?
Je reviens à notre groupe de recherche sur le secret. Le verbier de l'homme aux loups y est apparu un bon paradigme de la méconnaissance du complexe fraternel sur la scène institutionnelle.
De mon point de vue, le groupe d’analystes de Wolfman pourrait être considéré comme une topique transférentielle diffractée, où l’encrypté pourrait être déchiffré progressivement dans les différentes scènes du lien transferentiel groupal-institutionnel.
C’est un pacte dénégatif entre le groupe analytique et le patient. L’institution analytique est un terrain fertile des secrets institutionnels cryptés permettant à Wolfman de traduire la dramatique de son groupe interne.
La multiplication du semblable (les cinq loups du rêve et le chiffre six, ré-écrit comme cinq) comme forme de figuration du lien fraternel est interprétée par S. Freud comme une phobie (crainte du père) laissant de côté le versant érotogène de la relation fraternelle dans le rêve.
La fratrie est un médiateur familial pour le déchiffrage transgénérationnel du traumatisme, pour la compréhension de la souffrance des liens familiaux potentiellement psychotiques.
Le noyau dépressif est à la base du lien fraternel (nouvelle naissance qui réactualise la propre naissance, la séparation-identification à l’état de frère abandonné).
Le complexe d'intrusion, ou complexe fraternel, correspondrait au fait que le sujet découvre son semblable, lequel peut le priver d'un lien dont il s'estimait l'unique destinataire. La venue du frère oblige le sujet à affronter l’expérience de la reconnaissance de l’existence d’un autre.
Mais la naissance du frère mobilise aussi la pulsion de savoir car elle facilite la pensée sur l’origine.
L’activité de penser assure au Moi fraternel la possibilité de différenciation et d’autonomie de la relation parentale.
L’activité de la pensée fraternelle s’organise comme un espace de secret et je prends le secret dans le sens que lui donne Piera Aulagnier, c’est-à-dire le droit à pouvoir penser. Le lien fraternel se construit comme un espace potentiel de penser(18). Il se constitue comme une ligne de démarcation entre le lieu privé du fantasme et le lieu partageable de la communication de l’idée. Frère et soeur sont la première ligne de démarcation entre un double intérieur : celui du lien fraternel et celui du lien familial. C’est l’intérieur d’un extérieur des liens parentaux dont la fratrie est exclue (de la scène originaire).
17 - Ferenczi S. (1914), L’homoérotisme : nosologie de l’homosexualité masculine », in Psychanalyse 2, Paris, Payot, 1970.
Mais la qualité syncrétique, indifférenciée, passionnelle du lien fraternel, peut dériver en un passage à l’acte de l’émotion pouvant amener à recréer la propre scène originaire (passage à l’acte dans l’inceste ou l’incestualité).
Ce mouvement de passage du fantasme au réel transforme l’espace du secret comme celui de la pensée du Moi fraternel en non-pensée. C’est dans ce sens qu’Abraham-Torok analysent la réalité du traumatisme dans son statut métapsychologique.
La “réalité”, en tant que notion métapsychologique, en tant que résultat d'une dénégation, implique dramatiquement un procès d’assises avec tous ses protagonistes : un accusé, un juge, un défenseur, un accusateur et un corps du délit. Et le sujet se situe comme observateur d’une pièce de théâtre où se met en scène le fantasme. Tout ceci apparaît représenté dans les analyses successives de L’Homme aux Loups parce que le traumatisme a besoin d’un autre groupe pour pouvoir s’exprimer et se contenir.(19) Les problèmes se présentent comme des obstacles à penser quand les groupes n’arrivent pas à se penser dans les liens intertransférentiels, boîte de résonnance, outil de travail du champ de la psychanalyse, dans son status intra, inter ou transpsychique.
La question à se poser est de savoir si la difficulté à comprendre le groupe d’analystes comme objet libidinal n’a pas mis en difficulté la compréhension de la bisexualité fraternelle et de l’homoérotisme présente dans les liens groupaux et institutionnels. Et la difficulté d’analyse de l’intertransfert groupal a mis en difficulté l’avancée de la théorie. Les effets du “pacte dénégatif" entre les fondateurs de l’institution psychanalytique, en particulier ce qui est dénié et refoulé par les analystes, acquièrent les caracteristiques d’un refoulement originaire.
Mon hypothèse est que l’homosexualité serait un mode de résolution du complexe fraternel. Le groupe mobilise particulièrement cette problématique qui n’est pas prise en compte dans les institutions psychanalytiques.
18 - Castoriadis-Aulagnier(1976). P.”Le droit au secret : condition pour pouvoir penser”, in Nouvelle Revue de Psychanalyse N°14,141-157.
19 - Kaës R. (1994). La parole et le lien-Processus associatifs dans les groupes, Paris, Dunod, 168-169.
Les analystes et l’homosexualité
Les problèmes d’homosexualité ont été malmenés dans les associations psychanalytiques. La psychanalyse et l’homosexualité ont eu des rapports difficiles.
R. Roughton (20) psychanalyste homosexuel, refuse trois hypothèses sur la question des homosexuels traitée par la société psychanalytique. La première hypothèse serait qu’on ne peut pas être homosexuel et affectivement mature. La deuxième hypothèse erronée serait qu’on peut généraliser à la population homosexuelle dans son ensemble, ce que l’on observe chez des patients homosexuels qui demandent un traitement. Il essaie d’argumenter avec l’absence de données statistiques. La troisième hypothèse énonce : toute psychopathologie trouvée chez un individu homosexuel est attribuée à son homosexualité. Les analystes l’ont souvent traité comme une maladie qui se soigne.
A la suite de cet article, C. Botella(21) signale qu’il y a différentes homosexualités : une homosexualité manifeste, agie et une homosexualité latente ou refoulée, selon leur topique ou selon des critères psychopathologiques ; ou selon des critères énoncés par Ferenczi : un homo-érotisme de sujet ou subjectif et un homo-érotisme d'objet.
En fait, nous devrions plutôt parler de l'homosexualité, non seulement en employant le pluriel : les homosexualités, mais surtout en termes de processus avec des teintes, celles d'un nuancier, d'un spectre de l'homosexualité allant du plus narcissique au plus objectal, en étroite liaison avec l'ensemble de l'organisation psychique du sujet selon que celle-ci est à prédominance spéculaire ou représentationnelle.
Pour A et T, le concept métapsychologique de réalité renvoie dans l'appareil psychique, au lieu où le secret est enfoui.(22) Elle se définit donc comme ce qui est refusé, masqué, dénié en tant -précisément- que « réalité », comme ce qui, d'autant qu'il ne doit pas être connu, est, en un mot, définit comme un secret. Ce déni de la réalité dans les ensembles intersubjectifs a été nommé par R. Kaës “pacte dénégatif”, comme opération de refoulement, de déni ou de rejet(23) .
20 - Rougthon R. (1977), « La cure psychanalytique des homosexuels hommes et femmes », in Revue Française de Psychanalyse, Identités, 4, Paris, PUF, Tome LXIII, 1281-1301.
21 - Botella César (1997), »L’homosexualité(s) : viscissitude du narcissisme », in in Revue Française de Psychanalyse, Identités, 4, Paris, PUF, Tome LXIII, 1309-1313-1317.
22 - La topique réalitaire- Notations sur un métapsychologie du secret in Abraham- Torok “L’écorce et le naoyau
23 - Kaës R. (1999) « Les alliances inconscientes », in Conférence Bordeaux, APSYFA, 11-12-99.
Mais le pacte dénégatif comporte deux niveaux d’analyse : le premier se réfère à une négativité relative fondatrice des liens intersubjectifs, structurant du lien, espace d’étayage et qui a permis de créer un espace psychique fondateur de la psychanalyse. Mais le pacte dénégatif dans sa dimension de négativité radicale transmet l’interdit de se situer comme sujet désirant d’un semblable. Le tiers n’est pas au début un tiers sexuel ; le tiers prend la forme d’un double narcissique. Les obstacles épistémologiques du mouvement psychanalytique ne peuvent pas s’expliquer simplement par l’histoire intrasubjective de Julius, le petit frère de Freud, mort à 18 mois. La dimension du sujet de l’inconscient est une condition nécessaire mais pas suffisante pour comprendre la complexité de l’inconscient dans ses dimensions de sujet de groupe, de sujet de culture et de sujet politique.
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L’Aveu par D. Geay
Freud , très tôt, a eu le souci de dissimuler sa vie à ceux qui auraient l’intention de faire une biographie que, pourtant , il appelait de ses vœux, comme si sa vie entière avait été marquée par le double désir d’à la fois annoncer et taire. Peut-être aurait-il souhaité que le désir, reconnu et élaboré dans l’après-coup, de réussir là où un paranoïaque échoue se réalise magiquement sans incarnation de sa personne dans sa théorie. Mais le paradoxe de sa découverte est que, justement, sa théorie se différencie de la philosophie par l’exigence latente que la secondarisation, en tant que masque, ne peut pas jouer son rôle d’instrument de découverte si elle (la théorie ) veut la réussite de sa fécondité interne. Cette exigence de passer par la reconnaissance des enjeux qui ont façonné chaque structure subjective s’impose à tous les niveaux de l’exercice de la psychanalyse : dans sa propre analyse, dans la théorisation, dans la formation des analystes, aussi bien pour l’institution que pour le superviseur et le supervisé.
Freud a inventé et transmis une technique dont la règle fondamentale est de tout dire par le jeu de la libre association, sans taire aucune des pensées qui peuvent paraître inintéressantes, agressives, indécentes etc., etc. Autant dire une technique fondée sur l’aveu de ce qui constitue l’intime structure d’un sujet. Cet aveu de son intime, Freud , s’il l’a fait avec Fliess, par exemple, a toujours refusé de le faire avec ses disciples et ensuite au sein de l’institution psychanalytique qu’il a, après sa découverte, créée sous la forme première du comité secret afin qu’elle soit perpétuée dans sa « pureté ». C’est dire qu’en même temps que la psychanalyse était inventée la question de la résistance à la psychanalyse était posée par son propre inventeur.
Si on examine les origines étymologiques du mot aveu, il est intéressant de constater qu’il y a une différence importante entre l’origine du mot français « aveu » et de sa traduction allemande « das Geständnis ». En français, « aveu » vient du latin advocare, avouer, c’est à dire reconnaître quelqu’un pour seigneur ; la connotation de soumission est évidente. En allemand, « Geständnis » dérive du verbe « gestehen » , avouer, qui vient du vieil allemand « gistan », s’arrêter, accorder, concéder ; dans cette étymologie là, si l’aspect de soumission est également contenu, l’accent est mis aussi sur l’aspect de découverte et de connaissance que porte le mot « Geständnis ». En effet s’arrêter devant une chose et la considérer et, se faisant, découvrir que ce que l’on observe est différent de ce que l’on était habitué à entendre ou à croire, a une valeur épistémophilique active que n’a pas le mot français, tout entier dans la soumission et la passivité ; et selon que l’on est allemand ou français, le narcissisme ne l’entend pas de la même oreille. Cela pourrait expliquer que pour le narcissisme de Freud le mot ait en quelque sorte une double valence conflictuelle : d’un côté un sentiment de honte à cacher, et de l’autre un sentiment de découverte précieuse valorisante narcissiquement à annoncer. Quoiqu’il en soit Freud décide d’annoncer la découverte qu’il a faite , et de taire d’où elle venait, car cela aurait été le dévoilement de la genèse de son inconscient. Comme je l’ai dit plus haut, Freud crée une institution, officiellement pour assurer la propagation de la psychanalyse, en fait pour la défendre et empêcher qu’elle ne soit mort-née.
Cette institution naît donc dans une crise, du fait de Jung (non analysé ), qui refuse de faire l’aveu de sa déviance analytique parce qu’il remet en cause le bien fondé du complexe d’Œdipe ( « comment croire que l’on puisse être amoureux d’une femme aux jambes entourées de bandes molletière ? » ). Si je puis dire, Freud se tiendra pour dit cette aventure vécue comme un traumatisme et ne s’y laissera plus reprendre comme le cas Rank le démontrera. En effet, Rank ( analysé, lui) publie son livre « Le traumatisme de la naissance » qui implicitement fait rien moins que de passer à la trappe le complexe d’Œdipe. C’était évidemment inacceptable pour Freud, et Rank sera obligé d’aller à Canossa et, dans un entretien-analyse avec Freud qui tiendra plus de la confession que de l’analyse, obligé, pour ne pas être exclu, de reconnaître qu’il n’avait pas effectué son analyse correctement et celle, notamment, de son complexe fraternel, ce qui la empêché d’écouter la voix bienveillante de ses « frères » en psychanalyse (les membres du comité secret dont Rank faisait également partie ) qui le mettaient en garde contre ses erreurs. Ce sera la première fois et, comme on le verra, non la dernière que sera liée la qualité de l’analyse du théorisant à la qualité, recevable ou non, de sa théorie analytique. L’ Institution psychanalytique est donc née, par le jeux de l’imaginaire et des forces de résistance à la psychanalyse, d’un comité de surveillance.
Dans ces conditions se pose la question de l’évolution et de la transmission de la psychanalyse et de sa technique. C’est bien cette question qui est à l’œuvre lorsqu’il y a scission dans une société analytique et il est vrai que cette transmission s’effectue selon des modalités particulières à chaque institution. A la SPP par exemple, après entretiens avec des membres de la société qui donnent ou non leur accord, la formation s’effectue avec un contrôle individuel et un contrôle collectif , faits dans le même temps ; parallèlement à ces contrôles est suivi un cursus de type universitaire qui donnera lieu à l’écriture d’un mémoire. La soutenance de ce mémoire attestera que le savoir enseigné a bien été acquis dans l’orthodoxie de la théorie. Au IVème Groupe, la formation s’effectue avec deux analyses que nous nommons IVème , (deux analyses effectuées l’une après l’autre, ce qui a des conséquences évidentes sur la durée de la formation) et la participations à différents groupes de travail et/ou des séminaires à l’issue desquels auront lieu des sessions inter-analytiques, puis une session habilitante, pendant lesquelles l’aspirant à devenir membre aura à faire part de sa pensée analytique avec et à des membres du IVéme groupe qui jugent d’une part de l’état des connaissances acquises et d’autre part si au travers des analyses IVéme les points obscurs de sa propre analyse ont été débusqués.
Dans ces deux figures ainsi décrites,( qui dans les deux cas sont des projections de ma part puisque je suis analyste en formation au IVème Groupe et que donc je ne connais, ni la formation de la SPP, ni le stade final de ma formation qui sera représentée par les sessions inter-analytiques et habilitante), dans les deux cas donc se posera la question de la qualité psychanalytique de la pensée de l’aspirant à devenir membre et donc du bon déroulement de son ou ses analyses. Dans les deux cas également, c’est des conditions de la transmission de la psychanalyse dont il s’agit et de l’autorisation de transmettre à son tour la psychanalyse au sein d’une institution. Et c’est dans ces différents cadres qu’aura à se déployer la pensée de l’analyste en formation. Pensée qui par delà son aspect spéculatif et secondarisé, doit pour assurer sa fécondité analytique, s’opérer dans un mode utilisant au mieux la technique de l’association libre enseignée par Freud, c’est à dire dans une pensée qui devrait être idéalement dégagée des processus projectifs et des pulsions du narcissisme pour avoir accès à son altérité. Dit autrement, la créativité des analystes et la possibilité de mettre en œuvre l’aspect mutatif de la psychanalyse ( Freud : la théorie ne saurait être ni dogmatique, ni close ) se fait dans les rets croisés de l’institution et de l’inconscient des analystes soumis à ce que Kaes a nommé le pacte dénégatif . L’aveu celé dans un mouvement d’auto-censure fait alors secret, secret qui a comme conséquence d’être un empêcheur de transfert. Ce qui est quand même un comble dans une société analytique…
L’exemple de Maria Torok et de Nicolas Abraham me semble illustrer de manière exemplaire les problématiques qui viennent d’être exposées succinctement. Et en liminaire, pour insister sur la nécessité pour les analystes de ne pas celer leur inconscient s’ils veulent faire œuvre de psychanalyse, je citerai les mots de J. Derrida à leur sujet : « ce qu’elle fut pour eux, ils le résument en le désignant, mais ne tentent pas , comme cela se fait si souvent, de le soustraire à la lecture, pour le décompter de la scène. Ils l’offrent même, quelque part, à une tierce oreille. Pour se sauver, la force de leur double désir n’est pas moins partie de la scène ». Torok et Abraham font donc l’aveu de ce qui de leur inconscient les a mené à leur théorie. Le nom de ces deux analystes est attaché de manière indissoluble à celui de l’Homme aux loups. A partir du texte de Freud « histoire d’ une névrose infantile » d’une part, et des récits qu’on faits les analystes qui ont succédé à Freud dans l’analyse de l’Homme aux loups, notamment Ruth Brunswick, d’autre part, ils ont élaboré le concept de crypte qui donnera lieu plus tard au texte emblématique de la « Topique réalitaire », concept qui suppose une autre métapsychologie et partant une autre technique psychanalytique. De manière mythique, selon leur propre mot, c’est à dire de manière originelle, il leur fallait venir à bout de l’analyse de Wolfmann. Deux personnes en une troisième, c’est ce que Freud ne pouvait percevoir qu’inconsciemment avant « Deuil et mélancolie » . Ce qui pose la question de la genèse d’une telle configuration intérieure. C’est alors que Torok et Abraham posent leur hypothèse sur la scène originaire : la sœur de Wolfman reproduit avec lui une scène sexuelle qui aurait eu lieu auparavant avec le père.Ce faisant elle imprime au plaisir provoqué une signification de castration. Et, continuent Abraham et Torok, ce que cette conjoncture apporte, « c’est d’une part la référence au père, et d’autre part la jalousie châtrante de la sœur séductrice ». Deux inconnues nécessaires pour justifier comment lors de la séduction, la crypte a pu s’installer au sein du Moi. ( note de Torok et Abraham : « nous entendons par Moi, l’ensemble des introjections et par introjection, la rencontre de la libido avec les innombrables instruments possibles de sa manifestation symbolique.). « Dès lors une telle incorporation de la sœur se comprend comme la seule manière de lui faire cumuler deux rôles incompatibles : celui de l’idéal du moi et celui de l’objet d’amour…. Grâce à l’incorporation, l’insoluble conflit de l’agressivité et de la libido put quitter l’objet et se transporter au sein du Moi. Et c’est dans la structure même de son Moi, c’est à dire l’ensemble de ses introjections que l’Homme aux loups devait en porter la marque indélébile. Conséquence immédiate : séduit par la sœur comme le père était supposé séduit par elle, il ne pouvait se soustraire à une seconde incorporation, celle du père et dès lors son propre pénis d’enfant ne devait plus cesser de coïncider en secret avec le pénis paternel. D’où cette double exigence contradictoire : que le pénis du Père ni ne périsse ni ne jouisse. Dans tout autre cas, lui l’Homme aux loups, se trouverait anéanti. ».
Avec cette scène reconstituée, les auteurs se trouvent devant une autre énigme : où est passée la métapsychologie ?. Pourtant personne ne saurait se passer de métapsychologie disent-ils, mais tout se passe comme si l’Homme au loups s’était évadé de la métapsychologie, que les mots pour la dire manquaient par la volonté de la crypte qui veille . Je reprend la citation : « Encore fallait-il rendre aux mots leur valeur, aux rimes leur raison, aux paroles leur vérité. Oui, il y manquait l’efficace de la métapsychologie : Lieu, Force, Bénéfice. » Nous étions déroutés. Le lieu n’était pas l’Inconscient, la Force n’était pas le refoulement et le Bénéfice… on pouvait toujours y aller voir ! » Et pourtant, continuent-ils : « nul n’échappe à la sorcière. ». Et c’est bien le paradoxe, chez l’Homme aux loups on ne trouve qu’ un faux inconscient et un faux refoulement. Pour rendre aux mots leur valeur et aux paroles leur vérité, ce sera la technique tirée de la théorie de l’anasémie qui leur permettra de réintroduire la métapsychologie.
Pour donner une idée de cette technique qui consiste à aller à rebours du mot, voici deux exemples tirés du « Verbier » : d’abord concernant le rêve des loups et de leur nombre. Le premier chiffre annoncé par l’Homme aux loups est six qu’il corrige ensuite en sept, alors que le dessin n’en comporte que cinq. Soupçonnant que les corrections sont révélatrices de ce que la crypte ne doit à aucun prix laisser échapper, Torok et Abraham cherchent dans leur dictionnaire russe : six en russe « chiest » qui renvoie à « chiestiero » et « chiestierka » qui signifient « les six », un « lot de six » . Se souvenant de l’allemand «schwester », « sœur », ils regardent à ce mot et trouvent que « sœur » en russe se dit « siestra » avec comme diminutif « siesterka ». Et alors disent-ils : « il devint clair que le lot de six loups ne contenait pas l’idée de multiplicité mais bien celle de la sœur. »
Deuxième exemple : la scène de la laveuse de parquet que Freud relate dans son texte : Torok et Abraham se demandent s’ils ne pourraient pas la rapporter à la séduction par la sœur qui lui aurait fait des attouchements qu’il aurait pu qualifier de frottement. Ils trouvent le mot « tieret » qui contient également la signification d’écorchure( rapport avec le bouton sur le nez et le rêve du gratte ciel) . « le rébus du gratte- ciel : c’est l’association du loup( la sœur) avec un plaisir sexuel obtenu par frottement ». On voit aussi qu’on est loin de l’interprétation freudienne qui y voyait le rappel de la scène primitive effectuée « a tergo », et qui expliquait selon lui les conditions de la puissance sexuelle de l’Homme au loup. Pour Torok et Abraham, le coït « a tergo » est le rappel, par le biais de l’image de la laveuse de plancher, du frottement excitant exercé par la sœur.
L’anasémie ne se contente certes pas d’aller à rebours. Pour exister, elle doit faire le récit du mythe originaire qu’elle débusque. Derrida souligne que le relais entre les mots n’est plus sémantique, mais tient à une contigüité lexicale et qu’ainsi les mots sont désaffectés de leur fonction.
Comme on le voit, l’application d’une nouvelle pratique analytique est étroitement liée à une nouvelle métapsychologie, celle que requiert le traitement de la mélancolie selon Torok et Abraham. Et l’un ne va pas sans l’autre. Nous touchons bien là à l’aspect non clos de la psychanalyse et des conséquences que cela peut entraîner dans la pratique de la cure. J. Derrida que j’ai déjà cité, philosophe, familier de la psychanalyse, mais non-analyste, interroge fermement la communauté analytique dans la préface intitulée « FORS » qu’il a écrite pour le « Verbier de l’Homme au loups ». Avec l’anasémie c’en est fini des métaphores faciles de la psychanalyse, on peut ajouter que c’en est fini également de la neutralité bienveillante. Quand il s’agit de faire avouer le « crime réalisé » du mélancolique, de lui extirper son secret, on s’y prend autrement qu’avec le fantasme de transgression de l’hystérique : « il ne faut pas tenir le mot de crypte comme une métaphore ( fini les métaphores faciles de la psychanalyse ). Par là le premier objet de la psychanalyse est perdu ».
A ce deuil annoncé, comment réagit l’institution à laquelle appartenaient Torok. et Abraham., en l’occurrence la SPP : je peux d’abord rapporter ce que j’ai entendu, c’est à dire que le propre analyste d’Abraham disait qu’il ne fallait pas l’accepter comme membre, car il était paranoïaque, et surtout ce qu’en dit R. Major dans un article inclus dans un livre consacré à M.Torok et N. Abraham où il fait part de l’ interdiction qui a été faite à Abraham d’enseigner à l’Institut, lieu de formation de la SPP, interdiction qui ne sera levée que lorsque Major deviendra directeur de l’Institut. Ensuite, en lisant entre les lignes de la Revue française de psychanalyse, je me hasarderai à faire l’hypothèse d’une passe d’arme feutrée et cryptée entre Torok et Abraham d’une part, et Denise Braunsweig, passe d’arme qui se fait à travers la personne de Strachey. Dans l’Avant-propos intitulé « La cassure », d’un article intitulé « Les mots magiques de l’Homme aux loups » paru en juin 1971 dans la R. F. P., Torok et Abraham écrivent à propos d’ « Une histoire d’une névrose infantile » : « l’exposé est miné d’une incrédulité sournoise…… Ce n’est pas par hasard, comme le signale Strachey, que parallèlement à l’approfondissement à ce cas, Freud se préoccupe d’un champ apparemment éloigné. Puisque aussitôt des vues nouvelles se font jour et, dès la fin de 1914, trouvent expression dans une première esquisse de « Deuil et mélancolie ». Nul doute que le génie de l’Inconscient se cherche là les chemins que le polémiste doit refuser sur l’heure ». Ici polémique sonne comme résistance à l’analyse, et peut-être, y-a t’il polémique chez D.Braunsweig lorsque dans la livraison suivante de la RFP en septembre de la même année, numéro consacré à la Réalité où Torok et Abraham publient « la Topique réalitaire » , D. Braunsweig cite à son tour Strachey au sujet de la réaction thérapeutique négative ( et l’Homme aux loups en a connues…) pour dire que Strachey confond plusieurs notions. Je ne sais si D. Braunsweig a raison, n’ayant pas lu l’article de Strachey en question. Mais on peut entendre, et c’est là une hypothèse de ma part, que Strachey est ici combattu comme intermédiaire face à Torok et Abraham et que « la Topique réalitaire » est une autre forme de réponse à D. Braunsweig. En effet, l’allusion à « la hauteur de vue » du rapport de Braunsweig peut être entendue comme ironique.
En conclusion, on peut revenir à la position inaugurale de Freud : sa découverte ne peut se passer de l’aveu ( et par aveu, on peut entendre l’ensemble de la règle fondamentale ) car l’analyse des propres structures inconscientes de l’analyste conditionne les avancées ultérieures de la théorie, mais la nécessité devant laquelle l’a mis l’irruption de la dissidence de Jung et de Rank, le conduit à mettre en place des structures institutionnelles qui iront à l’encontre de la souplesse psychique nécessaire à la spéculation analytique. Les propres résistances de Freud créaient de la résistance à la psychanalyse. Car dans le bref parcours que nous venons de faire, on peut distinguer trois types de démarches psychiques : l’échappement à la psychanalyse avec Jung, l’aspect de contamination de la pensée par les projection de l’inconscient avec Rank, et enfin la poursuite de la découverte de la théorie (que Freud appelait de ses vœux), avec N. Abraham et M. Torok. Cette mutation de la théorie non close donnant alors lieu à une résistance à la psychanalyse de la part de l’institution.
Institutions psychanalytiques et secrets par Jean Peuch-Lestrade
Cette réflexion se situe dans la continuité d'un article (2004) écrit suite à mon intervention à Bordeaux lors des journées scientifiques du IVe Groupe sur la question des décisions du psychanalyste. J'y développais entre autres, l'idée que la psychanalyse entre en "politique" autour de la constitution de Jung en tant qu'ennemi (en référence à la théorie politique du sulfureux Carl Schmitt qui nous dit que la politique naît lorsqu'apparaît la figure de l'ennemi) ; Jung ennemi, dont l'amitié a été dénoncée comme transfert, ceci aura par la suite des conséquences importantes sur le fonctionnement des institutions psychanalytiques dans leur manière de concevoir les relations entre les analystes.
La double naissance du comité secret et de l'IPA est ancrée dans la rupture Freud Jung .
Et la version officielle nous dit que, si Jung ne peut assumer la fonction d'autorité que Freud lui propose de prendre pour lui succéder à la tête du mouvement psychanalytique, c'est pour la raison qu'il présente une pathologie en lien avec un complexe paternel insuffisamment analysé qui seule peut expliquer sa trahison .
Les autres hypothèses que feront d'autres analystes comme Winnicott à la lecture de l'autobiographie de Jung, qui propose de penser que Jung présentait une psychose infantile, ne viendront ensuite que renforcer la première hypothèse freudienne.
Je me suis demandé pourquoi le secret était présent à ce carrefour de la perte de l'ami Jung pour Freud, et de l'entrée de la psychanalyse dans une dimension institutionnelle d'emblée à double face , celle de l'IPA et du comité secret. Nous verrons comment cette dimension institutionnelle se déploie dans une logique politique et/ou dans un registre religieux.
Si je suis particulièrement attentif à ce carrefour c'est d'abord parce qu'il impose à Freud de passer sur la question de la transmission de la psychanalyse d'une logique filiale et unique à une logique plurale et non familiale. Ainsi les anneaux distribués sont évoqués par Sophie de Mijolla (2002), comme étant la reprise avec les membres du comité secret d'un désir de "mariage" avec Jung qui n'a pas été possible.
Mais, d'autre part ces questions me semblent toujours à l'oeuvre dans le fonctionnement de nos sociétés analytiques à l'heure actuelle.
La piste que je suivrai sur la question du secret dans ses rapports avec la psychanalyse est d'abord celle du traumatisme :
Jung a été victime enfant d'un abus sexuel, dont il parle dans une lettre à Freud en janvier 1907. Ce peut être l'une des hypothèses (et je voudrais remercier ici Pierre Sabourin de me l'avoir indiquée) qui permet d'expliquer pourquoi il n'est pas possible à l'amitié de Freud et de Jung de se terminer autrement que de la manière brutale dont elle s'est terminée. Et si cette hypothèse donne raison à Freud quant à l'interprétation transférentielle qu'il fait de leur rupture, ça n'est peut-être pas pour les raisons qu'il suppose (ou pas uniquement) mais parce que se rejoue dans le transfert sans être analysé un scénario de maltraitance. Je vous invite ensuite à me suivre dans les conséquences institutionnelles de cette histoire :
Dans cette lettre à Freud (49J du 28 10 1907), Jung explique sa "paresse quand il s'agit d'écrire... L'une des causes doit être cherchée [...] dans des causes affectives, pour lesquelles vous avez trouvé le terme superbe de "complexe d'auto conservation".... Il nous dit que ce complexe lui a déjà joué des tours lors de l'écriture de son livre sur la démence précoce.... "Ce complexe vient de ce que ma vénération pour vous [il dit aussi qu'il éprouve à son égard une admiration sans bornes] a le caractère d'un engouement passionné "religieux", qui, quoiqu'il ne me cause aucun désagrément, est toutefois répugnant et ridicule pour moi à cause de son irréfutable consonance érotique. Ce sentiment abominable provient de ce qu'étant petit garçon j'ai succombé à l'attentat homosexuel d'un homme que j'avais auparavant vénéré [....]. Ce sentiment [...]me gêne fortement. Il se manifeste aussi en ce que j'ai pratiquement de la répugnance pour les rapports avec les collègues qui transfèrent fortement sur moi [...]. Je crains donc votre confiance".
Puis Jung, dans la lettre suivante ( 50J du 02 11 1907), revient sur l'interprétation d'un rêve qu'il avait fait alors qu'il était à Vienne avec Freud : il y voyait Freud marcher à côté de lui "sous la forme d'un vieillard extrêmement âgé et fragile.". Et alors que Freud avait cherché la solution sur le terrain de complexe de concurrence, Jung avait trouvé l'interprétation juste : "mon rêve me rassure quant au +++ danger que vous représentez !". En reprenant les trois croix dans son écrit, trois croix que Freud avait coutume d'utiliser dans la correspondance pour évoquer la sexualité, Jung voit dans ce rêve la preuve que Freud ne lui veut aucun mal dans le registre sexuel. (24)
Mais que répond Freud à cette question du transfert religieux induit par l'attentat homosexuel ?
Il faut noter que la réponse de Freud manque, elle est perdue.Quelques lettres plus loin seulement, dans la première présente dans la correspondance (52F du 15 11 1907), Freud signale l'horreur qu'il ressent à être l'objet d'un transfert de type religieux : "les nouvelles au sujet de vos événements intérieurs sont rassurantes à entendre ; le transfert en provenance de la religiosité me semblerait particulièrement fatal ; il ne pourrait en effet se terminer que par la démission, à cause de la tendance générale des hommes à tirer sans cesse de nouvelles copies des clichés qu'ils portent en eux. Je ferai donc mon possible pour me faire connaître comme inapte à servir d'objet de culte, et vous pensez probablement que je m'y suis déjà mis.". À cette période tout va encore très bien.
Puis les choses se gâtent progressivement jusqu'à ce que finalement, autour de la double question de la sexualité infantile (sic) et des origines de la religion, la rupture vienne se consommer. Nous sommes en 1913. Quelques années après la fondation de l'IPA(1911) et celle du comité secret dont l'idée de la création proposée par Jones rendit Freud enthousiaste .Il lui écrit le 1 Août 1912 : "L'existence et l'action de ce comité devraient rester absolument secrètes (c'est Freud qui souligne)".
Avant cette période, Jung se met à écrire sur la question de l'origine des religions et Freud se met au travail sur le même thème que Jung peu après celui-ci pour écrire ce qui va devenir Totem et tabou. Il écrit à Ferenczi qu'il a trouvé la solution avant d'avoir même passé en revue la littérature sur cette question : tout peut se réduire au complexe d'Œdipe ; et Totem et tabou viendra mettre cette hypothèse en place.
Freud est alors persuadé que Jung va trouver la même chose que lui. Alors que Jung savait d'avance que l'expression de sa divergence lui coûterait l'amitié de Freud : "Quand j'arrivais au chapitre sur le "Sacrifice" (sic), je savais d'avance qu'il me coûterait l'amitié de Freud. " (Susanne Kacirek 2002).
24 - Ces trois croix qui sont indiquées en note comme ayant été rajoutées renvoient à une lettre précédente dans laquelle il était question des critiques de Freud sur son livre sur la démence précoce. On comprend que le complexe d'auto-conservation dont parle Jung renvoie à la diplomatie qu'il a mis en œuvre pour éviter les critiques de ses collègues allemands . Et si Freud, dans cette lettre, dit être d'accord avec "beaucoup de choses contenues dans votre livre" il souligne comment Jung saute "une composante à laquelle bien sûr j'attribue une bien plus grande valeur que vous en ce moment ; vous savez, la +++ sexualité" . Et encore en note, il est expliqué que ces trois croix rappellent celles qui sont tracées à la craie à l'intérieur des portes des maisons paysannes, pour conjurer le Mal.
Freud en est tout à fait conscient aussi puisqu'à l'occasion de sa quatrième rédaction de Totem et tabou qu'il tient au secret par rapport à Jung , il confie à Ferenczi : " dans la dispute avec Zurich, cela viendra à point, cela va nous séparer comme fait un acide avec un sel" (Susanne Kacirek 2002).
Nous voyons déjà là comment la question du secret au plan institutionnel peut-être relié à celle de la religion au plan théorique, même si la théorie concerne l'origine des religions et non celle des transferts religieux !
Et je voudrais simplement noter à la suite de Sophie de Mijolla (2002), que Freud semble ignorer totalement la formation dialectique des théories et comment après la rupture, il passe sous silence (ainsi que Jung d'ailleurs) les nombreux apports au plan théorique que leur amitié a produit. Et elle note du côté de Freud une liste impressionnante comme par exemple les mémoires du président Schreber,, les échanges de deux hommes au sujet de l'approche psychanalytique des psychoses ou tout le domaine de la mythologie.
Mais pour Freud il s'agissait de se doter d'un successeur qui allait pouvoir débusquer l'hérésie et pouvoir dire : "Ceci n'est pas psychanalytique" mais il ne s'agissait en aucun cas d'accueillir les opinions divergentes de celui-ci.
Puis la piste que je suis devient mystico-religieuse :
L'abandon de la théorie de la libido dans Métamorphoses et symboles de la libido, le texte de Jung, est présenté aux freudiens que nous sommes comme un "péché mortel". Il me semble que nous pouvons comprendre que c'est cette théorie de Jung qui est mise à l'index, ou plutôt mise au secret (en grec(mystikos) qui va nous donner mystique) dans un contexte où je propose de penser que la religion évacuée du côté de la théorie de Jung revient au niveau institutionnel à travers la création du comité secret. Jean-Pierre Chartier a finement analysé le fonctionnement de type religieux des sociétés analytiques dans sa dernière conférence au IVe Groupe à Paris. Et même si je ne le rejoins pas quand il propose de différencier l'IPA du côté du religieux et les lacaniens du côté d'un fonctionnement mystique, ce qui me semble trop rapide, je souscris par contre tout à fait à la lecture religieuse qu'il fait du fonctionnement institutionnel de nos sociétés analytiques. Et au fond, dans ce propos d'aujourd'hui, j'arrive à la religion par la mystique sans m'attacher à les différencier .Car ce qui m'importe c'est de souligner comment ce fonctionnement me semble être en lien avec cette question du "transfert religieux" que Freud ne supporte pas.
Et si le secret me semble fondamental à prendre en compte au moment de ce passage pour la psychanalyse vers la pluralité, c'est qu'il me semble au cœur de la manière dont nous pouvons concevoir l'institution analytique sur un modèle politique et/ou sur un modèle religieux. Le second va qualifier d'hérétique toute pensée hétérodoxe, ce qui permet aux fidèles de ne pas avoir à se faire leurs propres idées. Au fond d'autres s'en sont chargés avant eux. Ainsi, combien sommes-nous d'analystes freudiens à n'avoir pas lu une seule ligne de l'oeuvre de Jung à part pour certains la correspondance Freud-Jung qui fait partie de l'oeuvre freudienne ? Sans doute la majorité !
C'est bien là que fonctionne la mise au secret et la nécessité d'un modèle religieux et non politique et c'est autour de Totem et tabou que la rupture s'organise (cf ante) Mais Totem et tabou organise aussi les relations des analystes freudiens entre eux sur un modèle tyrannique familial établi par le mythe qui sera ensuite revu et renforcé par le Moïse. Car Totem et tabou en même temps qu'il est une réponse à Jung sur la question des origines de la religion, fonde entre nous le modèle des relations entre les analystes.
Et c'est ainsi qu'à la fin de mon parcours, la piste devient politique :
car cette dimension religieuse sous-jacente est mise au secret en même temps qu'elle fonde le passage au politique dans la désignation de l'ennemi que devient alors Jung. D'où peut-être les difficultés à penser avec les "seuls" concepts freudiens les questions d'amitié, d'homosexualité et les relations institutionnelles. Ceci a été déjà abordé par Rosa Jaïtin par exemple. Nous voyons là combien il devient naturel de trop bien lire et même de très bien lire l'oeuvre de Freud (la myopie est préconisée) et de négliger les autres en particulier les opposants.
Et si Ferenczi a été sauvé du désastre depuis quelques années, combien m'a surpris le fait que de voir une analyste jungienne (Hester McFarland Solomon 2002)m'apprendre que le fantasme des parents combinés est à la base de la pensée d'un Bion tellement bien vu actuellement dans la psychanalyse officielle, pensée qui vient de celle de Jung : refoulée ? Je penserai plutôt pour ma part qu'elle est encryptée, mise au secret, seule condition qui nous permet de ne pas avoir de doutes sur les origines de sa filiation et donc de pouvoir l'utiliser tranquillement.
La notion de crypte a été bien sur largement développée par Abraham et Torok et c'est à cette théorie que je fais là référence.
Mais, pour l'utiliser au plan du fonctionnement institutionnel, il me semble intéressant de confronter en passant par le grec deux sens auxquels peut renvoyer le mot secret : en effet en grec, le mot crypte renvoie au verbe crivo qui veut dire cacher, quand la racine des mots de la série du mystique peuvent renvoyer plutôt à mystères,mystagogies, ces réunions secrètes, comme les mystères d'Eleusis, à forte connotation religieuse. L'étymologie de mystique renvoie aussi à "fermer les yeux, fermer la bouche" et du côté de la racine, c'est "mys" soit le muscle. Nous voyons bien là comment l'anneau peut venir symboliser une dimension sphinctérienne souvent mise en avant par la problématique du secret et son ancrage dans le registre de l'analité. Mais d'autre part quand cette dimension se déploie sur l'institution, c'est la dimension du cercle d'amis, du cercle d'initiés qui apparaît et le lien avec la fermeture de la bouche et des yeux en indiquent l'ancrage traumatique.
Il s'agit donc de passer de la logique de ce qui peut être caché entre deux personnes ou dans le psychisme de chacun (le trauma de Jung, le transfert religieux, les apports théoriques, le deuil impossible de cette amitié...) à celle de la dimension religieuse de la réunion en secret du comité du même nom.
J'entends religieux au sens premier du terme, soit l'idée de relier en arrière, le fait que ce mouvement ancre une transmission dans une tradition.
Or, cette réunion secrète quand maintenant je l'analyse en termes politiques, avec H Arendt, évoque le registre du totalitarisme. En effet, ce régime est fondé sur la mise au secret, au cœur de son fonctionnement d'une machine de destruction des humains, avec autour une structure en oignon visant à masquer la réalité partagée de la destruction de celui qui n'a même plus droit au titre d'ennemi .Ceci rejoint tout à fait ce que disent Abraham et Torok (1978) dans la topique réalitaire sur le statut métapsychologique de réalité.
Ce registre de fonctionnement institutionnel, quand il ne se déploie pas sur une grande échelle comme dans les régimes totalitaires, j'ai choisi de l'appeler traumatocratique (Jean Peuch-Lestrade 2001) (25)
Mon idée étant d'évoquer le traumatisme dans le sens où Nassikas le distingue du trauma:
Pour lui, le trauma sur le modèle médical est une intrusion brutale et violente dans le corps ou la psyché. Il y inclut toutes les réflexions sur le facteur économique pour expliquer les perturbations psychiques de la victime.
Mais ce qui caractérise la transformation du trauma en traumatisme à ses yeux, c'est la situation relationnelle de grand isolement dans une situation de détresse;
et ceci reprend très précisément à mon avis, la notion de désolation chez Hannah Arendt (1951), qui pour elle caractérise le totalitarisme, et qu'elle conçoit comme un vécu qui renvoie à la fois à la disparition des autres, mais aussi à celle de l'espace qui les relie qu'il faut entendre à mon avis à la lettre, comme dé-sol-ation, perte du sol commun.
Si on peut au niveau du vécu la rapprocher de l'angoisse d'effondrement chez Winnicott, la désolation renvoie aussi obligatoirement à l'idée que ce sentiment, ce ressenti, ce vécu n'est pas uniquement du côté de l'intrapsychique, mais qu'il est indissociablement en lien avec le plural, c'est à dire l'existence de soi parmi les autres ; et si l'attaque de toutes les limites qu'elle met en œuvre, le silence et le vécu d'inexistence qu'elle induit, agit sur la modalité de l'identification à l'agresseur au sens de Ferenczi, c'est surtout cette dimension de non-partageable avec les autres humains ou autres semblables qui la caractérise comme nous l'ont si bien transmis les rescapés des camps.
J'espère vous avoir montré comment le secret est au cœur des institutions psychanalytiques parce que c'est un élément de leurs conditions d'existence.
Et je pense que ses conséquences traumatocratiques se sont déployées à plusieurs occasions : je fais ici référence à la façon dont a été traité Jung, ou encore Rank (cf sa lettre d'aveu, un modèle du genre).
Mais encore : Ferenczi ou plus près de nous Abraham et pourquoi pas Perrier qui nous concerne plus directement au IVème Groupe, ou Juliette Labin dont le suicide va précipiter la dissolution de l'Ecole Freudienne sont peut-être aussi d'autres exemples de ce fonctionnement . Celui-ci vise, à des degrés divers, à utiliser un diagnostic psychiatrique ou psychanalytique pour évacuer sur la problématique personnelle du sujet, la dimension de ce qui ne peut pas être entendu à ce moment là dans l'institution. (Voyez combien nous autres psychanalystes résistons à formuler des diagnostics par rapport à nos patients et combien nous sommes prompts à les établir quand il s'agit de collègues "déviants").Ceci n'empêche d'ailleurs pas que le diagnostic puisse être juste ou que la théorie qui fait question puisse être fausse.
25 - Cette dernière idée m'est venue à la suite d'une erreur de traduction : en grec moderne, le mot terrorisme se dit tromocratia, de tromos = terreur, tremblement et je l'avais dans un premier temps importé tel quel en français en écrivant traumocratie.
Ce qui est ici en cause est la spécificité de notre rapport à la vérité, y compris dans sa dimension scientifique et dans notre champ elle est indisolublement liée à la réalité constituée par la partagabilité interhumaine, faute de quoi nous pouvons basculer soit du côté de la psychose, soit du côté du totalitarisme suivant le point de vue qu'on adopte. Ceci veut dire que notre rapport à la vérité est intrinsèquement tissé avec des affects, des émotions etc. cf. à ce sujet le beau texte de Piera Aulagnier dans les destins du plaisir sur cette mise en place d'une réalité partagée comme condition préalable pour l'analyse des psychotiques.
Et si parfois nous l'oublions, ce n'est pas du fait de notre perversité mais du fait de notre incapacité psychanalytique à penser le champ politique, cette fois-ci est au sens d'Hannah Arendt, parce que celui-ci est doublement inabordable entre nous : d'une part, parce que notre théorisation du passage au plural ne nous permet pas de l'envisager autrement qu'in fine sur la reprise du modèle familial, et que d'autre part la façade publique et scientifique que constitue l'IPA ou les autres sociétés est doublée par des structures institutionnelles plus ou moins organisées dont le projet reste comme à l'origine de défendre la psychanalyse dans sa pureté théorique ou pratique contre les ennemis de l'intérieur ou de l'extérieur .
Et nous pouvons alors penser cette résistance au passage au politique (comme registre de la pluralité humaine qui ne peut se réduire au modèle familial) dans les institutions psychanalytiques comme une mesure de protection salvatrice contre cette émergence, l'émergence du " potentiellement totalitaire " de l'histoire de la théorie et de l'institution psychanalytiques. En même temps que la tendance religieuse qu'on voit à l'œuvre dans notre rapport à la théorie nous ferme la possibilité de discuter librement les différentes hypothèses théoriques, celles de Freud parmi les autres, pour pouvoir ensuite faire un tri : retenir ce qui convient et éliminer ce qui finalement apparaît comme sans intérêt, ce qui est le propre du champ scientifique. Chaque analyste fait probablement cet exercice pour son propre compte, ce qui est à la base de la dimension originale de sa théorisation et de sa pratique. Mais collectivement c'est une autre histoire, car nous aurons plutôt tendance à toujours donner raison in fine à Freud chez les freudiens ou à Lacan chez les lacaniens ou à Jung chez les jungiens, voire Winnicott chez les winnicottiens. Ceci témoigne du risque d'exclusion que raisonnablement chacun de nous individuellement ne veut pas courir ; mais c'est probablement néfaste pour les possibilités évolutives de notre théorisation commune .
Je rejoins là le point de vue de Torok et Rand (1995) :
"Libérer la transmission de la psychanalyse de ses cloisons internes n'est pas une affaire de simple volonté. L'on ne saurait y arriver sans interroger le ressort du phénomène de la fermeture. Il conviendra dès lors de situer la transmission institutionnelle des théories freudiennes à l'intérieur d'une topique historique de la psychanalyse."
Bibliographie :
Abraham, Nicolas et Torok, Maria (1978) La topique réalitaire in L'écorce et le noyau Paris Aubier Montaigne, coll. "La philosophie en effet".
Arendt, Hannah (1951) Le système totalitaire, Paris Le Seuil 1972, coll. "Points Politique".
Chartier, Jean-Pierre (2003) Psychanalyse freudienne, psychanalyse lacanienne : théologie ou mysticisme ? conférence au IVème Groupe Avril 2003.
de Mijolla, Sophie (2002) Un désaveu de postérité : le couteau de Lichtenberg in Topique n° 79 L'esprit du temps.
Freud, Sigmund et Jung, Carl Gustav (1975) Correspondance t1 1906-1909 Paris Gallimard.
Kacirek, Susanne (2002) La question du meurtre du père originaire entre Freud et Jung in Topique n° 79 L'esprit du temps.
McFarland Solomon, Hester (2002) Freud et Jung : une rencontre inachevée in Topique n° 79 L'esprit du temps.
Peuch-Lestrade, Jean (2001) Institutions cadres et transferts conférence au IVème Groupe Décembre 2001.
Peuch-Lestrade, Jean (2004) Les décisions du psychanalyste : entre acte de propriété et action politique in Topique n° 86 L'esprit du temps.
Rand, Nicholas et Torok, Maria (1995) Questions à Freud Paris Les Belles Lettres.
Dialogues autour du secret par Claude Nachin
Je remercie Jean Peuch-Lestrade et votre groupe de m'avoir invité à votre journée de bilan de vos trois années de travaux sur le secret. D'abord parce que je suis en lien avec le 4° groupe depuis 1985 où Mireille Fognigni m'a invité à présenter à son séminaire un exposé sur le symbole selon Nicolas Abraham. Je suis resté avec ce groupe plusieurs années.
Ensuite, depuis 1978, j'ai été le premier analyste de la S.P.P. à défendre , à illustrer et à développer l'oeuvre de Nicolas Abraham et de Maria Torok, mal perçue par la majorité des psychanalystes de France avec des exceptions notables, en particulier la regrettée Piéra Aulagnier.
Enfin, une confidence, cela fera cinquante ans au 1/6/2004 que j’ai commencé mon internat psychiatrique au Vinatier
Votre première idée sur l’ambigüité du secret concerne sa phénoménologie . Lorsque Piera met l’accent sur l’aire de secret et de liberté qui permet la pensée, on entre dans la métapsychologie freudienne. Il s’agit des possibilités qu’offre le psychisme avec ses parts inconscientes, préconscientes et conscientes et l’autonomie personnelle qu’elles permettent. Mais cette secrétude n’a pas de statut métapsychologique propre. Smirnoff l’a aussi évoqué en prenant l’image du squelette dans le placard mais cette métaphore reçoit là un usage excessif.
Le secret ne suscite pas forcément d’aliénation entre les sujets. Pourtant il est vrai que chaque fois que l’on cache à un sujet un fait qui le concerne personnellement, on l’aliène. La longue absence de la question dans les débats analytiques et sa place marginale dans la métapsychologie freudienne alors qu’elle est très présente dans la clinique quotidienne est liée au rejet de la problématique du traumatisme, reprise par Ferenczi, dans les courants dominants de la psychanalyse.
Claude Alombert vient de nous introduire remarquablement à la définition du secret. En ce qui concerne la référence à l’analité, l’excrétion et la rétention, je voudrais seulement dire que l’analité se prête à être la métaphore corporelle d’une opération psychique déjà installée bien avant l’éducation et la maîtrise sphinctérienne. Dès le 6° mois , même si cela se prolonge ensuite , M.Klein nous a appris qu’il y a déjà séparation entre Ca et Moi dans l’intrapsychique et entre la mère et l’enfant sur le plan relationnel. Mais on est dans l’ordre du secret de la vie psychique lié à la partition en instances et non dans la catégorie métapsychologique du Secret. C’est l’aire d’intimité nécessaire pour penser travaillée par Piéra Aulagnier. C’est aussi le lieu des tensions intrapsychiques entre Ca , Moi et Surmoi.
Le Secret métapsychologique( doté de la majuscule de l’anasémie de Nicolas Abraham et bien étudié par Serge Tisseron) constitue une Réalité métapsychologique cadenassée dans une zone durablement clivée du Moi , inclusion ou crypte : dans l’inclusion il peut s’agir seulement de deuils difficiles, la notion de «crypte» étant introduite pour les cas où un secret honteux ( pour l’objet) liait le sujet à un objet d’amour perdu : secret d’une activité sexuelle illicite ou d’un délit, d’une souffrance ou(et) d’une jouissance. Les raisons importent pour démêler le simple non-dit de l’indicible. L’indicible suppose toujours Trauma( la majuscule anasémique indique son caractère psychique), mort psychique partielle suivie d’une reconstruction bancale.
On ne saurait limiter la problématique des Traumas à celle de la séduction même si c’est le domaine où Freud a abordé en premier, suivi par Ferenczi. Le renoncement de Freud à sa neurotica n’a jamais été aussi complet qu’une légende médicale et psychanalytique a voulu le faire croire. M.Torok l’a montré abondamment en suivant pas à pas les textes de Freud entre 1897 et sa mort. Parlant brièvement du clivage du Moi, il met l’accent sur la problématique de la séparation et du deuil en évoquant de jeunes garçons tôt endeuillés de leur père.
Le cas du jeune homme qui affirme à ses parents «que seuls ceux qui n'ont pas péché devant l'éternel survivront le jour du jugement dernier» nous montre une mère incapable de se séparer de ses bébés. Le cas de Mme B nous montre aussi une mère élevant seule son fils avec la grand-mère. Dans ces deux premiers cas , les pères sont à l’arrière-plan ou absents et il est trop facile de rejeter vers la mère la responsabilité de situations complexes. Pitié pour les mères ! Placées dans une situation difficile, ces femmes recherchent courageusement, souvent avec notre induction, les menues difficultés qui ont bien pu préceder les difficultés sérieuses actuelles.
Le secret dont parle Smirnoff rejoint celui d ‘Aulagnier et ,ne concerne pas le Trauma, mais les aléas de toute vie . Beaucoup, par exemple, gardent cachés la part d’émois homosexuels que tout humain éprouve dans sa vie dès l’instant qu’il n’est pas enfermé dans une névrose serrée. Dans la visée d’une thérapie familiale ou d’une prise en charge durable de ces mères, ce qui nous importerait, c’est leur histoire plutôt que des mots de l’une ou l’autre théorie psychanalytique. Tout le monde a tendance à gommer les menus incidents négatifs d’une vie d’enfant et beaucoup, y compris parmi nous, sont axés sur la réussite scolaire de leurs enfants dans notre monde de compétition impitoyable.
Le secret phénoménologique appartient au préconscient-conscient , sans doute. Le Secret(majuscule) tel que je l’ai défini, c’est plus compliqué. Une part- le fait d’avoir été violée, par exemple- reste consciente ou préconsciente. mais l’ensemble des émois, des images et des idées lié au drame est habituellement indisponible. C’est une sorte d’inconscient artificiel dans une part du Moi et du préconscient-conscient qui se trouve maintenu par ce que N.A. et M.T. ont appelé un refoulement conservateur : le drame doit être conservé pour ne pas amputer définitivement le psychisme et il ne doit pas être évoqué pour ne pas revivre l’horreur traumatique. La crypte ne s’ouvrira qu’à des moments de décompensation anniversaire ou à l’occasion d’une sollicitation qui entre en résonance avec le drame enfoui. En analyse, le patient ne pourra y venir qu’après avoir testé longtemps , non pas le désir de l’analyste comme dans les névroses communes, mais ses préjugés et sa capacité à se reconnaître faillible comme homme et comme praticien ce que Lagache avait perçu le premier dans le cas Marie. Ce n’est donc pas l’indifférence qui est requise ici mais la sollicitude du praticien pour une souffrance qu’il sent même s’il en ignore la source.
Le travail particulier de notre collègue se situe à la charnière entre le Secret et l’existence d’un secret qui peut d’ailleurs être chez ses mères d’adolescent en sérieuse difficulté l’indice d’un Secret au sens métapsychologique chez la mère, le père ou dans la famille. La démarche psychothérapique qu’elle nous décrit, respectueuse des repères, des désirs et des fantasmes des mères est remarquable. Une telle démarche ne peut être que le fait de personnes au-delà et non en-deçà de la psychanalyse classique. Balint a dit le premier que le psychanalyste ne pouvait se désintéresser des patients porteurs d’une problématique traumatique sévère, pas plus que de l’analyse des groupes.
Je suis moins bien la fin de l’exposé où la « théorie traumatique »( tout dépend laquelle) et la psychothérapie historique( je ne sais pas ce qui est entendu par là) se trouvent chassées du saint des saints. La thérapie familiale analytique- dont je n’ai pas la pratique – a une certaine visée totalisante, non par rapport à tout, mais par rapport à ce qui est engagé en commun dans une famille. Dans la pratique de la psychothérapie analytique individuelle des psychoses selon Giséla Pankow, je recevais la mère deux fois par mois et le père une fois par mois. Il y a place pour la plus grande souplesse à partir du moment où le cadre est défini et où l’on fait une étude critique permanente de notre travail. A la fin, vous revenez vers le fantasme et le désir tels qu’ils jouent dans la psychanalyse des névroses simples, de plus en plus rares sur nos divans, alors que vos mères en difficultés ont d’abord besoin que l’on authentifie leur souffrance et qu’elles puissent parler de leur propre enfance et adolescence pour que leur malaise par rapport à leur fils ou fille adolescent( e ) puisse évoluer.
L’intervention d’Elisabeth Bugglin est très liée à mes préoccupations. D’abord une remarque : la mère dont nous parlons est rapidement l’inscription dans l’inconscient de l’infans de toutes les personnes et de l’environnement qui contribuent à assurer le maternement d’un enfant : la mère y joue habituellement le plus grand rôle, mais ce peut être une grand-mère, une nourrice, le père qui soit la Mère( anasémique) pour l’inconscient d’un enfant. Assurément,l’activité psychique de l’infans ne peut métaboliser l’objet que si le discours de la Mère l’a doté d’un sens en le nommant.
L’introjection originaire est pour moi celle de la relation primitive à la Mère corrélative du Prémoi et elle est marquée par des signifiants intersensoriels. Ceci dit, je souscris à votre description à partir de P.A.. Dans le jeu du refoulé et de ses rejetons entre mère et enfant s’insère la problématique du secret lié à l’existence des structures du psychisme. Le langage humain permet à la fois d’approcher la vérité et de mentir.. Le secret sous cet angle est nécessaire aussi bien à la confiance en soi qu’ aux relations avec les autres.
Dans votre deuxième partie, vous décrivez une forme de Secret (métapsychologique) se constituant précocément dans la relation avec certaines mères. Mon discord à ce sujet est que je ne pense pas que ces mères aient seulement des failles dans leur refoulement dynamique. Je pense que ce sont des femmes déjà porteuses de clivages du Moi ou de forclusions partielles qui ne leur permettent pas de vivre pleinement leur féminité avec un homme et qui font retomber leur sexualité amputée sur leurs jeunes enfants. Cela m’évoque les descriptions de Kohut dont nous savons que la mère était folle et qui, à certains moments difficiles de sa vie, se demandait si c’était elle ou lui qui était fou. En tout cas, le Trauma précoce émanant de la Mère qui touche l’infans l’expose à des troubles plus près de la psychose que de la névrose courante. Ce peut être effectivement le noyau mélancolique primaire décrit par Bleger qui exposerait à des troubles de l’ordre de la P.M.D. et aussi de l’épilepsie.
Notre amateur de photographie nous parle, ce qui n’est pas coutume, d’une patiente laide dont il avait tu la laideur et dont il repère après-coup les portraits flous et un discours fragmentaire ainsi que le charme exercé mutuellement par les aspects complémentaires de leur passion commune. La citation de Stein est bienvenue. Conrad STEIN définit le secteur réservé du transfert comme « une connivence avec le patient imputée par ce dernier, à tort ou à raison, au psychanalyste, imputation fondée sur la notion que ce dernier ne saurait manquer de souscrire au projet psychanalytique et de s’en porter garant au nom de la communauté qui proclame sa valeur ».. C’est en somme la place d’un secret « normal », maturatif, dans notre travail psy.
Christine Ebindinger-Cury reprend la question du secret maturatif à partir de Winnicott. Surtout, elle nous donne un témoignage du travail courageux d’une psychanalyste se confrontant aux criminels en Maison d’arrêt. La question du passage à l’acte est délicate mais on a pu discerner trois occurrences principales. La première concerne des sujets qui ont commis un acte grave dans lequel ils ne se reconnaissent pas et qui n’a été précédé d’aucun fantasme conscient, on peut seulement imaginer qu’il y a eu un fantasme inconscient suivi directement d’un acte. La deuxième occurrence concerne des sujets qui ont eu un fantasme conscient de réalisation d’un acte qui leur faisait horreur et qui l’ont pourtant accompli plus tard. La troisième concerne des sujets qui ont imaginé un acte, en ont délibéré dans leur for intérieur et ont finalement décidé de le réaliser , ce qui est le cas de l’homme du milieu conscient et organisé. Sollicité par le juge, leur avocat et, à l’occasion, le médecin, la première catégorie se voit conviée à inventer l’histoire de ses malheurs pour avoir quelque chose à raconter pour satisfaire ses interlocuteurs . Le patient de notre collègue fantasme d’abord que l’on sait tout de lui en prison. Il décrit d’abord une famille sans histoire, puis il reconnaît l’existence de conflits. Il partage avec sa femme un secret conscient concernant l’origine de leur premier enfant. Enfin, il apparaît animé à son insu par un mal-être inconscient , ce qui permet à notre collègue de distinguer le secret inconscient du secret banal.
La contribution de Rosa Jaitin me touche particulièrement car j’ai eu à connaître d’un cas analogue au sien. Dans mon cas, une jeune tante( sœur de la mère) était morte accidentellement avant la naissance d’un fils et d’une fille premiers nés d’un couple. La fille s’est vue dotée du prénom de la morte dont ni leur mère, ni la grand-mère maternelle n’avaient pu faire convenablement le deuil. Les deux premiers enfants ont été particulièrement affectés par le travail du Fantôme lié au deuil non surmonté de leur mère et grand-mère. Après avoir longtemps été très proches, le frère et la sœur le sont restés sur un autre mode : le frère est devenu homosexuel et la sœur n’a pu constituer un couple durable. Ils ont particulièrement contribué tous les deux à comprendre et à soigner inconsciemment deux parents affectés par des malheurs antérieurs( il y avait également un deuil difficile dans l’histoire du père). Par ailleurs , comme dans le cas de Rosa Jaitin, il s’agissait sans doute aussi d’éviter imaginairement qu’un nouveau malheur n’affecte leur fratrie comme il avait affecté la fratrie maternelle.
Je pense qu’il convient toujours de différencier les situations et que René Kaës a raison d’insister sur le complexe fraternel. S’agissant des psychanalystes de L’homme aux Loups, j’ai l’impression, comme Maria Torok, que Ruth Mac Brunswick aurait pu le tirer d’affaire si elle n’avait pas eu Freud et son travail princeps dans le dos. Un petit discord au sujet de la Réalité du Secret et du Trauma : la dénégation implique , comme l’a indiqué Freud, une part d’acceptation du refoulé tandis que dans la variété de clivage su Moi qu’est la crypte de L’homme aux Loups, il s’agit du déni d’une part de la réalité extérieure et de la réalité psychique correspondante. Il y a encore beaucoup à travailler sur les groupes et les institutions comme R.Jaitin nous y invite.
Dominique Geay nous emmène dans un autre secteur. La psychanalyse repose sur l’aveu de son intime par l’analysant à son analyste. Mais l’Association Psychanalytique Internationale était à peine fondée que le père fondateur et les plus proches disciples s’embarquaient dans un Comité secret censé être garant de la pureté de la Cause. La formation de la S.P.P. a évolué dans le temps. Les supervisions se chevauchent ou sont accomplies successivement selon le désir et les possibilités du candidat. Le cursus n’a jamais été de type universitaire mais constitué de séminaires choisis librement. Le mémoire est en général un mémoire clinique. Par contre, on a pu tour à tour accepter une candidature à l’adhérence sur titres et travaux au lieu d’un mémoire, puis la refuser au gré des commissions successives sans que les candidats éventuels en soient régulièrement avisés à l’avance. Il est vrai qu’un consensus pousse vers des mémoires qui affirment que le candidat confesse bien « la vraie religion de l’Œdipe et de la castration ». J’ai lu un jour un mémoire qui réussissait à faire une illustration des fantasmes bisexuels hystériques à partir d’un cas de névrose traumatique sévère qui partait d’un meurtre ou d’un assassinat qui transparaissait à travers les notes cliniques ! Beaucoup de mémoires d’adhérence qui racontaient un travail original de psychanalyste déjà expérimenté ont été refusés. Personnellement, je n’ai dû mon salut au deuxième tour qu’à l’amitié d’une collègue titulaire mais je ne suis pas allé plus loin. Le cursus du 4° Groupe m’apparaît bien conçu idéalement mais je pense qu’il est trop lourd en pratique comme en témoigne le fait que beaucoup d’analystes de valeur qui suivent la vie du groupe depuis longtemps ne postulent pas pour en devenir membres de plein exercice. Son mérite essentiel est pour moi l’absence de comités secrets délibérant en l’absence du candidat.
Vous évoquez l’histoire de L’homme aux Loups révisée par Nicolas Abraham et Maria Torok et le renouveau de la psychanalyse qu’inaugure leur œuvre. Provisoirement, je reprends approximativement pour terminer le propos du regretté Robert Barande écrivant que Nicolas Abraham a été reconnu comme psychanalyste, à peine comme penseur et pas du tout dans son génie.
A la fin de cette journée de travail intense et placée sous le signe de « la psyché entre amis », préconisée par Jean Gillibert, je ne puis que dire mon plein accord avec l’intervention de Jean Peuch-Lestrade qui approfondit la réflexion sur psychanalyse et politique sur laquelle je me suis aussi penché depuis assez longtemps. Merci à tous pour leurs contributions et pour leur écoute attentive.
Je regrette que ce texte, rédigé en partie avant la journée et en partie après, ne reflète qu’imparfaitement mes interventions à bâtons rompus au cours de la journée.
Claude Nachin